Home Page
Louisiana Anthology

George Washington Cable.
“Posson Jone.”

NOTES TO NEXT GROUP

HISTOIRE

DE

LA FONDATION

DE LA NOUVELLE-ORLeANS

(1717-1722)

PAR LE BARON MARC DE VILLIERS

AVEC UNE PREFACE

DE M. GABRIEL HANOTAUX

MEMBRE DE L’ACADEMIE FRANCAISE

PARIS IMPRIMERIE NATIONALE

MDCCCCXVII

LA Louisiane, c’est le pays des Louis, & du plus grand de tous, Louis XIV. A l’embouchure du roi des fleuves, le Mißißipi, la capitale de la Louisiane porte le nom d’une ville où fleurit, aux bords de Loire, le souvenir des plus nobles gloires de la Vieille France, Orléans.

Ainsi le nom français vit & vivra éternellement dans ces régions lointaines, car ce sont les Français qui ont semé la civilisation sur les rives du fleuve; ils ont colonisé ces contrées, fondé ces villes, & leur volonté réfléchie, après les avoir créées & élevées, les a déposées, déjà grandes, dans le giron de la grande Rèpublique des États-Unis comme une mère confie ses filles à une autre mère : ce sont des liens que rien ne peut briser.

La conception d’un grand empire américain du Nord appartient à notre Champlain. Cavelier de La Salle la reprit & jalonna le sol américain des grandes lignes de ce futur domaine.

Les Espagnols, qui avaient découvert les embouchures du Père des eaux, n’avaient pu franchir la barre; il leur parut qu’un Dieu se levait du fleuve pour arrêter leur entreprise. Quant aux Indiens, ils ne pouvaient même se rendre compte de l’ importance de son cours : leurs chaßes & leurs pêches étaient bornées à des bandes de terrain sur ses rivages ; ils dénombraient les saisons d’après ses débordements.

Les Français venus par le Canada & les lacs, comprirent tout de suite que l’unité géographique du continent septentrional était déterminée par le cours du grand fleuve & de ses affluents. Tandis que les colons anglais restaient fixés aux rivages de la mer, les explorateurs français se jetaient résolument dans l’aventure de la découverte intérieure. Ces pionniers firent preuve du double mérite que l’histoire reconnaît comme caractérisant le génie français : ils conçurent & ils osèrent.

C’est Cavelier de La Salle qui déboucha le premier, par les eaux du Mißißipi, dans le golfe du Mexique. Il planta sur cette terre le poteau à la plaque d’étain qui en prenait poßeßion au nom de la France, & il lui imposa le nom des Louis.

Je laiße aux écrivains américains les plus qualifiés le soin de dessiner les traits de ce fondateur, de ce créateur à qui l’Amérique doit tant : Parkman, reprenant la parole de Tonty, le plus fidèle compagnon de voyage de La Salle, dit : «Ce fut l’un des hommes les plus grands du siècle, c’est incontestablement l’explorateur le plus remarquable dont l’histoire ait conservé le nom.» Bancroft reprend : «Pour la force de la volonté & la grandeur des conceptions, pour la variété des connaißances & la rapide adaptation d’un génie inventif aux circonstances les plus imprévues, pour la hauteur d’âme qui vous fait accepter les décisions de la Providence tout en opposant au malheur une ferme résolution & une espérance inébranlable, La Salle ne s’est laißé surpaBßer aucun de ses compatriotes.» Et Parkman dit encore : «L’Amérique lui doit un souvenir durable; car dans cette silhouette virile, elle reconnait le pionnier qui l’a guidée vers son plus riche háritage.»

J’aime la conclusion philosophique que John Finley tire de ces textes, après les avoir rappelés : « La France, dit-il, eût bien mérité de la vallée du Mißißipi, alors méme qu’elle se fût bornée á introduire cette rude & vaillante figure au cœur de l’ Amérique, comme une condamnation perpétuelle du luxe amollißant & efféminé, d’un art qui ne viserait qu’à la popularitè, de l’intempérance & autres vices contre lesquels La Salle a lutté méme dans le désert, ainsi que de la délation & de la démagogie. C’est un exemple toujours présent de ce que les hommes ont appelé vir & virtus, au sens le plus élevé du mot.»

La vie de Cavelier de La Salle est la préface indispensable d’une histoire de la Louisiane & de la Nouvelle-Orléans. C’est avec de tels hommes que l’ancienne France fabriquait des Frances nouvelles.

Pourtant si la Louisiane était découverte & nommée, la Nouvelle-Orléans tarda quelque temps à naître. Le paßage de La Salle est de 1682 : or la colonie qu’il avait fondée avec tant de courage & de confiance ne commence à se développer que dans les premières années du XVIII siècle : c’est en 1702 que M. de Rémonville proposa la création d’un établißement au «Portage du Mißißipi» c’est en 1715-1716 que Crozat réclame avec insistance la fondation d’un poste sur l’emplacement de la future mé Bienville fut son véritable père.

Disons-le franchement, il fallut le grand eßor que le système de Law donna aux affaires coloniales françaises pour que la ville sortît de ces limbes. Chez les hommes d’État, la plus précieuse & la plus vaste des facultés et l’imagination créatrice; mais elle perd tout son prix si le bon sens ne la surveille pas. Law était à la fois un spéculatif & un spéculateur : il devina les deux révolutions qui allaient changer la face du monde : l’élargißement soudain de la planète par le développement des domaines coloniaux, & l’exploitation préventive de cette richeße nouvelle par l’ organisation du crédit. Presque sans y prendre garde, son Système éveillait des terres endormies depuis la création du monde, la Nouvelle-Orléans naquit de cette initiative, & elle prit le nom du régent en l’honneur du protecteur de law. Ainsi cette période si extraordinairement féconde des premières annees du XVIII siècle français réalisa le capital & escompta le crédit amaßés par l’héroïsme des âges précédents.

L’histoire de cette origine & les raisons du deuxième centenaire que la France & l’Amérique celebrent en ce moment est racontée avec une précision & une autorité remarquables dans l'ouvrage que j’ai l’honorable mißion de présenter au public. Œuvre d’un rare mérite, parce qu’elle est à la fois claire & simple. Appuyée sur une érudition solide, elle n’en fait pas étalage. Elle inspire la confiance parce qu’elle respire la vérité. Les vicißitudes de la fondation, les résistances de la nature & des hommes, les difficultés qui s’opposent à toute réalisation humaine, ces alternatives sont exposées ici avec un art qui, en plus, sait orner la trame du récit par une abondante broderie de traits piquants et d’anecdotes curieuses.

Comment ne pas saluer au paßage l’ombre délicate et le fantôme parfumé de notre Manon Lescaut? L’aventure équivoque du chevalier des Grieux n’est pas une simple invention romanesque : Manon a vécu. Et l’on trouvera, dans les pages qui suivent, la révélation des circonstances réelles qui amenèrent à l’embouchure du Mißißipi,

PREFACE.

vers 1716, le jeune Avril de La Varenne & la «demoiselle» Froget, dite Quantin, native apparemment d’Omißy, près de Saint-Quentin en Picardie. Je laiße au lecteur le plaisir de lire le rapport officiel de la Motbe-Cadillac, gouverneur de la Louisiane, relatif aux aventures de «Manon Lescaut».

Mais je préfère, tout de méme, à la prose officielle celle de notre bon abbé Prévost racontant les tristes funérailles de la jolie fille, objet d’un si fol amour:« ... Il ne m’étoit pas difficille d’ouvrir la terre dans le lieu ou je me trouvois. C’étoit une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée pour m’en servir a creuser, mais j’en tirois moins de secours que de mes mains. J’ouvris une large fosse. J’y plaçai l’idole de mon cœur après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir embrassée mille fois avec toute l’ardeur du plus parfait amour. Je m’assis encore auprès d’elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvois me résoudre à fermer la fosse. Enfin mes forces recommençant à s’affoiblir & craignant d’en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j’ensevelis pour toujours dans le sein de la terre tout ce qu’elle avoit porté de plus parfait & de plus aimable.»

Née dans l’héroïsme, abreuvée des plus terribles calamités, accrue par le risque, développée par le travail, la Nouvelle-Orléans porte

l’) Texte de l’édition originale : Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, tome septième, p. 338. A Paris. Aux dépens de la Compagnie, mccxxxi.

sur sa couronne murale les deux plus grands noms de l’histoire de France : Louis XIV et Napoléon.

Louis XIV fonda la colonie, & Napoleon, d’un geste magnfique et conscient, la céda aux États-Unis.

Un siècle après sa fondation, la Crescent-City ne comptait encore que 26,000 âmes. Un autre siècle s'écoule, & elle en compte maintenant près de 400,000.

Sur ce point du globe, l’un de ceux qu’a marqués pour un avenir incomparable la volonté du Créateur, les destinees de la France et de l'Amérique se sont confondues. Au moment où les deux patries se rapprochent & travaillent d'un seul c&339;ur au salut de la civilisation, elles s’unißent plus tendrement encore pour célébrer le deuxième centenaire d’une ville dont le nom fait résonner les échos de Loire jusqu’aux bords du Mißißipi.

GABRIEL HANOTAUX,

DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE, PRÉSIDENT DU COMITÉ FRANCE-AMÉRIQUE.

picture3

picture4

AVANT-PROPOS.

picture5

A France et les États-Unis s’apprêtent à célébrer le deuxième centenaire de la fondation de la Nouvelle-Orléans, toutefois la date de cet anniversaire peut varier de six mois, et même de beaucoup plus, suivant la façon dont on interprète ce mot de fondation.

L’emplacement actuel de la capitale de la Louisiane, de tout temps lieu de campement des sauvages se rendant du Mississipi à l’embouchure de la rivière de La Mobile, devint, sitôt l’établissement des Français à l’île Massacre, le point d’atterrissage habituel des voyageurs naviguant sur le grand fleuve américain. On pourrait donc presque faire remonter l’histoire de la Nouvelle-Orléans à l’hiver 1715-1716, époque à laquelle Crozat réclama la fondation d’un poste sur l’emplacement de la future capitale, et même en 1702, année où M. de Rémonville proposa la création d’un établissement au «Portage du Mississipy».

Cependant, par malheur pour le développement rapide de la colonie, une période de quinze années -- que l’on pourrait presque qualifier de proto-historique -- s’écoula avant que Bienville reprît le projet de Remonville. Le Conseil de la Marine, cette fois, se laissa convaincre et, de concert avec la Compagnie d’Occident, nomma, le I octobre 1717, un caissier à la Nouvelle-Orléans.

Les premiers travaux, pourtant, ne commencèrent guère sur le terrain avant la fin du mois de mars 1718; encore furent-ils poussés avec si peu d’activité, par suite de l’hostilité des colons établis sur le littoral, qu’un an plus tard, le nouveau poste consistait uniquement en quelques cahutes de branchages entourant «une cabane couverte de feuilles de lataniers». Survint la grande crue du Mississipi de 1719, puis la guerre avec l’Espagne, et la Nouvelle-Orléans se trouva fort délaissée. Dans l’enceinte d’une lieue de tour, dont on montrait les merveilleux plans rue Quincampoix, Bienville, au mois de janvier 1720, ne parvenait pas à compter «plus de quatre maisons commencées».

A la nouvelle de l’inondation, d’ailleurs très considérablement exagérée par les partisans de La Mobile ou de Biloxi, les Directeurs de la Compagnie des Indes donnèrent l’ordre d’arrêter les travaux du nouveau comptoir et songèrent même sérieusement à le transporter dans la plaine de Manchac, à quelque douze lieues plus au Nord. Grâce à la ténacité de Bienville, la Nouvelle-Orléans ne fut pourtant jamais complètement abandonnée, et elle parvint &agrvae; vivoter jusqu’au jour oú arriva enfin en Louisiane la décision du 23 décembre 1721 élevant la «ville» au rang de capitale de la Colonie.

AVANT-PROPOS.

On n’a donc que Tembarras du choix pour fixer la date de la fondation de la Nouvelle-Orléans — dont Le Maire, un des meilleurs géographes de la colonie, refusait encore obstinément en 1720 d’indiquer la place sur ses cartes — entre le printemps de 1717 et le mois de juin 1722, époque à laquelle l’ingénieur en chef Le Blond de la Tour, contraint d’aller visiter le site de la capitale, se vit, bien malgré lui, forcé de ratifier purement et simplement les plans établis par Adrien de Pauger l’année précédente.

L’ingénieur Franquet de Chaville, un des fondateurs de la ville, indique catégoriquement l’année 1722 le Père Charlevoix, d’après Pénicaut, 1717. Même en éliminant 1722, 1721 — et 1719, année de la grande inondation, — restent encore 1717, 1718 et 1720. Stoddard(1), sans s’embarrasser de subtilités historiques, opine pour 1720. Le chevalier de Champagny, plus circonspect, déclare en 1776, dans son État présent de la Louisiane : La Nouvelle-Orléans fut fondée par M. de Bienville en 1718, 1719 et 1720.

Le choix de 1718 semble assez indiqué; pourtant la date de 1717, rappelant l’année de la fondation officielle de la Nouvelle-Orléans à Paris, peut également être adoptee; pour les villes comme pour les humains, le bapteme n’est-il pas en quelque sorte la consécration de leur existence, et puis, surtout en territoire français, pays par excellence de la forme administrative, une cité qui posséde un caissier et un major peut-elle ne pas exister?

(1)Sketcbes hifhrical and descriptive of Louisiana 1812.

Le sort longtemps incertain de la Nouvelle-Orléans ressembla beaucoup à celui d’une graine qui, jetée au hasard sur un terrain inculte, commencerait par mettre un an à germer, puis resterait, faute de pouvoir implanter solidement ses racines, dans une sorte de vie latente, toujours sur le point d’etre emportée au loin par quelque brusque rafale. Heureusement, le germe de la future capitale se trouvait, paraît-il, comme son terrain, «fort aquatique», et Tinon-cation de 1719, après avoir failli faire périr la Nouvelle-Orléans, la fixa au contraire définitivement sur les bords du beau Croißiant du Mississipi.

Ier Juillet 1917.

picture6

picture7

HISTOIRE

DE

LA FONDATION

DE LA NOUVELLE-ORLÉANS; :

(1717-1722)

picture8

CHAPITRE PREMIER.

LE PORTAGE DU MISSISSIPY.

N 1682, Robert Cavelier de La Salle, Henri de Tonty, le sieur de Boisrondet, le notaire La Métairie, le Père Zénobe et leurs dix-huit compagnons entrevirent le site où devait s’élever plus tard la florissante capitale de la Louisiane. Le 31 mars, «ils passèrent le village des Oumas sans le connaître à cause du brouillard et parce qu il était un peu éloigné». Après une légère escarmouche contre les Quinipissas, les explorateurs découvrirent, trois jours plus tard, le village de Tangibaho, récemment détruit par les Oumas, et «cabanèrent sur la rive gauche, deux lieues plus bas».

La difficulté de préciser l’emplacement exact des villages signalés par La SaUe, ou par Tonty quelques années plus tard,

se complique du fait que, peu après leurs passages, plusieurs tribus indiennes de ces parages émigrèrent vers le Nord(1) (Tinsas, Bayagoulas, Colapissas) ou disparurent plus ou moins complètement, comme les Mahouelas, qui semblent avoir été les habitants du village de Tangibaho. Pourtant, en comparant attentivement les relations ou les lettres de Cavelier de La Salle, de La Métairie, de Nicolas de La Salle, de Tonty, de d’lberville et de Le Sueur, on arrive à la conclusion que le village de Tangibaho, situé sur le territoire des Quinipissas, dont le portage paraissait alors être le centre, devait se trouver fort rapproché de remplacement actuel de la Nouvelle-Orléans.

Trois ans plus tard, Tonty apprenant au fort Saint-Louis-des-Illinois « que Monsieur de La Salle était descendu sur la côte de la Floride, qu’il se battait contre les Sauvages et avait disette de vivres », descendit le Mississipi et atteignit, le 8 avril 1686, le village des Quinipissas; toutefois, ne parvenant à obtenir aucun renseignement sur l’expédition de son ancien chef, le vaillant pionnier se vit bientôt forcé de reprendre le chemin des Illinois.

Peu de temps après son passage, les Quinipissas(2) se dispersèrent et un certain nombre d’entre eux se rendirent avec les Mougoulachas, tribu apparentée aux Bayagoulas; Launay, un des compagnons de Tonty, le déclare formellement. Ainsi s’explique comment de Bienville retrouva chez les Mougoulachas la lettre adressée à La Salle, laissée par Tonty aux Quinipissas. Cette tribu pourtant n’avait pas encore complètement disparu, puisque Tonty écrit, le 28 février 1700 : « Les Quinipissas, Bayagoulas et Mougoulachas sont au nombre de cent quatre-vingts hommes ». (Sauvolle écrivait Maugoulachos.) Les premiers explorateurs de la Louisiane, connaissant peu

(1) Les Sauvages de la Basse-Louisiane conservèrent pendant longtemps l’habitude d’abandonner leurs villages après les funérailles de leurs chefs. — (2) Tonty écrit indifféremment Quinipissas ou Quinépicas.

LE PORTAGE DU MISSISSIPY.

les habitudes et comprenant mal le langage des Indiens de cette région, prirent tous les noms propres qu’ils entendaient pour des désignations de nations différentes. En 1701, Sauvolle en compte encore trente-six réparties sur un territoire occupé seulement par cinq ou six peuplades différentes; Le Maire, un des premiers, évita cette erreur : « Les noms, écrit-il en 1718, dont sont chargées les anciennes cartes sont moins des nations différentes que des écarts et dénombrements d’une même nation qui, pour trouver des terres qui leur fussent propres, se sont séparés du principal village et se sont ensuite donné des noms pour se distinguer(1) . . . Entre les Tonicas et les Oumas se trouvaient les Chétimachas, qui allaient autrefois jusqu’à la mer. Cette nation en fut chassée après avoir assassiné un missionnaire [le Père Saint-C&ocrirc;me] et est devenue errante . . . Une autre nation, alliée ci-devant avec celle-ci, pour n’être pas enveloppée dans la guerre qu’on faisait aux Chétimatchas, s’est séparée d’eux pour faire, depuis quatre ans, village avec les Oumas(2). » Le Maire appelle Cuzaouachas les Indiens (au nombre de soixante hommes) établis près du Détour-aux-Anglais.

En 1699, Le Moyne d’Iberville, plus heureux que l’infortuné Cavelier de La Salle, misérablement assassiné avant d’avoir pu retrouver le fleuve Saint-Louis, parvint, après bien des difficultés, à découvrir en arrivant par mer les bouches du Mississipi.

Il semblerait plus exact en cette circonstance de nommer ce grand fleuve le Malbanchia, car le nom de Mississipi (3), que lui

(1) Trois ans plus tard, dans son dénombrement des Indiens de la région de La Mobile, Diron eut soin de grouper en trois nations les vingt-huit villages ou tribus qu’il rencontra.

(2) Arch. nationales, Colonies, C13 c,2, fol. 164.

(3)«Mississipy rivière partout», dit un Mémoire anonyme (Colonies, C13c,4, fol. 164, du mot ontaousas Mißi, ou

donnaient les Illinois était absolument inconnu des peuplades habitant au-dessous de l’ Arkansas. Si le fleuve avait été découvert par son embouchure, il eût été très probablement dénommé le Malbanchia (Charlevoix écrit Malbouchia). D’après Pellerin, les Sauvages des environs des Natchez appelaient, en 1720, le Mississipi Barbanca, ou bien Missouri.

Le 9 mars 1699, Iberville remarqua le futur emplacement de la Nouvelle-Orléans : « Le sauvage que j’avais avec moi, écrit-il à cette date, m’a montré l’endroit par où les sauvages font leur portage du fond de la baie où nos navires sont mouillés(1), pour tomber dans cette rivière. Ils tranaîent leurs canots par un assez bon chemin où nous trouvâmes plusieurs bagages des gens qui allaient ou en revenaient. Il me marqua que la distance d’un lieu à l’autre etait fort petite. »

L’année suivante, d’Iberville profita du renseignement, et passa par le lac Pontchartrain pour se rendre au Mississipi : «18 janvier. — J’ai, dit-il, été au portage; je l’ai trouvé avoir environ une demi-lieue de long; la moitié du chemin pleine d’eau à moitié jambe et de bois, l’autre moitié assez bonne, pays de cannes et de bois ... J’ai été visiter un endroit, à une lieue au-dessous du portage, où les Bayagoulas [le mot a été bifié et remplacé par Quinipissas] avaient autrefois un village que je trouvai plein de cannes, et où le terrain se noie fort peu. J’ai fait faire un petit désert où j’ai fait planter des cannes à sucre que j’ai apportées de la Marti-

du mot illinois Mimoui « partout », et de Sipy « rivière », parce que ce fleuve, dans le temps qu’il est débordé, étend ses canaux dans toutes les terres qu’il inonde et qu’elles sont partout rivières. On l’appelle aussi Michisipy « grande rivière » et riuinois l’appelle aussi Metchaga-moui, ou plus communément Messesipy ou Missi-Sipy « toute rivière », parce que

toutes les rivières, c’est-à-dire une très

Srande quantité, se déchargent dans ce euve, depuis sa source jusqu’à son embouchure.

(1) D’Iberville avait laissé ses navires près de l’île aux Vaisseaux, en iace de l’emplacement où il devait fonder Biloxi, et était parti à la découverte en côtoyant le littoral.

nique; je ne sais si elles prendront, car elles sentent beaucoup(1)

Un mois plus tard, ce fut à cet endroit que se rèncontrerent Le Sueur, partant pour son exploration du Haut-Mississipi, et Tonty, venu se mettre à la disposition de ses compatriotes, A cette époque, le chemin du portage ne devait guère être frayé, puisque, à diverses reprises, les porteurs de Le Sueur se perdirent dans les cyprières. Deux a entre eux eurent même les pieds géles pour avoir dû passer la nuit dans un marécage; cet accident fit pendant longtemps appeler parfois cette route le Portage des Égarés une carte de 1735 indique encore ce surnom.

Pénicaut, un des compagnons de Le Sueur, campa sur le site de la Nouvelle-Orléans et coucha sous d’énormes cyprès qui, le soir, servaient de perchoirs à d’innombrables « poulets d’Inde pesant presque trente livres, prêts à mettre à la broche ». Les coups de fusil ne les effrayaient nullement; les temps ont bien changé!

La Nouvelle-Orléans se trouve située un peu au-dessous du trentième degré de latitude Nord; d’Iberviile et Le Sueur relevèrent tous oeux la hauteur du portage, et leurs calculs, vérifiés par Delisle, indiquèrent 29 58’ 30’ 3’ (2). Ce portage, avant de devenir définitivement celui du bayou Saint-Jean, ou de la Nouvelle-Orléans, reçut les noms les plus divers : on le trouve indifféremment appelé le Portage des égarés, des Billocchy (première orthographe de Biloxi), du lac Pontchartrain, de la rivière aux Poissons (3), de la rivière d’Orléans, enfin du bayou Choupic ou Choupicatcha.

(1) Arch. bydrogr., 115, n 5, fol. 16. un Memoire sur la navigation dans le lac

(2) En 1729, Tastronomc Baron, profi Pontchartrain, la riviere aux Poissons se

tant d’une éclipse de lune, trouva 29 57’.

(3) Sans doute par confusion ; d’après mémoire sur la navagation dans le lac pontchartrain, la rivière aux Poissions se serait trouvée à mi-route entre la bayou Saint-Jean et Manchac.

En tout cas, il ne faut pas, croyons-nous, le confondre, malgr&eacte; l’opinion généralement admise, avec le Portage des Oumas ou des Houmas, découvert par Le Sueur, et situé six lieues plus au Nord, A notre avis, les Oumas n’habitaient point, même lors de l’arrivée des Français, dans le voisinage de l’emplacement de la Nouvelle-Orléans; le village de ces Indiens — qui ne se trouvait pas sur les bords du lac Pontchartrain — étant situé « à deux grandes lieues et demie du fleuve », selon une lettre de Tonty, à deux lieues d’après d’iberville, à une lieue et demie du fleuve et sur le sommet d’une colline, suivant le Père Gravier. Un peu plus tard, les Oumas émigrèrent encore vers le Nord et un certain nombre d’entre eux s’installèrent à peu de distance de la rivière d’Iberville, et cet autre portage devint une nouvelle source de confusions. En 1718, Bienville écrit : « 11 y a des mûriers à la Nouvelle-Orléans; la nation Ouma, qui est à six lieues plus loin, en peut fournir. »

M, de Remonville qui, dès 1697, avait, à son retour d’un voyage aux Illinois, projeté avec Le Sueur de fonder une société commerciale du Mississipi, paraît avoir eu le premier l’idée de créer un poste dans le voisinage du site de la Nouvelle-Orléans, pour remplacer le fort établi par d’Iberville en 1700, à vingt-cinq lieues de l’embouchure du fleuve, dans la crainte d’un retour des Anglais. Ce poste, situé au milieu de marécages, ne tarda pas à être délaissé et fut même complètement évacué en 1707, « faute de chaloupes pour le ravitailler ».

« Le fort, écrit Remonville le 6 août 1702 (1), qui était dans la rivière du Mississipi, à dix-huit lieues de son embouchure, du côté de l’Ouest, et qui est commandé par M. de Saint-Denis, officier canadien, depuis la mort de M. de Sauvole (dont

(1) Lettre historique touchant le Mißißiipi, (Bibl. nat., ms. fr. 9097, fol. 127.)

picture9

M. de Bienville, frère de M. d’Iberville, a pris la place), doit être aussi changé et porté onze lieues plus haut à l’Est, dans un terrain de douze lieues de long et de deux lieues de large (à un petit quart de lieue du Mississipi, qui est très beau), hors d’insulte des débordements, et près d’une petite rivière qui va se rendre dans le lac Pontchartrain qui, par le canal où M. Le Sueur a passé, va se rendre à la mer à environ douze lieues de La Mobile, ce qui en rendra la communication beaucoup plus courte et plus facile que par la mer. »

En 1708, Remonville rédigea un nouveau Mémoire’(1): « Il faudrait construire le premier et le principal établissement dans un endroit élevé tirant sur le lac Pontchartrain et voisin de celui où feu M, d’Iberville avait construit le premier fort. Il faut à cet endroit un fort à quatre bâtiments, le plus grand que Ton pourra construire à la manière de ce pays-là, c’est-à-ire avec de gros arbres, du gazon et des palissacles. Ce fort doit être garni d’artillerie et armé, et avoir assez d’étendue pour renfermer les magasins qui serviront de dépôts aux marchandises qu’on tirera des différents établissements du haut de la rivière. Dans ce même fort seront les salles qu’il faudra construire pour le travail de la soie qui sera fait par les gens que ’ la Compagnie entretiendra... Il faudra au fort du Mississipi trente-cinq soldats et cinquante - cinq ouvriers. Canadiens ou matelots, pour la navigation des brigantins. »

Dans sa Description au Mißißipi (2), en 1715, Remonville revint encore à la charge : « Le Sueur, dit-il, raconte dans son journal qu’à onze lieues plus haut du fort construit par d’Iberville, il y a un terrain élevé qui a douze lieues de long et une lieue et demie de large, qui commence à un quart de lieue du fleuve, qui ne peut jamais être inondé, où une nation sauvage, nom-

(1) Arch. nat., Colonies, C13a, 2, fol. 366. — (2) Colonies, F3, 24, fol. 81.

mée les Billockis, ont transporté leur village sur les bords d’une rivière qu’on nomme la rivière Saint-Jean, qui se jette dans le lac Ponchaitrain. Un établissement dans cet endroit ne serait pas inutile à celui que l’on projette aux Natchez pour lui servir d’entrepôt... Douze lieues plus haut, il y a encore le portage de la ravine Le Sueur(1). »

EMBOUCHURES DU MISSISSIPI

picture10

Remonville se montra toujours un partisan convaincu de l’avenir de la Louisiane; il s’y rendit à plusieurs reprises et fit construire à l’île Dauphine une maison « belle et commode », dont une pièce servit longtemps de chapelle. En 1711, il arma la Renommée et en prit même le commandement en qualité de

Ce fnt en face de cet endtoit qu’une soixantaine de families alsaciennes vinrent s’installer quelques années plui tard.

« capitaine de frégate pendant la campagne », bien qu’il passât pour ne rien entendre à la navigation.

Malheureusement, toutes ses entreprises commerciales échouèrent, et la dernière, malgré quelques prises (1), se traduisit par une perte sèche de plus de 40,000 livres. A son retour, ses créanciers saisirent tous ses biens et obtinrent même contre lui plusieurs jugements de prise de corps auxquels il n’échappa que grâce à un sauf-conduit spécial du Conseil de Régence. Complètement ruiné, Remonville demanda, le zi décembre 1717, — inutilement d’ailleurs, — un poste en Louisiane « en raison de ce qu’il avait été le seul à se sacrifier pour donner du secours à la colonie ». Le vaillant colonisateur était sans doute un médiocre négociant, mais il fut un armateur entreprenant et rendit de très grands services à la Louisiane.

Par malheur, on ne l’écouta pas, et le Mississipi continua à jouir, à Paris comme en Louisiane, de la plus détestable réputation. « On va facilement, écrit Mandeville en 1709 (2), du fort de La Mobile au lac Pontchartrain, et de ce lac on ne fait qu’un portage d’une lieue pour tomber dans le Missipi (sic); par ce moyen, on entre dans le fleuve sans passer par l’embouchure, qui en est à vingt-cinq lieues d’un pays très incommode, parce qu’il est souvent noyé et rempli cayemans, serpents et autres bêtes venimeuses. D’ailleurs il n’y a, à cette entrée, que sept pieds d’eau dans l’embouchure la plus profonde. » Un autre Mémoire, quelque peu postérieur, porte : « Le Mississipi ne fait que serpenter; il niit le tour du compas de trois lieues en trois lieues. C’est un torrent pendant six mois, et, pendant six mois, les eaux sont si basses qu’en bien des endroits les

(1) L’une d’elles se perdit en vue de la Louisiane une autre qui, suivant Remonville lui-même, « avait été, il est vrai, pillée d’une façon qui a assez peu d’exemples », fut remise en liberte a La Martinique et son capitaine obtint une indemnite de 15,000 livres. (2) Colonies, F3, 24, fol. 55.

pirogues peuvent à peine y passer. » L’ordonnateur Duclos déclarait qu’il fallait &ecric;tre né Canadien et coureur de bois pour entreprendre d’y naviguer; enfin le gouverneur La Mothe-Cadillac, qui se nommait lui-même « Sauvage né Français, ou plutôt Gascon », écrivait, le 20 février 1714 : « Essayer de faire monter des barques par le fleuve Saint-Louis jusque dans le Ouabache et le Missouri, c’est vouloir prendre la lune avec les dents! »

La Mothe-Cadillac avait pris rapidement en grippe la Louisiane, dont il disait : « Méchant pays, méchantes gens ». « J’ai vu, raconte-t-il en 1713, trois poiriers sauvageons, trois pommiers de même, et un petit prunier de trois pieds de haut qui avait sept mauvaises prunes, environ trente pieds de vignes avec neuf grappes de raisin, tous les grains pourris ou secs... Voilà le paradis terrestre de M. d’Artaguette,la Pomone de M. de Ré-monville, et les îles Fortunées de M. de Mandeville! »

On comprit toutefois en France qu’on ne pouvait se contenter éternellement d’occuper quelques bancs de sable stériles sur le littoral et qu’il fallait s’installer dans la vallée du Mis-sissipi pour se relier au Canada. Le 18 mai 1715, fut signé un ordre prescrivant à Bienville de créer un poste aux Natkès (sic), et à Richebourg d’en fonder un autre « au Ouabache qui s’appellera dorénavant la rivière Saint-Jérôme » (1).

Ces décisions suivirent de près le retour de Baron, capitaine de l’Atalante, qui écrivait d’Amsterdam le 20 janvier 1715 : « Le véritable lieu à former un établissement, c’est tout le long du fleuve, à commencer depuis le village des, Natchez, à cent lieues du bord de la mer, où on a envoyé M. de La Loire et M. son frère au mois d’avril 1714, et de là jusqu’aux Illinois. J’ai toujours ouï dire que c’est au dit Natchez que la terre

(1) D’après le Père Marest, les Indiens appelaient cette rivière Akansca-Scipui.

commence à être bonne; ce dont on peut juger suivant les apparences (1). »

Vers la même époque, — la pièce n’st pas datée, — Crozat présenta un mémoire dans lequel il disait : « Les nouveaux postes que l’on propose à S. E. d’occuper sont premièrement le Billoxi, qui est sur la rivière du Mississipi, ` dix-huit ou vingt lieues de la mer. C’est l’endroit où M. d’Iberville fit son premier établissement; c’est aussi l’endroit par lequel on communique du lac Pontchartrain à la rivi`re du Mississipi par un petit ruisseau, et d’ailleurs il ne serait pas convenable de n’avoir aucun poste sur la rivière Mississipi du côté de la mer, celui des Natchez en étant à soixante lieues. Il y faudrait vingt hommes. »

Ce curieux document prouve combien on connaissait peu à Paris la géographie de la Louisiane, et montre qu’on pouvait placer au même endroit et confondre trois postes bien différents : l’ancien Biloxi de d’Iberville, le portage du Mississipi— ou des Biloxis, nation réduite à cette époque, d’après Le Maire, à cinq ou six familles — et le fort abandonné du Mississipi.

La création du poste réclamé par Crozat, dont la situation ne pouvait être que sur l’emplacement de la Nouvelle-Orléans, ne fut malheureusement pas ratifiée, car les instructions remises à L’Epinay, le 29 aoûl;t 1716, n’indiquent la création d’aucun établissement au-dessous de celui des Natchez : « ... Il paraît absolument nécessaire d’établir un poste sur le Mississipi et d’y envoyer deux compagnies avec M. de Bienville, lieutenant du Roi, pour y commander, étant fort aimé des Sauvages et sachant les gouverner. Ce sera de ce poste qu’on pourra faire aisément les détachements qui seront jugés nécessaires pour les postes

(1) Arch, hydrogr., 672, n 5.

STOPPED HERE

LE PORTAGE DU MISSISSIPY.

qu’on pourra etablir dans la riviere Rouge et dans le Ouabachc. 11 y a tout lieu de croire que ce poste sera le plus considerable de la colonie par rapport aux mines qui n’en seront pas eloi-;nees, � au commerce par les terres avec le Mexique,� a la eaute du climat et a la bonte des terres qui determineront les habitants a y rester. Ce poste a ete ordonne aux Natchez cependant M, de Boisbriant, major, croit qu’il conviendrait mieux de placer ce poste aux Yasous, sur les bords du Missis-sipi, qui est a trente lieues au-dessus des Natchcz’’.

Trois annees d’experiences avaient d’ailleurs amplement suffi pour dego�ter Crozat de son monopole commercial de la Louisiane. Les deux principales sources de benefices sur lesquelles il comptait, le rendement des mines et le profit d’un negoce plus ou moins clandestin avec les riches provinces du Nouveau-Mexique, ne lui avaient rapporte que dameres desillusions.

La vallee du Mississipi ne produisait ni or, ni argent, et, des la premiere tentative pour nouer des relations commerciales, les Espagnols s’empresserent de fermer leurs ports aux navires fianccedil;ais et se mirent a surveiller etroitement la firontiere du Texas. L’aventureuse exploration de Juchereau de Saint-Denis, qui parvint, en remontant la riviere Rouge, a atteindre le Rio Grande dcl Norte, n’eut d’autre resultat que la creation d’un poste espagnol aux Assinais, charge d’empecher tout trafic avec notre etablissement des Natchitotches.

Aussi Crozat, constatant que son monopole lui co�tait, pour le moins, 2jo,ooo livres par an, se desinteressait de plus en plus de l’avenir de la Louisiane, et, au mois de janvier 1716, la situation de la colonie paraissait desesperee. L’eflfcctif des troupes atteignait a peine cent vingt hommes, et, si l’on en

lt;gt; Cohnie, C"a, 4, fol. 225.

- 13 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

croit Cadillac, le nombre des colons et des fonctionnaires ne depassait pas soixante personnes. Sans les exactions des traitants de la Caroline, qui finirent par soulever contre eux toutes les nations sauvages, au printemps de 1716, ce n’est pas cette poignee de Franccedil;ais qui serait parvenue a defendre la Louisiane contre Tenvahissement des Anglais deja installes presque en matres au milieu des Chaktas, et meme parmi les Natchez. Le Conseil de Regence, au courant de la situation, constata melancoliquement le II fevrier 1716 que si la Louisiane s’est maintenue, c’est plutot par une espece de miracle que par l’attention des hommes, les premiers habitants ayant ete abandonnes pendant plusieurs annees, sans recevoir aucun secours.

Quand la Chambre de Justice taxa tres lourdement Crozat l’d’une somme depassant, dit-on, 6,000,000 livres), le grand financier insista pour retroceder son privilege, et, le 13 janvier 1717, le Conseil de Marine reconnut que la mise en valeur de la Louisiane etait une entreprise trop considerable pour qu’un seul particulier en demeure charge 5 qu’il ne convenait pas au Roy de s’en charger lui-meme, attendu que Sa Majeste ne peut entrer dans tous les details du commerce qui en sont inseparables; qu’ainsi ce qu’on a de mieux a faire est de choisir une Compagnie assez forte pour cette entreprise’’.

Huit mois plus tard, Law fondait la Compagnie d’Occident, et Crozat reccedil;ut par la suite une indemnite ae 2 millions de livres. Les lettres patentes de la Compagnie furent signees au mois d’ao�t et ses directeurs nommes le 12 septembre 1717, Le Conseil etait ainsi compose : Law, directeur general de la Banque; Diron d’Artaguettc, receveur general des finances d’Auch; Duche, chef d’honneur du bureau des finances de La Rochelle; Morcau, depute du commerce de Saint-Malo; Castagniere, negociant; Piou et Mouchard, deputes du com-

� MarimB’, 19, fol. 46.

LE PORTAGE DU MISSISSIPY.

mcrcc de Nantes ’’. Un des premiers actes des directeurs fut de decider la fondation immediate de la Nouvelle-Orléans sur les bords du Mississipi.

Le Nouveau Mercure du mois de septembre 1717 publia une lettre de la Louisianccedil;, datee du mois de mai precedent, dont Tauteur, un officier de marine, preconise de construire un comptoir au Detour-aux-Anglais : ... Il sera facile aux plus gros vaisseaux d’entrer dans le fleuve Saint-Louis... On peut nettoyer aisement son embouchure sur laquelle il y a onze a douze pieds d’eau. Cet obstacle surmonte, le fleuve, qui a un tres bon fond et qui est fort droit jusqu’a vingt-cinq lieues, forme une anse apres cette distance, propre a construire un tres beau port.

Cette solution, excellente au point de vue maritime, presentait le grand inconvenient de ne point faciliter les communications avec le lac Pontchartrain aussi Bienville, apres avoir soigneusement etudie la question, prefera choisir, l’csur un des plus beaux croissants du fleuve ’)), le site actuel de la Nouvelle-Orléans.

Malgre son sol un peu marecageux, trop facilement submerge par les grandes crues avant la construction d’une digue sur les berges du Mississipi, l’adoption de cet emplacement etait excellent, puisqu’il se trouvait a la fois suffisamment rapproche de la mer et a moins d’une lieue du bayou Saint-Jean, d’ou l’on pouvait se rendre en chaloupe a tous les etablisse-

) Le 5 janvier 1718, Raudot, inten tres beau croissant du port de la Nou-dant de la Marine, Boivin d’Harden velle-Orléans qui, parla suite, fit don-court et Gillj de Monuud, negociants, ner a la capitale de la Louisiane le survinrent completer le Conseil. nom de Cr�ceut-City l’C"c, i, fol. 15)).

) Cette expression, tiree dun me a Son port, qui en l’ait le plus bel orne-moire redige vers 172), prouve qu’on ment, decrit un tres beau croissant. avait fort anciennement remarque le l’Ca, 42, fol. 29)

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

ments de la cote. Bienville avait vu juste, et la colonie naissante aurait evite bien des calamites si, des le commencement de 1718, des magasins etablis a la Nouvelle-Orléans avaient permis d’y debarquer les nouveaux colons.

Malheureusement, la jalousie haineuse des habitants de La Mobile et de Biloxi retarda pendant quatre ans le developpement du nouveau comptoir du Mississipi et, par suite, entrava completement lessor de la Louisiane.

picture11

picture12

BAPreME ET FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

picture13

’aprs le Pere Charlevoix, remplacement de la Nouvelle-Orléans fut determine au printcmfK de 1717. Ce fut, dit-il’’’, cette amiee-la que l’on jeta les fondements de la capitale de la Louisiane; M. de Bienvillc, etant venu des Natchcz pour saluer le nouveau gouverneur’’’, lui dit qu’il avait remarque sur les bords du fleuve un endroit tres propice pour etablir un poste.

On peut admettre cette version, � en partie du moins, � car Bicnville ecrit, le 10 mai 1717 : Jai remis a M. de L’epinay un memoire, qu’il m’a demande pour envoyer au Conseil, sur tous les etablissements qu’il sera necessaire de faiie en ce pays; et je prends la liberte d assurer que j’ai tout dit dans ce memoire, tres sincerement et suivant les connaissances que j’ai

’’’ Hifhire it itstriJOkii lt;U la NamtBi-Prmft, t. IV, p. 196,

’’ M. de L’epinaj avait ete nomme eouvcracor de fa Louisiane en 1711. Une des raisons qni firent retarder son

depart etait son refus de s’embarquer avant d’avoir touche une annee de traitement d’avance. U arriva en Louisiane dans les premiers jours du mois de mai 1717.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

acquises depuis pres de vingt ans’’’.)) Malheureusement, nous n’avons pas pu retrouver ce document capital.

Fait incontestable 9 le i’ octobre 1717, le Conseil de la Marine nomma Bonnaud garde-magasin et caissier, avec des appointements de neuf cents livres, au comptoir qui doit etre etabli a la Nouvelle-Orléans sur le fleuve Saint-Louis’’, et designa le 31 decembre suivant M. d’Avril, ancien capitaine du Royal-Baviere, pour remplir les fonctions de major dans le nouveau poste. Entendons aussi, disait son ordre de nomination, qu’en l’absence du commandant de ladite ville, vous puissiez commander tant aux habitants d’icelle qu’aux gens de guerre qui y sont et pourront etre ci-apres etablis en garnison, et leur ordonniez tout ce que vous jugerez necessaire et a propos pour la gloire du nom de S. M., le bien du service de la Compagnie et le maintien et l’avantage de son commerce audit pays. Trois mois plus tard, M. d’Avril fut promu Major-genewi et sa solde fixee a sept cents livres K

La nomination de Bonnaud le i’ octobre, signee trois jours seulement apres celle de Bienville comme Commandant general de la Compagnie de la Louisiane, montre la hate que mirent les Directeurs a fonder � au moins theoriquement � le poste de la Nouvelle-Orléans. L’espoir de faciliter le placement des 56,000,000 de livres de billets d’actions de la Compagnie’’, emis le 19 septembre, ne fiit certainement pas etranger a cette precipitation.

On trouve sur un registre ayant d� appartenir a un des Directeurs de la Compagnie des Indes la copie de quelques Direaions et depenses de la Compagnie d’Occident depuis le cours de son eta-

l’’) Colonies, C’a, 4, fol. 63. Trois mois plas tard, le capital de

) Colonies, B 42 his, ibl. 180 la Compagnie etait porte a 100,000,000

’) Colonies, B 42 bis, fol. 475, et F’ 24, de livres. Les interets des actions furent

fol. 241. fixes au denier vingt-cinq.

- 18 -

BAPTeME DE LA NOUVELLEORLeANS.

blipment jusqua ce jourj par malheur, dans ce manuscrit qui se termine avec la fin de 1 annee 1721, beaucoup des arretes reproduits ne sont pas dates.

l’l’... S" Resolu d’etablir un fort et un magasin a Tle aux Vaisseaux pour y decharger par entrepot les marchandises qui viennent a Europe, parce que cette le est a portee de Biloxi, centre maritime de la Colonie. . .

l’l’ccedil;"" Resolu que Ton etablirait, a trente lieues en haut du fleuve, un bourg que Ton nommerait la Nouvelle-Orléans, ou Ton pourrait aborcier par le fleuve et par le lac Pontchartrain.

Les arretes suivants prescrivent d’etablir un bourg aux Na-tchez et des forts aux Illinois et aux Natchitotchez.

La forme conditionnelle employee semblerait indiquer qu’il s’agit du premier arrete relatif a la ville projetee; pourtant on trouve, au chapitre des augmentations cle depenses proposees pour 1717 :

Comme ce lieutenant n’a que Au lieutenant du Roy qui commandera

1,100 liv. et qu’il va commander en chef au poste du fleuve du Mississipy

en chef un poste considerable, il pr atification 600 Uv.

parait juste de lui accorder cette gratification.

N’ayant que ooo liv. d’appoin- Au major pour augmentation d’appointements, il parait juste de lui ac- tements 500 liv.

corder cette augmenution.

Un chirurgien est necessaire A un chirurgien servant au poste du dans ce poste si considerable. fleuve du Mississipy joo liv.

%ldem. A un armurier qui soit aussi forgeron

pour ledit poste 360 liv.

) CWmrx F 19, l’bl. 281. �Lebud- euicnt portees a titre d’augmenutions gct de la Louisiane passa, en 1717, de permancnteset 82,500 comme depenses 114,382 livres a 262,427; 65,545 livres a faire une fois pour toutes.

- 19 � j.

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Quand cet etat des depenses fut etabli l’la piece n’est pas datee), le poste du Mississipi n’etait donc pas encore baptise, malgre toute l’importance qu’on lui attribuait.

Le nom de la Nouvelle-Orléans, connu a Paris au plus tard a la fin de septembre 1717, l’etait, croyons-nous, egalement en Louisiane a pareille epoque : L’Epinay et Hubert annoncent, le i" septembre, la fonciation prochaine de nouveaux postes, et un memoire d’Hubert, conserve au Ministere des AflEaires etrangeres, declare : La Nouvelle-Orléans, qui sera comme le centre maritime, doit etre bien fortifiee. Ce document ne porte point de date ; toutefois, comme il complete et renvoie a un autre memoire du mois d’octobre, d’apres lequel les etablissements sont trop loin du Mississipi, fleuve qui est une excellente base, il ne peut lui etre bien posterieur, et nous croyons meme qu’il fit partie du meme courrier, Hubert qui avait anterieurement demande la direction du poste du Missouri, n’ayant pas tarde a changer completement d’avis, des qu’il eut obtenu une concession aux Natchcz.

etant donnee la lenteur des communications a cette epoque, ce furent, a notre avis, Bicnville et L’epinay qui durent baptiser la Nouvelle-Orléans dans leur Rappoff du mois de mai 1717 sur les nouveaux postes a etablir, et non le Conseil de la Marine ou les directeurs de la Compagnie d’Occident.

La plupart des postes cres prececlcmment en Louisiane portaient des noms peu seduisants : La Mobile semblait manquer de stabilite; le nom encore fort usite de Vile Mafiacre pouvait eflErayer bien des gens timores; enfin ceux de Biloxi ou de Na-tchitotche, devaient paratre a Paris un peu sauvages. Bienville s’en etait d’ailleurs aperccedil;u : Il a, ecrit-il en 1711, de concert avec le sieur D’Artaguctte, nomme le fort l’Immobile au lieu de La Mobile; ils ont aussi change le nom de Massacre et nomme l’le Dauphine. En marge de leur depeche se trouve

� 20 �

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

inscrit : Le fort Saint-Louis, comme il s’appelait � a la place, Chateau-Dauphin ou Mont-Dauphin; l’le est sur une montagne l’sic).))

Au contraire, une ville denommee en l’honneur de S. A.R. le Regent’ ne pouvait qu’impressionner favorablement les emigrants; un si haut patronage inspira tant de confiance a Le Page du Pratz et a une vingtaine d autres colons, qu’ils resolurent de s’embarquer a destination de la nouvelle cite des le commencement de 1718.

En partant, ces braves gens et les deux fonctionnaires nommes precedemment a la Nouvelle-Orléans ne devaient point savoir tres bien ou se trouvait leur future residence. A Paris, les avis restaient fort partages : suivant les uns, il convenait d’etablir le nouveau comptoir au Detour-aux-Anglais ou sur le lac Pontchartrain, a l’embouchure du bayou Saint-Jean; suivant les autres, quelque part le long de la riviere d’Iberville.

La geographie cies les du Mississipy ou de l’Alloui-siane’ resta d’ailleurs longtemps fort mal connue en France. Sur une depeche de D’Artaguctte se trouve cette annotation : Rechercher si cette riviere des Maubiliens n’est point le fleuve Colbert! Une erreur courante consistait, nous l’avons deja dit, a confondre Biloxi avec le portage du bayou Saint-Jean, primitivement denomme le Portage des Billochis; une autre, a croire que les les du Mississipi se trouvaient a l’embouchure du fleuve.

Neanmoins, point capital aux yeux de la bureaucratie, le futur comptoir du Mississipi etait baptise, seulement � le

’ Au mois de juillet 1717, le Conseil ment dans un memoire admirablement

de la Marine soneea a nommer Tile calligraphie, conserve au Ministere des

Maurice ile d’Orléans . Aftdres etrangeres j on trouve egalement,

Nous avons rencontre assez sou sur des documents officiels, Louisianne

vent cette etrange orthographe, notam et Louizianne. ";.

� 21 �

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

titre9 comme Ta ecrit je ne sais plus quel auteur, etant la moitie d’une �uvre � les dirigeants de la Compagnie, apres Ta voir approuve, se reposerent durant quatre ans. Encore se trouva-t-il des puristes pour critiquer la nouvelle designation. Ceux qui ont donne son nom a la Nouvelle-Orléans, remarque le Pere Charlevoix, croyaient sans doute qu’Orléans est du genre feminin; mais, qu’importe? l’usage est etabli et est au-dessus des regles de grammaire. )) L’observation ne manque pas d’une certaine justesse; la regle generale en franccedil;ais veut que les noms de villes soient masculins lorsqu’ils dvent d’un nom latin ou etranger masculin ou neutre, ou, plus simplement, quand la derniere syllabe est masculine. U y a pourtant quelques exceptions : ainsi Londres est masculin et Moscou feminin.

De par l’usage, autant que par son etymologie l’Aurelia-num), Orléans appartient incontestablement au genre masculin, bien que Casimir Delavigne ait ecrit :

Chante, heureuse Orléans, les vengeurs de la France.

La raison de la feminisation du Nouveau-Orléans nous semble provenir d’une raison purement euphonique : ce nom ecorcherait les oreilles. On aurait pu, il est vrai, dire le Nouvel-Orléans, mais on dut ecrire Nouvelle par analogie avec Nouvelle-France, Nouvelle-York, etc.

Une question plus delicate consiste a determiner l’epoque exacte a laquelle furent entrepris les premiers travaux executes a la Nouvelle-Orléans. D’apres le P. Charlevoix, ils auraient ete commences des l’annee 1717.

l’l’M. de L’epinay, dit-il, chargea M. de Bienville de cet etablissement. Il lui donna quatre-vingts faux sauniers nou-

� 22 �

picture14

Jean-BjptisK Le Moyne de Bienville {[68o-[76,)-

TOND. DE LA SUUVELL�-OKLEANS.

BAPTEME DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

vcllcmcnt arrives en France \ avec des charpentiers pour construire quelaues maisons. Il commanda egalement a M. Blondel d’aller prendre la place de Pailloux aux Natchcz, et ce dernier eut ordre d’aller rejoindre M. de Bienville pour le seconder dans son entreprise qui ne fut pas poussee bien loin. On donna pour gouverneur de cette ville naissante M. de Pailloux ’.))

Le temoignage de l’historien de la Nouvelle-France meriterait d’etre pris en serieuse consideration s’il n’avait incontestablement, malgre une correction, copie presque textuellement le passage en question dans un guide fort peu s�r, le manuscrit de la Relation ou AnnaUe de ce aui s’eSi pape dans la Louisiane \ redme sur les indications d’Andre Penicaut.

l’Jet ouvrage au sujet de la fondation de la Nouvelle-Orléans fourmille de telles erreurs, qu’elles paratraient incomprehensibles si elles n’etaient evidemment premeditees. En 1723, le malheureux charpentier etait devenu aveugle, et sa Relation n’est en realite qu’un memoire explicatif pour justifier une demande de pension. Dans ces conditions, il e�t ete fort maladroit de la part de l’auteur de depeindre la situation veritable de la future capitale lors de son depart en 1721. Le gouverneur La Mothe-Cadillac, pour avoir ecrit : Cette colonie est un monstre qui n’a ni tete ni queue... Les mines des Arkansas sont un songe et la bonte des terres de ce pays un fantome, alla, avec son fils, faire un perit sejour a la Bastille.

Par suite, on ne peut guere reprocher a Penicaut certaines de ses descriptions quelque peu chimeriques, dignes des prospectus de la rue Quincampoix; toutefois on comprend moins

lt;gt;gt; Le Journal biShrique de tetablifiement l’’gt; Sur Y etat des depenses de iji8, Pail-

des Franfou en IjmUane reduit ce nombre loox est inscrit comme major-general

a cinquante, et on verra un peu plus loin aux appointements de neuf cents livres.

pe ce chiffre parait encore certainement {Colonies, B 42 bis, fol. 299.)

ort exagere. l’’) Bibl. nat., ms. fir. 14613.

- 23 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Tintcrct de lautcur a avancer d’un an la fondation de la Nouvelle-Orléans. Il parat cependant evident, d’apres la chrono-lome meme de la Relation, notamment l’arrivee du Ntune, que Penicaut a confondu la date du choix de l’emplacement de la Nouvelle-Orléans avec celle de la construction des premieres baraques.

Benard de La Harpe, dans son Journal de voyage dela Louisiane et des decouvertes qu’il a faites, indique la date du mois de mars 1718; toutefois, comme l’auteur n’etait point encore arrive en Louisiane, son opinion n’a pas la valeur d’un temoignage oculaire. La compilation intitulee le Journal hiiorique de Ntablifiement des Franccedil;ais en Louisiane, dont l’attribution a La Harpe est une grave erreur, indique, tres approximativement du reste, la date de fevrier.

l’l’Au mois de mars 1718, declare La Harpe’’, Ton a commence l’etablissement de la Nouvelle-Orléans. Il est a la hauteur de 29 50’, dans un terrain uni et marecageux propre seulement a la culture du riz; l’eau de la riviere filtrant par sous la terre et les ecrevisses venant en abondance, fait que les tabacs et les legumes y viennent difficilement. Les brouillards y sont fort communs et le terrain etant fort couvert de bois et de cannes, l’air y est fievreux et l’on y souffre encore l’incommodite d’une infinite de moustiques pendant l’ete. Il parat que le dessein de la Compagnie etait de faire la ville entre le Mississipy et la riviere Saint-Jean qui donne dans le lac Pontchartrain 5 le terrain en est plus exhausse que sur les bords du Mississipy. H y a une lieue de ce fleuve au bayou Saint-Jean, et, de ce ruisseau au lac, une lieue et demie. Il a ete propose de faire un

’) La plupart des dates indiquees par ’ Il a ete tres probablement redige

Penicaut sont d’ailleurs inexactes, ce par le chevalier de Beaurain, geographe

qui demontrerait, s’il en euit besoin, du Roi. que l’ouvrage fiit ecrit apres coup. ’ Cf. p. 8i.

- 24 -

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

canal qui ft communiquer le Mississipy au lac, ce qui serait fort utile quand bien meme ce lieu ne servirait que d’entrepot et que Ton e�t le dessein de former le principal etablissement aux Natchcz. La commodite de ce poste est que les vaisseaux de... {en blanc) tonneaux peuvent y remonter racilcment.

Si les premiers travaux de la Nouvelle-Orléans ne furent pas entrepris des le mois de mars, ils Tetaient du moins certainement le mois suivant : Nous travaillons a la Nouvelle-Orléans, ecrit Bicnville le lo juin 1718, avec la diligence que la disette .d’ouvriers peut permettre. Je me suis moi-meme transporte sur le lieu pour choisir Tendroit ou il convenait mieux de le placer. Jy ai demeure dix jours pour hater les travaux, et je ne pouvais voir sans chagrin si peu de monde apres un ouvrage qui en aurait demande au moins cent fois autant... Tout le terrain de remplacement, excepte les bords qui sont noyes dans les grandes eaux, est tres bon et tout y reussira. Quatre jours auparavant, Bienville, dans une depeche dont il ne reste plus que le sommaire \ proposait de creuser un canal entre le Mississipi et le lac Pontchartrain pour assainir la contree. Il est plus commode, ajoutait-il, de passer par l’embouchure que par le lac.)) Au mois de janvier precedent, Chateaugue signalait en cfiFet que la mer est souvent dangereuse sur le lac Pontchartrain et les coups de vent tres vife)).

On peut donc fixer entre le 15 mars et le 15 avril 1718 la date des premiers travaux executes a la Nouvelle-Orléans. Malheureusement, en depit des efforts de Bicnville, par suite de la vive opposition des Mobiliens, les constructions n’avancerent

3uavec une extreme lenteur, et Le Gac avait raison d’ecrire ans son Memoire sur la situation de la Louisiane le ij ao�t ijS :

lt;) Archives du Ministere des Afamp;ires ’ ColonUs, C’c, 4 fol. 14.

einaigKs y Mem. et Dacmn, l’AmeTi�[uc) y ’ Biblioth. de rinstitut, ms. 487,

t. I, p. 200. fol. 509.

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

On ne fait, pour ainsi dire, que de former la Nouvelle-Orléans. ))

La tactique des adversaires du comptoir du Mississipi consista longtemps a ne pas meme vouloir reconnatre son existence. Le missionnaire geographe Franccedil;ois Le Maire se fit remarquer tout particulierement par son obstination. Il etait encore en droit decrire le 13 mai 1718’ : On parle, depuis l’arrivee des derniers vaisseaux, de retablissement qu’on va faire a la Nouvelle-Orléans. C’est ainsi qu’on appelle depuis peu l’espace enferme entre le Mississipy, la riviere aux Poissons et les lacs Pontchartrain et Maurepas. On verra distinctement sur ma carte ce grand point de la cote et la disposition de ce lieu. J’aurais souhaite de marquer l’endroit qu’on doit y destiner pour le fort, mais cet endroit n’est pas encore arrete. Cet etablissement sera excellent pourvu qu’on puisse faire tomber le Mississipy dans le lac Pontchartrain, sans quoi, faute d’eau qui sera bonne a boire pendant ime grande partie de l’annee, il y mourra une infinite de personnes. Mais, six mois .plus tard. Le Maire repete dans son Memoire sur la Laimiane : En fin de cette annee l’1718), il est venu des ordres de transporter le principal etablissement sur les bords du Mississipy. Si le lieu se determine avant le depart des vaisseaux, j’aurai soin de l’indiquer sur ma carte. On pourrait croire a une erreur de date si le grand vicaire de Teveque de Quebec ne repetait, le 19 mai 1719 : La disposition exacte de la Nouvelle-Orléans par rapport au lac Pontchartrain m’est encore inconnue \

La mauvaise volonte de Le Maire parat d’autant plus evidente, qu’il laisse sans cesse deviner son espoir de voir creer

ArA. bydrogr,, 67, n 15. � ’’ Colonies, C’c, 2, fol. 155. � ’ Anb. bydramp;gr., 115", 23.

- 26 -

BAPTEME DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

la Nouvelle-Orléans sur le lac Pontchartrain pour rendre son comptoir tributaire de Biloxi. Dans un autre Memoire, tres detaille. Le Maire, tout en reconnaissant a que le Mississipi est la cle de tcrut le pays par la communication que Ton a par son moyen avec les lacs qui menent au Canada, declare qu’il n’existe pas de port entre la baie Saint-Bernard et Tle aux Vaisseaux \

Nous n’avons pas pu decouvrir a quelle epoque Delisle rajouta sur sa carte datee de 1718 le nom de la Nouvelle-Orléans. La si vivante Ktlation du voyage des dames JJrsulines de Kouen a la NouveUe-Orléans nous apprend qu’en 1727 la plupart des cartes d’Amerique n’indiquaient point encore l’emplacement de la capitale ae la Louisiane : Vous me marquez, mon cher Pere, ecrit Madeleine Hachard, avoir achete deux grandes cartes de l’etat du Mississipy et que vous n’y trouvez pas la Nouvelle-Orléans. Il faut apparemment que ces cartes soient anciennes, car on n’aurait pas d� y obmettrc cette ville, Capitale du pais. Je suis fochee qu’il vous aye co�te cent-dix-sols pour ne pas trouver le lieu de notre residence; l’on va, je crois, faire de nouvelles cartes ou notre etablissement sera marque.

Le pere de la brave religieuse n’eut pas de chance; il acheta une troisieme carte sur laquelle la Nouvelle-Orléans est representee situee sur les bords du lac Pontchartrain, eloignee de six lieues du Mississipy. Une carte conservee aux Archives hydrofi;raphiques’’, datee de 1721, indique en effet ’la future capitale pres de l’embouchure du bayou Saint-Jean.

Revenons maintenant a la fondation de la Nouvelle-Orléans, et laissons la parole au bon Penicaut. Apres avoir declare que, la premiere annee, on ne fit que quelques logements et deux

gt; Colonks, C"c, 2, fol. 161. � t) Portefeuille 138 his, I, 9.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

grands magasins pour y mettre les munitions de guerre et de bouche que M. de L’Espinay y envoya, puis ajoute qu’on fit entrer dans le fleuve le Neptune l’arrive en 1718) tout charge de munitions)), lui ou son redacteur se laisse aller a la plus merveilleuse fantaisie : l’l’Monsieur le commissaire Hubert alla aussi dans le meme temps a la Nouvelle-Orléans par le lac Pontchar-train, dans lequel tombe une petite riviere quon a nommee depuis la riviere dOrleans. On la remonte depuis le lac jusqua cette place, a trois quarts de lieue pres. Quelques jours apres que M. Hubert fut arrive, il choisit un endroit a deux portees de fiisil de Tenceinte de la Nouvelle-Orléans, du cote de la petite riviere du meme nom, ou il fit batir une tres belle maisont. Il vint aussi plusieurs familles qui demeuraient a Tile Dauphine s’etablir a la Nouvelle-Orléans. MM. de L’Espinay et de Bien-ville y envoyerent beaucoup de soldats et d’ouvriers pour avancer les travaux. Ils envoyerent a M. de Pailloux Tordre d’y faire construire deux corps de caserne assez grands pour loger chacun mille hommes de troupe l’1), parce qu il devait en arriver beaucoup de France cette annee-la, outre quantite de familles pour les concessions des environs, comme cela eut lieu en efiet.

La verite, helas! etait moins seduisante : au mois de mars 1719, un an apres le commencement des travaux, il n’y avait encore, d’apres Bien ville, l’l’ que quatre maisons commencees ’% et quand Hubert, nomme le 14 mars 1718 l’l’Directeur general du l’Jomp-toir de la Nouvelle-Orléans)), avec des appointements de cinq mille livres, vint rejoindre son poste a l’automne, loin d’y construire l’l’une tres belle maison, il s’empressa, des qu’arriverent quelques colons, de leur persuader d’aller s’etablir aux Natchez ou il venait d’obtenir une concession fort importante.

l’) 11 ne faut pas oublier qu’a Paris, Penicault reclamait la protection d’Hubert. J Colonies, C"a, j, fol. 109.

- 28 -

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

Pourtant Hubert dut contresigner, le 28 novembre 1718, une decision de Bienville l’confirmee Te 12 septembre 1719 par Le Gac et Villardeau) accordant aux sieurs Delaire, Chastaing et Delaroue ’’ en dehors de leurs concessions auxTaensas... quatre

Jgt;laces dans Tenccinte de la nouvelle ville d’Orléans pour eux es posseder en toute propriete... a la charge pour.eux d’executer les clauses et conditions qui seront par nous prescrites aux habitants de la nouvelle ville ’.

Si Bienville et Pailloux furent les premiers habitants de la Nouvelle-Orléans, les freres Delaire, Chastaing et Delaroue pouvaient revendiquer l’honneur d’en avoir ete les premiers proprietaires, bien qu’une carte, conservee au depot des Archives hydrographiques, porte : La Nouvelle-Orléans, fondee en 1718 par le sieur Pradel. Cette erreur provient d’une confusion evidente entre la Nouvelle-Orléans et le fort d’Orléans du Missouri, a l’etablissement duquel il contribua, en 1724, sous les ordres de Bourgmont.

Nous n’avons pas encore parle de l’arrivee du Neptune et de la Vifflante a la Nouvelle-Orléans, parce que nous nous demandons si ces navires ne furent pas en realite decharges au Detour-aux-Anglais ou, suivant un document d’apparence tres veri-dique, que nous reproduisons ’, un grand magasin aurait ete construit a cette epoque.

Les instructions remises a Beranger le i" octobre 1717 portent bien : ... Lorsqu’il sera arrive en Louisiane, il recevra les ordres de M. Hubert pour monter dans le fleuve Mississipi; le brigantin le Neptune etant destine pour la navigation de ce fleuve, l’intention de la Compagnie est qu’il monte si possible jusqu’aux Illinois et qu’il mette tout en usage pour y parvenir.

) Nomme notaire de la colonie, le Carte nouveie tris exiute ituu partU

14 mars 17x8. de la Lotassafte, 1718. l’Anb. bydngr., Bibl.

Colonies, C"c, 4,. fol. 216. 4040 C 11, fol. 6.)

- 29 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS,

l’On voit quelles illusions on se faisait a Paris sur la navigabilite du Mississipi!); toutefois nous pensons d’autant plus que le Neptune ne remonta pas en 1718 a la Nouvelle-Orléans, que

picture15

Premiere carte ou figure le nom de la Nonyelle-Orléans l’1718).

Beranger, dans divers memoires, tout en reconnaissant qu’il a pilote plusieurs vaisseaux dans le fleuve, declara longtemps impossible de remonter jusqu’a la Nouvelle-Orléans’’

’ Voir p. 103.

- 50 -

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

Si Ton ne s’occupait guere du nouveau comptoir en Louisiane,

l’)ar contre on y pensait toujours a Paris, sans trop savoir d’ail-eurs ou il convenait de retablir. Les instructions remises par la Compagnie, le 14 avril 1718, a Tingenieur en chef Perrier lui laissaient la plus grande latitude dans le choix de l’emplacement : En remontant le fleuve jusqu’a l’endroit ou MM. les Directeurs generaux jugeront qu’il fSaut jeter les premiers fondements de la Nouvelle-Orléans, il est necessaire qu’il fasse le mieux qu’il pourra une carte du cours du fleuve... Nous ignorons l’endroit que l’on choisira pour l’etablissement de la Nouvelle-Orléans, mais, comme ledit sieur Perrier entrera dans le Conseil qui se tiendra sur cela, il est necessaire de lui expli-

3ucr les principales attentions que Ton doit faire dans le choix u terrain. Il s’agit principalement de se mettre dans l’endroit le plus commode pour le commerce avec La Mobile, soit par mer, soit par le lac Pontchartrain, le moins en danger d’etre inonde dans les debordements et, autant qu’il sera possible, pres des meilleures terres a cultiver.

Ces differentes considerations nous font penser, autant que nous pouvons en juger, que l’endroit le plus convenable est sur le ruisseau de Manchac, appuyant l’enceinte de la ville sur le bord du fleuve et sur le bord du ruisseau. Il s’agit, avant de se determiner pour aucun endroit, d’examiner celui-la et de voir si le terrain est convenable. Supposons qu’il le soit, nous y trouverons la Nouvelle-Orléans mieux placee qu’ailleurs par la commodite de la communication avec La Mobile par le ruisseau qu’on pretend pouvoir rendre navigable en tout temps avec un peu de depense, et parce qu’il sera aussi a portee de l’entree de la riviere Rouge, et, de la, communiquer avec les habitations qui se formeront aux Yazous ou nous attendons la premiere culture du froment, �peut-etre meme qu’il viendra bien aussi

- 31 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

par la suite en cet endroit, � et enfin parce qu’il est plus avance dans les terres; puis la subsistance par la chasse est abondante et on doit compter sur la bonte de l’air.

La seule difficulte qui reste a lever pour determiner la Nouvelle-Orléans sur le ruisseau de Mancnac, c’est l’eloigne-ment de la mer, qui est a soixante-cinq lieues. Si cependant les vaisseaux peuvent remonter aisement jusque-la, et qu’il ne s’agisse que de quelques jours de plus ou de moins, ce ne doit pas etre un obstacle que balancent les autres avantages, parce qu’il ne vient pas tous les jours des vaisseaux et qu’on jouit des autres commodites toute l’annee. Mais, en meme temps, il y aura une autre attention a avoir qui sera, en remontant le fleuve, de choisir l’endroit le plus convenable, comme pourrait etre le Detour-aux-Anglais, pour etabHr un poste avec une batterie’ dans un petit fort qui puisse empecher les vaisseaux ennemis de remonter le fleuve.

... Lorsqu’on se sera determine sur le terrain ou l’on placera la Nouvelle-Orléans, nous pensons que ledit sieur Pcrricr commencera par marquer l’enceinte d’un fort qui puisse, par la suite, devenir la citadelle, qu’il faudra d’abord simplement renfermer de pieux a la maniere du pays; et, dans l’enceinte de ce fort, placer les magasins de la Compagnie et les logements des Directeurs generaux, officiers-majors, officiers et soldats qui composent la garnison de la Nouvelle-Orléans. Apres quoi, le sieur Perrier marquera l’enceinte de la ville et les alignements des rues avec la dimension des terrains convenables a chaque habitant dans l’enceinte de la ville, sauf a MM. les Directeurs generaux a leur donner des terres a portee d’etre cultivees. La construction des magasins est ce qu’il y a de plus presse apres

l’) La Compagnie prescrivait de placer n’en garder que deux de six pour la Nou-a cet endroit douze canons de huit et de velle-Orléans.

- 32 -

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

que l’on aura baraque pour les hommes. Nous ne pouvons rien prescrire sur leur etendue et sur la maniere de les construire; cela doit etre regle par MM. les Directeurs generaux avec M. Perrier. Nous lui ferons simplement observer qu’il doit avoir attention, pendant le sejour qu’il fera a l’le Dauphine et a La Mobile, de rassembler autant qu’il trouvera de planches, bor-dages et bois d’equarissage pour pouvoir s’epi servir en arrivant a la Nouvelle-Orléans.

Il est question de commencer par mettre a couvert les hommes et les marchandises le mieux qu’on pourra, mais cela n’empechera pas que ledit sieur Perrier ne doive songer en meme temps aux moyens les plus convenables pour se procurer des materiaux avec lesquels on puisse faire des batiments plus solides; pour cet objet, il doit etablir le plus tot qu’il lui sera possible la fabrique de la brique si les terres de la Nouvelle-Orléans ou des environs se trouvent propres a cela, soit en y employant des soldats ou faux sauniers qui sauront la faire, soit par un briquetier que nous enverrons par les premiers vaisseaux. Si nous ne pouvons pas en trouver pour partir avec lui, pour cet effet, nous envoyons de la brique dans les trois vaisseaux avec lesquels il part, qu’il doit avoir attention de faire conserver soigneusement pour iaire le premier fourneau.

Apres qu’il sera debarrasse des premiers soins, il est necessaire qu’il aille lui-meme chercher dans les environs de la Nouvelle-Orléans les endroits ou on pourra trouver de la pierre tant pour batir que pour faire de la chaux, n’etant pas impossible qu’on en trouve. Il faut particulierement s’attacher a en trouver sur les bords des rivieres en remontant, pour que le transport en co�te moins, et le plus tot que l’on pourra pour batir en pierre et en brique, c’est le mieux. . AU)

l’i)

CoUmes, B, 42 bis, fol. 219.

- 33 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Le 23 avril, la Compagnie nomma Bivard chirurgien de la Nouvelle-Orléans avec des appointements de six cents livres et, le 28, elle accorda des concessions pres du nouvel etablissement a une quinzaine de personnes. Parmi ces premiers citoyens de la capitale se trouvaient Le Page du Pratz, le futur historien de la Louisiane, Le Goy, Pigeon, Rouge, Richard Duhamel, Beignot, Dufour, Marlot de Trouille, Legras, Couturier, Pierre Robert, les trois freres Drissant, le chirurgien Bivard et le perruquier Mircou. Avec leurs familles et leurs gens, ces premiers colons formaient une troupe de soixante-huit personnes K

En annonccedil;ant leur depart, les directeurs ajoutaient : Il faut, s’il est possible, les obliger a habiter dans Tenceinte de la Nouvelle-Orléans avec des jardins seulement, comme on le reglera, et leur donner des terrains ou concessions le plus pres que Ton pourra, selon leurs forces. La Compagnie prescrivait en outre de donner conge a deux soldats de chacune des iiuit compagnies sous condition qu’ils viennent s’installer a la Nouvelle-Orléans; ils devaient recevoir une annee de solde, des outils et des semences.

La mort de Perrier, survenue a La Havane, permit a Hubert d’interpreter suivant ses desirs les instructions de la Compagnie et d’expedier les colons le plus loin possible du nouveau poste, dont tous les ouvriers, qui n’avaient pas deserte, ne tarderent pas a etre rappeles a Biloxi sous un pretexte quelconque.

Quand Le Page du Pratz arriva au mois de janvier 1719, il ne decouvrit a l’endroit ou devait etre fondee la capitale qu’une place qui n’etait encore marquee que par une baraque couverte de feuilles de latanier que M. de Bienville avait fait batir .pour se loger et ou demeurait son successeur, M. Pailloux K

Malgre tous ses efforts, Bienville s’etait trouve complete-

’’ Cohnies, B, 42 bis, fol. 252. � Hilhire de la Lnnsia/u, 1. 1, p. 83.

- 34 -

BAPTeME DE LA NOUVELLEORLeANS-

ment paralyse par la mauvaise volonte des autres membres du Conseil, qui, tous interesses dans les entreprises commerciales des anciens postes, ne voulaient pas entendre parler de la Nouvelle-Orléans et soutenaient la coulition des colons de La Mobile, des commerccedil;ants de Biloxi et des bateliers du lac Pontchartrain, dont les interets se trouvaient menaces par leur grand rival et ennemi, le Mississipi.

Hubert, qui possedait une importante habitation aux Na-tchcz’’, limitrophe de celle de Sainte-Catherine, et reclamait, iipour pouvoir y elever des lapins, la concession de Tle aux Chats, situee entre Biloxi et 1 entree du lac Borgne, proposait d’etablir le Comptoir du Mississipi aux Natchez et de draguer la riviere dlbervillc, pour conserver aux habitants de Biloxi le fructueux monopole du transbordement et de Tentrepot de toutes les marchandises venant d’Europe. Hubert avait pourtant ete d’abord partisan de la Nouvelle-Orléans : Nous avons vu qu’il declarait qu’elle devait etre bien fortifiee; au mois d’octobre 1717, il ecrivait : Le v�u qu’on a eu en etablissant une colonie a la Louisiane a ete sans doute de se rendre matre et d’occuper le Mississipy. .. On a cependant fiait le contraire et abandonne ce grand fleuve pour se porter sur la riviere de La Mobile. Mais des qu’il eut obtenu sa concession aux Natchez, ses opinions changerent radicalement, et, un an plus tard, il declare : La difficulte du bas de la riviere fera toujours que la Nouvelle-Orléans ne sera pas un poste s�r.

Duclos estimait qu’au lieu de s’occuper du Mississipi, il fallait porter tous ses efforts sur la riviere de La Mobile, qui doit rester, ajoutait Le Gac, la matresse cle de la Colonie. Un memoire anterieur, redige par M. de Granville, comman-

l’ Hubert possedait en 1720 quatre-vingts esclaves et vingt betes a cornes. Il vendit sa concession i Dumanoir,en 1722.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

dant de la Kmommecj reclame meme la creation du principal etablissement au fort Esquinoque l’Tombekbe sans doute), chez les Jatas l’Chaktas), a soixante lieues de La Mobile. Pour Lar-cebault, la Nouvelle-Orléans est un pays noye, tout entrecoupe de cypricres, et Villardeau partageait cette opinion.

Apres Hubert, Le Gac parat avoir ete l’adversaire le plus acharne de la Nouvelle-Orléans : Ce poste, ecrit-il en 1721, est inonde dans les grandes eaux et n’est propre que pour le riz, la soie, le mais et toutes sortes de legumes et de fruits a hautes futaies. On y fera aussi du tabac. Et il conclut, malgre cette fertilite, que si l’on peut y maintenir une compagnie, il ne faut y etablir de comptoir a aucun prix 1

Profitant de ce que Boisbriant etait parti en une fort mauvaise saison. Le Gac s’etait empresse d’ecrire a Paris : M. de Boisbriant avec sa compagnie d nabitants, d’employes et de forccedil;ats, a mis plus de six mois pour se rendre aux Illinois, a cause qu’il leur a fallu hiverner aux Arkansas et au Ouabache par les glaces qui les empecherent de monter, ne pouvant faire que quatre ou cinq heures par jour a ramer depuis le soleil leve jusqu’a son coucher, a cause de la rapidite du fleuve. On ne peut haler a la cordelle parce que le fleuve est tout du long en serpentant. � � Les bords sont couverts de bois et de cannes impenetrables . . . tandis qu’il y a des Canadiens qui ont fait le chemin par terre des Illinois a La Mobile en moins d’un mois. Us ont assure qu’il n’y avait pas plus de soixante-dix lieues [ 2jo en realite], au lieu qu’il y en a pres de cinq cents en montant par le fleuve, et y etre des cinq a six mois pour s’y rendre. Il faudrait couper les arbres par les deux cotes pour y faire et reconnatre le chemin, et faire des etablissements de distance en distance pour servir de retraite, dont les habitants cultiveraient des denrees et eleveraient des animaux pour la nourriture des passants Il suffirait d’y fsiire par endroits des chaussees,

- j6 -

BAPTeME DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

des ponts. . . Malgre son extravagance, ce projet fut adopte quelque temps par la Compagnie des Indes ; seulement les Chikachas ne tarderent pas a fermer cette route impraticable, meme aux plus intrepides coureurs de bois.

La Nouvelle-Orléans avait cependant prouve son utilite des sa fondation, quand elle eut a heberger, en attendant que ses bateaux fussent prets, Boisbriant et les quelque cent soldats ou colons plus ou moins volontaires qu’il emmenait aux Illinois. Ce fut pour surveiller les preparatifs de cette expedition que Bienville et Hubert vinrent passer l’automne a la Nouvelle-Orléans.

Benard de La Harpe, accompagne d’un sous-ofl5cier et de six hommes, arriva le 7 novembre 1718, pour terminer les preparatifs de son voyage chez les Cododaquis, Indiens etablis sur les bords de la riviere Rouge. L’absence a l’le Dauphine de tout moyen de transport pour amener ses marchandises de traite a la Nouvelle-Orléans l’avait force de faire construire un bateau a ses frais et de passer par les bouches du Mississipi. La Harpe arriva finalement sain et sauf; toutefois l’inexperience complete de son pilote lui fit courir d’assez grands dangers dans les passes du fleuve, et il lui fallut un mois pour accomplir la traversee.

Aussitot mon arrivee a la Nouvelle-Orléans, raconte La Harpe dans son Journal de voyage de la Louisiane, je pressai M. de Bienville de me faire partir. Il me representa qu’il n’y avait aucuns vivres dans les magasins et que la Compagnie n’etait pas presentement en etat de tenir les engagements ou elle etait avec moi pour me conduire a ses frais, avec mes gens et mes eaets, au lieu ou je devais choisir ma concession sur la riviere Rouge.

Neanmoins, La Harpe, qui avait deja beaucoup voyage

- 37 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

dans rAmehque du Sud, ou U s’etait meme marie, parvint a trouver des canots et partit des le 12 decembre, malgre la violence du courant du Mississipi.

Vers la meme epoque arriva Dubuisson avec ses sericiculteurs, mais il alla, s’empresse de faire remarquer Le Gac, s’installer a vingt-cinq lieues en remontant le fleuve l’aux Baya-goulas). Le Page du Prau fut un des seuls a se fixer, epne-merement d’ailleurs, sur les bords du bayou Saint-Jean,

picture16

LA CRUE DU MISSISSIPI DE I719.

CONSeQiJENCES DE LA PRISE DE PENSACOLA.

L’ANNeE 1720.

picture17

ANNeE 1719 n’apporta, hehsl aucune amelioration au facheux exax ae stagnation du nouveau comptoir. Une crue tout k fait anonnale du Mississipi � les Sauvages ne se souvenaient point en avoir vu de pareille � submergea l’emplacement de la Nouvelle-Orléans, evidemment fort marecageux avant la construction d’une digue protectrice.

Les habitants de la cote se haterent de mettre a profit cet accident en prenant soin, bien entendu, de Texagcrer autant auc possible \ Bienvillc cependant sembla lui-meme un instant ebranle dans sa confiance, puisqu’il contresigna, le i) avril 1719, une depeche de Larcebault portant : H parait difficile de conserver une ville a la Nouvole-Orléans; le terrain qui y etait destine est noye d’ff demi-pied d’eau. On ne pourra remedier a

’’’ L’inondation de U tiviere de La Mobile, qoi ravagea en 1711 tontes les habitations de cette region causa des

dommages bien pins importants { toute-fbis, poQT la raison inverse, ce dstre passa en France prcscjne inapcr.

- 39

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS-

cet inconvenient que par des levees et par le canal projete du Mississipy au lac Pontchartrain. Il y aurait une demi-lieue a couper.

Une inondation d’un demi-pied d’eau, hauteur qu’un document signe de Bienville, Diron, La Tour, De Lorme et Duver-gier’) reduit a trois ou quatre pouces l’9 centimetres environ), tout en etant incontestablement un evenement tres desagreable, ne ressemble pourtant en rien a la catastrophe dont se lamenterent, a la faccedil;on des alligators du Mississipi, les membres du Conseil de la Colonie. H parat paiement peu vraisemblable que la crue ait dure six mois.

Hubert s’empressa de profiter de la cme du fleuve pour ordonner de transporter aux Natchez la plus grande partie des marchandises entreposees a la Nouvelle-Orléans : L’inondation, ecrit-il, forccedil;a tous les habitants a se rendre aux Natchez, ou les terrains sont plus hauts et les chaleurs moins grandes. La garnison et meme plusieurs commis etant demeures a leur poste, cette emigration en masse de toute la population parat, pour le moins, fort exageree.

Le Page du Pratz, installe a une demi-lieue de la Nouvelle-Orléans, ne parle meme pas de cette terrible inondation; il se contente de dire que le pays etant fort aquatique, l’air ne devait pas y etre des meilleurs, mais il ajoute : La terre etait tres bonne, et je me plaisais dans mon habitation. Du Pratz partit pour les Natchez, il l’avoue lui-meme, sans trop savoir pourquoi : parce que son chirurgien s’y rendait, que cela faisait plaisir a sa sauvagesse de se rapprocher de ses parents, et principalement pour suivre les conseils d’Hubert et par amitie pour lui.

Pellerin, un des colons les plus entreprenants, voulant egale-

’) ’KueMsemimtim24mopemhejj2J. l’CAlomes, G\ 464.)

- 40 -

LA CRUE DU MISSISSIPI DE 1719.

ment, malgre l’inondation, fixer sa residence pres de la Nouvelle-Orléans, vmt camper au mois d’avril 1719 sur les bords du bayou S�nt-Jean. Des qu’il eut trouve un emplacement eivorable, il demanda une concession; mais Hubert souleva alors tant de dif-

picture18

iTt amp; rl

� i6 4g . ""’"’ lt;g SI

A FtcMve a- oiUj e h’ty’- �

La Nouvclle-OrUioi en 1719. l’D’apris Damant de MontigDj.)

ficultes que Pellerin, lui aussi, finit par aller s’installer aux Na-tchez : D y a, ecrit-il’’’, a la Nouvelle-Orléans trois maisons de Canadiens et un magasin a la Compagnie ou nous nous arretames.

’’’ Anenal, n. 4497, fol. 14..

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Le nombre de quatre habitations indique par Bienville est donc parfaitement exact. Pour se rendre aux Natchez, Pellerin passa par les lacs et mit treize jours pour atteindre le Mississipi.

La Nouvelle-Orléans, meme inondee, etait si peu inhabi-bitable, que, le 23 avril 1719, le Conseil decida d’y envoyer un commis pour vendre du vin a raison de quatre reaux la pinte. Quelques jours auparavant, la Compagnie avait ainsi fixe le traitement des fonctionnaires du nouveau comptoir : Hubert, directeur, j,ooo livres; un garde-magasin, 900; un teneur de livres, 600 un commis, 4005 ces derniers avaient sous leurs ordres deux honimes de peine choisis parmi les faux sauniers ou fraudeurs de tabac, sans gages, mais entretenus a la ration. Les appointements du missionnaire qui sera envoye a la Nouvelle-Orléans, fixes d’abord a quatre cents livres, furent ensuite portes a cinq cents; le canonnier touchait trois cent soixante livres.

M. de Bannez, nomme lieutenant le 28 octobre 1717, s’embarqua au mois de mai 1719 sur la Marie avec Dumont de Mon-tigny, le futur poete-historien de la Louisiane. D’apres certains documents, Bannez partit en quaUte de major-general de la Nouvelle-Orléans; d’apres d’autres, il n’aurait ete nomme a ce poste que le 23 mars 1720.

L’inondation terminee, la prise, la perte et la reoccupation de Pensacola�et aussi la certitude que les fameuses mines des Illinois n’existaient pas ou ne pouvaient etre exploitees lt;’ � detournerent l’attention generale des postes du Mississipi. Pourtant le pillage de l’le Dauphine et le danger qu’avaient couru

’’ Un memoire conserve an Ministere decouvrir les mines, de baguettes acoom-

des Aamp;ires etrangeres {Memoires et docu modees d’electron, de mercufc ou des

ments, Amerique, t. 19101.433) recom marcassites sur lesquelles Tardeur ae-

mande de se servir en Louisiane, pour rienne agit.

- 42 -

les autres etablissements du littoral auraient d� convaincre meme les colons les plus aveugles de la necessite urgente d’installer l’entrepot de la Colonie suffisamment loin de la mer pour le mettre a l’abri d’un coup de main.

Les adversaires de la Nouvelle-Orléans persuaderent au contraire la Compagnie, qui, tout en se transformant au mois de mai en Compagnie des Indes, avait conserve le Mississipi pour armes’’, de raire de Pensacola le grand port de la Louisiane, sans vouloir se rendre compte que cette ville, d’une importance strategique indeniable, se trouvait on ne peut plus mal situee pour commercer avec le Mississipi, centre incontestable de la colonie. Sans se soucier des frais qu’occasionnerait aux marchandises un transbordement supplementaire, les habitants du Biloxi esperaient, en eloignant les navires du fleuve, conserver le fructueux avantage du chargement des chaloupes du lac de Pontchartrain, ces embarcations n’etant guere susceptibles de naviguer sur mer. Si Pensacola n’avait pas ete rendue aux Espagnols, au lieu d’un seul transbordement a la Nouvelle-Orléans , les marchandises destinees aux Illinois auraient eu a en subir quatre : a Pensacola, a Biloxi, au bayou Saint-Jean ou a Manchac, et enfin sur les rives du Mississipi.

Un autre inconvenient du choix de Pensacola comme principale place forte de la colonie consistait dans sa situation sur la frontiere orientale de nos possessions. Aussi, pour assurer la defense de la Louisiane, on resolut a Paris de creer un autre etablissement pres des limites, fort imprecises, du Nouveau-Mexique. Deux expeditions partirent en 1720 et 1721 avec mission d aller occuper la mysterieuse baie Saint-Bernard)), mais

’ Au mois daout 1717, la Compagnie appuye sur une corne d’abondance d’or;

d’Occident avait reccedil;u pour armes : De au chef d’azur soutenu d’une amp;sce en

sinople 3l la pointe ondee d’argent, sur devise aussi d’or; ayant deux sauvages

laqnieUe sera couche un fleuve au naturel, pour supports et une couronne treflee.

- 43 - 6.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

elles echouerent pour diverses raisons, dont la principale fut certainement la mauvaise volonte des membres du Conseil de la Colonie, appuyes cette fois par Bienville, adversaire de tout etablissement sur la cote. Saujon se plaignit, le 23 juin 1720, de ce que Bienville et son frere Serigny l’avaient empeche d’aller s’emparer de la baie Saint-Joseph, en Floride f’.

La nouvelle de l’inondation de 1719 incita certainement la Compagnie des Indes a faire arreter les travaux de la Nouvelle-Orléans; toutefois l’occupation de Pensacola, puis l’espoir de prendre possession des vastes territoires decouverts au siecle precedent par La Salle \ nous semblent avoir ete les principaux motifs de 1 incomprehensible abandon de la NouveUe-Orieans pendant pres de trois ans.

Longtemps on se leurra a Paris de l’espoir de pouvoir conserver Pensacola l’les premieres instructions preparees pour Tin-genieur en chef La Tour lui prescrivirent de s’installer dans ce poste), mais quand l’ordre de rendre la place aux Espagnols eut ete signe le 20 ao�t 1721, la Compamiie, forcee de se rabattre sur le Mississipi, prit du moins rapidement son parti et, quatre mois plus tarcl, la Nouvelle-Orléans devenait la capitale de la Louisiane.

Pendant toute l’annee 1720, la Nouvelle-Orléans continua de vegeter peniblement et, si elle parvint a meriter pendant quelques semaines le nom de bourg, cette prosperite semble avoir ete fort ephemere.

Par suite des diflScultes de la navigation de la riviere d’ibcr-ville, presque a ecc la moitie de l’annee, tous les convois passaient par le bayou Saint-Jean ’% et pourtant, malgre l’importance

l’’) Marine, B, 57, fol. 405. nyme, a trois pieds et demi d’eaa; les

l’’) Texas actuel. bateaux la montent i deux lieues en de-

ff Cette riviere, dit un memoire ano- dans oii il 7 a plusieurs habitants fram-

- 44 -

reelle du transit, par crainte de s’attirer la haine d’Hubert ou de Le Gac, personne n’osait se fixer a la Nouvelle-Orléans. Les

3uelques habitants venus resider dans ce pays s’eloignaient rapi-cment a la faccedil;on de Le Page du Pratz et de Pellerin, ou allaient s’installer a distance respectueuse de ce centre mis en interdit, comme le firent du Breuil, du Hamel, les Chauvin, etc.

La Bibliotheque nationale possede une curieuse aquarelle qui a la pretention de figurer l’aspect de la Nouvelle-Orléans vers la fin du mois de janvier 1720. Cette vue se trouve dessinee sur le coin d’une carte intitulee : CarU nouvette de la partie occidentale de la protnnce de Louisiane sur les observations et decouvertes du sieur Benard de La Harpe commandant sur la riwere Kouge... par le sieur de BeauviBiers, gentilhomme servant du Kojf et son ingenieur ordi-nairCj de l’Academie rfvyale des Sciences a Paris, en novembre ij2o ’l La reproduction de ce dessin figure en tete du chapitre.

La Harpe etait un excellent observateur, M. de Beauvilliers un habile geographe; aussi leur carte parat remarquablement exacte pour l’cpoquc. Si leur vue de la Nouvelle-Orléans presente tant d’inexactitudes, c’est qu’elle reproduit simplement un projet et non la realite. Le dessin montre le croissant du Mississipi au fond duquel on aperccedil;oit dans le lointain le lac Pontchartrain, comme si le canal projete qui devait le reunir au Mississipi se trouvait deja execute. On verra plus loin que La Harpe ecrivait, le 20 decembre 1720 : On pourra donner communication entre le Mississipi et le lac Pontchartrain, il n y a qu’une demi-lieue a creuser. Bienville semble avoir ete quelque temps partisan de ce projet, mais simplement sans doute pour se concilier les habitants de Biloxi.

Cette vue, dont la perspective rapproche considerablement

ccedil;ait et un magasin ou on decharge les Orléans, a la distance de trois quarts de

marchandises y d’ou on est oblige de licue. l’Ce, 2, fol. 170.)

les transporter par chariot a la Nouvelle ) Bibl. nat., Cartes, Inv. gen., 1073.

- 4J -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

le lac du fleuve, ne pouvait qu’encourager la Compagnie a continuer les travaux de Biloxi, dont La Harpe etait un des plus ardents partisans, et le fait de representer comme acheves trois grands magasins ou casernes, qui n’existaient alors que dans rimagination de Penicaut et de La Harpe, devait inciter les Directeurs a ne plus entreprendre de nouveaux travaux a la Nouvelle-Orléans.

Au mois d’avril, le Conseil de la Colonie, jugeant bien inutile de continuer a entretenir dans ce poste desertique un

major et un capitaine, retira leur emploi a MM. d’Avr� et de Valdctcrre et les remplaccedil;a par M. de Noyan, simple lieutenant. Un peu plus tard, M. de Richcbourg fut pourtant nomme major, mais il refusa de servir sous les ordres de Pailloux, qui, d’apres La Mothe-Cadillac, son adversaire, etait un ancien sergent tres emporte maltraitant les soldats. Richebouig, d’ailleurs, passait egalement pour violent; le 8 avril 1719, la Compagnie avait arrete qu’ayant insulte M"""" Hubert, il lui ferait satisfaction convenable . Richebourg avait servi deux ans comme volontaire dans la maison du Roi, quatre dans le regiment de Limoges, onze en qualite de capitaine puis de major dans les dragons de Chatillon, et etait passe en Louisiane en 1712.

Le bourg de la Nouvelle-Orléans, dit un etat de la houkiane au mois de juin 1720, est situe a trente lieues au-dessus de l’embouchure du Mississipi du cote de l’Est, fl y a des magasins pour la Compagnie, un hopital, un logement pour le gouvcr neur et le directeur. Cinquante soldats environ, soixante et dix tant commis qu’engages et forccedil;ats aux gages et a la ration de la Compagnie. Deux cent cinquante concessionnaires, en compr tant leurs engages, attendent des voitures f’ pour monter a leurs concessions.

’) On donnait ce nom aux bateaux plats en usage sur ]e Mississipi.

- 46 -

Il se trouve de ce cote quarante habitations commencees par des gens infirmes l’!) et qui, selon toutes les apparences, ne reussiront pas dans leurs entreprises. De ces quarante concessions ou habitations, il n’y en a que deux qui soient en etat de fructifier cette annee : Tune est celle du sieur Lery [surnom de Joseph Chauvin] qui, au mois de mars, avait deja seme deux barriques de riz, Tautre est celle des sieurs Massy et Guenot, qui ont seme autant. Ces quarante habitants ont entre eux environ trente befes a cornes et quatre-vingts esclaves tant sauvages que noirs.

M. de Bienville, commandant de la Louisiane, y a aussi une habitation [Bel-Air] sur laquelle il a mis vingt esclaves, tant noirs que sauvages, et six betes a cornes. Il a fait semer une demi-barrique de riz. Le fleuve, qui deborde presque tous les ans, incommode et endommage beaucoup les maisons qui ont ete baties trop pres de Teau. L’on devait naturellement placer le bourg dans l’endroit ou le sieur Hubert a choisi son habitation. Le terrain y est sec en tout temps, et le public serait d’autant mieux dans cet endroit que l’on pourrait y aborder par deux cotes, par le Mississipi et par le bayou.

Par crainte que la fantaisie ne vint a quelques colons en detresse de se fixer trop pres de la Nouvelle-Orléans, les Conseillers prirent a leur egard une mesure energique : Les cent cinquante personnes, ecrit Le Gac, qu’on avait fait passer a la Nouvelle-Orléans sont toutes a Biloxi : on trouva plus a propos de les nourrir en cet endroit’ qu’a la Nouvelle-Orléans a cause qu’on ne pouvait les transporter dans le fleuve, parce que tous les bateaux plats qu’on avait etaient en voyage et qu’on ne les attendait pas de si tot.

En dehors de quelques pirogues ou bateaux plats, la flottille

l’) Le gibier etait pourtant beaucoup plus abondant sur les bords du Mississipi.

- 47 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

entretenue par la Compagnie a la Nouvelle-Orléans se reduisait en eflFet, meme a la fin de 1720, a a un brigantin coule bas. Mais, ajoute Le Gac, on pourra le radouber, n’y ayant point de vers dans le fleuve. C etait encore un avantage de la Nouvelle-Orléans sur Biloxi ou les coques de navires devenaient rapidement des ecumoires. Pour remedier a cette penurie de bateaux et eviter un nouveau retour de colons, Bienville fit passer, au mois d’octobre 1720, Du Tisne par les bouches du Mississipi avec une flottille de sept bateaux plats.

Penicaut s’occupe peu de la Nouvelle-Orléans pendant Tannee 17205 il se contente de dire : On travailla le reste de Tannee, et les travaux s’avancerent beaucoup. Valette de Lau-dun, qui ne parlait d’ailleurs que par oui-dire, n’ayant pas depasse Biloxi, declare dans son Journal d’un voyage fait a la houi-siane en ijio : La Nouvelle-Orléans est le premier et le plus important des postes que nous ayons ici. Neanmoins, 1 emplacement de la future capitale devait encore ressembler olutot a une foret vierge qu’a une ville, puisque au mois de mats 1721 l’ingenieur Pauger se plaignit de ne pouvoir donner un coup d’alignement tant il y avait de cannes et de broussailles.

Pourtant on continuait a travailler aux digues : Le Mississipi, ecrit Pellerin en 1720 l’le 1" ao�t probablement), se repandant plus ou moins six mois de Tannee, rend la Nouvelle-Orléans un sejour tres desagreable; mais, presentement, on travaille a la rendre habitable par le moyen d un grand nombre d’esclaves ou de negres qui sont arrives de Guinee. L’on pourra reussir par le moyen d’une bonne digue sur le bord du neuve, ou en misant une chaussee de trois ou quatre toises de son bord jusqu’a un quart de lieue ou le terrain est exhausse et a Tabri de toute inondation, ou en creusant un petit bayou qui asseche en hiver. En ce cas, les pirogues du Mississipi d’un cote et

- 48 -

celles du lac Pontchartrain de Tautrc viendraient mouiller aux pieds de la ville... Les vaisseaux qui ne depassent pas treize ou

Quatorze pieds peuvent venir mouiller devant la Nouvelle-)rleans. Installe alors aux Natchez, Pellerin etait devenu un partisan convaincu de cet etablissement et se rejouit qu’Hubert ait fait remplir les magasins des Natchez : ce dont on a fort murmure a la Nouvelle-Orléans, comme si les habitants des Natchez etaient moins les enfants de la colonie que ceux de la Nouvelle-Orléans! Par cette man�uvre, M. le Commissaire etablira les Natchez dans deux ans, alors que le bas de la riviere ne le sera pas dans six, quoique les douceurs apportees par les vaisseaux se consomment au bas du fleuve et que nous n’en go�tions que quand ils n’en voulaient plus, ou par la voie des voyageurs ))’.

Avec Tannee 1720 se termine la premiere periode de la fondation de la Nouvelle-Orléans. On pourrait presque resumer son histoire de 1718 a 1721, en disant simplement que, grace a rheureux choix de sa situation et a la tenacite de Bienville, la future capitale de la Louisiane, semblant attendre passivement l’heure ou ses ennemis eux-memes se rendraient compte du brillant avenir auquel elle etait destinee, borna tous ses efforts a ne pas se laisser deraciner. Pendant trois ans, les adversaires de la Nouvelle-Orléans reussirent a entraver completement son essor, mais echouerent dans leur projet de la faire emigrer sur les bords du lac Pontchartrain. Le nom de Bienville restera toujours justement associe a la creation du grand port maritime du Mississipi, qu’envers et contre tous il parvint a fonder.

C) Arsenal, ms. 4497 fol. 54. Pellerin au prix d’une demi-piastre en billet la vendit a la Nouvelle-Orléans des veaux livre.

- 49 7

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Si la Nouvcllc-Orlcans doit son cxistentx a Bicnville, les premiers colons lui sont paiement redevables d’avoir sauvegarde la leur, car, sans la merveilleuse apdrudc du Pcrc de la Louisiane a se concilier TarmAc des nations indiennes, les premiers Franccedil;ais etablis sur le Mississipi auraient tous ete massacres. Mais les Sauvages adtent Bienvillc tout en le redoutant, parce qu’ils le savaient toujours juste, quoique parfois severe.

Biennlle avait evidemment un caractere tics autoritaire, mais il deploya, pendant trente-cinq ans en Louiaane, toute Tenere necessaire au gouvernement d’une colonie naissante et sans cesse dechiree par des rivalites de personnes ou d’interets.

picture19

picture20

LE BLUFF DE LA NOUVELLE-ORLiANS. - LA VeRITABLE MANON.

TRANSPORTeES ET EXILeS.

LA PRINCESSE CHARLOTTE. �� MADEMOISELLE BARON.

waE

I la Nouvelle-Orléans ressemblait encore incon-cescablement sur les bords du Mississipi a un tres miserable hameau, par contre elle avait deja pris un merveilleux devdoppcmcntdans les alentours

de la rue Quincampoix.

L’honneur davoir predit le brillant avenir de la Louisiane, pres de cent cinquante ans avant Remonville, revient sans conteste a un contemporain de Soto... a l’astiloguc Nostra-damusl Du moins, voici la faccedil;on dont les speculateurs sur les actions du Mississipi interpreterent le quatrieme quatrain de la quatorzieme Centurie.

Par cinquante cinq cinq, Laugc sera prospere

Depuis paroisse Cinq � jusqu’a pays lointain ne _QumMemp Lmwmiw .

a ebeval smr cin parmfa. Commenccedil;ant Peuple et Roy, sans craindre la misere. Se payeront l’un et l’autre et ne devront plus rien.

- JI 7-

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Apres la chute du SySteme, vendeurs et acheteurs, ruines les uns et les autres, durent laire d’amcrcs reflexions sur le sens passablement prophetique du dernier vers !

Des le mois de mars 1719, le Nouveau Mercure publia une lettre enthousiaste d’un nomme Fr. Duval qui, parti pour la Louisiane avec l’intention de fabriquer de l’amidon avec des racines, trouva plus profitable de recolter et de vendre des plantes medicinales : Je suis arrive, ecrit-il, le 25 ao�t dernier. �. Le pays est un terroir charmant qui commence a se peupler. Je me suis retire a l’endroit ou on etablit la capitale de ce pays que l’on nomme la Nouvelle-Orléans. Elle aura de circuit une iieue de tour... Le pays est rempli de mines d’or, d’argent, de cuivre et de plomb en difierents endroits. J’ai voulu m attacher a la capitale de cette province par le monde qu’elle va contenir, par le centre du commerce et l’assemblee des chefs... Mon terrain aura trois arpents de face sur quarante de long; ces terres

me seront donnees en propre Les maisons sont simples,

basses comme dans nos campagnes, couvertes de grandes ecorces d’arbres et de grosses cannes. Les habillements a la volonte de chacun, mais fort simples, ainsi que les ameublements ... Les tapisseries et les beaux lits sont inconnus... L’on se porte bien, et l’on voit de belles vieillesses.

Onze mois plus tard, le meme journal annonce que chaque famille de colons recevra deux cent vingt arpents de terre ’ : On leur fournira gratis les ustensiles pour chaque menage, toutes sortes d’outils pour leur travail, et des vivres pour un an. Ces nouveaux habitants seront exempts de tout tribut pcn-

En fevrier 1718, ce journal avait pent commun 42 ares- L’ordonnance du

deja declare : cLa Louisiane peut deve 12 octobre 1716 accordait a chaque colon

nir le Perou de la France.9 une concession de C2 a 4 arpents de

’ L’arpent de Paris valait 34 ares, front, sur 40 ou 60 de profondeur, au

Tarpent des eaux et forets 51 arcs, l’ar maximum.

- J2 -

LE BLUFF DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

dant les trois premieres annees, apres lesquelles ils donneront a leur seigneur, dont le fief sera bati au milieu de leurs habitations, le dixieme du produit des terres. Il y aura vingt familles dans chaque village ou hameau, a la distance d’une lieue les uns des autres.

A la fin de 1720, le Nouveau Mercure publia une lettre datee des Illinois du 8 juillet : ... On peut dire sans exageration que nous foulons aux pieds des tresors, puisque nous marchons sur de riches mines d’argent. D’apres l’auteur, on ne s’ennuyait pas a Kaskakias : Malgre les remontrances continuelles des Bons Peres, la jeunesse travaille a l’augmentation de la population. Elle fait son devoir, comme nous, car la Compagnie doit etre fort contente de voir le nombre de ses sujets augmenter tous les jours.

La meme annee parut la Relation de la Louisiane ou Mipji, ecrite a une dame par un officier de marine. L’auteur, un des officiers du Paon, proposait de construire la capitale au Detour-aux-Anglais : Jusque-la, dit-il, le fleuve est droit et assez profond pour un vaisseau de quatre-vingts canons. Nous ne parlerions as de ce livre d’un interet assez mediocre, s’il n’avait donne icu aussitot a une espece d’imitation ou plutot de contrefaccedil;on, sorte de prospectus, dont l’extravagance montre qu’il fut edite a Rouen aux rirais de quelque speculateur peu scrupuleux ou par les soins de la Compagnie !

L’ouvrage se trouve intitule : Description du Mississity : le nombre des villes etablies, les iles, les rivieres, etc., etc., par le chevalier de Bonrepos; ecrite de Mipjtpi en France a Mademoiselle D...: Deja, declare ce veritable guide, la ville qu’on nomme la Nouvelle-Orléans, et qui sera la capitale de la Louisiane, a pres de huit cents maisons fort logeables et commodes ; a chacune d’elles on a attache cent vingt arpents de terre pour l’entretien des familles. Cette ville a une lieue de circuit et se trouve situee sur le Mis-

- 53 -

i

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

sissipi, a quelques lieues de la mer. C’est la residence du gouverneur et des principaux officiers de la Compagnie. On y a bati de grands magasins pour retirer toutes les marchandises qu’on y porte de TEurope et pour y entreposer celles du pays qu’on porte en France, a mesure que les vaisseaux de la Compagnie s’en retournent.

Le canevas dont s’est servi l’auteur, en trouvant encore moyen de l’exagerer, parat etre la Relation concernant f etendue des tles du Mipi et de leurs proprietes, avec une explication des viBes que les Franccedil;ais y ont etablies, dont l’original, ou une copie de l’epoque, se trouve conserve a la bibliotheque de l’Arsenal \

l’l’Le royaume de la Louiziane est plus vaste que ccluy de France. Le fleuve du Mississipi, qui le traverse dans toute sa longueur, coule pendant plus de 860. lieues ... Le climat est doux et tempere; on y respire un printemps presque perpetuel ... Le terroir produit toutes sortes de fruits naturellement et d’un meilleur go�t qu’en France, quoyque les arbres ne soient ny greffes ny cultives. . . Les montagnes vers le haut du Mississipi sont remplies de mines d’or, d’argent, de cuivre, de plomb et de vif-argent. Conmie les sauvages n’en connaissent pas la valeur, ils vendent ou, pour parler plus juste, ils troquent pour des marchandises des metaux d’or qu’ils nomment en leur langage cuivre, pour une hache a couper le bois, souvent pouf un miroir ou pour une chopine d’eau-de-vie ...

l’l’On a forme depuis peu une nouvelle ville qui sera la capitale de la Louiziane, a laquelle on a donne le nom de la Nou-. Telle-Orléans, ou l’on a deja bati plus de six cents maisons pour ceux qui les habitent, a chacun desquels on a attache un don gratuit de cent-vingt arpents de terre, a leur bienseance, qu’ils peuvent faire cultiver pour leur compte. Suivant le plan tire

’’ Ms. 6650, fol. 54.

- 4 -

picture21

Li Nouvcllc-Oilcias telle �ju’on se k figurait rue Quincampoii.

A N01JV1JLLE-0I.I.EANS.

wmaimmmtfmmm

LE BLUFF DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

de cette ville, elle aura une lieue de circuit; elle est situee sur le bord du fleuve du Mississipi. Comme elle n est pas eloignee de la mer, ce sera le centre du commerce et le siee des chefs et principaux officiers de la Compagnie.

La gravure’’ et le plan, reproduits en hors texte l’planches II et ni), montrent les procedes qu’employait la Compagnie des Indes pour placer ses actions et recruter des colons.

Par contre, quelques frondeurs sceptiques chantaient deja :

Le pays n’est pas habites Il sera bientot frequente, Peut-etre dans cent ans d’ici !

Les mines Ton y fouillera, Car sans cloute on en trouvera, Si la Nature en a mis!

De toutes les descriptions de la Nouvelle-Orléans redigees loin du Mississipi, la plus exacte parat encore celle de Tabbe Prevost, bien que la ville ne soit pas l’l’cachee par une petite colUne. . . Ce qu’on avait jusque-la vante comme une Donne ville n etait qu’un assemblage de quelques pauvres cabanes Elles etaient habitees par cinq ou six cents personnes. La maison du gouverneur nous parut un peu distinguee par sa hauteur et par sa situation. Elle est defendue par quelques ouvrages de terre, autour desquels regne un large iosse. UHifhire de Manon Lescaut restera d’ailleurs non seulement un chef-d’�uvre litteraire, mais encore un tableau fort exact de la deportation feminine en Louisiane’’’.

’) Dans cette singuliere carte, La Mobile et Pensacola se trouvent places a Touest du Mississipi plus tard, la gravure fut inversee, la Nouvelle-Orléans

et la Floride passerent a Test du fleuve, mais la riviere du Saint-Esprit les y suivit ! lt;�) Voir retude de M. Pierre Hein-rich : UabUfrtv�S et la Louisiane.

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

L’ouvrage de l’abbe Prevost peut se diviser en deux parties, dont la premiere, racontant la vie galante de Manon, se passe en France, et la seconde, ere du relevement moral de l’amoureuse repentie, se deroule a la Nouvelle-Orléans.

Eh 1731, nombre de jolies filles un peu trop denuees de scrupules ont d� se croire depeintes en lisant tel ou tel episode de roman, mais aucune d’elles, sans doute, n’a pu se reconnatre pendant plus de quelques pages. Manon pecheresse symbolise trop bien les courtisanes de la Regence pour posseder un etat civil.

Il n’en est plus de meme de Manon revant au mariage, et Prevost, au moment d’embarquer son heroine, a precisement decouvert sur une des les du Mississipi le modele dont il avait besoin, ou, pour le moins, l’idee principale du denouement.

Si Des Grieux abandonnait Manon, il devenait irremediablement odieux; si aveuglement il l’epousait, sa destinee le condamnait, un jour ou l’autre, a regretter cette mesalliance offensant la morale. Les mesaventures authentiques d’une Madeleine plus ou moins repentie, et tres vaguement maiiee, ont fourni a Prevost le moyen de tourner cet embarrassant dilemme en lui suggerant tres certainement la trouvaille du mariage simule de Manon et de Des Grieux.

Seulement, comme le futur abbe n’avait pas encore 18 ans et se trouvait a Paris au noviciat des Jesuites quand la veritable Manon, expulsee d’Angers, vint s’embarquer a Nantes, il faut ecarter definitivement Thypothese soutenue par MM. Arsene Houssaye, Henry Harrisse et divers auteurs, que Prevost nous avait conte une amourette de sa jeunesse.

Meme si son heroine est parvenue a rentrer en France, comme elle en avait l’intention en 171 j, nous doutons fort qu’il l’ait rencontree, car le fait assez etrange qu’en dehors de celui

~ ,6 -

picture22

LA VERITABLE MANON.

de Lescaut’’, les deux noms qui paraissent sans cesse dans Manon, pour avoir ete transposes sur d’autres personnages, n’en sont pas moins reels, semble indiquer que ce furent Tiberge et le chevalier Des Grieux qui raconterent a Tabbe Prevost les malheurs d’Avril de La Varennc et de sa compagne, la l’l’demoiselle Frogct.

On peut, en effet, identifier avec assez de vraisemblance le bon Tiberge avec Louis Tiberge, abbe d’Andres et directeur du seminaire des Missions etrangeres, qui mourut le 9 octobre 1730, tres peu de temps avant l’epoque ou Prevost entreprit d’ajouter un septieme volume aux Memoires d’un homme de qualite. Le Nouveau Diaionnaire hifiorique ou Hiffoire abregee, etc., par une Societe de Gens de Letfres note, a l’article Tiberge : l’l’C’est ce pieux ecclesiastique qui joue un role si touchant dans le roman des amours du chevalier Des Grieux, et M. Anatole de Montaiglon est arrive a la meme conclusil’in’. Ajoutons que l’abbe Tiberge, ayant eu a s’occuper rtiaintes fois des affaires ecclesiastiques de la Louisiane, a certainement connu les demeles qui mirent aux prises Manon et son cure et motiverent leurs plaintes reciproques devant le Conseil de la Marine.

Une seconde coincidence aurait-elle pu encore faire donner par hasard a Des Grieux le nom du capitaine du Comte-de-Tou-lome, navire qui fit plusieurs fois le voyage de la Louisiane, et transporta, notamment en 1718, bon nombre de deportees a Biloxi? Nous ne le pensons pas; meme s’il n’a pas connu Manon, le veritable cnevalier Des Grieux a certainement entendu parler de ses aventures.

Manon Lescaut, ayant ctc imprime La premiere edition parut en 176j,

pour la premiere fois a Amsterdam en la sixieme en 1786. 1731, le nom de son heroine pourrait ’ edition de Af/r// LfJMf, avec une

bien lui avoir ete suggere par son sejour preface d’Alexandre Dumas fils. l’Paris,

dans les Pays-Bas. 1875-)

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

La decouverte dans les archives des Ministeres de la Marine et des Colonies de plusieurs documents inedits nous permet d’identifier pour la premiere fois quatre autres personnages de Manon Lescaut. L\l’aumonier de la Nouvelle-Orléans etait en realite le missionnaire Le Maire, cure de Tle Dauphinc; le pseudo-mari de Manon, ancien capitaine du regiment de Champagne, portait en Amerique le nom d’Avril de La Va-renne; la grande amoureuse passait pour s’appeler Frogct, dite Quantin; enfin le gouverneur de la Louisiane se nommait La Mothe-Cadillac.

Le personnage de Synnelet et le role joue par son oncle dans le roman paraissent toutefois passablement fantaisistes. Cadillac n’avait, croyons-nous, emmene avec lui aucun neveu, et rien n’indique que son fils, le Ikutenant’, soit jamais tombe amoureux de Manon, pas meme l’acharnement du gouverneur a poursuivre la coquette, car, du moins d’apres sa correspondance, il ne badinait pas avec le libertinage et denonccedil;ait sans pitie toutes les femmes mariees qui, en l’absence de leurs epoux, se laissaient conter fleurette.

L’abbe Prevost a pu cependant trouver l’idee du duel de Des Grieux dans le cartel que Raujon, champion amoureux de l’honneur de Manon, projeta d’envoyer a Mandeville coupable d’avoir suspecte sa vertu. Seulement Raujon-Synnelct, loin de chercher a egorger Des Grieux, voulait au contraire defendre la bonne reputation de la femme de son ami, devenue sa fidele caissiere.

Le nom d’Avril de La Varenne, ne se trouvant cite dans aucun des armoriaux de l’Anjou, paraissait une enigme jusqu’au jour ou nous avons decouvert que Pierre du Tremblier, sieur de La Varenne, conseiller au Presidial d’Angers, avait epouse

’) Le jeune Cadillac etait tres violent : lui donnerent six coups d’epce a Benoist un jour, l’enseigne Terrisse de Ternan et de Sainte-Clair.

LA VERITABLE MANON.

Madeleine Avril de Louzil ’’. Quand Tamoureux de Manon se brouilla avec sa famille ’, il composa evidemment le nom qu’il prit de ceux de son pere et de sa mere. D’apres 1 age qu’Avril de La Varcnnc se donnait en 171} et les recherches dans les registres paroissiaux d’Angers qu’a bien voulu faire M. Benoit, commis principal aux archives de Maine-et-Loire, il parat indubitable que le heros de l’abbe Prevost naquit a Angers au mois de novembre 168j et reccedil;ut le prenom de Rencl

Voici d’ailleurs son acte de bapteme : Paroisse de Saint-Maurille : L’onzieme novembre mil six cent quatre-vingt-cinq a este baptise Rene fils de Mons Mre Pierre du Tremblier, es-cuyer. Seigneur de La Varenne, conseiller du Roy, juge magistrat au Siege Preal d’Angers, et de dame Magdelaine Avril son epouse5 Parrain Monsieur Maistre Rene Trochon, Conseiller du Roy, juge Prevost civil et criminel de cette ville, Mareine dame ReneeTremblier, epouse de Franccedil;ois Apvril, escuyer seigneur de PigncroUe�Trochon, Renee du Tremblier, P. du Tremblier, de PigneroUe Avril.

La Varenne et sa compagne s’embarquerent sur la Datephine ’ ; ce navire quitta Nantes le 6 mars 171}, a destination de Biloxi, en faisant escale a La Rochelle et aux Canaries pour s’approvisionner devin. Malheureusement on ne trouve aucune allusion a l’embarquement des amoureux dans la volumineuse correspondance de M. de Luzanccedil;ay, ordonnateur a Nantes; ses depeches

Un autre Tremblier de La Varenne, Charles-Claude, etait, en 1697, marie a Marie-Renee Avril, mais cette branche ne semble pas avoir habite Angers.

’ Son pere mourut en 1704.

’ Wnc commune de Maine-et-Loire porte son nom. La seigneurie de La Varenne se trouvait dans la paroisse de Saint-Remy, qui s’appelle aujourd’hui Saint-Remy-la-Varen ne.

l’ La Dauphine, commandee par Be-ranger, etait une fl�te d’un si petit tonnage, qu’elle ne put embarquer qu’une partie de ses marchandises. Elle etait arrivee de Hollande le 8 decembre 1714, mais les glaces, puis une succession de vents contraires fa retinrent trois mois dans la JLoire. Ce retard provoqua de nombreuses desertions parmi les soldats et les engages de la Compagnie.

- 59 -

.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

mentionnent pourtant toutes sortes d’incidents provoques par les passagers de la Dauphine. En voici deux exemples assez typiques : les parents dun jeune architecte, desireux d’aller faire fortune en Amerique, acheterent son conge au capitaine Mandeville, et Tennemi de Manon s’empressa de faire debar-. quer de force cet excellent et habile sujet, malgre ses protestations et celles de Luzanccedil;ay. Le lieutenant La Tour opera encore plus fructueusement ’’; il commenccedil;a par toucher six cents livres d un conseiller au presidial de Tours pour engager son fils detenu depuis quatre ans a Saint-Lazare, puis vendit ensuite fort cher un conge en bonne forme a l’endurci libertin. Le conseiller avait ete force de donner un peu trop tot une grosse somme a son fils pour le decider a partir, le ministre ayant refuse de le faire embarquer, sauf s’il le voulait de bonne volonte’’.

La discretion de Luzanccedil;ay peut s’expliquer par le desir de ne pas deplaire a Raujon, representant de Crozat et protecteur de Manon, ou par le fait que l’ordonnateur se trouvait en fort mauvais termes avec le clerge de Nantes, qui interdisait de denoncer les deserteurs.

D’apres Raujon, sa mere et Manon etaient de la meme ville, mais comme malheureusement il oublie de nous la nommer, rien ne peut nous mettre sur la trace du veritable etat civil de la jolie faUe dont la mort imaginaire a fait verser tant de lamies. Froget etait-il le nom de ses parents? Qyantin, celui de quelque

La Tour ctait cousin de Bienville 5 a peine debarque, il se maria malgre les remontrances de Cadillac, et les lamentations du gouverneur nous apprennent ce qui constituait alors a l’le Dauphine une dot allechante, meme pour une veuve disgraciee : aune vache, six barrils de patates, six barrils de mais et cent cinquante citrouilles.

l’’ Ce libertin de tres bonnes manieres, mais qui, a en croire plusieurs honnetes gens, etait capable de deshonorer sa famille , finit par consentir a s’embarquer sur la Daiephiiu quand sa famille lui eut assure une pension honnete et paye 4,000 livres de folles depenses qu’il avait faites a Nantes en six semaines.

LA VERITABLE MANON.

amant plus constant que les autres, ou bien un sobriquet? Rien ne le prouve. Avec un peu d’imagination, on peut se figurer, comme on le verra plus loin, qu’on retrouve la trace de Manon apres son retour en France, mais nous ne possedons aucun renseignement sur ses aventures de jeunesse, et nous ignorons meme si La Varenne fit sa connaissance a Angers ou dans quelque ville de garnison. En 1711, le regiment de Champagne passa precisement ses quartiers d’hiver a Amiens, ville qu’a choisie l’abbe Prevost pour la rencontre de Des Grieux et de Manon.

Dans sa Suite de J’hiffoire du chevalier des Grieux et de Manon Les-caut, Courcelle fait natre Manon a Dijon, mais l’auteur de cet ’ insipide roman ne connaissait certainement pas l’existence de son heroine. Aucun des details donnes sur la famille de Des Grieux ne peut s’appliquer a celle des Tremblier, les renseignements qu’il indique au sujet des parents de Manon sont completement invraisemblables. Manon, enterree vivante, revient a la vie, arrive a se degager, puis retourne en France avec l’aumonier amoureux qui s aperccedil;oit, heureusement a temps, qu’il est son oncle. Manon, au moment de prendre le voile a Marseille, retrouve Des Grieux qu’elle croyait infidele et finit par l’epouser apres de nombreuses aventures.

Laissons maintenant la parole a La Mothe-CadiUac, gouverneur de la Louisiane :

J’ai rhotineur. Monseigneur, ecrit-il en date du 2 janvier 1716’, de vous informer qu’il est venu ici un jeune homme de condition appele Avril de La Varenne, qui est d’Angers, lequel a amene ici dans la fl�te la Dauphine une femme qu’on

l’) La Dauphine dut arriver a Tile Dau- d’ao�t ; mais, suivant Thabitude, la dc-phine dans Je courant du mois de mai peche de Cadillac porte la date du depart 1715, et le scandale eclata vers le mois du courrier.

- 6i -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

dit avoir ete mariee, et qui Test peut-etre encore, ayant laisse trois cnfopts en France; Elle a d’abord pris le nom de Froget, et a present de Quantin, se disant mariee audit sieur de La Varenne, ce qui a ete confirme par M. Raujon, directeur de M. Crozat.

Cependant on a su par plusieurs endroits que cela etait faux, que c’est une femme de mauvaise vie qui, ayant ete chassee d’Angers, s’etait retiree a Nantes; ce que l’evcque d’Angers ayant appris, a ecrit au cure de Saint-Nicolas de la ville de Nantes, lequel fut avec deux autres pretres pour faire prendre ladite femme pour la faire renfermer. Ce fiit alors que ledit sieur Raujon la fit sauver dans la fl�te la Daupbinej ledit cure le sachant, s’adressa au sieur de Mandeville, le plus ancien’ officier du vaisseau, le priant d’en ecrire a Votre Grandeur, et lui donna un certificat en presence du sieur La Tour comme quoi cette femme etait une scandaleuse qui avait seduit le sieur de La Varenne, ce qui causait un grand deplaisir a sa parente.

La fl�te n’a pas ete plus tot arrivee ici, qu’il est tres vrai que ledit sieur Raujon a equipe une pirogue avec de la marchandise et envoye en traite ledit sieur La Varenne ’’ et a fait loger cette femme a quinze pas de son magasin, a laquelle il a donne le detail de toute la vente qui se fait dans leclit magasin a raison de cinq pour cent de benefice. Cette femme ne sait point l’arithmetique et a peine sait-elle ecrire 5 en sorte que tous les soirs, les portes et les fenetres fermees, on assure que ledit Raujon lui lait rendre compte de son detail et lui apprend le calcul je crois que c’est la-dessus qu’on pretend que le scandale public est cause par le sieur Raujon, outre ses autres assiduites Il est

l’) La Varenne partit pour les Illinois avec les deux freres de La Loire et le fils de Raujon.

- 62 -

LA VERITABLE MANON.

encore vrai que, par je ne sais d’ou vient quelle habitude, on appelle presentement cette femme M"" Raujon’’, apparemment c’est par Tabsence dudit sieur La Varenne.

l’l’MM. les Pretres ont averti, a ce qu’ils m’ont assure, fort souvent en particulier le sieur Raujon et ladite Quantin; mais voyant qu’ils ne cessaient de continuer la meme frequentation, le cure de l’le Dauphine en a ecrit a l’un et a l’autre, auquel ledit sieur Raujon a fait une reponse fort vive et qui, selon moi, semble fort passionnee pour soutenir le parti de cette femme. U est vrai que sa charite parat fort grande pour elle, assurant par ladite lettre que, s’il lui fait du bien, c’est que sa mere etait connue de la famille de ladite Quantin et parce qu’elle etait de la meme ville.

l’l’Je ne saurais approuver ce qu’il a fait en faisant plusieurs copies de sa lettre qu’il a envoyees de part et d’autre pour qu’on les l�t publiquement, ce qui n’a pas eu tout le succes qu’il en avait attendu.

l’l’Cette femme m’a ensuite presente une requete contre M. le cure de l’Isle Dauphine en reparation d’honneur, dont j’ai envoye une copie a Votre Grandeur, par laquelle elle se dit epouse dudit sieur de La Varenne, et cependant elle convient dans ladite requete qu’ils sont passes dans ce pays dans la confiance qu’ils ont eue qu’on les y marierait, ce qui prouve bien qu’elle ne l’a jamais ete avec le sieur de La Varenne. Mais il ne s est trouve personne pour plaider sa cause ; d’ailleurs le Conseil n’en peut connatre, 1 affaire etant de la competence de l’eveque ou de son Officiai.

D’un autre cote, les plus huppes du pays disent hautement

l’ Raujon etait marie, mais sa femme etait demeuree en France. Le i" octobre 1717, la Compagnie d’Occident chargea Bonnaud de le deposseder, des son ar-

rivee, et, un an plus tard, Larcebaut reccedil;ut l’ordre de faire tenir prison au sieur Raujon jusqu’a ce que ses comptes soient rendus et apures.

\

- 63

\

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS-

que ce mariage est bon, et soutiennent dans cette pensee cette rcmme et le sieur Raujon. A ce sujet, ledit sieur cure m’a ecrit une lettre dont j’ai envoye aussi copie a Votre Grandeur. Le sieur Raujon, par la lettre qu’il a ecrite audit sieur Cure, laquelle a ete rendue publique comme je l’ai deja dit, insulte fortement le sieur de Mandeville, mais ayant prevu ce qui pourrait arriver, je lui ai defendu de se servir devoyes de fait; c’est pourquoi, en s’y soumettant, j’ai bien voulu recevoir sa plainte que j’ai l’honneur de vous envoyer en original, comme aussi la copie du certificat dudit sieur de La Tour.

l’l’Je n’ai pu rendre justice audit sieur de Mandeville, vu la situation ou est le sieur Raujon, sans mettre le bien de M. Cro zat en peril. Enfin je ne crois pas. Monseigneur, qu’il soit permis audit sieur Raujon de traiter comme il le lait par ecrit un officier de fourbe et de malhonnete homme pour avoir parle ici de la conduite de cette femme, sans avoir dit un seul mot dudit sieur Raujon. Je lui ai promis de vous en ecrire, pour en ordonner une satisfaction convenable K

Un mois plus tard, Cadillac renouvelle ses doleances : l’l’J’ai appris. Monseigneur, aujourd’hui, par les habitants, que le sieur Raujon a envoye des billets cnez eux, etant loge chez M. Duclos’-, pour prendre leur declaration contre M. Le Maire, cure de l’le Dauphine, touchant le scandale qu’il cause avec la pretendue dame La Varcnne. Les habitants en partie m’ont dit qu’ils avaient signe ce qu’il leur avait demande, ne voulant pas se brouiller avec lui parce qu’ils en ont besoin et qu’il leur ferait tirer un pied de langue lorsqu’ils s’adresseraient a lui pour avoir ce qu’il leur faut. Cette conduite de la part du sieur Raujon est une preuve incontestable. Monseigneur, de sa passion pour cette femme et de son aveuglement, car il n’ignore pas que le

" Colonies, C’a, 4, fol. J27. � ) Duclos cuit ordonnateur.

- 64 -

LA VERITABLE MANON.

cure ne s’est pas seulement attaque a la dame La Varennc comme etant une concubine, puisqu’elle n’est point mariee par son cure, ni par aucun autre pretre qui ait dispense de son evcque, ni par le consentement cfes parents du dit sieur de Va-renne, et que le certificat qu’elle produit est signe d’un nom inconnu et qui, suivant toute apparence, est suppose. En tout cas, le cure ni moi ne sommes obliges de le croire, puisque, de leur propre aveu, ils n’ont pas ete maries dans la forme... Est-il permis qu’une femme ayant mene une mauvaise conduite en France vienne la continuer dans ce pays’’?

Les archives du Ministere des Colonies ne contiennent pas d’autre piece relative a ce demele, mais heureusement, sur un des registres d’Extraits des deliberations du Conseil de la Marine se trouvent inscrites, le 29 ao�t 1716’’, a la suite d’un resume de la plainte de La Mothe-Cadillac, les annotations suivantes :

. � .Cela a cause diverses plaintes par ecrit, ci-jointes, contre le sieur Raujon, cette femme et le Sieur de Mandevillc; ce dernier demande justice de ce que le sieur Raujon l’a traite de fourbe et de malhonnete homme dans sa reponse audit cure pour avoir produit un certificat que M. le Cure de Saint-Nicolas de Nantes lui remit pour qu’il empechat cette femme de s’embarquer, n’etant pas mariee au dit sieur de La Varenne, comme elle le pretendait.

Le sieur de La Varenne se plaint que, pendant un voyage qu’il a fait aux Illinois, M. de La Motnc a engage un missionnaire d’ecrire des lettres tres calomnieuses contre sa fcnune et tres insultantes pour lui. Il est gentilhomme et son epouse est demoiselle; il a ete capitaine dans le regiment de Champagne, ou il a servi douze ans 5 il n’est passe dans ce pays-la que pour eviter les chagrins que sa famille lui aurait pu faire parce qu’il

tgt; ahmes, C’a, 4, fol. J78. � ’gt; Marine, B, 9, fol. 287.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

s’est marie clandestinement et qu’il n’etait pas majeur’’; il le sera dans deux mois, il comptait pour lors se remarier dans les formes en ce pays-la, mais les missionnaires etant prevenus contre lui et voulant repasser en France, il demandait que le gouverneur ne lui en refuse pas la permission.

M. Raujon se plaint contre M. de La Mothe, Mandeville et Le Maire, missionnaire, au sujet des calomnies qu’ils ont fait courir, et ecrites contre la dame de La Varenne et lui.

l’l’Il envoie une fable satirique que ledit sieur Le Maire a faite contre lui, et il croit qu’il lui en doit etre fait une reprimande. ))

En marge se trouve la decision suivante : l’l’ On ne peut empecher cet homme de rentrer en France avec sa femme; quant a la querelle entre Raujon et Mandeville, envoyer a M. de L’epinay pour la regler quand il sera sur les lieux. Deux mois plus tard, le nouveau gouverneur reccedil;ut en effet les instructions suivantes : l’l’Le sieur Raujon, agent des affaires de M. Crozat, a eu quelques discussions avec le sieur de Mande-ville, capitaine. Vous aurez soin, quand vous serez sur les lieux, de vous faire rendre compte de leurs differends et de les regler.

On eprouve quelques scrupules a vouloir juger la conduite de Manon, car si l’on possede contre elle un tres violent requisitoire, les memoires presentes pour sa defense se trouvent perdus ou condenses en quelques lignes. Pour rester impartial, remarquons aussi que ses ennemis etaient tous les trois affliges

’ La majorite dont il s’agit est cvi mere jusqu’a l’age de trente ans pro-

demment celle de trente ans. noncent seulement la peine de l’exhe-

D’apres les Commentaires sur les Cou redation et ne declarent point nuls de

t�mes du Maine et tFAnjou l’edition de pareils mariages.

1778), les Ordonnances qui prohibent Au point de vue ecclesiastique, tout

aux enfants de famille de se marier dependait des pouvoirs du pretre qui les

contre le consentement de leurs pere et avait soi-disant maries.

- 66 -

LA VERITABLE MANON.

de caracteres extremement emportes. L’abbe Fay, compagnon de voyage de Manon, se plaignit au Conseil dela Marine des violences commises par Mandeville pendant la traversee de WDofme, et declare qu’elles provoquerent a Saint-Domingue la desertion de la moitie des matelots et des troupes . Quant a la vertueuse entente entrer le gouverneur et le missionnaire, elle ne dura, helas! pas longtemps, et, le i" mars 1717, Le Maire ecrit: l’l’.. .Les petits etant entranes par l’exemple des grands, et les grands hors d’etat de reprimer les dereglements des petits par leur participation aux memes desordres, toute cette colonie est une veritable Babylone; puis, apres avoir longuement proteste contre l’des injustices criantes du sieur de La Mothc, il ajoute : C’est un homme sans foi, sans scrupule, sans religion, sans honneur, sans conscience, capable d’inventer les plus noires calomnies contre ceux qui n’entrent pas dans ses passions ’’.

Ce portrait fort exagere, echantillon malheureusement typique de la litterature jadis en honneur dans nos colonies, prouve simplement que le soleil de la Louisiane echauffait parfois les tetes au point de faire autapt deraisonner le missionnaire parisien, comme il s’intitulait, et le gascon Cadillac.

Quel est l’heureux chercheur qui retrouvera la fable satirique composee par Le Maire? L’auteur, en la redigeant, avait-il eu le pressentiment que le roman de sa trop seduisante paroissienne repandrait de par le monde le nom de la Nouvelle-Orléans, etablissement qu il prit en haine avant meme sa fondation ?

Le menage La Varenne profita sans doute de l’hostilite des bureaux de Paris contre La Mothe-Cadillac, qui venait d’etre revoque’’’5 neanmoins le Conseil de la Marine a traite Manon en femme d�ment mariee.

l’’) Marine, B\ 9, fol. 385. ’ Le Conseil de la Marine donna

) Bibl. nat., ms. fr. 12, 105. meme finalement raison a La Tour qui,

- 67 � 9

picture23

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Et maintenant, que devinrent La Varenne et sa compagne’, qui ne semblent pas etre restes en Louisiane ? sont-ils morts sur les rivages malsains et inhospitaliers des les du Mississipi ? ou se deciderent-ils a rentrer en France ?

La Varenne etait, a cette epoque, un nom trop repandu pour qu’il suffise a foire identifier Manon avec une des quatre ou cinq La Varenne incarcerees de 1719 a 1740 pour m�urs trop legeres ou tenue de tripots clandestins. Notons pourtant quelques rapprochements bien singuliers :

En 1719 vivaient, rue de la Cle, deux femmes qui se faisaient appeler M"" de La Varenne et Du Plessisj la seconde jouait parfois le role de mere ou de tante de la premiere. Leur vie, d’apres les inspecteurs de police, etait un veritable mystere a demeler.

La rumeur publique et le clerge de Saint-Medard reprochaient a ces deux nymphes de mener une vie fort suspecte et equivoque dans une maison a deux issues, ou se debauchaient des jeunes gens des deux sexes... Pendant tout le careme, ccedil;a n’a ete que jours de carnaval. Toutefois la veritable raison des denonciations envoyees contre elles etait leur adresse remarquable a se faire livrer toutes sortes de marchandises a credit. La vertueuse indignation d’une demi-douzaine de creanciers, protestant contre des pratiques aussi infames,

J)araissait tellement interessee que M. de Machault se borna, c 2 septembre, a charger l’inspecteur de L’Anglade de lui amener les deux femmes un de ces matins dans son cabinet. Les deux libertines refuserent categoriquement de se

mis aux arrets par Cadillac, avait non dans les Aventures du chevalier de BeoM-

seulement brise son epee plutot que de cbesne, de Le Sage, Monneville et la

la donner, mais encore menace le gou chaste Marguerite Du Clos simulent un

verneur de coups de baton. mariage fictif, en debarquant au Ca-

’) Les faux Rienages etaient a cette nada, pour eviter detrc maries de force

epoque fort nombreux en Amerique : chacun de leur cote.

- 68 -

LA VERITABLE MANON.

deranger, puis disparurent a la nouvelle que l’ordre de les arreter avait ete signe le 19 octobre; cinq semaines plus tard, la police parvint neanmoins a les ecrouer a la Salpetriere.

Le dossier de cette afEaire’’ a malheureusement beaucoup souffert du pillage de la BastiHe et porte encore les traces non equivoques des libations faites par les heros du 14 Juillet; l’interrogatoire de la femme La Varenne a disparu, mais celui de la Du Plessis peut, en partie, le remplacer. Apres avoir declare s’appeler en realite Anique de Benjamen, et reconnu n’etre que la mere d’amitie de sa compagne, la Du Plessis raconta que le veritable nom de son amie etait Marie-Anne Domisy et que cette derniere avait eu trois enfants et ete mariee a un monsieur qui l’avait trompee ayant une autre femme, mais que son mariage avait ete declare clandestin.

Ainsi Marie-Anne Domisy dite de La Varenne, nee a StAnt-Juen/m, ou sa mere etait encore etablie marchande de toile sur la place, avait eu trois enfants et avait ete mariee clandefUnement, tout comme Manon, surnommee Quantin ou lajuentin!

Dix ans plus tard, une Marie-Anne de La Varenne, qui tenait un lieu de debauche , fut incarceree a la requete de ce meme L’Anglade. L’inspecteur ne tarda pas d’ailleurs a reconnatre qu’il s’etait trompe, la prisonniere n’etant nullement la tres dangereuse Jeanneton Chopin qu’il recherchait. Pour s’excuser, le policier expliqua que cesscHtes de femmes prennent trente noms.

En 1722, Marie Dosarbre, passant pour la fille d’un conseiller au presidial de Thiers, et mariee a un Andre de La Varenne, ancien capitaine d’infanterie, fut egalement arretee pour avoir donne a jouer, servi a manger gras pendant la semaine sainte et provoque du scandale pendant la procession de la Fete-Dieu.

’ Arsemtl, 10658. � ’ Arsenal, 11056.

- 69 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Bien qu’elle vec�t avec un ancien oflamp;cier, M. de Saint-Paul, le mari demanda et obtint rapidement la mise en liberte de son epouse’

La police ne paraissant pas avoir ete capable de se retrouver parmi toutes ces La Varenne, comment oserait-on se risquer aujourd’hui a vouloir les identifier !

Laissons donc ces archives desobligeantes. � Manon, pour qu’on te chante, comme l’a ecrit Alexandre Dumas fils, il faut que tu meures en pleine beaute, en pleine passion. T’obstines-tu a vivre, tu deviens encombrante! �Tes ennemis n’ont pu t’enlever ton aureole d’amoureuse regeneree par une tendre passion, aucun papier poudreux ne t’empechera d’etre morte a ton heure et de dormir ton dernier sommeil dans quelque cypriere de la Louisiane.

A propos des Manons d’Amerique, voici quelques documents inedits qui fournissent d’interessants renseignements sur les premieres religieuses debarquees en Louisiane et sur les jeunes personnes qu’elles amenerent. Ces dernieres etaient des orphelines5 malheureusement, pendant longtemps on estima sans doute a Paris que plus elles seraient laides, meilleure resterait leur conduite.

l’l’Extrait du Memoire de Marie-Franccedil;oise de Boisrenaudt, qui expose que le Roi ayant lait partir en 1705 vingt-trois filles pour commencer l’etablissement cie la Louisiane, elle fut choisie et tiree de la Communaute de l’Annonciation ou M" de Mon-tespan, qui l’avait fait venir de l’abbaye de Fontevrault, l’avait placee apres l’avoir gardee longtemps avec elle a sa communaute

’ Arsettal, 10763. D’apres les rapports Marine, B’, 30, fol. 429. � Ce pie-

de police, elle avait ete chassee de Lyon moire fat envoye par Hubert au mois de pour inconduite et fut exilee a Thiers. juin 1718.

- 70 -

TRANSPORTEES ET EXILES,

de Saint-Joseph pour en avoir la direction et etre leur superieure; elle a risque sa reputation pour remplir les instructions du Roi et gouverner les filles qui lui etaient confiees, et ce lui fut une grande fatigue pendant les six mois de sejour qu’elles firent a Rochefort, a Thopital des orphelines. Depuis ce temps, toutes ces filles ayant ete mariees a la Louisiane, elle s’est occupee de Tinstruction des Sauvagesses, qu’elle a fait baptiser et etablir, et elle continue a enseigner les petites filles d’habitants auxquelles elle montre ce qu’elles sont capables d’apprendre.

l’l’Comme elle se trouve accablee d’infirmites et hors d’etat de pouvoir continuer ses soins, elle supplie le Conseil de lui assurer une retraite en France ou elle pourra attendre la mort plus tranquillement. En marge se trouve inscrit : l’l’Verifier si cette fille est payee ou reccedil;oit quelque retribution pour les soins qu’elle prend dans cette colonie, et en parler la premiere fois.

Pendant plusieurs annees, le Conseil de la Marine discuta, sans la resoudre, la question de savoir s’il fallait continuer a envoyer des femmes pn Louisiane ou s’il n’etait pas plus simple d’autoriser, comme le proposait le cure La Vente, le mariage des Franccedil;ais et des Indiennes. En 1716, apres avoir consulte le superieur des Missions etrangeres, qui repondit que, sans s’y opposer, il craignait pourtant un peu l’de melange ae bon et de mauvais sang, le Conseil, adoptant les conclusions de Duclos, qui declarait que les Sauvagesses l’l’ etant trop libertines et tres mauvaises chretiennes, les enfants seraient trop basanes, tres libertins et encore plus fripons, decida d’interdire ces unions et, par compensation, d’envoyer des epouses aux colons du Mississipi.

Les deux documents suivants montrent que, malgre son excellent arrete du 12 juin 1720, la Compagnie des Indes ne

- 71 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLeANS.

recruta pas toujours avec assez de soin les premieres menageres qu’elle expedia en Louisiane.

Lettre du 2j avril 1721, signee par Bienville et De Lormc : L’etat des filles venues par la Baleine monte a quatre-vingt-huit. Il en a ete marie depuis le 4 mars le nombre de dix-neuf. Il en est mort, de celles venues par le Chameau et la Mutine\ le nombre de dix. Aussi on compte qu’il en reste a pourvoir encore cinquante-neuf. Ce sera assez diflamp;cile, car ces filles ont ete fort mal choisies. Serait-il possible qu’en si peu de temps elles seraient derangees au point qu’elles le sont. Avec toutes les attentions du monde, on ne saurait les contenir. Des trois conductrices a qui le soin de leur conduite est commis, il y en a deux dont on se plaint. La S�ur Gertrude est un tres mauvais esprit, gouverne avec aigreur et caprice, a fait une echappee qui l’a perdue aux yeux de ces filles memes. La S�ur Marie n’a aucun des talents necessaires pour une pareille administration. On a retenu la S�ur Saint-Louis, qui est un tres bon sujet, et on a renvoye les autres.

La S�ur Gertrude etait chargee par la Compagnie de veiller a la conduite des jeunes filles elevees a l’Hopital general et parties volontairement pour la Louisiane, et de leur inspirer de conserver les sentiments de piete et de bonne education qu’on leur a donnes, et faire generalement tout ce qu’elle jugera necessaire et a propos pour maintenir lesdites filles dans la purete de leur honneur, et les rendre attentives a remplir tous les devoirs qui tendent a leur salut’ En meme temps, la Compagnie envoyait en Louisiane une matrcsse-sage-fcmme M"" Doville, et fixait ses appointements a quatre cents livres.

’’ Le 20 decembre 1719, le sieur de cher qu’il n’arrive aucun desordre Ik leur

Martonne, capitaine de Iz Muti/ie, reccedil;ut occasion de la part de son equipage,

l’ordre d’avoir un soin particulier des [CoL,By liis, $07.)

filles qui lui seront remises et d’empc ’ Colonies, B, ivis, fol. 376.

- 72 -

TRANSPORTEES ET EXILES.

La premiere matrone debarquee a Biloxi s’appelait la Sans-Regret.

Le 2j juin 1721, Bienville ecrit encore : L’etat des filles mariees depuis le 24 avril jusqu’au 2} juin monte a trente et une filles. Toutes font partie de celles envoyees par la Baleine. On en a donne plusieurs a des matelots qui les ont demandees avec instance. C etaient de celles que Ton on aurait eu bien de la peine a marier avec de bons habitants. On ne les a cependant accordees a ces matelots qu’a la condition expresse de se fixer dans la colonie, ce a quoi ils ont acquiesce. Cela pourra faire des mariniers pratiques de la navigation particuliere de ces pays-ci, dont on a grand besoin.

Penicaut, par contre, trouva l’arrivage fort a son go�t. Le 8 janvier 1721, vint mouiller a l’le aux Vaisseaux une petite fl�te nommee la Baleine. La S�ur Gertrude, une des omcieres de l’Hopital general de la Salpetriere de Paris, etait venue dans ce vaisseau avec quatre-vingt-dix-huit filles de cet hopital, toutes elevees dans cette maison des leur enfance. Elles etaient venues, sous la conduite de cette S�ur, pour etre mariees dans le pays, et elles avaient chacune le fonds de leur pretendu mariage, qui consistait en deux paires d’habits, deux jupes et jupons, six corsets, six chemises, six garnitures de tete et toutes les autres fournitures dont elles etaient bien fournies pour les faire convoler au plus vite en legitime mariage. Cette marchandise fut bien vite distribuee, tant on en avait disette dans le pays; et si la S�ur Gertrude en avait amene dix fois davantage elle en aurait trouve en peu de temps le debit.

Si, a certains moments, la colonisation feminine se fit sans grand discernement, souvent, par contre, les listes d’embarquement furent soigneusement examinees; sur l’une se trouve cette apostille, a cote du mot Louisiane rature : Pour Cayenne, seul endroit ou l’on aurait pu envoyer pareille marchandise.

- 73 ~

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

De 1716 a 1722, on n’expedia pas seulement en Louisiane � par mesure administrative � des vagabonds, des deserteurs et des contrebandiers, le Gouvernement de la Regence deporta egalement un certain nombre de personnes de condition. Les noms de ces exiles ne se trouvent point dans la Correspondance generale, et beaucoup de pieces les concernant semblent avoir

ete detruites intentionnellement ; aussi croyons-nous interessant de reproduire une lettre de Bienvillc, ecrite a leur sujet au

; mois de juin 1721 :

Les exiles de par le Roi qui sont dans la colonie n’ont, par f eux-memes, aucun moyen de subsister; il y en a plusieurs

qui sont gens de distinction incapables des travaux puolics qui procurent les vivres aux autres. On ne peut se dispenser de leur en donner. . � On adressera a Tavenir les lettres de ces infortunes a leurs familles � qui font la sourde oreille et ne repondent pas � a la Compagnie, afin qu’elle puisse obliger les parents d’envoyer les secours necessaires. ’ Un assez grand nombre de ces fils de famille avaient eux-

i memes demande a passer en Louisiane pour ne pas rester

[ enfermes a la Bastille ou au For-l’evequc. D’autres y furent

envoyes sur la requete de leurs parents , ou tres souvent

parce que personne ne voulait plus continuer a payer leur ’ pension.

Avoir tue son adversaire en duel, etre reconnu libertin

invetere ou impie outre etaient egalement des motifs 0 frequents d’exil. Avant 1722, la plupart des gens de force f etaient des contrebandiers, des libertins l’ce terme semble

avoir ete tres elastique), quelques petits filous et souvent de simples indesirables dont on ne savait que faire; ainsi le valet

) Sans cesse revient cette mention passe aux les du Mississipi, ou quel-sur les listes de deportes : A la requisi- que autre de ce eenre : cM la duchesse tion de sa mere , Sa �imille desire qu’il de Lorraine Ta demande.

74

p I

LA PRINCESSE CHARLOTTE.

de chambre un peu fripon de r�vcque de Beauvais voyagea de concert avec un bourreau revoque. Plusieurs listes portent la trace d’un severe examen; sur lune, les noms des complices de Cartouche, de quelques exaltes, voire meme de teigneux, sont rayes. Certains motife de deportation paraissent pourtant assez curieux : l’l’A fait si grande rebellion qu’il a fallu prendre un carrosse pour le conduire a l’hopital. � A braconne. � Il a charge la garde de la Comedie Tepee a la main. � Trouve blesse, n a pas voulu dire comment ni par qui. � A enleve une fille des mains des archers. Cet autre Des Gricux sauva sa Manon, mais fut envoye a sa place en Louisiane !

De la realite passons maintenant a la legende. Toute capitale doit en posseder une a ses debuts; la Nouvelle-Orléans a la sienne qui, malgre son extreme invraisemblance, fut reproduite ou discutee par Duclos, Grimm, Gayarre, etc. Voltaire lui-meme s’en est occupe.

L’histoire nous apprend que la princesse Charlccedil;tte de Brun-swick-Wolfenbuttel, epouse du czarevitz Alexis, mourut le 27 octobre 1715; la legende louisianaise pretend que cette femme malheureuse, lasse de supporter les mauvais traitements de son mari, se serait simplement fait passer pour morte et aurait gagne l’Amerique. Malheureusement pour cette hypothese, Catherine II fit observer a Grimm que le corps de la femme du czarevitz avait ete embaume, puis expose durant plusieurs Jours.

Sur les bords du Mississipi, la princesse rencontra par hasard � ou retrouva intentionnellement � un mysterieux chevalier d’Aubant, dont elle avait, suivant diverses versions, fait la connaissance a la cour de Brimswick � ou en Russie � et qu’elle s’empressa d’epouser a la nouvelle de la fin tragique de son mari.

- 7J -

10.

picture24

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Apres un sejour de quelques annees a la Nouvelle-Orléans, ou elle planta des ormes que Ton montrait encx)re du temps de Gayarre, M"" d’Aubant, revenue en France, aurait ete reconnue par le marechal de Saxe, qui d’ailleurs n’avait jamais eu l’occasion de voir la femme du czarevitz. La princesse passa ensuite a l’le de France, ou Urbain de Maldaque, son second mari, � d’apres certains auteurs son troisieme, � venait d’etre nomme major.

En 1770, Bossu entreprit en Louisiane une enquete sur cette legende, mais tout ce que le chevalier d’Arensbourg put lui apprendre, c’est qu’une dame allemande, qu’on soupccedil;onnait a etre princesse, etait venue des le commencement de l’etablissement. Nos recherches n’ont pas ete plus heureuses et nous n’avons meme jamais pu trouver la moindre trace, dans les archives du Ministere de la Guerre ou des Colonies, d’aucun oflfcier du nom de d’Aubant ou Dauband \

Ce resultat negatif s’explique aisement, puisque l’acte de deces de la mysterieuse inconnue, inhumee le 22 juin 1771 dans l’eglise de Vitry-sur-Seine, vis-a-vis le banc du Seigneur, porte : Dortic Marie-Elisabeth Danielson, veuve de Mcssirc Maldaque, capitaine-major aux les de France. D’apres cet acte, eue serait nee en 1693, cinq ans par consequent avant la princesse Charlotte ; Grimm raconte que beaucoup de curieux se rendirent a la vente qui suivit son deces.

Dans nos possessions de l’ocean Indien, personne ne doutait de l’illustre origine de M"’ Moldac, de Moldack ou de Maldaque. Le Journal de Paris du 15 fevrier 1781 l’afifirmc, et la faccedil;on dont Jacques Arago parle de la belle-fille du czar’’ montre qu’en 1817 tout le monde a l’le Bourbon croyait encore a la naissance princiere de M"’ de Maldaque dont

’ Suivant Gayarre, le capitaine d’Aubant serait mort en 17J4. � Vtyaffautmr du monde, 1 , 149.

- 76 -

MADEMOISELLE BARON.

le mari, de simple sergent-major dans un regiment envoye a nie de France, peu apres son arrivee fut promu, par ordre de la Cour, au grade de major des troupes. Le mari paraissait instruit du rang de sa femme et ne lui parlait jamais qu’avec respect. M. de La Bourdonnais et tous les officiers avaient pour elle, la meme consideration. Ce n’est qu’apres la mort de son second mari, que la femme de Petrowitz a avoue sa naissance.

M" Danielson aurait-elle habite la Louisiane dans sa jeunesse? rien ne le prouve, malgre les ormes seculaires de la Nouvelle-Orléans.

Vers la meme epoque, la Louisiane reccedil;ut la visite d’une beaute qui, sans doute un peu grace a son nom, entra plus tard dans la troupe de la Comedie-Franccedil;aise. Le Journal nifbh rique nous apprend que M" Desbrosses se rembarqua pour la France le 7 janvier 1722, mais ne nous donne malheureusement aucun renseignement sur les motifs de son voyage en Amerique ; y vint-elle de bon gre ou de force? nous n’avons pu le decouvrir. Nee le 18 fevrier 1701, il parat meme assez peu vraisemblable qu’elle s’appelat deja Desbrosses’J, surnom de Jean de Brye, obscur comedien, qu’elle epousa a une date indeterminee, et dont une s�ur, surnommee la Traverse, fit partie de la Comedie-Franccedil;aise.

La voyageuse etait fille d’Etienne Michel Baron, et par consequent la petite-fille du grand comedien Michel Boyron, � ait Baron, � l’eleve de Moliere, a Louise-Charlotte-Catherine Baron, femme de Desbrosses, dit M. Henry Lionnet’, debuta a la Comedie-Franccedil;aise le 19 octobre 1729 et fut reccedil;ue le 31 decembre suivant, neuf jours apres la mort de son illustre aieul.

) Le Jtmmal bifforique fut redige apres coup, a Paris. � ) htirmeUiam des chertheurs et curieux, 20 avril 1914.

- 77 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS,

Sortie le } mai 1730, elle rentra le u decembre 1736 et mourut a Paris, rue des Fosses-Saint-Germain, le i6 decembre 1742. Nouvelle hypothese j serait-ce par hasard le souvenir de ses charmes qui plus tard tmnsesrnia cette reine de theatre en princesse authentique?

picture25

picture26

�/Iv

CHAPITRE V.

ADRIEN DE PAUGER TRACE LE PLAN DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

picture27

ENDANT que la Compagnie des Indes l’usait de-peindrc a Paris par ses agents d’immigration les beautes de la Nouvelle-Orléans, elle cherchait toujours son emplacement, sans oser prendre une resolution definitive. En 1720, elle sembla enfin opter pour Manchac et remit a Duvergicr, le ij septembre, les instructions suivantes : ...L’ordonnateur se portera au Biloxi, qu’il doit considerer comme le premier comptoir de la Compagnie et le centre de ses aaaires... Les colons qu’il fiiudra transporter dans l’interieur de la Colonie monteront avec les bateaux du Btloxi jusqu’au haut du lac de Maurcpas et a l’embouchure du ruisseau de Manchac qui se jette dans le Mssissipi. Il faudra que l’ordonnateur jasse un etablissement a cette entree du ruisseau, du cote qu’il jugera le plus convenable. Il devra y avoir un nombre suffisant de bateaux legers pour reprendre les colons qui sont arrives de la mer et

- 79 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS,

leur faire remonter le fleuve jusqu’au lieu de leur destination. Ce poste aura besoin, comme au Biloxi, d’un garde-magasin des agres et des bateaux, et d’un matre d’equipage... Il faudra etablir une basse-cour et un jardin potager pour se procurer des rafrachissements. U sera necessaire de suivre le ruisseau du Manchac jusqu’au Mississipi pour le nettoyer et rendre son cours plus libre, y ayant quelques arbres que les inondations ont renverses d’un bord a l’autre l La Nouvelle-Orléans ou Manchac devront servir de depot general pour l’interieur de la Colonie ; il y sera aussi etabli un teneur de livres et im commis principal qui doit etre tres intelligent. U suffira d’un commis pour les autres etablissements du Mississipi, d’autant qu’il n’y aura pas beaucoup de mouvement pour les affaires maritimes... Il conviendrait de faire une route par terre du Biloxi aux Illinois, la correspondance dans l’interieur de la Colonie etant tous les ans interrompue par les inondations du Mississipi \

Ces instructions devaient etre, croyons-nous, preparees depuis longtemps, puisqu’elles semblent avoir ete redigees avant l’arrivee a Paris de la nouvelle de la mort de Pcrricr. Les partisans de Biloxi, parvenus enfin a faire sortir cette decision des cartons de la Compagnie, redoublerent alors leurs attaques contre Y ancienne Nouvelle-Orléans dont Manchac devait, scmble-t-il, usurper meme le nom.

L’etablissement de la capitale de la Louisiane sur les bords de la riviere d’Iberville ne pouvait, encflct, suffire a rassurer les habitants de la cote; leur ambition etait d’obtenir l’abandon complet du comptoir rival pour empecher les vaisseaux d’ttitrcr

) D’Artaguettc ayant ecrit a la Com quand les Espagnols, soixante ans plus

pagnie qu’cil n’en Co�terait que sept tard, voulurent entreprendre ce travail,

cents livres Dour amenager la riviere d I ils depenserent des sommes considerables

berville l’C’a, 2, fol. 805), les Direc sans parvenir a l’executer, teiirs croyaient l’operation eicile; mais ’ Cohnies, li 1 bk, fo\. i6y

- 80 -

PLAN DE LA NOUVELLEORLEANS.

dans le fleuve, car ils se rendaient bien compte que si le port de la Nouvelle-Orléans subsistait, Manchac ne parviendrait jamais a soutenir la concurrence. Aussi, tant qu’il ne fut pas reconnu � ou plutot admis � que tous les navires pouvaient franchir aisement les passes du Mississipi, les partisans de Biloxi, de rlc aux Vaisseaux ou de la rade des les de la Chandeleur continuerent leur campagne contre la Nouvelle-Orléans.

Benard de La Harpe ecrit, le 25 decembre 1720 : Il a paru que la decision de la Compagnie etait de faire son principal etablissement a la Nouvelle-Orléans, a trente-deux lieues dans le Mississipy, mais il est a croire qu’elle n’a pas ete bien informee de sa situation. Le pays est noye, impraticable, malsain; il n’est propre qu’a la culture du riz. On pourrait donner communication au Mississipy avec le lac Pontchartrain ; il n’y a qu’une demi-lieue a couper. Ce pays est uni, ce ne serait pas une grosse depense et l’utilite en serait considerable. Suit un eloge pompeux de Manchac. Il n’y a pas, ajoute La Harpe, de lieu plus ravorable pour etablir la capitale. Comme port, il preconisait l’le aux Vaisseaux.

Drouot de Valdeterre insiste pareillement sur la necessite urgente de changer et de porter la Nouvelle-Orléans dans la

}?laine de Manchac, sur la petite riviere entre le fleuve et le ac Maurepas pour y installer le siege principal... et de fonder un deuxieme poste principal pour y etablir la direction.. . La Nouvelle-Orléans est etablie dans un terrain vaseux et rapporte par les eaux qui debordent deux fois l’annee. . . Les eaux y croupissent des deux et trois mois et rendent l’air tres malsain; il n’y a que des baraques de bois absolument hors d’etat de servir si elles ne sont pas reparees apres chaque debordement fl

t

t’gt; Camp;i, C’a, 10, fol. 13.

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Le 28 juin 1720, D’Artagucttc ecrivit une lettre a Law pour lui vanter les avantages de la situation de Biloxi \

Un autre memoire, remis par M. de Beauvais, declare egalement : l’l’La ville capitale doit etre a Manchac ou commencent les terres hautes et d’ou Ton peut aller a cheval jusqu’aux sources de La Mobile, des Alibamons et meme de TOyo. On y trouvera tout ce qui est necessaire a former une ville, et toutes les douceurs de la vie animale. Le gouvernement y sera plus a portee pour recevoir les nouvelles et donner ses ordres promptcment dans tous les postes de ce pays. La Nouvelle-Orléans servira comme entrepot a tout le commerce du fleuve, du cote de la mer.))

Devant tant d’opinions affirmatives, la Compagnie finit par adopter Manchac ; seulement la crainte d’avoir a engager des depenses considerables pour creer un nouvel etablissement la fit sans tarder revenir sur sa decision, ou plutot la replongea dans l’indecision. Le 8 novembre 1720, elle se borna a donner a l’ingenieur en chef Le Blond de La Tour les instructions suivantes : �.. L’ingenieur en second qui se rendra a la Nouvelle-Orléans examinera la situation de cette ville et la reformera s’il le juge necessaire, en la transportant dans un endroit plus favorable et moins sujet aux inondations. Ces instructions arriverent en Louisiane deux mois plus tard, neanmoins Bienville dut attendre le mois de mars 1721 avant de parvenir a envoyer l’ingenieur Adrien de Pauger tracer sur le terrain le plan de la Nouvelle-Orléans, les membres du Conseil soutenant l’l’qu’il etait bien inutile de chercher un endroit pour etablir le siege principal de la Colonie, et que le meilleur etait Biloxi

Les premiers habitants de la Nouvelle-Orléans n’avaient prevu aucun plan 5 le dessin de Dumont de Montigny, dont

t’ Ard). hyJngr, iij, n’ 29. � ) Colon�s, C"a, 38, fol. 208.� Cohmcs, C’a, 8, fol. 12.

- 82 ~

PLAN DE LA NOUVELLEORLEANS.

nous donnons la reproduction’J, montre Taspect, encore tres primitif, de la ville en 1721. Aussi Pauger, en arrivant sur remplacement de la future capitale, s’etonna fort de ne decouvrir

picture28

picture29

03"

{Si gt;

picture30

94l’j0lfV ./Sw.

La NouYclle-Orleaas en 1721. l’DaprVs Dumont de Montigiij.)

aue l’l’ quelques cabanes parmi des broussailles et des bouquets d’arbres a ne pouvoir donner un coup d’alignement. Neanmoins il se mit resolument a l’�uvre, malgre toutes sortes de difficultes.

’ Anh. bydngr,, 4044 c, 62.

- 83 -

II.

picture31

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Aussitot mon arrivee, ecrit-il, je demandai au sieur Frcboul; commis principal, des ouvriers pour faire defricher. Il me fit passer en revue quelques forccedil;ats distribues a droite et a gauche comme domestiques et qui tenaient leurs rations de la Compagnie. Je les voulus faire travailler; il en ecrivit a M. De Lorme, qui lui repondit qu’il avait eu tort de me faire faire cette revue, et, le faisant savoir auxdits forccedil;ats, ils s’absenterent tous. Ce qui m’obligea de prier M. de Pailloux, commandant, de me donner quelques soldats, ce qu’il fit gracieusement. Il en commanda dix avec un oflamp;cier a leur tete, qui travaillerent pendant douze jours si vivement qu’ils firent des eclaircies a pouvoir tracer toutes les rues sur le devant du fleuve, et auraient continue si le commis n’avait insulte les oflciers au retour du travail, parce qu’ils lui demandaient de faire delivrer a chaque soldat un boujaron d’eau-de-vie que le sieur Frcboul leur faisait donner chaque jour pour tout payement.

En depit de ces entraves, Pauger parvint a envoyer des le 14 avril, a Biloxi, un plan sur lequel il avait indique l’attribution de quelques terrains en faveur des plus anciens habitants et des plus capables de construire en bordure du fleuve. Le commis principal De Lorme pretendit aussitot avoir seul le droit d’accorder des concessions et, un peu plus tard, declara nulles toutes celles delivrees par Pauger, bien qu’elles eussent ete immediatement ratifiees par le Conseil de la Colonie.

Je n’ai pas eu sitot porte ma premiere lettre, ecrit Pauger le 29 mai 1721 a M. Durant, que j ai entendu publier ici par le sieur Freboul ’, commis, que le sieur De Lorme lui avait aonne l’ordre d’annuler tous les emplacements que j’avais destines aux habitants qui voulaient y faire batir des maisons et y travail-

’ Freboul avait ete nomme commis De Lonnc loi avait donne l’ordre ecrit principal a la Nouvelle-Orléans au com- c de ne laisser ��re aucune depense a mencement du mois de janvier 1721, et l’ingenieur Paugeri.

- 84 -

PLAN DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

laient a Tcnvi Tun de Tautrc, ayant fait une distribution le plus cquitablcmcnt possible, de concert avec M, Pailloux; et, en peu de temps, on aurait vu cette ville prendre forme sans qu’il en co�tat un sou a la Compagnie. . . L’on me regarde aujourd’hui a la Nouvelle-Orléans comme un employe revoque’U

La Tour fit alors venir Pauger a Biloxi 5 le difierend finit par s’arranger grace a l’intervention de Bienville et de Pailloux, et De Lormc pretendit plus tard n’avoir jamais voulu que mettre les choses au point. Une des seules concessions qui, parla suite, ne fut pas maintenue fut celle de Pauger !

Jacques Barbazan de Pailloux, a qui on pourrait decerner le titre de premier citoyen de la Nouvelle-Orléans puisqu’il l’habitait depuis 1718, tout en restant commandant militaire du comptoir, reccedil;ut le titre de Directeur. Cette nomination parut un effort tres suffisant aux membres du Conseil, et ils s’empresserent de charger Pauger de relever le cours du Mississipi jusqu’aux Natchcz, pour 1 empecher de poursuivre les travaux de la ville.

Les plans de Pauger, apres avoir commence par s’egarer entre la Nouvelle-Orléans et Biloxi, allerent s’enterrer dans les cartons de l’ingenieur en chef. Le Biond de La Tour les envoya-t-il a Paris au mois de decembre, comme il l’annonccedil;a? cela est possible, quoique, a notre avis, fort peu probable; De Lorme se contenta d’ecrire, le 25 avril, qu’on les expedierait a la premiere occasion)gt;� En tout cas, les adversaires de la Nouvelle-Orléans s’arrangerent pour qu’ils n’arrivassent pas a Paris, et La Tour partit avec Boispinel au mois de janvier 1722 pour lever le plan de l’le aux Vaisseaux. L’ingenieur en chef ne se doutait pas, pendant qu’il terminait sur place un grandiose projet de port

t) CAhmiS,Cz, 6, fol. 137.

- 8j

lt;

picture32

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

et de citadelle, qu’une copie des plans de Pauger se trouvait deja a Paris, expediee par une main mysterieuse.

Une piece, non signee, porte : C’est ce qui Ta engage a derober la copie des plans iaits par le sieur Pauger; cet ingenieur n’ayant pas voulu les donner sans ordre de M. Le Blond. En maige du docimient se trouve inscrit : Il suffit d’accuser reception et approuver son attention. Pauger ayant remis un double de ses leves a Bienville,�M. de La Tour, constate le JaumaJ bifforij fut tres mecontent de cet avis$ il en temoigna a M. Pauger son ressentiment, � il parat hors de doute que l’expedition des plans fut faite par Bienville de connivence avec Pauger. Cette demarche fort peu hierarchique influenccedil;a sans doute la decision finale de la Compagnie, l’execution du beau projet de l’ingenieur ne pouvant que flatter l’amour-propre du Regent, parrain de la nouvelle capitale; quelques mois plus tot, ces plans auraient niit fort bon efiet rue Quincampoix.

Pour en terminer avec les peregrinations de ces malheureux documents, La Tour, quand on les lui reclama de Paris, comme si on ne les possedait toujours pas, crut prudent, par crainte qu’ils ne se perdissent a nouveau, de les confier a M. de Noyan, neveu de Bienville. L’un de ces plans se trouve encore conserve au Depot des Cartes du Ministere de la Guerre, sous le numero 7 f, 213.

Pauger ne se contenta pas de faire parvenir son projet a Paris; le 23 juin 1721, il envoya, sous forme de lettre, a im Pere de l’Oratoire, un veritable Memoire’ destine a etre montre au comte de Toulouse. Apres avoir commence par raconter son voyage et la faccedil;on dont son ennemi, le directeur Rigby, fit embarquer a Port-Louis les ouvriers et meme les trois Carmes

l’) Cet interessant document, beau- duit ici, a ete publie dans les AmtaUs coup trop long pour pouvoir etre repro- encyclopediqtus du mois d’octobre i8i8.

- 86 -

PLAN DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

dechausses, aumoniers missionnaires, entre des fusiliers comme des criminels... J’ai ete, dit Pauger, detache ensuite pour aller a la Nouvelle-Orléans tracer le projet d une ville reguliere qui doit etre la capitale de ce pays, qui serait presentement oicn avancee d’etre etablie, si la Compagnie l’avait bien pourvue de vivres et de directeurs eclaires qui eussent vu par eux-memes ou ete capables de profiter des bons avis qu’on leur a donnes, et qui m’ont fait connatre combien leur entetement et trop d’autorite etaient cause que l’on s’est arrete a faire aller au Biloxy les vaisseaux qui sont venus de France, plutot que de les faire entrer dans le Mississipi qui est le sujet et la pierre fondamentale de l’etablissement cfe ce pays, ou ils auraient debarque bord a bord les efFets et ouvriers des concessionnaires sur des terrains fertiles, au possible fait des vivres et auraient de belles habitations, au lieu qu’ils ont ete debarques au Biloxy sur un rivage de sable ou ils se sont consommes et ou ils ont vu perir leurs efFets et la plupart de leurs meilleurs ouvriers; ce qui cause que les etablissements de ce pays sont languissants et, sans de puissants secours de France, manqueront tous indubitablement, et cela, je le repete, par la faute de n’avoir pas connu que l’embouchure du Mississipi est tres s�re et aisee de navigation pour tous les vaisseaux de quinze a seize pieds de tirant d eau et meme plus, en les allegeant sur l’ile de la Balise. � � Quantite d’anciens habitants viennent de toutes parts faire des habitations le long des bords du Mississipi, aux environs de la Nouvelle-Orléans. ..

Malgre sa confiance dans l’avenir de la Nouvelle-Orléans, Pauger se demande pourtant si la diiSficulte qu’eprouvent les navires a franchir le Detour-aux-Anglais ne conduira pas un jour l’l’a la necessite de construire des magasins en aval de la boucle, et peut-etre meme de transporter en cet endroit le siege principal de la colonie.

- 87 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Dans une lettre datee du 9 decembre 1721, La Tour s’attribue le merite d avoir etabli le plan de la Nouvelle-Orléans; seulement, comme il ne vit le Mississipi pour la premiere fois que six mois plus tard, cette pretention semble d’autant plus exageree que ses instructions generales n’avaient pu etre suivies : l’c Vous remarquerez, lui ecrit Pauger, le 24 avril 1721, les changements que j’ai ete oblige de faire par suite de la situation du terrain qui etait plus releve sur les bords du fleuve; j’en ai rapproche la place de la ville et celles marquees pour les maisons des principaux habitants, afin d’en profiter tant pour la proximite des debarquements que pour etre plus aerees par les brises du fleuve... Chacun aura ainsi un jardin qui en est la moitie de la vie. La Tour avait sans doute dessine a l’avance sur le papier un certain nombre de petits carres, mais il les avait places, on le voit, assez loin du fleuve, tres probablement sur le bord du bayou Saint-Jean.

Le Journal hifiorique, Hubert et le Pere Charlevoix indiquent tous trois Pauger comme le veritable auteur du projet, et De Lorme, qui n’aimait pourtant pas l’ingenieur, ecrit a la fin de 1721 : l’l’Pauger, apres avoir leve le plan de la Nouvelle-Orléans, trace les alimiements et distribue les emplacements, est descendu avec le Santo-ChrUi au bas du fleuve et a eleve une balise de soixante-deux pieds de haut.

La plupart des historiens de la Louisiane ont cependant attribue a La Tour tout l’honneur de la creation de la Nouvelle-Orléans; c’est une erreur doublee d’une injustice. En realite,

ArA, bydngr,, 67’, 6. chienne $ puis, comme sous-brigadier, a

) Envoye comme dessinateur au Por ceux de Douai, du l’esnoy, de Bou-

tugal l’1702), nomme ingenieur en 1703; chain et de Fribourg l’i7i3; La Tour

accompagna Tarmee en Espagne de 1704 reccedil;ut la croix de Saint-Louis en 171 ),

i 1708. l’Fait prisonnier i Aicantara en fut nomme capitaine reforme au regi-

1705, il fut echange Tannee suivante.) ment de Piemont, puis brigadier des

II prit part en 1712 au siege de Mar ingenieurs de Sa Majeste.

- 88 -

. PLAN DE LA NOUVELLEORLEANS.

avant rarriv�c d’instructions formelles, Tingenieur en chef ne songeait qu’a edifier une grande ville a Biloxi ’ dont il trouvait la situation avantageuse, Tair excellent, Teau tres bonne, a construire une citadelle et un vaste port a Tle aux Vaisseaux pour mettre a Tabri tous les vaisseaux venant de France, et enfin a draguer le ruisseau de Manchac par ou coule le Mis-sissipi quand il est deborde et qui abregerait bien du chemin, en le creusant, pour ceux qui sont obliges de monter dans le haut du fleuve. Ces citations demontrent que La Tour ne tenait pas beaucoup a son plan de la Nouvelle-Orléans. Quand il ne put faire autrement, il executa simplement celui de son subordonne.

Pendant que La Tour sejournait tranquillement a Biloxi, ou allait operer des sondages autour de Tle aux Vaisseaux, le malheureux Pauger subissait a la Nouvelle-Orléans toutes les persecutions possibles. Les Biloxiens, n’osant plus trop s’en prendre a Bienville, s’acharnerent contre l’ingenieur, le denoncerent a Paris comme dilapidant les fonds de la Colonie, puis l’accuserent d’avoir concede a ses amis tous les bons emplacements de la ville. Les habitants de la cote commenccedil;aient a regretter d’avoir dedaigne trop longtemps les meilleurs terrains I

La Tour, apres la reception ae l’ordre de transferer la capitale, defendit tres energiquement son subordonne ; toutefois Pauger l’accuse avec beaucoup de vraisemblance de l’avoir auparavant fort desservi. Hubert reconnut lui-meme plus tard que l’cPauger meritait mieux la confiance de La Tour que sa disgrace.

Pauger, ancien capitaine du regiment de Navarre ’, etait

Le projet de La Tour indique ’’ 11 etait arrive dans la Colonie le ii oc-la maison de M. de Bienville, celle de tobre 1720. Sesctats de service se reduisent MM. les Directeurs, etc. Il est date du a : Nomme ingenieur le i" avril 1707, 23 avril 1722. � chevalier de Saint-Louis en 1720.1

I

4

- 89 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

evidemment un homme tres energique que la stricte legalite n’embarrassait p;is toujours , mais sa probite ne saurait etre mise en doute; neanmoins la Compagnie des Indes qui venait de constater melancoliquement qu’on ne peut, quant a present, considerer la Louisiane comme un objet de benefice dans son commerce ’, s’empressa de profiter de la denonciation de Rigby, un de ses Directeurs, pour protester le 14 ao�t 1721 contre les depenses engagees par Pauger : La Compagnie, ecrit-elle, est tres mecontente du compte que le sieur Pauger lui a rendu de la levee d’ouvriers qu’il a faite, afin que vous ne le chargiez d’aucune depense et que vous soyez reserve sur les avances qu’il pourra vous demander. Il est importun et ne menage aucunement les interets de la Compagnie; ainsi renfermez-le dans ses simples fonctions.

UImportun se trouvait donc deja fort mal vu dans les bureaux de la Compagnie, tout devoues aux-adversaires de la Nouvelle-Orléans, quand arriverent contre lui de nouvelles plaintes; Freboul ’ 1 accusait de favoritisme et De Lorme d’avoir quitte son poste sans autorisation du Conseil. Les Directeurs de la Compagnie accepterent ces denonciations les yeux fermes et delibererent meme s’il ne convenait pas de faire arreter Pauger! Le 29 octobre, ils ecrivent : L’autorite que nous sommes informes que le sieur Pauger a voulu prendre a la Nouvelle-Orléans et la mauvaise humeur qu’il a fait paratre lorsqu’on s’y est oppose avec justice, exigent que nous ayons a.son sujet une explication avec vous. Nous ne doutons point que vous sachiez qu’il ne peut etre dispose de rien qui appar-

l’’) Le 8 mai 1720, le Conseil de la Indes pour les enroler comme ouvriers

Marine avait du prendre un arrete pour en Louisiane.

lui ordonner de remettre en liberte quatre ’ Ministere des Colonies, C 15, P12.

matelots classes qu’il avait debauches ’ Pauger accusait Freboul et son

sur un navire de la Compagnie des commis Duval de malversations.

- 90 -

!i

PLAN DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

l

i

tienne a la Compagnie sans un ordre du Directeur auquel elle a donne pouvoir; ainsi le sieur Pauger etait tres mal fonde de vouloir, de son chef, distribuer des terres a la Nouvelle-Orléans et y ordonner des depenses... Nous sommes surpris que cet ingenieur ait pris sur lui d’abandonner les travaux de la Nouvelle-Orléans sous le seul pretexte qu’il n’etait as obei. Cette conduite fait mal juger de son esprit et donne icu de croire que la subordination est extremement relachee dans la Colonie, parce que cet officier devait etre arrete au Biloxi pour avoir quitte son poste sans ordre et sans autorite... Nous voulons bien, pour cette fois, ne point agir contre le sieur Pauger ’.

L’ingenieur repondit simplement en envoyant a Paris la

lettre par laquelle La Tour l’avait convoque a Biloxi, avec une 1

copie de la deliberation du Conseil de la Colonie ratifiant les ’

concessions proposees. j ;

Les habitants de la Nouvelle-Orléans, malheureusement, ne comprenaient pas non plus que leur interet, devant tant d’ennemis acharnes et puissants, consistait a s’unir avec leur ardent defenseur, et se mirent a leur tour a critiquer son plan; Dubuis-son, pour sa part, refusa net de s’y conformer : Cet habitant, reconnut La Tour l’annee suivante, voulait batir comme bon lui semblait, sans regularite et sans plan, sur les quais de la ville... Il voulait elever un vrai colifichet dans l’axe de l’avenue de l’habitation de M. de Bienville.

Ensuite M" Bonnaud, femme du secretaire de Diron et bcUe-s�ur de Dubuisson, furieuse de voir une rue ecorner son terrain, aurait saute sur Pauger, si Pailloux ne l’en avait empechee. Elle m’aurait meme, raconte l’ingenieur, porte la main a la figure si je ne l’eusse pas paree. Le Demon est souvent dans la

gt; Ministere des Colonies, C, i6, fol. 25.

91

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

malice des femmes! Elle me traita ensuite de coquin. Pauger, peu galamment, la qualifia de gueuse; bref, sans une nouvelle intervention de Pailloux, ringenieur se serait battu en duel avec Bonnaud.

Un an plus tard, quand ses plans eurent ete definitivement approuves, Pauger se montra intraitable pour les recalcitrants : l’l’Le nomme Traverse, habitant de la Nouvelle-Orléans, ecrit D’Artaguette dans son Journal, a la date du 6 septembre 1722, a ete mis aujourd’hui hors de prison. Voici la cause pour laquelle il y avait ete : cet homme avait bati une maison a la Nouvelle-Orléans qui n’etait pas dans Tenlignement des rues l’l’ayant batie avant que l’on se fut propose de plan); M. Pauger la fit abattre. Cet homme, n’etant pas fort aise, presenta une requete au Conseil pour le prier de le dedommager et lui donner les moyens d’en batir une autre. M. Pauger 1 envoya chercher et, apres l’avoir regale d’une volee de coups de baton, le fit mettre en prison, les fers aux pieds, d’ou cet homme est sorti aujourd’hui presque aveugle. Ajoutons que Diron d’Artaguette de-testait cordialement 1 ingenieur.

Le ij avril 1721, le Conseil de Regence decida d’etablir a la Nouvelle-Orléans un couvent de Capucins de la province de Champagne ; le 16 mai de l’annee suivante, une nouvelle ordonnance vint completer la premiere et prescrivit a la Compagnie l’l’de construire a la Nouvelle-Orléans une eglise paroissiale de grandeur convenable et une maison y joignant pour quatorze religieux, avec un terrain suffisant pour faire un jardin et une basse-cour. Les Peres Bruno de Langres, Eusebe de Vaudes, Christophe et PhiUbert, tous deux de Chaumont, furent designes pour aller rejoindre les trois Capucins deja installes en Louisiane.

La Compagnie devait fournir tous les ans a chaque religieux

- 92 -

4

PLAN DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

une barrique de vin de Bordeaux, deux quarts de farine’, un demi-quart de lard, autant de b�uf, une demi-ancre d’eau-de-vie, vingt-cinq livres de grosses feves, meme quantite de pois l’ et de fayots, huit livres de fromage de Hollande ou de Gruyere, dou2e livres d’huile d’olive, vingt-quatre livres de chandelle, une demi-livre de poivre, vingt-cinq livres de sel, vingt pots de vinaigre et les ustensiles de menage necessaires. Une decision du 19 octobre 1722 prescrivit au Superieur de resider toujours a la Nouvelle-Orléans et d’envoyer un aumonier pour desservir |ji le poste de La Balise. � y

il

En 1721, divers particuliers construisirent quelques baraques � J

dans la future capitale, mais les edifices publics se redui ’ ;�

saient toujours au magasin de la Compagnie, qu’on avait cependant un peu rallonge. Le 9 novembre 1721, sur les cent huit ouvriers libres entretenus dans la colonie par la Compagnie des Indes, il ne s’en trouvait d’ailleurs que quatre a la

disposition de Pauger : un serrurier, deux menuisiers et un

man�uvre.

Le Gac, devenu second conseiller, ecrit au mois de mars : ; }

lt;l’ Il y a a la Nouvelle-Orléans, autour de cent hommes de .

troupe l’?), le major de la Colonie nomme Monsieur Pailloux, avec les officiers subalternes, un commis principal, un garde-magasin et autres employes tant pour la distribution des vivres qie pour les marchandises. On y comptait trente-cinq a quarante maisons, tant a la Compagnie qu’aux habitants. Ils etaient

en tout deux cents a deux cent cinquante personnes. La po \

pulation civile et Ubre ne devait guere depasser une soixan \

taine d’habitants. Tous les concessionnaires, constatent Bien 1

ville et De Lorme le 25 avril 1721, sont en mouvement pour |

Le quart de eirine pesait pres Je loo kilos Tancre contenait environ 37 litres.

- 93 -

\

l’

f

V

4

0

l’ i

f

j :

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

se procurer des vivres, ou plutot ils ont tous demande un petit terrain de six arpents de face pour chaque concession aux environs de la Nouvelle-Orléans. Ils y ont fait passer une partie de leur monde et de leurs eficts pour Tensemencer et profiter de la recolte prochaine. L’impulsion etait enfin donnee, et le nombre des habitants ne tarda pas a augmenter; un recensement date du 24 novembre 1721 indique les chiflres suivants :

r

r t

/’

Soit un total de 470 habitants dont 277 Europeens. Sur la liste des domicilies figurent Bienville, gouverneur; Pailloux commandant; Bannez, major; de Gannerin, capitaine; Pauger, Descoublanc, de La Tour, Bassee, Coustillar, officiers; Ros-sard, notaire; Le Blanc et Sarazin, gardes-magasin; Bonna�d secretaire de Diron; Berard, chirurgien-major; Bonneau, capitaine du Neptune. On releve encore le commandant des negres, un l’l’appareilleur de maison, un tourneur, un tonnelier, un charpentier, deux menuisiers, deux armuriers, un taillandier, un forgeron, un bourrelier, un faiseur de tabac, un charre-

) Au mois dao�t 1721, la garnison comptait qnarante-neuf soldats.

- 94 -

u

PLAN DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

ticr, seize patrons de bateaux, un contrematre, des matelots, etc. Trente-six betes a cornes, neuf chevaux et zero porc completent le recensement.

En ajoutant a la population de la Nouvelle-Orléans celle de ses environs l’Bayou Saint-Jean, ancien et nouveau Colapissas, Gentilly, les Cannes-Br�lees, le Petit-Desert, le Detour-aux-Anglais et les Chaouachas), on trouve 684 Europeens l’293 habitants, 140 femmes, 96 enfants, ijj domestiques), 533 negres ou negresses, ji sauvages ou sauvagesses esclaves, 230betes a cornes et 34 chevaux.

Somme toute. Tannee 1721 fiit bonne pour la Nouvelle-Orléans : de poste militaire, de comptoir de vente et de simple lieu de campement pour les voyageurs, elle etait devenue, au mois de novembre, une petite bourgade, et le nombre de ses adversaires irreductibles commenccedil;ait a diminuer. Le magasin, dit V etat de la Louisiane au mois de juin IJ21, qui sert d’entrepot a la Nouvelle-Orléans au ruisseau de Saint-Jean, est indispensable. On ne .peut s’en priver qu’apres avoir fait nettoyer le misseau de Manchac. . . Cette operation est malheureusement tres difficile. Le pauvre comptoir, regarde pendant si longtemps comme absolument inutile, devenait un mal necessaire!

Le 5 septembre 1721, trois mois avant de choisir definitivement comme capitale le comptoir de la Nouvelle-Orléans, la Compagnie des Indes commenccedil;a par delimiter son quartier ’ : Le premier quartier sera celui de la Nouvelle-Orléans ou le Commandant general fera sa residence ordinaire; ce qui ne Tempechera pas de se porter ou il le jugera necessaire. Ce quartier comprendra tout ce qui est des deux cotes du fleuve

l’ Les autres quartiers etaient ceux de des Natchez, des Yazous, de la riviere Biloxi, de La Mobile, des Alibamons, Rouge, des Arkansas et des Illinois.

- 9 -

picture33

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Saint-Louis jusqu’au bord du lac Pontchartrain et du lac Maurepas du cote de TEst, et en remontant jusques et y compris les Tonicas, et, du cote de l’Ouest, jusqu’a la riviere Rouge. Le commis prive de la Compagnie sera etabli par le Conseil superieur juge du quartier de la Nouvelle-Orléans. Bienville avait a s’occuper tout particulierement des quartiers de la Nouvell-Orléans, des Natchcz, des Yazous et de la riviere Rouge.

picture34

picture35

CHAPITRE VI.

LA NOUVELLE-ORLeANS DEVIENT CAPITALE DE LA LOUISIANE.

ACCeLamp;ATION DES TRAVAUX. LE CYCLONE DU

12 SEPTEMBRE 1722. LA CHRONIQUE DE D’ARTAGUETTE.

PU

j E debut de 1722, annee memorable dans Thistoire de la Nouvelle-Orléans, fut marque par ranivec du Pere Charlevoix qui descendait le Mississipi apres avoir parcouru le Canada et visite les postes j de la Haute-Louisiane. io janvier 1722’’. � Me voici donc, dit-il, dans cette iameusc ville qu’on nomme la Nouvelle-Orléans. . . Les huit cents belles maisons et les cinq paroisses que lui donnait le Menwe ’’, il y a deux ans, se reduisent encore aujourd’hui a une centaine de baraques placees sans beaucoup d’ordre, a un grand magasin bati de bois, a deux ou trois maisons qui ne-pareraient pas un village en France et a la moitie d’un mechant magasin qu’on avait bien voulu preter au Seigneur, et dont il avi�t a peine pris

’�’ JoMrmil un voytiff fait par fordn dm RtiJani fAmerijMeJfi’ lettrt).

f’ Nous n’avoni pu retrouver cet ar-

ticle} Charlevoix doit confondre avec l’opiuculc du chevalier de Bonrepos ou quelque autre opuscule analogue.

�)’��

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

possession, qu’on voulait Tcn esdrc sortir pour le loger sous la tente.

Charlevoix ajoute : Ce lieu sauvage et desert, que les cannes et les arbres couvrent encore presque tout entier, sera un jour, et peut-etre ce jour ne sera pas eloigne, une ville opulente et la metropole d’une grande et riche colonie. La prophetie etait belle; toutefois ce passage, incontestablement ajoute apres coup, semble avoir ete inspire par la lecture de la Kelation du Vifyage des reUgeuses UrmUmfK

La lettre suivante l’32) parat moins retouchee : Je n’ai point trouve cette ville aussi bien placee qu’on me l’avait dit... L’idee la plus juste que vous puissiez vous esdre de la Nouvelle-Orléans est de vous figurer deux cents personnes qu’on a envoyees pour batir une ville, et qui sont campees au bord d’un grand fleuve ou elles n’ont songe qu’a se mettre a couvert des injures de l’air et attendent qu on leur ait dresse un plan et qu’elles aient bati des maisons. M. Pauger vient de me montrer un plan de sa fapn; il est fort beau et fort rulier, mais il ne sera pas aussi aise de l’executer qu’il l’a ete oe le tracer sur le papier. Suivent quelques critiques peu justifiees sur la position de la Nouvelle-Orléans, concordant assez mal avec la prophetie precitee.

Le Pere Charlevoix comptait retourner au Canada par la voie du Mississipi, mais il dut renoncer a son projet devant l’hostilite des tribus sauvage, etant donne qu’en remontant, il faut longer les bords. Apres un court voyage a Biloxi, Charlevoix revint s’embarquer a la Nouvelle-Orléans sur un navire qui fit naufrage sur les cotes de la Floride.

Le 4 janvier, le Conseil de la Colonie decida d’envoyer a la Nouvelle-Orléans la fl�te Vydour, chargee de nombreuses mar-

J Voir p. 121.

- 98 -

LA NOUVELLEORLEANS CAPITALE.

chandiscs; les Directeurs reconnaissaient enfin que ce poste devait toujours etre bien muni, par rapport aux concessions et aux postes d’en haut. Malheureusement, la cargaison se volatilisa des son arrivee d’une faccedil;on tout a fait mysterieuse; plus tard, l’ordonnateur La Chaise rendit responsable De Lorme de la disparition des marchandises, et le fit revoquer. Au mois d’avril, Marlot etait commis principal, Drillan, sous-garde-magasin. Le Blanc, garde-magasin des vivres, et Brossard, employe.

Bienville continuait toujours inlassablement a proner l’utilite de la Nouvelle-Orléans ; il ecrit de ce poste au mois de mars que tous les vaisseaux de troisieme rang peuvent entrer facilement dans le fleuve, et se plaint amerement que La Tour ne veut s’occuper que des travaux des ancienspoffesi. Le Pere de la Louisiane � et de la Nouvelle-Orléans � ne se doutait pas, en redigeant ce courrier, que ses efforts opiniatres venaient enfin d’etre couronnes de succes.

Oblige, comme nous l’avons dit, de renoncer a tout espoir de conserver Pensacola, le Conseil de ht Compagnie des Indes s’etait en efict decide a signer, le 23 decembre 1721, l’ordre d’edifier un fort et un magasin a la Balise, et de transporter la Direction generale a la Nouvelle-Orléans’ Les instructions detaillees envoyees en meme temps par les Directeurs pour la construction d’un grand entrepot a 1 entree du fleuve indiquent qu’ils adopterent les conclusions du rapport que Serigny avait redige, le 19 octobre precedccedil;nt, a son retour d’une mission en Louisiane dont l’avait charge la Compagnie.

Le frere de Bienville declarait de La Rochelle que le port de la Louisiane devait se trouver sur le Mississipi. Seulement, comme il n’avait jamais pu trouver plus de onze pieds d’eau

l’’) Extrait d’un repertoire. ColonUs, C’a, ii, fol. 366.

- 99 ’J

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

dans la passe et que le dragage du chenal lui paraissait impossible l’l’par suite de la quantite de troncs d’arbres devenus tres durs qui s’y trouvaient, il proposait de construire un grand entrepot a la Balise. l’l’La Compagnie, disait-il, pourrait avoir deux ou trois bateaux qui ne tirassent que dix piecls d’eau, lesquels resteraient toujours dans le fleuve et prendraient leurs charges, soit dans les vaisseaux arrives, ou dans le magasin d’entrepot, pour les transporter a la Nouvelle-Orléans.

On voit donc que si la Nouvelle-Orléans devenait la capitale de la Louisiane, elle n’etait pas encore reconnue en France susceptible de devenir le port de la Colonie!

La decision de la Compagnie, apportee par lHApenfuritrj parvint a Biloxi le 26 mai 1722. Comme 1 ordre cle transferer le siege du Gouvernement etait formel, Bienville ne rencontra plus de resistance, et la Nouvelle-Orléans compta du jour au lendemain autant de chaleureux partisans qu’elle avait connu jusque-la d’ennemis acharnes. Le Blond de La Tour qui, tout en evitant de prendre trop ouvertement part a la querelle qui divisait la Colonie, cherchait par tous les moyens a faire echouer le projet de Bienville et de Pauger, s’empressa de changer d’avis retn-

tWCffiCHt

Ses depeches jusqu’au mois d’avril ne parlant que du grand hopital de Biloxi et surtout du port et clu fort a construire a l’le aux Vaisseaux, il parat absolument certain que sa volumineuse correspondance datee du 28 avril, et leme celle du 23, furent ecrites apres l’arrivee de Y Aventurier. Seulement, le prudent ingenieur prit l’utile precaution d’antidater ses lettres d’un mois, pour se couvrir en cas de besoin.

l’l’Je vois, dit-il, avec plaisir le changement que Son Altesse

’) M. de La Tour, ecrit pourtant Duvcrgicr le 21 ao�t 1721, est a la tcte des concessionnaires mecontents.

� 100 �

LA NOUVELLE-ORLeANS CAPITALE.

Royale a fait de transferer la direction du Conseil a la Nouvelle-Orléans. Et il s’empresse d’ajou.ter.que, sans l’opposition irreductible de Le Gac l’rappele en mjifs ijiil), il aurait, des son

arrivee� fait entrer tous les vaisseaux daijK’lc fleuve : On aurait

� �

considerablement epargne a la Compagniiyle. monde ne serait pas peri de misere, et 1 on aurait a present duitemin defriche.

Hubert, l’ennemi acharne de la Nouvelleorlelans, reccedil;ut l’ordre de rentrer en France. Des son arrivee a Pariyxvec un aplomb merveilleux, il presenta au mois d’avril 1723 \in\Mempire sur la Louisiane dans lequel il juge le transfert de la captiLccedil; une mesure excellente. .. On a tres mal fait de debarqtifeV.-" les marchandises a Biloxi ou elles se sont consommees inutilement ... Ces differents changements ont empeche les colons de prendre racine a aucun endroit. . . Ces changements pernicieux au bien et a l’avancement de la Colonie ont trop longtemps tenu les habitants dans l’inaction si fatale a cette Colonie . .. Voila ce que produisent les gens faux et appuyes : ils prevalent sur les vrais amis de la probite. Le sieur Pauger meriterait mieux la confiance de M. de la Tour que sa disgrace ...

La Tour, tres habilement, menagea une transition a sa correspondance antidatee; le 23 avril, il ecrit : A l’egard de l’emplacement de la Nouvelle-Orléans, quoiqu’il se trouve bas, il me parat qu’on ne saurait mettre cette ville ailleurs par rapport a la proximite des lacs qui est une grande commodite pour ceux qui voyagent dans des bateaux ou pirogues qui arrivent par une petite lieue, et que, si on l’avait placee autre part, on serait force de venir par mer. Le commerce ne serait pas si grand parce qu’il faudrait des chaloupes qu’ils n’ont pas, et les voyages seraient plus longs et leur co�teraient beaucoup plus. De meme pour ceux du haut fleuve qui viennent ici. . � Il suffirait, pour garantir la ville des debordements du fleuve, d’elever son terrain au-dessus des grandes eaux en faisant une bonne digue de terre

� ICI �

a

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

sur le devant de la ville, du .cote du fleuve; elle est deja commencee, mais elle n’est paf accedil;sez elevee, ni assez laige.. . Les navires oui entreraienj: daps le fleuve pourraient prendre en passant du sable et l’jrter ici, car les terres de la Nouvelle-Orléans sont si gjpasscs, que, des qu’il pleut, on y enfonce jus-u’aux genoux.gt;;ta Tour, adoptant completement les projets e Pauger;-ajoUtkit que deux jetees, faciles a etablir et construites a rcmpQuclrure du fleuve, le retreciraient suffisamment pour force-io-courant a debarrasser la passe de tous les obstacles qui l’cneDfnbraient.

"/VUne fois sa correspondance terminee, La Tour sortit de ses cartons les plans de la Nouvelle-Orléans, et chargea Pauger de rassembler immediatement le plus d’ouvriers possible. Ensuite il requisitionna Y Aventurier, monta a bord avec son ingenieur, puis ordonna, le lo juin, de mettre a la voile pour la nouvelle capitale sans s’inquieter des protestations du capitaine qui declarait que son navire ne parviendrait jamais a entrer dans le Mis-sissipi. Ses instructions, datees du 7 janvier, disaient pourtant : Apres avoir porte les paquets dont il est charge au Biloxi, il avertira qu’il a l’ordre d’aller decharger son navire a la Nouvelle-Orléans et de recevoir a bord ceux qui voudront passer .

L’entree sensationnelle sur laquelle comptait La Tour echoua, helas ! piteusement par suite de l’incapacite et de la mauvaise volonte du commandant Fouquet, auxquelles vint s’ajouter une facheuse succession de vents contraires, de calmes plats ou de tempetes, suivie d’un echouement a la Balise. Beranger se trouvait pourtant a bord et connaissait bien les passes, puisqu’il avait deja pilote plusieurs navires dans le Mississipi; seulement Beranger etait l’auteur d’un projet consistant a creer le port principal de la Colonie a l’ouest des les de la Chandeleur ou

) Colonies, B, 43, fol. 97. � Ce fut lui qui explora le littoral du Texas en 1720 et en 1721.

� 102 �

!

LA NOUVELLE-ORLEANS CAPITALE.

/

quarante gros navires, d’apres Duvergier, pouvaient s’abriter en tout temps, et de plus avait donne. Tannee precedente, sur les instances de Le Gac, au capitaine du Dromadaire un certificat declarant, parat-il, qu’il serait plus facile a un elephant de

igt;asser par le trou d’une aiguille qu’au Dromadaire de remonter e Mississipi)). Pour etre impartial, ajoutons que Beranger renia cet etrange pronostic’ qui n’empecha pas, plus tard, le Dromadaire, malgre son tirant a eau de onze pieds et neuf pouces, de franchir a pleines voiles et a mer basse, la passe du Mississipi. UAventurier fut moins heureux 5 il dut etre decharge en partie a la BaUse, et finalement mit pres d’un mois pour atteindre la Nouvelle-Orléans. Un an plus tot, une telle suite de malchances exploitees habilement par les Mobiliens aurait certainement encore retarde de plusieurs annees le choix de l’emplacement de la Nouvelle-Orléans. Les ingenieurs finirent

par atteindre la capitale le 7 juillet ils profiterent des loisirs de

leur echouement pour executer un sondage precis de la passe \

et trouverent une profondeur de quatorze pieds, et un seuil vaseux, inofFensif pour les quilles des navires.

A mesure que l’avenir de la Nouvelle-Orléans se dessinait favorablement, les bouches du Mississipi s’approfondissaient graduellement et, en quatre ans, passaient de dix a quatorze :’

pieds’J. Fait encore plus singulier, le fond de roches se transformait en vase, et de tres habiles observateurs finirent meme

par s’apercevoir que la maree se faisant encore sentir a la Balise, .

on pourrait en profiter I Plus tard, Duvergier ecrivit bien : On 5

a toujours cache a la Compagnie qu’il y avait toujours au

’) Comme, dit-il, les paavres sont l’) Pourtant, en 1721, lors de ses pre-

toujours les victimes des grands et qail miers sondages. Paumer n’avait trouve

leur �iut des manteaux pour se decharger qu’une profondeur d eau de dix pieds

des �iutes qu’ils ont commises, l’on m’a et demi} mais, a sa seconde visite, il

charge en disant que j’avais donne ce s’empressa de rectifier cette erreur invo-

certificat. lontaire.

- 103 -

FONDATION DE La NOUVELLE-ORLEANS.

moins treize pieds d’eau, mais ne vaut-il pas mieux penser que le bienveillant Meschaccbe creusa lui-meme son lit, et le tapissa de limon, pour faciliter retablissement de nos compatriotes sur ses bords?

En remontant le fleuve, ecrit La Tour, j’ai examine Us endroits lesplm propices pour placer la Nouvelle-Orléans, mais je n’en ai pas trouve de meilleur que l’endroit ou elle est, car le terrain est plus eleve, a cause d’une petite riviere qui tombe dans le lac Pontchartrain.

Le sort de la Nouvelle-Orléans se trouvait ainsi definitivement assure; mais on voit que, jusqu’a son arrivee, La Tour, malgre son plan, ne semblait pas tres bien fixe. Par suite de la difficulte pour les navires de doubler le Detour-aux-Anglais, cet endroit comptait un certain nombre de partisans. Des qu’on connut bien les passes, l’entree du Mississipi ne presenta plus de difficultes; seulement, quand le courant etait rapide et les vents contraires, les navires mettaient parfois un mois pour remonter le fleuve, et il fallait sans cesse executer des man�uvres fort penibles.

L’amour de la reglementation, si funeste a toutes nos colonies, avait pousse les Directeurs de la Compagnie des Indes a determiner dans leurs bureaux de Paris le nombre d’ouvriers de chaque metier susceptibles d’etre employes a la Nouvelle-Orléans! Le 19 mai, elle accorda genereusement aux ingenieurs six charpentiers, douze menuisiers, sept serruriers, trois taillandiers, deux marechaux, deux cloutiers, cinq briquetiers, neuf maccedil;ons, un tonnelier, un charron, un scieur de long, un armurier, deux brasseurs, deux jardiniers, un boulanger, deux laboureurs et huit man�uvres.

U iaut reconnatre que La Tour ne s’embarrassa point de ces prescriptions minutieuses et chercha, des son arrivee, a rattra-

� 104 �

ACCELERATION DES TRAVAUX.

pcr le temps perdu. Pauger avait amene de Biloxi trente-huit ouvriers, il en embaucha sur place soixante-trois autres. Malheureusement, au mois d’ao�t, le nombre des travailleurs se trouvait reduit a soixante-dix et, au commencement de septembre, il en restait tout juste cinquante-deux. Les-ouvriers trouvaient non seulement le travail trop penible, mais encore se plaignaient de la cherte des vivres. Pour remedier a cet inconvenient, La Tour appliqua rigoureusement un arrete du Conseil du 17 juillet precedent qui interdisait, sous peine de deux cents livres d’amende, de vendre a la Nouvelle-Orléans la livre de b�uf franccedil;ais plus de vin sols$ le b�uf sauvage etait estime dix sols, le quartier de chevreuil deux livres, le chapon quarante sols, le petit poulet vingt et la douzaine d’�ufs cinquante sols. La Tour ramena egalement de vingt-cinq a cinq sols le prix de la livre de feves, vu qu’elle ne co�tait au marchand que dix-huit deniers. Ces louables efforts n’obtinrent, helas! qu un tres mediocre succes et, le 9 septembre, La Tour se lamente de la penurie d’ouvriers. A ce train, ecrit-il, il faudra dix-huit mois pour achever les constructions.

Ce retard dans les travaux fut d’ailleurs fort heureux, puisqu’un veritable cyclone ’ s’abattit sur la ville dans la soiree du II septembre. Le vent ft rage pendant quinze heures et demolit les baraquements qui servaient d’eglise et de presb3rtercj a l’hopital, quelques malades furent meme blesses.

La grele se mettant d’une telle maniere Qu’elle fit craindre a tous en ce triste moment Que Ton allait avoir le dernier jugement! Et meme les oiseaux tombaient sur le rivage

) Diron le compare a Touragan qui Montigny, UetaUifitmeut Je la frw’ma ie devasta rilc Massacre en 1715. la Lankiane, V)ir le Journal des Amema-

’) Poeme manuscrit de Dumont de nUhs, 1914, p. 47.

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Le bayou Saint-Jean monta de trois pieds, le Mississipi de pres de huit, et on eut juste le temps de sauver les poudres en les transportant dans le colombier que M. le Commandant avait fait construire pour se donner quelques douceurs.

La Tour ne se desespera pas autrement de ce desastre, qui semble avoir ete tant soit peu exagere : Tous ces batiments, dit-il, etaient anciens et provisionnellement faits, pas un seul dans les alignements de la nouvelle ville, et il fallait les demolir. Aussi il n’y aurait pas eu grand mal, si nous avions eu des batiments de faits pour mettre a couvert tout le monde. Ne croirait-on pas entendre parler un ingenieur americain de Chicago ou de San Francisco apres rincendie ou le tremblement de terre qui ravagerent ces deux villes ?

Les degats causes par Touragan � trente-quatre baraques demolies, selon D’Artaguette � furent d’ailleurs assez vite repares, et comme le salaire de la plupart des ouvriers depassait rarement huit sols et six deniers par jour, il n’en co�ta a la Compagnie que la bagatelle de 482 livres, plus 266 livres 10 sols de fournitures.

Tout d’abord, La Tour commenccedil;a par employer soixante hommes a reparer le batiment qu’il se destinait avant meme, s’indigna Pauger, que Dieu soit a couvert et les malades loges. Il s’ensuivit une altercation entre les deux ingenieurs, que Bien-ville termina a sa faccedil;on, en reclamant pour son usage la maison convoitee. Le magasin, ecrit Diron le 20 octobre, que M. de La Tour faisait retablir pour se faire une maison ne lui servira point pour cet usage, M. de Bienville s’y etant oppose avec hauteur. Il est entierement brouille avec M. de La Tour pour ce fait et quelques autres jalousies. Le bois a ete destine pour batir la Direction.

Si les ingenieurs se consolerent facilement de la destruction des baraques, l’ouragan eut neanmoins quelques consequences

� 106 �

LE CYCLONE DU 12 OCTOBRE 1722.

desastreuses. Toute la flottille de la capitale se trouva mise hors de service : le Santo-ChriSt et le Neptune, navires portant chacun douze canons, allerent s’echouer; le traversier VAbeiUe, arrive au mois d’ao�t 1721, et le Cher furent engloutis dans le Mississipi. Plus heureux, V Aventurier, qui avait leve lancre quelques heures avant le commencement du cyclone, n’eut besoin que de legeres reparations pour pouvoir continuer son voyage. Ce navire ramenait en France Hubert, dont le rappel se trouva coincider avec l’essor definitif du poste qu’il avait tellement calomnie.

De nombreux bateaux plats, notamment le PoffiUon, appartenant au sieur Dumanoir, et quantite de pirogues chargees de grains, voire meme de poules, coulerent avec leurs marchandises ; ensuite, un mois de pluies torrentielles detruisit les dernieres recoltes et acheva aaflEamer la cite naissante. On vit, l’annee suivante, payer un �uf seize sols, une poignee de feves ou de pois un ecu, un morceau de b�uf boucane vingt-cinq livres.

A peine les ravages du cyclone se trouverent-ils repares, que, sans perdre de temps, le Conseil enjoignit le 19 octobre a tous les habitants d’avoir a palissader leurs terrains avant deux mois, sinon qu’ils seraient dechus de leurs proprietes. DeLormevint s’installer a la Nouvelle-Orléans dans les premiers jours du mois de novembre.

Du i’’ juillet au 31 decembre 1722, les ingenieurs depenserent la somme de 20,1 j2 livres 10 sols et 2 deniers. Si les depenses en Louisiane paraissent souvent injustifiees, on remarquera par contre combien la comptabilite officielle etait minutieuse ! 1,143 livres furent employees pour la maison du directeur, 544 a l’hopital, 933 pour les quatre corps de caserne couverts en ecorcc, etc.’

) aioHUs,C’’sL, 7, fol. 178.

� 107 14.

c

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Terminons le chapitre des travaux executes en 1722 a la Nouvelle-Orléans par le recit de sa fondation, tire de la tres interessante Keiation de Voyage en houisiane du sous-ingenieur Franquet de Chaville :

l’l’L’ordre, dit-il, enfin venu d’abandonner tout ce que nous avions fait, il fut question de se rendre au lieu et place convenable a batir cette ville nommee la Nouvelle-Orléans. Il fallut commencer par lui donner de lair en defrichant et en faisant des abatis de bois qui etaient epais comme les cheveux. Nous n’y perdmes point de temps, nous etant exposes a Tardeur du soleil et aux attaques des insectes, depuis la pointe du jour jusqu’au soir. On eclaircit, en moins de trois mois, un grand quart de lieue de foret en carre. En suite de quoi, pour donner une forme a cette ville, on engagea les habitants a construire les maisons sur les emplacements que nous leur marquions. Un chacun s’empressait a l’envi d’avoir plus tot fait la sienne; de maniere qu’en tres peu de temps tout le monde se trouva loge, et les marchandises de la Compagnie furent a couvert dans deux beaux magasins dont la charpente de l’un fut apportee de Biloxy.

. l’l’La distribution du plan en est assez belle. Les rues y sont parfaitement bien alignees et de largeur comml’xie. Dans le milieu de la ville qui fait face a la place se trouvent tous les besoins publics, dans le fond est l’eglise, d’un cote la maison des directeurs, de l’autre les magasins. L’architecture de tous les batiments est sur le meme modele, tres simple. Ils n’ont qu’im rez-de-chaussee eleve d’un pied de terre, portant sur des blocs bien assembles et couverts l’l’ecorces ou cfe bardeaux l’planches) ’.

l’) Journal Je la Societe des Americanises furent bientot construites en cokmiage,

l’i’ serie), t. IV, p. 132. c’est-a-dire au moyen de pieces de char-

l’’) Les maisons de la Nouyelle-Orléans, pente dont les interstices etaient garnis

du moins celles qui meritaient ce nom, de briques ou de mortier.

- 108 -

LA CHRONIQUE DE D’ARTAGUETTE.

Chaque quartier ou le est divise en cinq parties pour que chaque particulier-puisse se loger commodement et avoir une cour et un jardin. Cette ville a ete fondee par la Compagnie des Indes en 1722 ...

A peine sortie de terre, la nouvelle capitale posseda son gazetier : a partir du i’ septembre 1722, Diron d’Artaguette tint un Journal �oixjpcndLtit tout son sejour a la Nouvelle-Orléans, il mentionna jour par jour les moindres feits divers.

Le soir du 14 septembre, Bienville, apprenant que plusieurs soldats complotaient de fuir en canots et d’aller s’emparer a la Balise du traversier du pilote Kerlasiou, fit battre patrouille tout la nuit.

Le 19, on donna la question a deux voleurs qui furent pendus cinq jours plus tard. Cette double execution eut des suites tout a fait inattendues.

19 octobre. � Les nommes Marlot et Le Boutteux, celui-la garde-magasin de la Compagnie et celui-ci ci-devant garde-magasin de la concession de M. Law, sont, a ce que Ton dit, tourmentes toutes les nuits par des esprits qui leur apparaissent, les maltraitent et font du bruit chez eux. Le vulgaire croit que ce sont les esprits de ces deux hommes qui ont ete pendus le mois dernier, parce que Marlot faisait fonction de procureur du Roi et Le Boutteux les accusait. Il est plus croyaole que c’est quelqu’un de leurs ennemis, car ces Messieurs les Conmiis s’en font plus qu’ils ne devraient.

Le 18 octobre, la jeune metropole fut, pour la premiere fois, traitee en capitale; la Loire et les Deux-Frem saluerent la ville � si, ajoute prudemment Diron, elle peut etre nommee de ce nom � d’une salve de seize coups de canon. La Nouvelle-

) Colonies, C’c, i , fol. 190.

� 109 �

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Orléans ne s’attendait sans doute pas a tant d’honneur, et ne put repondre que par un seul coup de poudre.

Le 29 octobre, du Tisne, sa femme et le Pere Boulanger arriverent du Canada.

Le 16 novembre, M. de Pontual, ecrivain des Deux-Frms, tua en duel d’un coup d’epee Laborde, ecrivain du Dromadaire.

22 novembre. � Nous avons appris, ecrit Diron, que c’est une misere pour avoir quelque chose des magasins. Beaucoup d’honnetes gens ne peuvent avoir rien, pas meme de Teau-dc-vie ou du vin. Il n’y a que les amis qui en ont, quoiqu’on en trouve bien pour de simples particuUers, comme est par exemple Rossard, notaire, qui donnait ces jours-ci un repas ou il fut bu une barrique de vin et du meilleur.

A cette epoque, l’etat sanitaire de la Nouvelle-Orléans etait deplorable : on comptait quatre-vingt-dix malades; Bienvillc, qui venait d’etre fort soufirant, commenccedil;ait a se retablir.

Le 26, on donne la calle a un ouvrier et a un matelot qui avaient insulte Drillan, commis a la distribution.

Le } decembre, Y Alexandre arriva a la Nouvelle-Orléans et le 10, mourut Guilhet, un des directeurs de la Compagnie.

L’arrivee presque simultanee du Dromadaire de la Loire et des Deux-Freres, loin de favoriser le developpement de la capitale, faillit au contraire la depeupler. Tant de gens pretendirent avoir des affaires urgentes a rler en France, que Bienville jugea prudent de decider qu’il n accorderait de passage a qui que ce soit.

La desertion sous toutes ses formes etait alors, avec la disette le plus grand fleau de la Colonie; l’aide de camp de Bienville donna rexemple en passant a l’Ouest apres avoir friponne quelques billets. A force de denigrer systematiquement la

) Chatiment qui consistait a laisser tomber plusieurs fois dans l’eau le coupable entrave et atuche a une corde.

� IIO �

LA CHRONIQUE DE D’ARTAGUETTE.

Nouvelle-Orléans, on etait parvenu a en faire un veritable epouvantail : plutot que de s y rendre, la Compagnie d’ouvriers suisses commandee par Brandt, embarquee a Biloxi au mois de juillet 1722 a destination de la capitale, chefs en tete, contraignit le capitaine de V Elisabeth a faire voile pour La Havane. Il n’en resta en Louisiane que deux officiers, un sergent et quelques femmes dont les autres avaient emporte les hardes. Les Suisses, ecrivait Bienville, le 21 ao�t 1721, se trouvant reduits a manger des feves et de la viande salee, croient que la Compagnie est ruinee et qu’ils vont mourir de faim.

A La Mobile, trois soldats et douze matelots, montes dans un canot, venaient de debarquer M. d’Harcourt, leur officier, et de passer a Pensacokj la garnison de la Nouvelle-Orléans’, nourrie de pain sec, ne cherchait qu’a en faire autant. L’annee suivante, un navire sur lequel s etait embarque l’ingenieur Boispinel pour se rendre a La Mobile leva l’ancre pendant qu’il entendait la messe a la Balise, et partit avec ses bagages pour la Caroline.

Au mois de janvier 1724, la garnison de la Balise s’enfuit a son tour a La Havane; Pauger, sans l’excuser, constate qu’elle mourait de faim et qu’elle renvoya le navire avec toute sa cargaison apres avoir dresse un etat detaille des vivres qu’elle avait d� consommer!

L’histoire du developpement progressif de la Nouvelle-Orléans sortirait du cadre de cette etude. Disons simplement que le grand magasin fut termine en 1723 et le pavillon des officiers au mois d’avril 1724. Ce batiment servit pendant plus d’un an d’eglise provisoire 5 pour l’orner, Pauger demanda l’envoi

l’) Brandt, de sergent-major promu ’ Il ne faut pas oublier que la plupart

second capitaine, remplaccedil;ait Mcrveil- des soldats etaient des gens de force leux-Vonwunderlick. ou d’anciens deserteurs.

� II I �

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

d’un tabernacle, d’un Christ de cinc| pieds et demi de haut et de deux statues de marbre representant la Vierge et Saint-Louis.

Voici le total des depenses executees dans la capitale du i"’ janvier 1723 au i" mai 1724 :

Salaires des ouvriers 23,868 1. 11 s. 3 d.

Materiaux. 667 ij 2

Levee 591 8 6

16,927 ij II

En 1724, les travaux de Teglise et de la caserne furent commences et le couvent des Capucins presque termine. Enfin, Tannee suivante, le Pere Rapha�l fonda le premier coU de la Nouvelle-Orléans dont le besoin se faisait d’autant plus sentir qualors, suivant l’expression de l’evequc de Quebec, les c�urs etaient a la Nouvelle-Orléans mal disposes. La direction du college fut d’abord confiee a un ancien Capucin, le frere Saint-Julien, sorti pour une legerete de jeunesse, excellent homme d’ailleurs, fort savant en latin, mathematiques, musique et dessin, mais qui, par malheur, ecrivait fort mal.

picture36

picture37

;|

picture38

CHAPITRE ViI.

LE VIEUX CARRe ET LES PREMIERS INGeNIEURS DE LA NOtJVELLE-ORLEANS.

A Nouvelle-Orléans du xviii’ siecle, appelee encore aujourd’hui le Vifux Cl’atre, bien qu en realite sa fonne f�t rectanguaire, s’etendait sur une longueur de six cent vingt toises le long du Heuve, et de trois cent soixante dans l’autre sens. Tous les carres ou lots mesuraient cinquante toises de cote et se trouvaient entoures d’un fosse d’assainissement dont le croquis de Dumont de Montigny, reproduit page iij, montre l’amenagement. Theoriquement, les carres etaient divises, les uns en cinq, les autres en douze lots, mais nombre d’habitants en reunirent plusieurs en un seul.

Les rues de la capitale n’etaient point encore baptisees le i" janvier 1723, la carte dressee par La Tour a cette date’’ ne portant aucun nom. Le premier plan sur lequel ils apparaissent se trouve date du 25 avril suivant’’’. Apres la mort de La Tour,

’’’ MinUcire de U Guerre, 7 c, 17. � ’’ Artb. bydn., Bibl., 4044c, n 63.

- 113 ,,

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Paugcr completa la nomenclature, donna a une rue le nom de Saint-Adrien, son patron, et apporta diverses modifications dont presque aucune toutefois ne fut maintenue par son successeur Broutin.

Voici, en allant du Nord au Sud, la liste des anciennes rues du Vieux-Carre, dont plusieurs ont conserve leur appellation primitive. Les noms du plan de La Tour sont imprimes en capitales, ceux donnes par Paugcr en italique, enfin les denominations posterieures sont placees entre parentheses.

Kued’Anguin, pour Enghien l’Bienville); RUE BIENVILLE l’Conti); RUE SAINT.LOUIS5 RUE DE TOULOUSE; RUE SAINT-PIERRE; RUE D’ORLeANS ou Grande-Rue; RUE SAINTE-ANNE; RUE DUMAINE; RUE SAINT-PHILIPPE, de Ckrmont l’Saint-Philippe); RUE DE L’AR-SENAL, Saint-Adrien l’de l’Arsenal, Sainte-Ursule \ puis des Ursulines); Kue de V Arsenal l’de l’Hopital); l’Barracks); l’Esplanade).

Dans la direction perpendiculaire : RUE DU QUAI, Quai l’Old Levee); RUE DE CHARTRES’; RUE ROYALLT KayaUe-Bourbon l’Royale, Royal); RUE DE BOURBON, Conty l’Bourbon); Kue de Vendome l’Dauphine); l’Rue de Bourgogne, Burgundy); l’Rampart).

Les travaux de la Nouvelle-Orléans furent fatals a ses trois premiers ingenieurs. Boispinel ’’, qui vint au mois de janvier

lt;) Ce nom figure sur an plan conserve aux Archives nationales. l’Cohmes, Ca", 42, fol. 139.) Sur cette carte, plusieurs lots se trouvent reunis : lt; les deux lies ou vieux gouvernement barraient la rue de Chartres a la rue de Bien ville, et l’hopital des troupes et religieuses occupait un groupe de quatre carres situe

au sud de la rue Sainte-Ursule, entre la Levee et la rue Royale.

lt;J La Tour appelait rue Conty, et Paugcr, rue de Conde, la partie de cette rue se prolongeant au sud de la place d’Armes.

l’’) Boispinel avait ete nomme ingenieur le i’ avril 1715, chevalier de Saint-

- 114 -

LE VIEUX CAKKE.

1715 remplacer dans la capitale Pauger, charge des travaux de la Balise, deceda le 18 septembre 1725 La Tom mourut le 14 octobre suivant, au moment ou la Compagnie lui ecrivait de venir a Paris exposer la situation de la Louisiane; enfin

�muma,fit/-%- �l’fjtemi it

picture39

PUa d’un lot de la NonTelIe-Orleani. l’D’aprlt DamoDt de Moudgaj.)

Pauger succomba le 9 juin 1726. D’apres ce dernier, MM. de La Tour et de Boispinel ne moururent que de chagrin des morrificarions qu’on s’est applique a nous feire’’’. Toutefois le climat de la Nouvelle-Orléans etait alors des plus malsains et le personnel medical laissait, helas! grandement a desirer.

Louii, lieutenant, poii capitaine rtforme au regiment de Champagne en 1719. Il a ete, dit une note conserree au Minittire de la Guerre, enterre sous une mine, an liigc de Landau, et blce devant Fnbonrg. gt;

lt;gt; CtUnia, C’a, 8, fol. 8.

lt;’ lt;LeinedecinBerard,ecritBtenrilIe,

pour etre moins fripon que soh predecesseur, est tout aussi ignorant. Le Conseil, trouvant qu’un autre chirurgien , le sieur Prevost, � voulait se vendre an peu cher, y a mis bon ordre et il ne peut plus consommer aucun rcmtde sans une permission du commis principal. Les malades devaient parfois attendre!

"j

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Le sous-ingenicur Franquct de Chavillc, s apercevant a temps, suivant ses propres expressions, que les services rendus dans ce pays ne rendent pas le teint frais , s’empressa prudemment de quitter la Louisiane au printemps de 1724. La Compagnie venait d’ailleurs de reduire, a son grand mecontentement, ses appointements de cinq cents livres’’. Malgre cela, ecrit Pauger, le 3 janvier 1724, Chaville a termine le grand magasin... construit des batiments... acheve la grande levee decinq cents toises, de sorte que la Nouvelle-Orléans s’agrandit a vue d’oeil, et on ne peut plus douter qu’elle ne devienne une grande ville des plus considerables’’’. Remarquons que cette prophetie sur l’avenir de la Nouvelle-Orléans est anterieure de quatre ans a celle de Madeleine Hachard, dont nous nous occuperons plus loin.

A la liste necrologique des fondateurs de la Nouvelle-Orléans, il convient d’ajouter le nom de Kerlasiou, decede le 3 septembre 1723. Tres habile pilote, ce frit lui qui demontra pratiquement la possibilite de faire remonter le Mississipi par tous les navires.

Comme compensation a toutes les difficultes qu’il avait d� surmonter, et pour l’indemniser d’une somme de quatre mille livres avancee par lui pour divers travaux, Pauger demanda, le 22 mars 1722, la regularisation de la concession d’un terrain situe en face de la Nouvelle-Orléans. Bien qu’il e�t deja defriche dix arpents, construit une maison de plus de mille livres, une grange et quatre cabanes, Bienville, constate amerement

) Bienville ne Taimait pas : Il ne subsistance et dego�te du pays, vou-

sera pas de grand’chose, dit-il, il ne fait lut alors aussi rentrer en France,

que dessiner Chaville devint pourtant ) Colames, C’a, 8, fol. 13.

ingenieur en chef, puis directeur du ) Pauger possedait, sur son exploit

genie a La Rochelle. tation, onze negres, negrillons ou ne-

lt; L’excellent dessinateur Devin, fii gresses, un petit sauvage, quatre betes

rienx de se voir retrancher sa ration de a cornes et quatre porcs.

LE VIEUX CAKKE.

Paimcr, lui en contestait la possession par suite d’une concession en nranc-alleu qu’il avait obtenue le 6 mars 1720. Le gouverneur possede pourtant deja, ecrit-il, un peu au-dessous de la ville, la belle habitation de Bel-Air qu’il peut agrandir a sa guise 5 � et ailleurs : � Le sieur de Bienvifle est en possession de tant de concessions et possede une immensite de terrains si extraordinaire!)) Le fait est que Bienville, deja proprietaire de rle a la Corne et de diverses concessions, s’adjugea, d’apres les plans de l’epoque, une quantite fort considerable de terrains tout autour de la NouveUe-Orléans et deux lots dans la ville meme.

Le 29 mai 1724, le Conseil debouta definitivement de ses pretentions le vaillant ingenieur, malgre une possession de trois annees. D’apres une lettre d’Asfeld, l’des terrains qu’il avait defriches lui furent repris sans aucune indemnite)). Les plans posterieurs marquent sur cet emplacement les habitations des negres du Roi, Bicnville ne put donc s’en emparer.

La malveillance des membres du Conseil de la Colonie etait si grande a l’egard de Pauger, qu’il ne parvint a faire regulariser definitivement la concession du terrain sur lequel il avait construit sa maison de la Nouvelle-Orléans qu’au mois de septembre 172J !

Les tribulations de Pauger, dont la correspondance etait souvent interceptee’’, durerent jusqu’a sa mort; Boisbriant, commandant par interim pendant l’absence de Bienville, ecrit, le 4 octobre 172j, qu’il a d� faire mettre au corps de garde un petit habitant pour avoir tenu dans une conversation des discours injurieux contre M. de Pauger)). Ce colon s’appelait Baubaut; les membres du Conseil et le Pere Rapha�l, cure de

’ Tant de lettres se perdirent que, et de la destitution ou du carcan tous le 21 mai 1724, le Conseil de la Marine ceux qui intercepteraient des lettres en finit par menacer de 500 livres d’amende Louisiane.

- 117 -

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

la.NouvcUc-Orlcans, tous adversaires de Boisbriant et des oflB-cicrs, prirent le parti dccedil; Baubaut qui, d’apres eux, avait simplement ecrit a la Compagnie pour faire remarquer le grand rabais quil avait consenti dans une fourniture de bois de construction.

Devenu major-general et ingenieur en chef apres la mort de La Tour, Pauger reclama Tentree au Conseil de la colonie, comme son engagement lui en donnait le droit; neanmoins ses nombreux ennemis Tempecherent longtemps dy sieger, sauf pour les afEaires de son service, malgre les ordres de la Compagnie du 27 mai 1724.

Suivant d’Asfeld, le bmit courait a la Nouvcllc-Orléans, en 1726, que la Compagnie, par raison d’economie, allait le remplacer par Broutin, qui se contentait de plus mediocres appointements’’. Pauger, d’ailleurs, profondement ec�ure, ne demandait qu’a rentrer en France; le 6 novembre 1725, il ecrivait a son frere : ... Tout ici est en combustion ; chacun crie et fait a son ordinaire, et jamais le pays n’a ete plus sur le penchant de sa perte totale... Mon parti est pris : j’ai ete deux fois a l’extremite, et je repasse en France par le premier bateau.

Malheureusement, la mort le surprit avant qu’il ait pu mettre son projet a execution. Sentant sa fin prochaine, � il mourut quatre jours plus tard’, � Pauger redigea, le 5 juin 1726, un testament par lequel ... Apres avoir recommande son ame a tous les saints du Paradis, et parriculierement a saint Adrien, son patron, pour obtenir la remission de ses peches

L’ingenieur en chef touchait 8,000 ’ D’une fievre intermittente, ckvc-

livres, les ingenieurs 5,000, le sous nue fievre lente, d’apres le certificat

ingenieur 2,400, le dessinateur Devin redige par Prat ou Duprat, c medecin-

600. Peu de temps apres, les appointe botaniste et docteur de la Faculte de

ments des ingenieurs furent en cflFet Montpellier. Il etait arrive en Louisiane

considerablement reduits. en 1724.

� I

?nnM

picture40

rOMD. DE LA NOUVELLE-ORLEANS,

LE VIEUX CAKKE.

et afin de jouir de la beatitude eternelle, il donne son ame a Dieu et son corps a la terre, desirant dctre enterre dans Teglisc de la Nouvelle-Orléans, s’il est possible... Il veut et entend que dans ladite eglise il lui soit fait trois services solennels pour le repos de son ame et un anniversaire 5 qu’il soit aussi celebre trois cents messes basses, et que, tous les lundis de chaque semaine, il soit dit un De Profundis par le celebrant a la fin de la messe; pour quoi il ordonne qu’il soit paye, pour tout, la somme de millQ livres.

Pauger abandonnait son habitation de la pointe Saint-Antoine au sieur Dreux, faisait de nombreux legs a ses domestiques, donnait ses livres et instruments de mathematiques a Devin, son dictionnaire de Moreri a Prat, son medecin, ses livres de piete aux Capucins, enfin, sans rancune, son fiisil et ses pistolets a Bienville.

Si nous nous sonmies etendu un peu longuement sur Pauger, c’est qu’il fiit la cheville ouvriere de la fondation de la Nouvelle-Orléans. Si je n’avais pas, ecrivait-il le 23 septembre 1723, pris sur moi tout ce que l’on peut prendre pour surmonter tous les mauvais vouloirs, l’on en serait encore a envoyer les vaisseaux dans le fleuve, et le siege principal serait reste a Biloxi ou l’on ne pouvait se soutenir, comme ici, avec les vivres du pays.

Pauger pe se vante pas, et la capitale de la Louisiane lui doit autant de reconnaissance qu’a Bienville. D’apres le grand plan de Broutin, on peut tres facilement reperer l’emplacement exact de la maison ou il mourut \ et la Nouvelle-Orléans s’honorerait en placcedil;ant a cet endroit, ou dans la

) La maison de Panger, qui se trouve a proximite du quai, presque au milieu indiquee sur le plan de la Nouvelle- de l’lot compris entre les rues Saint-Louis Orléans, reproduit planche YV s’elevait et de Bienville l’actuellementConti).

- 119 -

picture41

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

cathedrale ou il fiit enseveli, une inscription commemorative en souvenir de celui qui contribua si energiquement a sa creation et mourut a la peine. Il existe dans la capitale une rue La Tour, il ny en a point du nom de Pauger; c’est une injustice a reparer.

picture42

picture43

picture44

CHAPITRE VIII.

QUELQUES CHIFFRES DE STATISTIQUE.

ENDANT plusieurs annees, le climat de la Nouvelle-Orléans semble avoir ete tres malsain, et diverses epidemies decimerent la population. Si Ton en croit D’Artagucttc, lorsquil redescendit des Illinois au mois de septembre 1723, il mourait dans la capitale huit a neuf personnes par )our, le soixantieme de SCS habitants’ I Nouvelle epidemie pendant l’ete de 172j : n n’y a pas eu deux personnes, ecrit le Pere Rapha�l, qui n’aient ete malades. Aussi la population de la Nouve�c-Orteans ne s’elevait encore, en 1727, qu’a 938 personnes l’729 matres, 6) engages, 127 negres et 17 sauvages esclaves), possedant 10 chevaux et 231 betes a cornes. La population des environs etait de 600 matres, 1,434 nes et j6 esclaves, le betail comptait 1,416 betes a cornes, 171 chevaux et 843 porcs.

Neaimioins les creoles etaient deja fiers de leur ville; Madc-

k Bilozi an millier de peraonnci. � 121 �

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

Icinc Hachard nous apprend qu’au debut de 1728, on chantait publiquement une chanson dans laquelle il y a que cette ville a autant d’apparence que la ville de Paris I Apres quelques prudentes restrictions, la bonne religieuse ajoute : l’l’Il est vrai qu’elle s’agrandit journellement et pourra devenir par la suite aussi belle et grande que les principales villes de France, s’il y vient des ouvriers, et qu’elle clevienne peuplee a proportion de sa grandeur. C’est incontestablement cette appreciation qui a donne au Pere Charleyoix, qui lisait et copiait beaucoup, 1 idee de sa celebre prophetie sur le brillant avenir de la Nouvelle-Orléans.

Pourtant, cinq ans plus tard, les agriculteurs s’etant un peu eloignes de la ville ’’, le nombre des habitants avait legerement diminue. Le recensement de 1732 n’en compte plus que 893, dont 626 Europeens l’229 hommes, 169 femmes, 183 enfants, 4j orphelins), 3 sauvages, 6 sauvagesses, 102 negres, 74 negresses, 76 negrillons ou negrettes et 3 mulatres.

En 1737, la population s’elevait a 1,748 ames, grace surtout a l’accroissement des negres, car le nombre des Europeens’ n’avait guere augmente que d’une centaine d’unites 5 mais, a partir de cette epoque, la population de la Nouvelle-Orléans commenccedil;a a s’accrotre regulierement et, en 17j6, elle comptait deja 4,000 habitants.

Le 19 mars 1788, un incendie terrible detruisit en cinq heures de temps 9J0 maisons sur 1,100. Toutefois cet accident

) Relation Ju voyage des Dames religieuses ’ Le nombre des cheyaux a augmente

Ursulines, Le traite conclu avec les Ursu de 4 unites, mais le betail a diminue de

lines pour l’etablissement a la Nouvelle 153 tetes.

Orléans de Marie Tranchepain de Saint ’ 759 Europeens l’220 hommes, 181

Augustin et de Mariane Le Boullanger femmes, 158 garccedil;ons et 200 filles),

Angelique, accompagnees de dix reli 963 negres l’374 hommes, 253 femmes,

gicuses, avait ete ratifie le 18 septembre 167 negrillons et 169 negrettes, 10 sau-

1726. vages et 16 sauvagesses.

picture45

QUELQUES CHIFFRES DE STATISTIQUE.

ne fiit guere qu’un incident pour la cite americaine, et retarda simplement son developpement pendant quelques annees.

Chicago, dont la construction du fort fut decidee par le Conseil de la Marine le 30 mars 1716, possede i million 800,000 habitants; mais, de toutes les villes qui meritaient deja ce nom a l’epoque ou les Franccedil;ais perdirent leurs possessions americaines, la Nouvelle-Orléans se trouve etre de beaucoup la plus peuplee : Montreal ne depasse pas actuellement 275,000 amcs et Quebec 70,000.

Un siecle apres sa fondation, la Cmant-City comptait pres de i6,ooo ames elles en possedait 100,000 en 1847, i8j,ooo en 1868 elle en denombrera 400,000 lors de son second centenaire, et l’ouverture du canal de Panama ne peut qu’accelerer encore son developpement et augmenter sa prosperite commerciale.

picture46

VCMI

picture47

TABLE DES GRAVURES.

PREFACE.

En-tete. Mascooh symbolisant l FESiTjjre de la Lovisiase. ...

Lettre omec. Paime

Cul-de-kmpc. Flamieaudb la Luekta

AVANT-PROPOS.

Eo-tete. Lbs deux L de Louu XIV et de la Louisiane entrelacees

Lettre ornee. Coucher de Soleil sut le Mississipi

CuI-de-Iampe. Movkttb

- I2J -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLeANS.

CHAPITRE PREMIER,

En-tctc. Guirlande de laubjbbs i

Lettre ornee. Fleurs d’oranger i

Carte de la Louisiane en 1722 7

Carte de l’embouchure du Mississipi 9

Cul-de-lampe. .Arrivee des colons. 16

CHAPITRE II.

En-tete. Phiuppe II d’Orléans, parrain de la Nouvelle-Orléans . 17

Lettre ornee. Fleurs de magnouas 17

Portrait de Jean-Baptiste Le Moyne de Bien ville l’planche I) 22

Premiere carte ou figure le nom de la Nouvelle-Orléans 30

Cul-de-lampe. Les armes de la Louisiane 38

CHAPITRE UI.

En-tete. Vue fantaisiste de la Nouvelle-Orléans en 1/20,

d’apres La Harpe 39

Lettre ornee. Cannes A sucre 39

La Nouvelle-Orléans en 1719, d’apres Dumont de Montigny 41

Cul-de-lampe. Armes de la Compagnie d’Occident 50

CHAPITRE IV.

En-tete. La Foue du Mississipi 51

Lettre ornee. Chene vert de la Louisianecouvert de uchens. ... ji

TABLE DES GRAVURES.

La Nouvelle-Orleins telle qu’on se la l’igunAt rac Quincampoiz

l’planche II) j4

Vue fimtMAste de la Nouvelle-Orléans l’planche HI) j6

Cul-dc-Urapc. Le Cajlsis de Manov 78

CHAPITRE V,

ED-tetc. Le Soleil de la NouvELLs-OiLeANS 79

Lettre ornee. Grappe de vigkb 79

La Nouvcllc-Orleaas en 1731, d’apres Dumont de Montigny 83

Cul-de-lampc. Calumet de paix 96

CHAPITRE VI.

En-tete. NAfHKE descendant le AAssissift 97

Lettre ornee. MaIs 97

Cul-dc-lampe. Alugatok m

CHAPITRE VJI.

En-tete. La Place d’aaues de la NouvELLE-OtLeANs 113

Lettre ornee. Lawems 113

Plaad’unHot de la Nouvelle-Orléans, d’apres Dumont de Montigny. 115

Plan de la Nouvelle-Orléans en 1725 l’planche IV) 118

Cul-de-lampc. Caducee iio

CHAPITRE VIII.

En-tete. Steam-bout changeant du cotoh m

I.�ttrc omcc. KiVAGE 121

- 127 -

FONDATION DE LA NOUVELLE-ORLEANS.

Plan de la Nouvelle-Orléans en 17j6 l’planche V) 122

Cul-de-lampe. L’Aigle des États-Unis 123

TABLE DES GRAVURES.

En-tcte. Paquebot sortant des bouches du AAssissipi 125

Cul-dc-lampe. Coquillage 128

TABLE.

En-tctc. United States 129

Cul-de-lampc. Ancbjs 130

picture48

picture49

TABLE.

PlgO.

PteFACE ’. VII

Avant-propos xm

CHAPITRE PREMIER. Le Pertff du Mipp i

CHAPITRE IL Baptcmc et fondation de la Nouvcllc-OrleaDS. 17

CHAPITRE m.

La crac du Mississipi de 1719. � Consequences de U prise de Pen-

sacoU. � L’annee 1710 39

CHAPITRE IV.

Le Bluff ac la Nouvelle-Orléans. � La veritable Manon. � Trans-ponecs et exiles. � La Princesse Charlotte. � Mademoiselle Baron ji

FONDATION DE LA NOUVELLEORLEANS.

CHAPITRE V. Adrien de Pauger trace le plan de la Nouvelle-Orléans 79

CHAPITRE VI.

La Nouvelle-Orléans devient capiule de la Louisiane. � Acceleration des travaux. � Le cyclone du 12 septembre 1722. � La Chronique de D’Aruguette 97

CHAPITRE VII. Le Vieux Carre ci les premiers ingenieurs de la Nouvelle-Orléans... 113

CHAPITRE VIII. Quelques chiffres de statistique 121

Table des gravures i2j

Q

19Ci|

picture50

STANFORD UNIVERSITi LIBRARY

AUG 18 1i2{t ’’W19 � U17

picture51

picture52

picture53

Notes

  1. Capuchin A Catholic friar.


Fall 2018:



Summer 2019:



Source

Cable, George Washington. "Posson Jone’" and Pere Rapha�l: With a New Word Setting Forth How and Why the Two Tales Are One. Illus. Stanley M. Arthurs. New York: Charles Scribner’s Sons, 1909. Google Books. Web. 27 Feb. 2012. lt;http://books. google.com/books?id=bzhLAAAAIAAJgt;.

Home Page
Lrsquo;Anthologie nbsp;Louisianaise