AVERTISSEMENT.

ON avoit prefqu'oublié depuis quarante ans ce Livre û curieux de Garcilajfo de la Vega. Peut-être avoit-il eu en fon temps le même fort que les autres ouvrages de cet hiftorien donnez en françois par le fameux traducteur, ou ( x ) metaphrafte Jean Baudouin. Mais s'il y avoit quelque raifon de ne pas faire une entière juftice à un écrivain célèbre, que Baudouin avoit pref-que rendu méconnoiffable en le traveftiiïant en nôtre langue ; On ne pou voit pas dire la même cho-fe à l'égard de YHifioire de la Conquête de la Floride: Le traducteur n'eft pas moins célèbre parmi nous, que l'auteur l'eft en Efpagne, ôc en Amérique.

Ulnca Garcilajfo de la Vega naquit vers le milieu du XVI. fiecle à Cufco (i) Ville Epifcopale de

( i ) C'efll'Epitbeteque M. Ménagea autrefois donné a Baudouin dans l'inge-nieufe ey toujours excellente Requête des Dictionnaires. Voici fes paroles. A Godeau le grand Paraphrase j A Baudouin le grand Metaphrafte. Et de vrai c'efl le caratle-re du bon homme Baudouin; comme il devoit travailler pour vivre , cr que d'ailleurs on lui payoit fes ouvrages a l'aune , il fallait qu il gagnât pays : cr rien

nefi plus propre pour ceU que la traduclion parapha-fée. Vne ver/Ion jufie , ex-atle , concife coûte du temps , C7* le temps ne lui et oit pas payé par fes Libraires. *4ufîi en a-t'il fait de toutes fortes. Sous en dirons encore un mot ci - def-fous.

( 2 ) Cufco étoit autrefois la Capitale du Pérou , rçr la demeure des Incas , qui y avoient un Palais , ey une Fortereffe. C'efl encore aujourd'hui une Villi belle & bien bâtie.

AVERTISSEMENT. V Amérique méridionale, dans le Pérou. Son Père Gentil-homme Efpagnol époufa une Dame du pays, qui étoit de la Maifon des Incas anciens Rois du Pérou. Cela fut caufe,à ce que je penfe, que Garcilaffo eut quelque chofe du caractère des deux Nations. Sa grandeur d'ame étoit un des biens que Ton Père lui avoit laifle, & il tiroit de fa Mère beaucoup de candeur & un amour ex-traordinaire pour la Patrie, & fes compatriotes. Il voulut même prendre le nom d'Inca, fi glorieux pour lui, & qui lui remettoit toujours fon origine devant les yeux. Il fortit du Pérou , & vint en Efpagne en 1.560. C'eft là qu'il travailla aux ouvrages que nous avons de lui. Tout équitable qu'il eft dans les hiftoires (3) qu'il nous a donné, il ne laiGTe pas de faire quelquefois fes ex-eufesfur le zèle qu'il témoigne pour les Péruviens & les autres Américains. Mais il a foin de nous avertir auiTï que fon attachement à {es compatriotes ne l'engage dans aucun deguifement à leur égard. Plus louable, fi cela eft, que les écrivains des autres Nations, qui n'ont pu, & quinepour-

( 3 ) On avoue que les dulamttiere ; c'eft ce que hifioim de GarciUffo de la je n'ofe trop certifier. Gar-Vega font excellentes , que cilaffo ne le prétend pas j nous n'avons rien de mùl mais combien fe trouve-leur fur le Pérou , ep> que roient-ils de gens en état de nous n'avons rien d'aufli le contredire ? ^tprés tout, bon fur les autres parties du hiffoire pour hiftoire , je monde ancien on nouveau, trouvé la (renne revêtue D'affurer que pour faire d'autant de (ignés de vérité paroitre fa mtinn avec que toutes celles qu'on cite éclat fur le théâtre du mon tous les jours comme indu-de , // n'ait pas an peu éten bitables.

AVERTISSEMENT, ront pas même vraifemblablement s'empêcher dans la fuite de donner quelqu'entorfe à la vérité de rhiftoire? en faveur de leurs amis, ou de leur Patrie.

Nousavons de cet auteur quatre ouvrages (4.) confiderables, YHiftorre des Rois du Pérou, celle des guerres civiles des Efpagnols dans les Indes ; YHifioire générale du Pérou , & la Relation de la Conquête de la Floride j tous quatre écrits en langue Caftil-lanne (5) avec beaucoup plus de fincerité 5c

( 4.) En voici les titres tels qu'Us font dans les originaux. I. Commentarios Reaies del origen de los Yncas Reyez , que faeron del Pera ; Por el Ynca GarcilaGfo de la Vega. in fol. en Lisboa 1609. idem fecunda Tarte. In fol. en Lisboa 1619. Cette féconde Vartie côprend ihifloire des guerres civiles des Bfpag-n$ls. II. Hiftoria gênerai del Pera, por el Ynca Gar-cilaflo delà Vega. In fol. en Cordoiia 1 606. 111. La Florida del Ynca, hiftoria del adelantado Hernan-do de Soto , efcritta por el Ynca GarcilafFo de la Ve-ca. In quarto, en Lisboa i^of. le n'ai point rapporté les ouvrages de Car-cilaffo dans l'ordre qu'il les a compofè : car U floride

fut faite en 1591. puis ce fut l'hijloire générale du Terou qui n'a point été tra. àuite en nôtre langue> après quoi vinrent les deux Tar-ties du Comment aire Roy al; il finit la première en 1 606. ou 1 607. ey la féconde plus de dix ans après.

( 5 ) Vne petite note fur ce mot : c'efi une bagatelle à la vérité , mais je la rapporterai toujours à bon compte. Vn jeune Libraire de Taris , nommé Profper Marchant , tres-habile , à qui nous fommes redevables du Catalogue de la Biblio~ theque de M. Giraut, qui e(l dreffé avec tant de foin, cp* dans un(ïbel ordre, marque que le Commentaire Royal de Garcilaffo a été traduit par Baudouin fur une verfion Espagnole. a 2

AVERTISSEMENT, d'exactitude, que d'art & de politefle. Il y fait paroître une grande connoiffance de l'état de 1 Amérique. Je ne crois pas qu'il y ait moins d'utilité à lire fon hiftoire des Rois du Pcrou, qu'à étudier celle des Rois de la Chine. Il a même cet avantage ; c'eft que ne faifant remonter fon hiftoire qu'à quatre cens ans avant l'expédition des Efpagnols au Pérou ; c'eft à dire jufqu'en 1125. ou environ, il n'a pas occafion de nous débiter une auifi longue tirade de fables qu'ont fait les Chinois. (6)

Son hiftoire des Incas, qu'il appelle Commentaire Royal y eft écrite fenfement ôc exactement. Garcïlaffo qui vouloit épargner à ks lecteurs l'ennui , que caufe l'uniformité prefque continuelle des guerres, qu'il décrit, a eu foin de les varier par des remarques fingulieres fur l'hiftoire naturelle du Pérou. Cet ouvrage diviié en neuf livres contient tout ce qui s'eft pifle depuis le premier Incas jufqu'à Atabalipa^ qui fut tué fi cruellement

L'Efoagnol de ce Livree(i rieft fi remplie de contes,

l'original, &* non pu une que par ce quelle e(ltres-an-

verfion. le fais cette ob tienne le refpeEte toutes

fervationparcequeles lour ces belles antiquités ; jeles

naliftes de Trévoux ayant laiffe h qui s'en veut ac-

fait er avec ratfon un très commoder. le fais bien

bel éloge de ce Catalogue ; mieux mes affaires dans

cette faute pourroit fur l'hifloire moderne, leçon-

prendre qui n'en ferait pas nois tous les hommes qui y

averti. font figure, ils font de ni-

( 6 ) ^4 beau mentir qui veau avec moi ; c l'on a

vient de loin. Ce proverbe beau dire, voilà comme il

fe vérifie bien <ï l'égard de nous les faut, pour profiter

l'hiftoire dt la Chine, qui avec eux.

AVERTISSEMENT. & fi injuftement par François Pi/are; c'eft à dire depuis le commencement du 12. fiecle juiqu'au commencement du 16. on a le plaifir d'y voir avec l'hiftoire des Rois, l'ancienne Religion, les loix, (7) les coutumes & les richefles des Américains; le tout developé avec le foin qu'on dévoie attendre d'un homme verfé dans la langue & les antiquités du Pays; & qui tiroit à honneur de faire connoître fa Nation.

Le fécond ouvrage renferme les guerres civiles que les Efpagnoh conquérants du Pérou fe firent les uns aux autres, & l'on y remarque que la Providence s'eft fervi des Efpagnols pour vanger fur les Efpagnols mêmes les immenfes cruautés qu'ils avoient exercées {%) dans la conquête de ce

f7 ) ^ examiner attentivement ce que Garcilaffo rapporte des Beruviens , on verra que ces Beuples né-toient rien m'oint que Barbares ; c qu'ils avoient mêmes certaines coutumes qui valoient mieux que les coutumes des Etftopeans. Blufieurs de leurs Trinces n'étaient pas inférieurs en fageffe a l'Empereur *s4n-tonin , fi l'on s'en rapporte aux maximes qu'en cite Garcilaffo.

(8) Ces cruautés allèrent G loin , que la plupart des Gouverneurs , que les Rois d'Efpagne envoyaient aux Indes empêchaient que les Indiens ne\fuffent baptifés t

pareeque le chrifîianifme qu'ils auraient embraffé , les auroit libéré de l'efclct-vage , dans lequel ces Gouverneurs les vouloient toujours retenir pour fouiller les Mines , ou ils les emploient. Et il fallut que le pieux Evêque de Chiapa ( Barthelemi de las Cafas ) vint en Efpagne pour obtenir des Edits contre ces cruautés. De plus les Indiens avoient conçus tant d'horreur pour les Efpagnols à eau fe de leur barbarie, que quand on leur parloit duBa-radis , ils répondaient que s'il y avoit des Efpagnols , ils n'y vouloient pas aller.

AVERTISSEMENT.

Pays, dont les peuples fe foûmettoient fans peine à leur domination. La jaloufie & l'avidité mutuelle qu'ils eurent à la vue de tant de trefors qu'ils découvrirent, furent caufe qu'ils fe ruinèrent mutuellement : & ils ne poferent point les armes que tous ceux qui avoient exercez ces barbaries inconnues jufqu'alors ne fuflent tous péris par le fer, par le feu,ouparla main des Bourreaux. Ces deux ouvrages furent traduits en nôtre langue par Jean Baudouin (9) de l'Académie Fran-çoife & publiez à Paris, le premier en 1633. & le fécond en 1658. après la mort de Baudouin. Cette traduction, quoique bonne dans le fond, eut un fort aiTez extraordinaire. Le Libraire qui vit qu'elle n'avoit d'abord aucun débit la regarda

( 9 ) le dirai un mot de Baudouin ; il étoit de Vra-délie en Vivaret\. il voyagea t fut Letteur de la Reine Marguerite femme de Henri IV. qui mourut répudiée en 1615. depuis il fut au Maréchal de Marillac. C'étoit un vrai homme de lettres , c'eft-à - dire tres-pauvre , ey- qui fe trouva obligé de faire ce que craignait fi fort le Chancelier Bacon. Il étudioit pour vivre, il étoit aux gages de quelques Libraires ; c'e(l là proprement être aux Galères , (y il leur faifoit des Traduttions à quarante

fols la feuille, il mourut fur h fin de 1650. Sous lui fommes cependant redevables de plufieurs bons Livres qu'il a tourné en nôtre langue ; /on chef-d'œuvre efè l'hifloire de Davila. M. Telîfîon donne la lifte d'une partie , ey en a omis quelques-uns qu'il ne con-noiffoit pas apparamment , comme l'kiftoire de Malte publiée en Italien par Bo-jîo , c donné en François par nôtre Baudouin. Il y en a d'autres qu'il n'a pu mettre , n'ayant été imprimés qu'après la publication de fon htfloire de l'académie.

AVERTISSEMENT.

comme un fort mauvais livre, & en fit ce qu'oa a fait des œuvres de Pelletier, (10) & ce qu'on devoit faire de cent (n) autres livres, dont le monde eft inondé tous les jours. Quand les exemplaires en furent facrifiez aux épiciers, elle devine rare. Sa rareté fut caufe qu'on la rechercha, & qu'on l'eftima. Elle étoit montée à un prix fi ex-

( i o ) On feait ce Vers du Toète , Et j'ai tout Pelletier , roulle dans mon office encornet de papier. C'efî ce qu'on dtvroit faire de ce déluge de livres fades, qu'on autorife trop aife-ment en France cr quelquefois ailleurs , aux dépens peut-être d'autres bons ouvrages, quon fupprime, ©* dont nosvoifîns les Hollan-doisfçavent profiter ; C?* euxfages.

( 11 ) Citons un bel en» droit des carafteres de M. de la Bruyère : iln'eftque trop véritable ; le voici , en profitera a qui il appartient d'en profiter. Tel tout d'un coup , <5c fans y avoir penfé la veille, prend du papier, une plume, dit en roi-même , je vas faire un livre, fans autre talent pour écrire, que le befoin qu'il a de 50. piftoles.... il veut écrire , & faire im-

primer ? & parce qu'on n'envoyé pas à l'imprimeur uncahier blanc, il le barbouille de ce qui lui plaît, il écriroit volontiers que la Seine coule à Paris, qu'il y a fept jours dans la femaine , ou que le temps eft à la pluye : Se comme ce difeours n*efl ni contre la Religion, ni contre l'Etat, & qu'il ne fera point d'autre defordre dans le Public que de lui gâter le goût, & l'accoutumer aux chofes fades 5e infipides, il pafTe à l'examen, il eft imprimé: &à la honte du fïecle , comme pour l'humiliation des bon* Auteurs , reimprimé. Cependant, le dirai-je, cette réflexion (i(âge de M. de la Bruyère n'a rien changé dans le fort de la littérature; ey je crois fans peine que la remarque que je fais ici ny changera rien.

AVERTISSEMENT.

ceflîf, fur tout la Verfion du Commentaire Royal, que douze écusfuffifoient à peine, pour avoir les deux Volumes;» quarto. Mais les Libraires d'Hollande plus indultrieux & plus attentifs que ceux des autres nations, les firent reimprimer en 1705. & 1706. en quatre Volumes in 12. Ils rendirent même un double fervice au public dans cette reim-prelïîon. Car quoique Baudouin fut fçavant, quoi qu'il eut un ftyle aile, naturel & françois, cependant fa fortune ne lui permettoit pas d'employer à ks écrits tout le temps, & tout le foin qu'ils demandoient. On a donc été obligé dans la nouvelle édition de fuppléer à l'exactitude du traducteur. Baudouin avoit fuivi fon auteur pied à pied, & il avoit traduit juiqu'à des répétitions inutiles & quelquefois ennuieufes , beaucoup moins fupporcables en nôtre langue qu'en toute autre. On a retranché dans la nouvelle édition toutes celles qui ne faifoient point tort au texte. Ec comme prés de 80. ans fur une traduction fran-çoife en avoient altéré le langage, aufli changeant parmi nous que nos efprits, nos caractères, & nos modes, on y a remédié, & il n'y a gueres eu de période, qui n'ait été rafraichie, & renouvellée. On n'a point eu cette peine dans la nouvelle édition qu'on donne ici de la Conquête de la Floride, qui eft le quatrième ouvrage de Garci-lalTo. La traduction efl de main de Maître. Mais avant que de parler du traducteur , nous dirons un mot de l'ouvrage en lui-même. On ne fçau-roit developer avec plus d'exactitude qu'on le fait ici tout ce qui s'eft patte dans l'expédition de la Floride. Si cet ouvrage fait honneur à Garci-Uflb, il n'eft pas moins glorieux aux Efpagnols,

AVERTISSEMENT. & aux Indiens. On voit d'ans ks premiers une patience extraordinaire, qui n'a pu être infpirée que par un excès d'amour pour la gloire, ou pour les nchefles. Les Indiens y font paroître un courage & une prudence, fort au-deflus de l'idée qu'on fe forme ordinairement des peuples barba-res.Cecte hiftoire ne paroit pas écrite fur des fimples oiii-dire,fi2) comme l'a prétendu un auteur moderne. Il faut queGarcilaiTo, pour entrer,comme

( \i) Rapportons ici ce que dit de nôtre Garcilaffo M, deCitri de la Guette, l'un de nos meilleurs Ecrivains, a qui nous fommes redevables de la belle ey excellente hiftoire des Triomvirats ; de la Train-ftion de la Conquête du Mexique ; ey d'une ver-fion de la Conquête de la Floride par un Gentil-homme Tortugais. c'eji dans la Treface de ce dernier livre , oh félon la louable coutume des Traducteurs , il fait d'amples éloges de fon auteur ; ty parle en ces termes. Cette Relation a l'avantage d'être originale » & de venir de la première main , à la différence de celle de la Floride de l'Ynca GarcilaiTo de la Vega , qui ne peot lui dif-puter le prix, n'ayant para

que depuis celle - ci, & n'ayant été cpmpoféeque furie récit, que lui en fit unfimple Cavalier qui a-voit fuivi Ferdinand de Sotoen la Floride , & qui faute d'intelligence a pu fe tromper, auffibien que Garcilaflo faute de mémoire , & d'application. il y auroit pour l'honneur de Garcilaffo bien des réflexions a faire ici. Mais nous n'en donnerons qu'un i-chantillon, ty deux fuffi» fent pour cela. 1. Qui a oui poferen règle qu'une Relation , qui n'a parue que depuis une autre,mérite moins le titre d'originale , es* d'exafte , que celle qui e(i antérieure. Et ou en ferions-nous avec toutes nos hiftoi-res dont les poflerieures ont la plupart du temps fait évanouir , ey avec raifort

AVERTISSEMENT.

il a fait dans un aullï beau détail, aie eu des mémoires exacts, & bien circonftanciez. Sa manière de narrer eft infinuante : fi Ton a quelque chofe à lui reprocher, c^eft d'avoir trop de détail , & peut-êcre quelques minuties. Mais jufques aux bagatelles, à qui les fçait placer à propos , touc fertà faire connoître les hommes. Il accompagne fa narration de reflexions judicieufes ; & ces reflexions coulent naturellement de fon fujet. Garcilaffo acheva cet ouvrage (13) en 1591. plus de trente ans après qu'il fut amvé en Efpagne.

telles du temps même. IL Croira - t'on que Garcilaffo n'a mis dans fon livre un fi bel ordre-, un détail fzexa&> C7" fi bien circonstancié que fur le rapport d'un /impie Cavilier peu intelligent ? Si cette Relation a été faite de mémoire , je l'en trouze d'autant meilleure ; car apurement ce Cavalier devoit être un Trodige , puifquil narre dans un fî bel ordre un fi grand nombre d'atlions qui s'étoient paffées il y avoit prés de 40. ans. Cela fer oit aifé h prouver , l'expédition s'étoit faite en 1559. Garcilaffo a fni fon ouvrage en 1 5 9 î. le lui donne pour le compofer dix ans, ï'efl beaucoup. ^4infidepuis 1S i 3 • fl«P ce/<f expédition

fut terminée , jufqu'en 1 5 S1. il faut compter 38. ans. Tour moi j'admire une fi belle mémoire Mais je le dirai fincerement : M. de Cttri de la Guette a eu rai-fon de louer fon auteur aux dépens de Garcilaffo , ty j'ai raifon de vanger Garcilaffo au préjudice de ceux qui le méprifent. Si nous faifions autrement nous ferions tous deux à blâmer.

(13) C'e(i ce que marque Garcilaffo lui - même part. 2. liv» z. ch. 11. en ces termes ; Cette année M91. dit-il, que je remet, au net l'hiftoirede la Floride , j'apprens que Rey-nofo vit encore , 8e qu'il eft au Royaume de Léon j où il a pris nailîance.

AVERTISSEMENT. L'on fçaic quel homme écoit M. Richelet, pour la pureté de nôtre langue. Et fi l'on veut faire concevoir quelque chofe d'exact, & de châtié, il fuffit de dire que cette Verfion eft de lui. Il eft trop (14.) connu dans le monde par Ton excellent

( 14 ) M. Richelet étoit de Vitri le François , ey feurement on pourroit dire de lui ce qu'a dit autrefois le Cardinal du Verron des ~Allemnns , que pour un Champenois il avoit bien de Vefprit. C'était plutôt un efprit critique , cr fatiri-que , ey un bon efprit qu'un efprit fin ey délié, il étoit propre pour faire un Diclionnaire,ty une Grammaire > mais pour un ouvrage délicat er bien tourné , pour un ouvrage de fyfieme:je ne crois pas qu'il y eut reufli. le l'ai connu les deux dernières années de fa vie ; ty j'eus une fois la curiofïté de lui demander, t'il étoit parent du Richelet de qui nous avons des Commentaires fur Ronfard; cet' te queftion lui infpira fans doute quelque efpece d'amour propre , qui le porta à dire que ce Richelet étoit fon père. le fçavois néanmoins le contraire. Kôtre Richelet avoit été Trofef-

feur des humanités au Collège de Vitri le François , mais [oit dégoût de fa pro-fefiion ou autrement, il vint à Paris , s'y fit recevoir avocat, fut connu des Sça-vans ) (y vécut en homme de lettres y cefi-à-dire fans fortune. Ai. d'^iblancourt qui étoit aufii de Vitri le François , avoit beaucoup de confideration pour lui » eyle chargea en l'an i 664. en mourant de revoir ey de faire imprimer fa tradu-Ûion de la Defcription de i'Affrique de Marmol. Ce qu'il fit avec M. Chapelain ey Conrart. En 1670. il fît paroîtrefa traduction de la Conquête de la Floride , de laquelle nous donnons ici une Edition nouvelle, il a travaillé aufii bien que M. Fremont d'^blancourt au Dictionnaire des Rimes , mais ce n'efl pas lui qui l'a mis en l'état , ou un certain Libraire nommé Velaune l'a fait imprimer fou! le nom de M. Richelet» il a

AVERTISSEMENT.

Dtàionnaire pour entreprendre d'en dire ici beaucoup de choies. Mais le croiroit-on ? un aufïï

été rajuflé ougâié par un bon vieux Prêtre appelle le Fevre» il a donné [on Dictionnaire de la langue Francoife , qui e(l court ey exaft, ey quelquefois un peu trop gaillard. Il y manque cependant bien des termes ty bien des manières déparier, il ne m'a point dit qu'il en eut ftit un Supplément aufii grand que le marque l'auteur de la République des Lettres. Mais il avoit compofé un Di-tfionnaireComi^ue ou Satirique; c'était un Recueil de toutes les turpitudes dites ey a dire en François. Vn Capucin , qui fe difôtt fon Conftffeur , s'il l'et oit j'en doute fort , l'obligea de lui facrifîer ce Livre , ce qu'il fit , dont bien en prit à nos oreilles ey a nôtre imagination. il m'a dit au(,t qu'il avoit fût un Commentaire fur les Satyres & les Epîcres de M. Defpreaux; mais fans doute que cela efl péri, il devait y avoir bien du curieux dans ce Commentaire, il Mvoit recueilli ey farci de quelques notes les meilieu-

« res Lettres de qo» Auteurs François ; les Editions po-(lerieures h l'année 1699. ne font plus de lui , mais de M. l'abbé Bordehn connu par plus d'une forte de livres ; ey fur tout par les Diverlités curieufes. il a-voitydit on } fait une Grammaire , ey une Po'étique > defquelles nous n'avons rien fi ce n efl un traité de la Ver» fification , qui lui eft attribué -, e>° qu'on a mis h U tête du Dictionnaire des rimes, il et oit à feu prés du Car acier e d'un de [es anciens Confrères le ToèteCol-letety Ancillariolus. il a-voit uneperfonne avec lui , qui étoit demi-femme demi-fervante y faifant fonction de l'une ey de l'autre, il mourut au commencement de l'année 1699. fans beaucoup de façon , comme il reconduisit quelques amis , avec lefquels il avoit bien déjeuné : il n avoit gueres moins de foixante ey dix ans. Et l'âge n avoit pas beaucoup âtè h fa vivacité , ey encore moins h fa liberté d'esprefion.

AVERTISSEMENT.

habile homme eft mort fans qu'il aie prefque été fait mention de lui. Sa converfation étoit comme fon humeur, toujours gaye, toujours fatyrique; & quelquefois un peu trop libre. Ceft à cette liberté cynique que nous devons attribuer la perte de pluiïeurs ouvrages, qu'il avoit fait, lefquels n'auroient réjoui que trop de gens & en auroient attrifté & rebutté un plus grand nombre ; mais c'étoient toujours des ouvrages de critique , & nous n'avons que cette traduction par laquelle nous puiffions juger de fon ftyle, & profiter de fon purifme , & de fon exactitude.

Garcilalïo ne parle dans toute Ion hiftoire que de ce qui s'eft fait par les Efpagnols, & il nous montre le peu de fuccés qu'eut cette expédition. Nous dirons ici, mais fort brièvement ce qui fut fait dans la fuite par les autres Nations. Charles-Quint voyant que Soto n'avoit pas réiiffi refoluc en 154.9. d'envoyer à la Floride pluiïeurs vertueux Ecclefiaftiques, & quelques Religieux de S. Benoit pour adoucir l'humeur farouche de ces peuples : mais les Sauvages les écorcherent tout vifs, & pendirent leurs peaux à la porte de leurs cabanes. La Floride fut aufli découverte par les François dans le même (iecle, & en 1562. fous le Règne de Charles IX. Roi de France, un nommé François Ribaut y bâtit le Fort de la Caroline fur la rivière du May, & fit alliance avec les Sauvages de ces quartiers. Il s'en retourna enfuiteen France, d'où tardant trop à aller revoir fa nouvelle colonie, ceux qu'il y avoit laifTé fe révoltèrent ; leur révolte fut caufe que Pedro Melendez. Efpagnol les chafla en 1563. Ils fe mirent donc fur un vai fléau & s'expoferent à la mer. Leur navigation fut très facheufe. lis fournirent une fi

AVERTISSEMENT.

cruelle famine, qu'ils furent obligez de tirer au fort pour fçavoir celui qui feroic mangé des autres, & le fort tomba fur celui, qui avoit été le plus ardent à la révolte. En 1564.. René Laudon-niere alla dans la Floride & rétablit le Fort de la Caroline; mais les Caftillans jaloux de ce que les François s'établiflfoient fi proche de la nouvelle Efpagne , vinrent les furprendre, Ôc les mirent en fuite. Laudonmere fe fauva avec peine ; mais le pauvre Ribaut qui étoit retourné dans la Floride, fut pris & écorché tout vif, & tous leurs gens furent pendus. Dominique de Gourgues du Mont de Marfan en Gafcogne ayant appris cette action barbare, arma un vaiiïeau à fes dépens & paffa en 1567. dans la Floride accompagné de 150. foldats &de 80. matelots. Les peuples le joignirent auflî-tôt à lui & l'aidèrent à reprendre le Fort de la Caroline, 5c deux autres construits par les Efpag-nols, dont ceux qui y étoient en garnifon furent pendus aux mêmes arbres, où les François avoient été attachez. Après quoi Gourgues revint en France Tan 1568. où il eut bien de la peine à fe garantir de la juftice, étant pourfuivi par les Efpagnols avec qui la France étoit alors en paix. La Floride Françoife retomba enfuite entre les mains des Efpagnols, qui la gardèrent jufqu'en 1663. qu'ils en furent chattes par les Anglois qui en font encore aujourd'hui les maîtres ; & qui vraifembla-blement y refteront encore longtemps.

Au refte, comme nous fommes dans un fiecle, où l'on veut fçavoir tout ce qui s'eft paifé dans d'autres pays que le fien propre, & où les livres inutiles fe lifent avec beaucoup plus d'avidité que les autres, on efpere par confequenc que celui-ci fera couru, fera lu, & fera eftimé.

APPROBATION.

J'Ay lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier , PHiftoire de la Conquête de la Floride, & je n'y ai rien trouvé qui en puifle empêcher l'Im-preflion. Fait à Paris ce 4. Novembre 1707.

RAGUET.

PRIVILEGE DU ROY.

LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nos amez Se féaux Confeillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Confeil Prevoft de Paris j Baillifs, Senefctuux, lears Lieutenans Civils , & autres nos Jufticiers qu'il appartiendra, Salut: Jean Geoffroy Nyon Libraire à Paris ; Nous ayant fait expofer qu'il dehreroit faire imprimer un Livre intitulé Histoire de la CONTESTE de LA FLORIDE, ou Relation de ce qui s'eft pajje dans U découverte de ce Pays par Ferd. de S0T0 , compo-fée en Efpagnolpar l'IncaGarcilasso de laVega ey traduite en François par Pierre Richblet ; s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège pour la Ville de Taris feulement. Nous avons permis cV permettons par ces Prefentes audit NVoN , de faire imprimer ledit Livre en telle forme, marge, caractère, & autant de fois que bon lui (emblera , 6c de le vendre, faire vendre, 8t débiter partout nôtre Royaume pendant le temps de fi x années confecutives , h compter du jour de la datte defdites Vrefentes. Faifons défenfes à toutes perfonnes de quelque qualité & condition qu'elles foient d'en introduire d'Impreflion étrangère dans aucun lieu de nôtre obeïlfance , 8t à tous Imprimeurs, Libraires , & autres dans ladite Ville de Taris feulement , d'imprimer, ou faire imprimer ledit Livre , & d'y en faite venir , vendre & débiter d'autre Iropreflîon que de

celle qnï aara été faite par ledit Expofant >• fons peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, de mil livres d'amende contre chacun des contrevenans, dont on tiers à Nous,un tiers à l'Hôtel Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Expofant, <5c de tous dépens, dommage & intereft, à la charge que ces Prefentes feront enreg*Jrces tout au long fur le Regifire de la Communauté des Imprimeurs y Libraires de Paris, ey ce dans trois mois delà datte d'icelles , que ïlmprefîion dudit Livre fera faite dans nôtrt Royaume cr non ailleurs , en bon papier c- en beaux carafteres, conformément aux Reglemens de la Librairie. Et qu'avant que de l'expofer en vente, il en fera mis deux Exemplaires dîns nôtre Bibliothèque publique , un dans celle de nôtre Château du Louvre, & un dans celle de nôtre très-cher Se féal Chevalier Chancelier de France le Sr. Phelypeaux , Comte de Pont-chartrain , Commandeur de nos Ordres , le tout à peine de nullité des Prefentes : du contenu defquelles vous Mandons 5t Enjoignons de faire joiiir l'Expofant eu fes aymtcaufes pleinement 5r paifiblement , fans foufîrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie deldites Prefentes, qui fera imprimée au commencement ou à la fin dudit Livre, foit tenue pour dûement lignifiée , 5r qu'aux copies collationnées par Tun de nos ainez 5c féaux Confeillers & Secrétaires, foi foit ajoutée comme à l'original. Commandons aa premier nôtre HuifTier ou Sergent de faire pour l'exécution d'icelles tous acles requis ôt neceflaires fans demander antre permiiïion,«5c nonobftant dameor deHaro, Charte Normande ^ Lettres à ce contraires : Car tel «fl nôtre plailîr. Donné à Verfailles le dix-neuvième jour de May, l'an de grâce mil fept cens huit, ôt de nôtre Règne le (oixanre feptiéme.

PAR LE ROY EN SON CONSEIL.

Le Comte.

Regiffré fur le Regiftre No. i.de la Communauté des

Librùres cy Imprimeurs de Taris page %^j. No. 61.7.

conformément auxKeglemens &* notamment à l'^rrefl du

picture0

HISTOIRE

DELA

FLORIDE-

PREMIERE PJRWS*

LIVRE PREMIER.

Defïcin de l'Auteur. Bornes de la Floride*. Par qui elle a efté découverte, CduHu* mes de Tes Habitons, Préparatifs de Ferdinand da Soto pour en faire la conquefte»

•a i —

CHAPITRE I.

Dc/ftin de l'Auteur. *£££&$ 'A y deiTein décrire la d;'co^> . W$. verte de la Floride ; Se leS %£& aftionS mémorables qui s y «^IvrR font pafTces. Mais comme * " fi> Ferdinand de Soto y exécuta de grandes choies, & que c'eft lu y que regarde particulièrement cette relation $ Js reprendray ion Hiitoire de plus haut. Soto

A

FnM?? fut un des douze Conquérons du Pérou , Se Ou Ata- cut pa r t a la prife d'Atabalipa , qui en fut le "* pa ' dernier Roy. Ce Prince étoit fils naturel de l'Inca Huaina Capac , Se avoit ufurpé le Royaume fur le légitime héritier , qu'on appelloit Huafcar. Mais les cruautés de cet ufurpateur révoltèrent les peuples contre luy ; ce qui facilita aux Elpagnols la conque-fle du Pérou , Se leur apporta de grandes ri-cheflès. Du Quint feul, il en revint à l'Em-pereur prés de deux millions trois cens mille ducats, Se à Ferdinand de Soto plus de cent mille. Ce Capitaine reçut, outre cela, plusieurs prefens des Indiens, & d'Atabalipa piefine, qui luy en donna de magnifiques ; parce qu'il eftoit le premier Efpagnol auquel il euft parlé. Lors que Soto le fut donc enri-çhy de la forte, il retourna en Efpagne avec pluiieurs autres , qui avoient tous fait fortune dans Caxa Malca. * Mais au lieude fon-ger à lacquifition de quelque grande terre dans (on pays, le fouvenir des chofes qu il avoit glorieufemcnt achevées , luy inipira un vaire deiïein. C'eft pourquoy il vint à Valladoîid prier Charles-Quint de luy per_ mettre d'entreprendre la conquefte de la Fio_

* Teti' lieu rfnns le Pérou , qui donne Ton nom à une pe« ti?e Contrée lie; 1 près du '^ui'o & de la Rivitre Vsgna. C'«fl h qu'^ubalipa tut battu , piis , & cruellement matT». cié en k>a-

ride; avec promette d'en faire la dépenfe, Se de ne rien épargner pour la gloire de l'Empire. Ce qui le follicitoit le plus à cette illu-ftre entreprife , enoit de voir qu'il n'avoir rien conquis de ion chef ; que Ferdinand Cortés s'eftoit rendu maiftre du Mexique, & Pïçarre Se Almagre du Pérou. Car ne leur cédant ny en valeur , ny en aucune autre qualité , il avoit peine à fouffrir que la fortune leur fuft plus favorable qu'à luy. Il renonça donc aux prétentions qu'il avoit fur le Pérou, Se tourna toutes lès penfees à la conquefte de la Floride, où il mourut. Voilà comme de grands Capitaines fe font facriiiez pour les interefts de leurs Princes. Toutefois 2 fe trouve parmy nous des perfonnes qui dirent malicieufement, que TÈlpagne doit à la témérité de quelques jeunes foux, la plufpart des contrées du nouveau monde. Mais ils ne conllderent pas qu'ils font eux-mefmes les enfans de l'Elpagne ; Se que cette genereufe mère if élève ceux à qui elle donne lanaiflan-ce, que pour conquérir l'Amérique , 8e porter la terreur de leurs armes dans le refle de la terre»

A 1

JJijfoïre de ta Floride.

CHAPITRE II.

Bernes de la Floride.

LA Floride a efte appellée de ce nom, î caufe qu'elle fut découverte le jour de Pafques Fleuries * le 27. de Mars § de l'année I S J 3 • M^ s P^ ce q ue c 'eft un grand pays, dont toutes les parties ne font pas conquîtes , ny connues > il eft dirEcile de les décrire fort exactement. On ne fçait pas en effet, fi au Septentrion t la Floride eft bornée de la terre , ou de la mer. Ce qu'il y a de certain , eft qu'elle a le Golfe de Mexique, 8c l'Hic de Cuba au Midy ; au Levant la mer Oceane qui regarde l'Afrique ; Se au Couchant ce que l'on nomme aujourdhuy le

* AinG ta plupart des Auteurs modernes fe trompent lors qu'ils difent , que ce fur Ferdinand de SPto , qui donna ce nom à la Floride , puis qu'il n'y aborda que» 1539, fur la fin de May , dans laquelle année Pafques fleuries ettoïenr le 3Q de Mars

* Je ne fçii s'il n'y anroit pas faute icy ; car ce fut la Fête des Pafques, qui rombi le zj. de Mars en 151,3. Pafqitfs fleuries étant arrivées le 20. du mefme mois.

f La Floiide eft bornée au Septentrion par le Canada , ou h Nouvelle France. Ce qui fait dire à l'Aqteuf . qu'on igno-le quelles font les boraes de la Floride du côte du Septentrion , c'efl q ï'tl renferme dans la Floride comme fou: les autre* Effagnols, la Virginie , & Le Canada,

nouveau Mexique. De ce côté-cy , eft la Province des fept Villes, qui 'fut appellée de la forte parVaiques Coronado,qui alla en mille cinq cens trente-neuf y à la découverte de ces quartiers. Mais comme on ne les put peupler , Antonio de Mendoça qui 1 y avoir envoyé, perdit avec deplaifir toute la dé-penfe qu'il avoit faite pour cette entreprife.

CHAPITRE III.

Ceux qui ont entrepris la conqueftc de U Fie ride,

JUan Ponce de Léon * fut le premier qui découvrit la Floride. C'efloit un Gentilhomme qui avoit pris naiffance au Royaume de Leon,& qui avoit efte Gouverneur de Ylû e de Porto-Rico. § Comme les Efpagnols ne fbngeoient alors, qu'à faire de nouvelles déa couvertes, il arma deux caravelles , Se tàch-par toutes fortes de moyens à découvrir

* Avant Jean ronce de Léon , la Floride avoir efré découverte par ScbaOien Gabot , que Henri VII Roi ù'Angletetre envoya en 1496. pour chercher par l'Occident un paflage pour naviger dan» l'Oricnc. Gabot ne rit que voir la terre , fans s'y arrêrer.

i Ou S Juan de Porto-Rico Ifie de l'Amérique. File eft l'une de:> g'andes Antilles , fituée dans la mer du Mexique , à ieize licoei de l'Hilpaniela , *eii le Levanr,

A 3

h Hifîoire de la Floride.

l'Ifle de Bîmini r * fur le bruit qu'il y avoir imà-fontaine qui rendoit la jeunelle aux Vieillards* Mais après avoir inutilement cherche cet Iile y la tempefte le jetta fur la code , quieft op-pofee au Septentrion de Cuba ; Se il nomma ce continent la Floride. Et fans confidereri] c'eftoit Ifle, ou terre ferme, il vint en EU pagne demander la. permiffion d'en faire la conquefte , Se l'obtint. De forte qu'en l'an 1^13. il équippa trois vaifleaux , & aborda-au pays qu'il avoît découvert. Les Indiens à fou arrivée le repouilèrent vigoureufement > ruèrent preîque tous fes gens a L referve de îept bleues , dont il eftoit du nombre qui le fauverent à Cuba , où ils moururent tous de Heurs bleiTures. Voilà quelLfut la fin de Ponce & de [on expédition. Mais depuis luy, il iemhîe que IVgttbepctfc tb la Floride ait continué d'eftre fatale à ceux qui l'ont tentée* Quelques armées après ce malheur , le Pilote-Mtrcelo qui comrnandoit une carivelle,alla"t (rafioaec avec \^ Sauvages, 1^ tempefte le pouffa fur la cofte de la Fioride, où il fut ii flu'ûrablemen-t r.çù , qu'il revint fort content à llfle de San-Domiiîgue. Mais dans, cette rencontre il n'en uû pa 11 fàge Pilote -

* -Lune dzs Ife* Lucaye$ au Sud-Eft delà Floride file m (ameute a%t f ;s haosi ûfi laolo , U pat la u-llicuht oclaïuoja .

L'ivre premier. «tr il n'eut pas le foin de prendre les hauteurs des lieux , & cette faute luy coufta cher f comme il le verra.

Au mefme temps fept hommes des planches de San-Domingue firent lociete , & envoyèrent deux vaiiTeaux vers les Ifles de la Floride, arln d'en amener des Indiens pour travailler aux mines qu'ils poffedoient en commun. Ces vaiiTeaux aborderait à un: Cap qui fut nommé de Sainte Heiei'ne , à caufe qu'il y arrivèrent le jour de la Fefte de cette Sainte, Ils parlèrent de là à un fleuve qu'ils appeilerent le Jourdain , du nom de celuy qui le découvrit. Les Espagnols débarquèrent en cet endroit,. & ies habitans de la contrée qui n'avoient point encore vu .de Navires, les vinrent confiderer comme des choies furprenantes. Ils s'étonnoient aufîi de ]a forme des habits des Eflrangers, Se dtvoh des hommes avec de la barbe. Mais cela ne les empefcha pas de les recevoir obligeamment ; car ils leurs donnèrent des peaux de martre , quelque argent, Se de la femence de perles. * Les Efpagrrols leur firent d'autres prefens, 8e les engagèrent par leurs carefTes à vif ter les vaiiTeaux. Les Indiens qui fe fioienS à ces apparences d'amitié , entrèrent aunom-

» s;ire.nce ,-fe peilcs-, fe dit des petits fou mtnuës , qui & vcuuca. au poid.

% Hijfoirc de ta Floride.

bre de cent trente dans les Navires. Nos gens aulTi-toft lèvent l'ancre, Se vont à toute voile vers San-Domincuc. Mais de deux Vaiiïeaux > il n'en arriva qu'un au port ; Se mefme ils ne profitèrent point de leur prile. C^s pauvres Sauvages au deilipoir d'avoir efté trompes , s'abandonnèrent à la douleur , 5c fe lailTerent mourir de faim;

Cette nouvelle répandue à San-Domingue* Vafques Lucas d'Aiilon vint enEipagne, demander permrflTion de fe rendre maiftre de la Cicoric , lune des Provinces de la Floride avec le gouvernement du pays dont il feroit la conquefte. LEmpercur * luy accorda ce qu'il defiroit, Se ajouita à cette faveur r celle de luy donner Tordre de faint Jacques» Aillon de retour à San-Domingue arma trois navires en mille cinq cens vingt-quatre , 5c prit Mirvelo pour le mener à la Terre où ce Pilote avoit effe , à caufe qu'on la croioit plus fertile que tout ce que 1 on en avoit découvert julques alors. Mais parce que Mirvelo ne fe fouvenoit plus de l'endroit, où il eftoit la première fois aborde , il tâcha inutilement d'y arriver ; Se il en fut lï feniiblemenC touché qu'il en perdit l'efprit, 5c la vie. Aillon ne laifTa pa^rde palier outre ; Se mefme après que Ion navire amiral fut perdu dans le

* C'cit i'ijnpcicur Cbwlcs ÇHiiou,

Jourdafn , il continua fa route avec les denx autres navires $ & mouilla près de la Cicorie en une tres-agreable coP:c , où d'abord il fut affez bien reçu. De force ques'ima^inanc qu'il luy feroit aifé de fê. rendre maiitre de la contrée, il envoya deux cens hommes pour la reconoiilre. Les Indiens qutcachoient leur mauvais deffein , les conduiiirent au dedans du pays ; & après leur avoir témoigne beau-* coup d'amitié, fe reiïouvenant de la trahiio» que les autres Efpagnols leur avoient faite , ils fe jettent fur eux Se les taillent ai pièces j puis ils viennent de furie fur Aiilon & les Camarades, qui eftoient demeurés aux vauTeaux j ils en tuent & bleffent pluiieurs, 8c contraignent le refle de regagner promptement San-Domingue. Les plus conliderables de ceux qui échappèrent, furent Aiilon & un Gentilhomme de Badajox , à qui j ay oui raconta: dans le Pérou la déroute dont je. viens de faire îe récit.

Ce malheur ne rebuta point Pamphiîe de Narbaez , il paiTa dans la Floride en mille cinq. cens vingt-neuf *, & mena avec luy le jeune Mirvelo , Neveu de celuy dont j'ay parlée Mais encore qu il euft quelauc connoiilance de la contrée > comme ai ayant efle infirme

* D autres cifent en ! ',zl.

ïo H : fie ire de la Floride.

par Ton Oncle , il n'eut pas pourtant la fortune plus favorable que luy. Narbaez mefmc dans cette navigation périt avec les gens, à la referve d Aluar Nugnez Cabeça de Vaca , & de quatre de fes compagnons qui retournèrent en Efpagne , où il obtinrent quelques gouvernemens. Mais cela ne réiilTit pas ■> car ils moururent allez malheureufement , 8c Aluar revint prilonnierà Valladolid, où il finit fes jours. Apres ceux dont je viens de parler y Ferdinand de Soto entreprit de s'emparer de la Floride , il y arriva en 1539. mais enfin il y perdit les biens Se la vie. Sa mort eftant fçùë en Efpagne , prufieurs demandèrent le Gouvernement de la Floride , avec per-million d'en continuer la découverte. Mais Charles-Quint ne voulut écouterperfonne là-defïus. De forte qu'en mille cinq cens quarante-neuf, il y envoya Cancel Balbaftro Religieux Dominicain , pour Supérieur de ceux de fon Ordre , qui iroient prêcher l'Evangile aux habitans de la Floride. Ce Pcre arrive dans ces contrées, fe mit à catechifer : mais au lieu de l'écouter, les Indiens qui fe reffouvenoient de l'injure qu'ils avoient reçue des Elpagnols , le tuèrent avec deux de fes compagnons. Les autres tout enrayes, regagnèrent les vaiffeaux , reprirent en diligence la route d'Efpagne, & dirent pour ex*

€ufer leur prompt retour , Que les Barbares avoient le cœur endurcy , Se qu ils ne pre-noient aucun plaifir à oùir la parole de Dieu. Treize ans après on promit à un des fils d'Aillon le gouvernement de la Floride , s'il pouvoir s'en rendre maiftre. Mais comme il îbllicitoit Ton départ, Se qu'on remettoit de jour à autre l'exécution de fon entreprise, il mourut de déplaiiir. Pedro Meleniez Se plu-fieurs autres allèrent enfuite dans la Floride. Cependant, comme je n'ay pas afTez de con-noiilance de ce qu'ils rirent, je n'en parleray point.

m • —

CHAPITRE ÎV.

Religion & Couftumes des Peuples de la Floride.

LEs peuples de la Floride font idolâtres, 5c tiennent le Soleil Se la Lune pour des Divinitez , qu'ils adorent iàns leur offrir des prières ny des fâcrifices. Toutefois , ils ont des Temples ; mais ils ne s'en lervent que pour y enterrer ceux qui meurent, Se pour y enfermer ce qu'ils ont de plus précieux. Ils élèvent au(Ti aux portes de ces Temples en forme de trophée les depo ailles de leurs ennemis.

t£ 7Jifiche Ae h T'ortàâ.

Ces Indiens n'épouiènt d ord ; nafre qu'unt femme , qui cft obligée de garder ta fidélité à Ton mari , (ur peine d élire punie d'un chaiti-) j iteux, ou quelquefois d'une mort

cruelle. ! un privilège du païs , les

e rmiliion d'avoir autant de femmes qu il-, en veulent. Néanmoins ils en ont une 1er itime, Se les autres ne lont que comme des concubines. De forte que les en-fans q.ii rtailTent de ces dernières ne partagent pas également Ici biens du Père, avec les en-» fars de la femme.

Cette couftume s'obferve auffi dans le Pérou. Car excepte les Incas Se les Caciques, qui en qualité de Princes Se de Seigneurs, •ont autant de femmes qu ils en délirent, ou qu'ils en peuvent nourrir , il n'eft pas permis aux autre* d en avoir plus d une. Cesperlon-ncs dé qnaî'tc drfent, qu'ils font obligez de feire la guêtre , Se qu il faut quils ayent plusieurs femmes ; afin d avoir plulieurs enfans qui partagent leurs travaux , Que la plulpart cks nobles mourant dans les Combats, il eft necedaire qu il y en air un grand nombre; & que comme la multitude n'a point de rarr aux a Jùires , Se n'eft pas expofee aux périls , il y a toujours aflez de peuples pour travailler , & pour porter les charges du Royaume»

Pour revenir aux habitant de la Floride ,

î!s n'ont nul bétail , 8c ne nourrhleRt point

de troupeaux. lis mangent au lieu de pain du gros millet y au lieu de viande, du poiiîori 8c des légumes. Toutefois comme ils ont cou-ftume d aller à la chaife , ils ont iouvent du gibier ' y car ils tuent à coups de fîéches y des Cerfs , des Chevreuils Se des Daims qu'ils ont en abondance , & plus grands que c^ux d'Efpagne. Ils atrappent aufïî pluiieurs fortes d'oHeaux dont ils le régalent, & dont les plumages de différente couleur, leurs fervent a parer leur telle , Se à distinguer durant la paix les nobles , du Peuple , Se durant ia guerre, le foldat, de celuy qui ne porte point les armes. Ils ne boivent que de l'eau > ils mangent leur viande bien cuite , leur fruit tres-meur , Se leur poiilon fort rety$ Se fe mocquent des Efpagnols qui en ufent autre-» ment. Ainiî je ne puis ajoufter foy à ceux qui ont rapporté, que ces peuplesmangeoieiic de la chair humaine. J'ofe dire qu au moins cela n'eft pas arrivé dans les Provinces que Soto à découvertes ; 8e qu'au contraire ils ont un extrême horreur pour cette inhumanité. Car des Espagnols eftant logez dans un quartier, où ils moururent de faim , & leurs compagnons les mangeant à mefure qu ils

expiroient , il n'y eut que le dernier qui s'en Uuva j de quoy les Indiens iur v iiç tUkmuif

B

ï4 Vtfoire de U Tlorîdc.

cffenfez qu'ils voulurent aller tuer les Espagnols qui eftoient dans un autre lieu.

Les peuples de la Floride vont prefque îiuds, Se portent feulement un efpece de calerons de chamois, ou de daim. Ces calerons font de diverfes couleurs, Se fervent à couvrir ce que la bienfeance veut que l'on cache. Leur manteau eft une forte de couverture qui prend depuis le cou jufqu'à my-jambe. Il eft ordinairement de martre fine , Se lent une odeur de mufe tres-agreable. Ils en ont auiTi quelquefois de Chats, de Daims , de Cerfs , d'Gur-s ? de Lions , &^nefme de Vaches, qu'ils préparent iî bien que l'on s'en pourroit iervir comme d'une étoffe. Pour les cheveux ils les poitent longs , Se les nouent fiir la tefte. -Leur bonnet eft un reJeaii de couleur qu'ils attachent fur le front, en forte çtte les bouts pendent jufquau defTous des oreiller. Leurs femmes font auffi vêtu es «c peau de daim , ou de chevreuil, Se ont tout le corps couvert d'une façon bonnette &. mode (le.

I . es Indiens fe fervent detoutes fortes d'armes, excepté de farbalefte & dumoulquet. Ils •nt que l'arc Se la flèche leur donnent une grâce particulière ; Se pour cela ils en portent toujours à la chafle & à la guerre. Mais comme ils ont une taille tres-ayanca-

çeufe , leurs arcs font très-longs , Se gros à proportion. Us font de chêne pour lordinaire^ ou d'autre bois de cette forte. C'eit pourcjuoy on les courbe difficilement, Se il n'y a point d'Elpagnol qui puiiTe à force de tirer la corde approcher la main de fon village ; au lieu que les Indiens amènent cette corde jufqu'au derrière de l'oreille , Se tirent des coups qui furprennent. La corde de leur arc eft de cuir de cerf j & voicy comme ils la font. Us coupent de la peau du cerf une ceurroye de deux doigts de large , depuis la queue jufqu'à la tefle : Après ils oltent le poil de cette cour-roye , ils la mouillent , la tordent, en attachent un bout à une branche d'arbre, Se l'autre à un poids de cent, ou de flx vingts livrer ; Se laiflènt cette peau jufqu'à ce qu elle devienne en forme dtunegrofTe corde de boyau. En fuite , afin de ne le point bleffer le bras gauche avec lacorde, quand elle fe détend , ils fc fervent d'un demy braffar de grolfes plumes , qui les couvre depuis le poignet jufqu'au coude j Se qui cft arrefté par une ■ de cuir , dont ils font autour du bras quelques tours ; Se ainfi ils lâchent la corde d'une force toute particulière.

Voila en jpeu de paroles les couftumes des habitans de la Floride. Mais comme j'ayaufli parle iuccinv.:en:ent de ceux qui l'ont uécou-

B z

î £ tîtfiûîtt de lî Floride.

vertfc , & que rentrepriiè de Soto fur ce

pays, e(> plus ïlhifttc que celle des autres ; je racontera v maintenant plus au long les choies qu'il fit dans ces contrées ; ie decriray les Provinces qu'il y découvrit, & raporteray les avions Je fes ioldats ju(qu'au temps qu : ils-forcirent de la Floride , Se ie retirèrent au À'euque.

CHAPITRE V.

Préparatifs pour la Floride,

SOto obtint la permiiïion de conquérir la Floride , & d"ériger en A'arquifat trente lieues de long fur quinze de large, dans le pays dont il feroit la conquête. L'Empe^ reur qui luy accorda cette grâce , luy donna auflî le Gouvernement de Saint Jacques de Cuba j afin de prendre dans cette ïile ce qui ïuy feroit necenaire pour ion deilein -, Se après qu'il l'eut exécuté, il l'établit Gouverneur gérerai de la Floride.

Cette nouvel'e divulguée par l'Efpagne , on crut que Ferdinand de Soto alloit joindre

* r ernand ou Fer.^inanJ Soto étoir Fils d'un (impie G«?nril. homme de Xciés de Badijox daas rEQiain-aàouic loftugaiie.

à la Couronne de nouveaux Royaumes ; Comme il eftoit l'un de ceux qui avoient conquis le Pérou , Se qu'il employoit dans cette dernière expédition tous fes biens $ on s'imagina qu'elle iurpalTeroit de beaucoup la. première, Se que l'on s'enrichiroit à fuivre fa fortune. C'eit pourquoy des gens de toute forte de qualité furent attirez à cette entreprit , Se fur Telperance d'en rapporter de grands trefors , ils abandonnèrent ce qu'ils avoient de plus chers , Se s'offrirent tous d'accompagner Soto. Il fe joignit au mefme temps à luy fept Gentil-hommes qui reve-noient de la conquefte du Pérou, Se quin'a-voient pour but que d'acquérir des richeiTes. Comice ils nettoient pas contens de ce qu'ils avoient, Se que le deîir d'amafler s'augmentait en eux , ils croyoient qu'ils iatisferoient mieux leur avarice dans la Floride que dans le Pérou.

Soto en vertu de fon pouvoir , commença-donc à donner fes ordres pour des vailTeaux, Se pour tout ce qui luy ettoit receflaire. IL choifit des perfonnes kir qui il pût fe décharger de quelques-uns de les foins } il leva det troupes , &: rit des Capitaines &: autres Orîi~ ciers. Cependant on exécuta avec tant de promptitude , ce qu'il avoit commande, qu'en moins de quinze ou leizt mois tout fut

b 3

en eflat, & conduit à San Lucarde Barrà-mede. Si bien que les gens de guerre s'y rendirent aulTi-toft avec force cordes , koyaux, panniers , & autres chofès propres À leur entreprile, 5c ils s'embarquèrent en cette forte

CHAPITRE VI.

Embarquement pour U Floride.

ON aïlembla pour là Floride à San-Lucar plus de neuf cens Efpagnols, tous à la fleur de leur âge 3 parce qu'il faut de Ja force , pour fupporter les fatigues de la guerre, & vaincre les travaux qui fe rencontrent dans les entreprïfes fur les pays •lu nouveau monde. Cependant, comme la vigueur toute feule ne fuffit pas, le General ordonna de distribuer de l'argent aux troupes, Se d'avoir égard au train, & àlanaiiTancC de ceux a qui l'on en donnait. Plulîeurs Officiers qui n'etoient pas équipés reçurent cette faveur, les autres qui confideroient les grandes derenfes que Soto étoit oblige de faire, la reruferent, dans la créance qu'il y avoic plus de generofité à employer leurs biens pour ion fervice que de luy eftre à charge.

Lors que le temps fut propre a h. navigation, les troupes s embarquèrent fur dix vail-feaux, dont il y tn avoit fept grands & trois petits. Le Gérerai fe mit avec toute fa famille fur le Saint Chriftophe , très-bien pour-veu de fcldars Se de munitions. Nugno Touar Lieutenant gênerai s'embarqua avec Charles Henriquez kir la Madelaine. Louis de Moicoib Meure de Camp commandoit le vaiiTeau de la Conception , qui eitoit de plus de cinq cens tonneaux. André z Vafcon-celo eftoit Capitaine du Gallion de la bonne fortune ; Se avoit une compagnie de Gentilshommes Portugais, dont quelques-uns a-voient fervi en Eipasne , Diego Garcia montoit le VaiiTeau Saint Jean , Se Arias Ti-noco celuy de Sainte Barbe , Alonfo Romo de Cardeniofa eftoit fur le Gallion Saint Antoine, &menoit avec luy Diego AriasTinoco, Enfeigne Colonel de l'armée. Pedro Calde-ron commandoit une tres-beîle caravelle, 8c avoit dans fa compagnie AlilTer Efpindola Capitaine de foixantehalebardiersdelagarde du General. Il y avoit outre cela deux bri-gantins qui fervo ; ent pour la découverte , parce qu'ils eftoient plus légers que les navires. 11 s'embarqua aulTi fur ces vaineaux des E^clelîaitique>, & quelques Religieux*

* Francifco ecl rozo Pionilio de Tans , Loiii< de îoio", Juaadc Gallcgos, Ftancifco de Rocha, Juan de Touci.

%% Hijfoire de la Floride.

tous gens d'une probité exemplaire.

A cette Armée Te joignit encore la flote deftince pour le Mexique > qui eftoit com-pofee de vingt navires. Soto en fut General jufqu'à Mlle de Cuba , où il falloit que cette flote le réparait pour a! 1er à Vera Crus. Et alors il en deroit laiiïer le commandement à Gonçalo de Salazar, premier Chrétien de la ville de Grenade, après que les Maures 1 eu-tn Mï'i. rent abandonnée. C'eft pourquoy en considération de cette qualité les Rois Catholiques qui conquirent cette place> accordèrent ace Gentil-homme de grands privilèges , & le comblèrent de leurs ra\ eurs. Ces deux notes partirent de San-Lucar le fixieme d'Avril de Tannée mil cinq cens trente-huit,, avec toutes les choies ueceiTaires j mais il ne manquoit rien fur tout aux troupes qui alloient dans ! a Floride.

CHAPITRE VIL

Ce qui arriva a l'Armée-depuis Sati-Lucar pif qu'a Cuba..

LE jour que les flote c fe mirent a la voilci Soto commanda un peu avant la nuit à SilvcfUe en qui il ic confioit,- de viiiter les

fentinelles , avec ordre au Capitaine de l'artillerie de tenir le canon en eltat ; afin que (î quelque navire manquoit à Ton devoir , on tira deffus. Cela fut audi-tort. exécuté ; & fur le minuit il penfa arriver un grand defor-fordre. Les Matelots du navire de Salazar voulant montrer la legeteté de leur vaii^eau, ou aller à la tefte de la flote avec celuy du General; ou plutôt s'eftant aif ez abattre au fommeil, & le Pilote qui gouvernoit alors le navire n'ayant pas alfez de connoiffance des chofes qui s'obfervent dans un Armée navale, le vaifîeau s'éloigna d'une portée de canon de fa flote, Se gagna le devant du navire de Soto qui eftoit à la telle. Mais comme Silveftre à qui le Ceneral avoit donné fes ordres, eftoit à l'erte, Se qu'il voyoit ie navire de Salazar, il éveilla le Capitaine de l'artillerie ; il luy demanda fi ce vaifTeau eftoît de la flote ; 8c fur la réponfe qu'il n'y avoit point d'apparence , à caufe que les Matelots qui fe feroient ainii avancés meriteroient la mort ; il fit tirer fur le navire. On en rompt les voiles du premier coup de canon ; on en enlevé d'un autre les œuvres mortes * ; Se on entend ceux qui eftoient dans le vailfeau demander

* On appelle eruvri< m rU>.\c<> parues d'un navire, qui foc» tent hors de l'eau ; ôt ocuvtci vives les parues d ou navire » qui (bat dans l'eau.

quartier , criant qu'iis eftoient de l'armée. Cependant les autres navires prennent les armes au bruit du canon, Se fe mettent en eftat de tirer fur ce vaiiTeau , qui flotantau gre du vent; parce que les voiles eftoient déchirées, vint tomber lur l'Amiral qui luy donnoit la chaiTe. Ce malheur fut preique plus fafcheux que l'autre. Les uns dans la crainte & dans le dclordre, où ils le trouvoient , penfoient plutôt à exeufer leur faute qu'à conduire leur vaiiTeau ; les autres au contraire lur la créance que l'action des gens de Salazar efloit une marque de mépris-, ne reipiroient que la vengeance, Se ne prenoient pas garde de quelle façon , ny comment ils voguoient. A la fin néanmoins lors qu'ils apperçûrent que ce3 deux vaiffeaux s'alloient heurter, ils fe fervi-rent de perches Se de piques , Se en rompirent plus de trois cens, pour arrefter la violence du choq, Se fe garantir du péril. Mais ils ne purent empêcher que ces navires ne s'em-bara(TafTent dans les cordages, Se ne fuiTent en danger d'eftre coulez a fond. Pas un vaiiTeau ne les fecouroitdanscette.confu(ion, le Pilote etirayé deiefperoit de le tirer de péril ; lanuitdéroboitlaconnoiilancedccequ'il falioit faire à l'air retcntiiToit de cris; Se comme le bruit empechoit que l'on ne s'entendit, la foliat ne pouvoit obéir , ny le Capitaine

■commander. Voilà leftat où eftoîent réduits les deux navires, lors que Dieu infpira de couper les cordages du vaifleau de Salazar , qui avaient caufé tout l'accident. Car aufTi-tofl ils le virent hors de danger , 'Se le navire de Soto faverifé du vent s'éloigna de l'autre. Toutefois ce General en colère, fbit de s'e-frre vu dans le péril, ou>croyant que Ton malheur fut un eitet-de mépris que Salazar faifoit de luy, il le piqua de paroles -, Se mefme il s'en fallut peu qu'il ne luy fit couper là telle. Mais Salazar s'excula avec reipect, & Ton appuya avec tant d adreiTe fes raiions , que Soto reçut fes exeufes, Se oublia genereufement toutes choies. Salazar n'en uia pas tout à fait de rr.eime ; car dans le Mexique ? lors qu'il s'en-tretenoit quelquefois de cette avanture , il témoignait de l'aigreur contre Soto , 1k fou-haiioit ardemment de trouver l'occalion, de luy faire tirer l'épée ; afin de le vanger de l'outrage que ce General luy a voit fait. Pour revenir aux vailleaux ; après que les Matelots de Salazar eurent racommode les cordages , l'Armée vint mouiller à Gomerc * où eile le rafraîchit. Cependant le General trouva tant de charmes en la fille naturelle du Seigneur de cezu Ifle , q'i il la luy demanda avec prometle

••* Gomere Por:,-": Capital? de 1 Iflc Goraerc , l'une &* •Canaries dans l'Océan Atlaacjijue.

de la marief richement au pays, dont \\ aÏÏoît

faire la ..te. Ce Seigneur qui aioûftoît

foy aux paroles de Soto, luy confia cette hile, q li d avoit alors que ieize ans. Mais il la mie premièrement entre les mains d'Iiabelle de Bovadilla femme d_i General , Se la fupplia d'av >ir à 1 avenir pour cette*jeune perfpnne des lenrimefis de mère- Enfuite Soto partit de Gomere , & favoriie du vent, il apperçût à la fin de May Hile de Cuba. * Alors Salazar obtint permiiTion de Te feparerde la flote , Se conduisit 1 armée de Mexique à Vera Crus. § Le General ravy d'avoir achevé heureule-ment foa voyage, ne longea plus que de s'aller rendre au port. Comme il eftoit preft d'y entrer, les troupes virent un Cavalier qui ve-noit à bride abatuë , Se qui crioit de toute fa A droite, force au vaiiVcau amiral Ababor. Ce Cavalier eitoic envo T ye de la ville de Saint Jacques , pour faire périr le navire du General dans des bancs Se des rochers, qui le rencontr oient aux endroits qu'il leur enfeignoit. Et en effet les

* Cmkë l'une des Ifles de l'Ameriq iC. & la plus grande des An ilies

fCc Hoir ê're Samjaaâ de l lua dite V*ra Ct«%, h Nouvelle, petite » iiie fui le Go'fe du Mexique , ou '1 y a un < ort , «lan lequel fe te.tJenr tous les vaifoauv , qui vont i'r-llpagne tu» Mcinque Je ne croy pa- q ne ce i «it i'**a C* i la Vieille ui-te Gnplemeoi V*r* Cr*j. que les ■ pagnols avoienrabaO" donné 'e c 1 an t s ig. a cauie delà ûiffi.uiie , & de l'incom-roouue ee ion pou-

MacelotS

Matelots qui ne connoifToient pas bien l'entrée duport,portoientlaprouë de ce colté-là» Mais aulîi-toft que ce Cavalier reconnut que c eftoit un vaifTeau amy il retourne leur crier k Lftribor *, Se mettanr pied à terre, il court, * a gaucte. Se leur fait ligne de pafTer à l'autre bord, ou qu'ils s'alloient perdre. L'Amiral qui entendit la penfee de cet homme , reprit aulïi-tofl à gauche. Toutefois quelle diligence qu'il kiï il donna contre un écuëil. Si bien que les Matelots qui croyoient que le vaiilèau fuft entre-ouvert , eurent recours à la pompe ; mais au lieu d'eau ils tirèrent du vin, du vinaigre , de l'huile & du miel ; parce que plulieurs ton-n eaux qui en eftoient pleins en furent rompus. Cet accident redoubla tellement leur crainte, que perdant prefque toute efperance de ie tirer de péril , ils mirent la chaloupe en mer, où entra la femme du General avec les filles de fa fuite , Se quelques jeunes hommes qui furent les premiers à s enfuir. Soto le pofiè-da fort bien en cette occafion. Car malgré les prières de les gens, il demeura ferme dans le navire , il encouragea par Ion exemple: les uns à travailler ; Se retint les autres. Il donna ordre enhn à tout, & ht decendre au fond du navire, où on trouva qu'il n'y avoit rien de rompu que les tonneaux. L'armée en refientit beaucoup de iove, Se il n'y eut quç

C

^ Ti'lhlre de la 'Blottie.

ceux qui s'eftoient échapez avec les Dames -^ qui eurent quelque déplaifir d'avoir témoigné fi peu de fermeté dans le péril.

CHAPITRE VIII.

•Combat de deux navires.

Dix jours avant que le General abordaft au port de Cuba , Diego Perez y eftoit arrivé avec un navire equippe de toutes cho-fes. Perez eftoit de Seville, Se allait trafiquer aux Mes du nouveau monde. On ne içait pas bien quelle eftoit la qualité , on fçait feu-Irmcut qu'en toutes Tes actions il agilïoitavec :tsant d'honneur ; que de fa conduite feule on poirvoit juger qu'il avoir lame tres-noble. Ii n'y avoir que trots jours qu'il eftoit dans ce <port » lors qu'il y arriva un Cor faire François qui avoit un tres-bon navire , Sz qui eftoit fort brave de fa perfonne. Mais comme l'Ei-pagnol avoir auiTi beaucoup de valeur , ils n'eurent pas plutôt reconnu qu'ils eftoient ennemis de nation , qu'ils s'attaquèrent & combattirent jufqu'à ce que la nuit les iepa-raft. Apres quoy ils s'envoyèrent Étire compliment avec des prefens de vin & de fruit, $ fe donnèrent parole que la nui: il y aufok

trêve Se que mefme on ne tircroît point de canon de part ny d'autre. Ils difoient qu'il n'y avoit point d'honneur , ny de courage-à iè battre avec du canon* Qu'il eftoit plus glorieux de ne devoir la' victoire qu'à ien bras Se à Ton épée : 8c que d'ailleurs on s'en-richiiToit des dépouilles du vaincu, Se d'u& excellent navire. Ils gardèrent leur parole ; de cependant de peur de quelque furpriie , ils ne laiiTerent pas de pofer la nuit des fentincl-ks. Le lendemain à la pointe du jour ils recommencèrent le combat avec tant d'opiniâtreté , qu'il n'y eut que la fatigue Se la faim qui les feparerent. Mais lors qu'ils eurent repris des forces , ils fe battirent encore jufqu'au-foir , après ils s'envoyèrent viiiter , ils fe firent des prefens , & s'offrirent des rtmedes pour ks bieifez.

Durant cette nuit, Perez écrivit aux habitais de Jaint Jacques,qu'il faîloit purger leur: Dur d'un Corfaire auflî redoutable que celuy quil tàchoit découler a fondsjqu'en côniide* ration des efforts qu'il faiioit pour leur rendre de bons offices , ri les fupplioit de luy promettre , que s il avoit du pîrt > ils luy ren-droieut à luy ou a fes héritiers la valeur de fan navire. Que s'ils l'aiTeuroient de cette faveur ? il mourroit , ou il triompheroit de ionennemy. Qu il leur demandoit cette gra~-C z

ce,parce qu'il n'a voit vaillant que Ton vaiïTèau: & que s'il polTcdoit d'autres ricliefles , il ha-zardercnt de tout Ton cœur ce qu'il avoit fur mer pour leur fervice. La ville de Saint Jacques * reconnut tres-mal la volonté de Pe-rez. Car bien loin de luy rien accorder , elle fit réponfe qu'il pouvoït faire ce qu'il luy plairoit, Se qu'elle ne luy garantifïbit aucune chofe. Ce Capitaine piqué de leur ingratitude , mit ion efperance en fa propre valeur, Se refolut de combattre également & pour fon honneur Se pour fa fortune.

Dans cette vue dés que k troisième jour parut , Percz s aprefta pour le combat, Se -attaqua fon ennemy avec autant de vigueur qu auparavant. Le François reçût de fon coité TElpagnol avec affûrance , Se il ne fon-gea qu'à vaincre ou à mourir.C'étoit en efFcc plutôt l'honneur que le profit qui animoit ces Capitainesjparceque hormis leurs navires qui valoient quelque chofe , le reflc de ce qu'ils pofTedoient n'étoit pas coniiderable.

Cependant ils s'attachent l'un à l'autre, combattent en lions,&ne fe feparentque pour reprendre haleine. Ils rentrent après au combat , irritez de ne pouvoir remporter aucun avantage l'un fur l'autre. La nuit enfin les le-

H Vilk autrefois la Capitale de l'Iflc de Cuba.

-pare , chacun fe retire avec fes blefTez Se fes-morts, & ils s'envoyent viiiter à la manière accoutumée. Une conduite il extraordinaire eflonna la ville de voir que deux perfonnes qui cherchoient fortune , s'opiniâtralTent avec tant de courage à fe vouloir o&er la vie, fans qu'ils y fufTent obligez par devoir y ny' par clperanee d'eitre recompeniez de leurs* Roys 3 puifque pas un de ces vaillans hom--mes ne combattoit par l'ordre de Ton Prince, Le quatrième jour , lors que Pcrez 3c le Coriaire fe* furent faluez cle quelques-volées de-canon j ils continuèrent leur combat ,.& ils ne le quittèrent que pour donner ordre à leurs blefTez. Ils le battirent enfuite avec tant d'ardeur , qu'il n'y eut que la nuit qui les Te- • parafl: -, puis ils s'envoyèrent faire civilité, 5c *e régalèrent de divers prefens: Mais comme Perez eut remarqué de la foibkiTe-enfo» ennemy, il le fit prier que leur combat fe continuait h première fois, jufqu a ce que l'un ou l'autre euft remporte la victoire. Et-pour-1 y engager il le defia à la manière de ia guer« re : ajoutant qu'après le courage qu'avoic , fait paroître cehiy qu'il avoit à combattre, il elperoit qu'il accepteroit volontiers le defu he Capitaine François repondit, qu'il Lre-cevoit de-tout ion cœur; & qu'au jour ailigné, il vaincroitj ou qu'il meurroit. Il fupplia

c 3

$o Hiflôire de l'a Tloride.

mefme Ferez de prendre toute la mut ds nouvelles forces pour le lendemain , Se de ne 1er point tromper par un défi artificieux; à caufe qu'il fouhaitoit de montrer en fa personne la valeur de la nation Françoiiè. Néanmoins lors- qu'il connut que le temps eftoit propre pour échapper, il rit fecrettement lever l'ancre , Se fe mit à la voile. Les lentiiieîles EC pacmoles ouïrent quelque bruit. Mais dans îapenfeeque leur ennemy le preparoit au combat, elles ne donnèrent point l'alarme ; $e lors que le jour parut , ils furent iurpris de voir qu'il s etoit iauvé. Ferez affligé de cette-fuite y parce qu'il croyoit que la victoire luy eftoit aiTeuree , prit dans Saint Jacques ce qu'il luy Jailcit, Se pouriuivit le Corfaire. Mais il eftoit déjà loin , & après tout.il fit bien de ne plus tenter la fortune du combat > puis que k. luccez en eiteit incertain pour luy.

Certes le procédé de ces Capitaines efl digne d'eftre remarqué. Us s'attaquoient en véritables ennemis, & toutefois iliembloitqu'a-prés le combat > ils s'aimafFent en frères. Us ïi'avoienr l'un pour l'autre que du refpeét., 5c de la bonté; Et ils donnoient d illullres marques que leur civilité ne le cedoit pointa leur courage ; Se que ioit.cn paix ou en guerre^ i[% CÛoient également généreux»

C H A P I T FL E I 2C Arrivée de 8oie-à Cuba*

LOrs crue les habitai! s-de Saint Jacques encore tout effrayez du combat virent pa-roiftre les vaifïauxdu General, ils craignirent que ce ne fufl le Corlaire qui retournai: avec d'autres pour faccager leur ville. Ce qui les-porta comme il a ef:e dit^-à faire échouer s'il le pouvoir, Ferdinand de Soto : mais lors qu'ils le reconnurent, ils changèrent de defïein, & il aborda iieureuJement. Le peuple court au devant de luy, Se promet de luy obeïr, luy témoigne fan affection par de frequens cris de joye. Ils luy demandent eniliite pardon de leur meprile, cauiee par le combat y dont ils avoient efté les fpeclateurs. Toutefois comme ils ne luy parlèrent point de leur conduite envers Perez j Se que le General en fut fe-crettement informé , il les bidma de leur ingratitude... Il leur reprefenta que ce Capitaine s'étoït hazardé pour leur (Service. Que la ire ayant balancé quatre jours entre luy 3c Ion enoenry , il leur eut efté aile avec une barque de trente hommes de le rendre maiftre 4c ce Corlaire. Que la crainte qui. les avois

£i Hîfioire de la Tijrlde.

empêchés de le déclarer eftoit mal fondée : parce que (î le François cuit-.efte victorieux , iln'auroit point eu d'égard a toute la froideur qu'ils avoient montrée pour un homme , qui" combattoît pour leurs interefts, Se qu'enfin on ne pouvoir aflèz toft, ny avec trop d'ardeur, lecourir ceux de Ton party , ny fe défaire de les ennemis avec trop de promptitude* Les habitans touchez de ces paroles promirent qu'a l'avenir, leurconduiteferoitplus» tage Se plus genereufeySe continuèrent à le ré-jouir. Mais ce qui redoubla leur joye, fut l'arrivée deleurEvêque, Ferdinand de Moça qui penia faire naufrage au port. Comme il deliroit palier du vaiileau en la chaloupe , il-tomba dans la mer , à caule quela chaloupe s'éloigna du navire.. Néanmoins ce qu'il y eue de plus dangereux, fut que revenant au dciïus>' de l'eau, il -donna de la telle contre la barque r. mais les Matelots fe jetterait dans la mer , 8c le fauverent. La perte de ce Prélat eut efté: leniible. Il pailoit dans l'Ordre de faint Dominique , dont il eftoit , pour un homme, d'un mérite extraordinaire. Si bien que le peuple de Cuba , qui s'cltimoit heureux d'avoir pour Evêque un grand per-fonage , Se pour Gouverneur un Capitaine renommé , ce ne. fut par toute la ville durant quelques jours que. jeux, danles,.

fèûnns, 5c mafquarades. II y eut meime des eourfes de bagues, où l'on voyoit une quantité de chevaux, de tout poil Se de toute taille,. les plus beaux du monde. Ajouftez qu'ami de rendre la réjoûiffance plus célèbre , on di-flribua divers prix à ceux qui fe fîgnalerent le plus. Ils donnèrent aux uns des bagues, Se aux autres des étoites de foye ; & au contraire on railloit ceux qui n avoient ny ladrcfie , ny le courage de fe rendre dignes d'eilime. Ces re-eompenfès d'honneur obirgerent pîuficurs Cavaliers de Tarnice qufefloient adroits , de fe méfier avec eux; ce qui augmenta la beauté de la feite, &: donna à toute la ville un piaifir particulier.

CHAPITRE X.

DcQfpoir de quelques Hubitans de Cuba.

LEs Soldats vivans en paix avec ïe peuple de la ville de Saint Jacques, Se tâchant de fe rendre de bons offices les uns aux autres, ils firent durer leur rcjoùiiîancc prés de trois mois. Cependant le Gouverneur vifita toute» les Places de lifte y II y établit des juches à qui" il donna la qualité defesLieutenans,& acheta des chevaux pourfon entrenrife. Les principaux Officiers £rerxlamei:ne chofe r de forte

que cela l'obligea a leur dtiïribuer de forgent, Se porta i^s Habitons de Hile a luy faire prelent de quelques chevaux : car ils en nour-riiloient avec grand foin, 8e en vendoient dans le Pérou & dans le Mexique^ Il fe trou-voit en effet des particuliers de Cuba qui en avoient les uns vingt, Se d'autres jufqu'a cinquante & foixante -> parce qu'alors rifle efloit riche , fertile , Se remplie d'Indiens. Mais la plupart le pendirent un peu après l'arrivée de Soto. Voiey la caufe de leur deferpoir. Comme les peuples de Cuba font naturellement parelieux , Se que la terre du pays rend beaucoup , ils-ne prenoient pas grand-peine a l'a cuiiivi r. Ils fêmoïent feulement un peu de gros millet qu'ils recueilloientchaque année pour les neceflitea de la vie. Si bien que et s pauvres Indiens le bornant à ce ciie la nature demande pour la fubfiftance , Se comme l'or.n'eft point nccelTaireàla vie, ifs ne 1 "eftu ruoient point, & ne pouvoient Toutfrir que Tes Efpagnois les contraignùTent de le tirer des lieux , où il fe trouvoit. Ailifi , afin de n eftre plus obligez à faire une chofe àquoy ils avoient tant d'averfion , ils le pendirent prelquc tous } Se on trouva au matin dans un Jeul village cinquante familles qui s'eitoienc defelperees de la forte. Les Efpagnolseffrayés de l'horreur de ce fpcctacL , tâchoient sude*

Hvre premier. «. Jf

tourner le refte des Barbares dune il cruelle refolution* , mais ce fut inutilement. Caria plupart de llfle, & prefque tous leurs voiims finirent leur vie par le mefme genre de mort : Se de là vient que l'on acheté aujourd'huy fort cher les Nègres qu'on mené aux mines.

CHAPITRE XI.

VÀfco Torcallo âe YigueroA prend pirîy dans l'Armée*

POur revenir à Soto , après qu'il euft envoyé des troupes par mer ious la conduire d'un § de Tes Capitaines ; afin de rehaftir la Ville des Havanes , que les Corlaires François avoient laccagée , il pourvCut à ce qu'il falloit pour la conqueftede la Floride , Se fut fécondé dans cette entreprife par Vafco Por-

* Ua autre hittorien raporte une aftion fort induftrteufe , dontfe fervi: un Espagnol Intendant de Vafco Forcallo, pour détourner quelquesuosde ceslndiens deCuba de fe pendre lt prit une corie a la imin . & les alla trouver dans le lieu , ok il favoit , qu'ils fe devoienr afTembler pour cette expédition leur difant qu'il s'nlloir pendte avec eux, pour les tourmenter en l'autre monde cent fois plus qu'il n'avoir fait en celui-ci. Ce JifcouiS leur rît abandonner la refolution . qVil', ivoient prife. & ils revinrent avec lai pour faire tout ce <V''i! '"ut ordonneroit.Cc qui fait voit combien ils hailicienx les Espagnols.

} Mutco Azcituno.

Jtf Hijîctre de U Tloride.

ca'lo de Figueroa , dont je vais par'er. Por-callo eltoit un Gentil-homme qui avoit de la tiaiflance , du bien Se de la valeur. Il avoit long-temps porté les armes, Se fouffert de grandes fatigues en Europe, Se en Amérique : fi bien qu'eftant vieux Se rebute de la guerre, il fe retira à la Trinité Ville de l'Iflede Cuba. Mais iur la nouvelle que Spto eftoit arrivé à Saint Jacques avec un€ Armée, il iuy alla rendre vifite, il s'y arrefta quelques jours, 5c comme il vit de braves troupes & de magnifiques préparatifs pour la Floride ; il fut tenté malgré Ion âge , de reprendre les armes. Il s'offrit donc luy 8c toutes ics richeffes au General , qui le reçût avec joye , Se loua fa refoiution. De forte que pour reconnoiftre avec honneur l'oiîre que ce Capitaine luy avoit faite de fes biens & de faperfonne, il le fit fon Lieutenant gênerai en la place de Nugno Tovar , qui fans fon aveu seftoic marié à la fille du Seigneur de Gomere. Ainfi les troupes s'augmentèrent de tout le train de Porcailo ; Se cela fervkextrêmement. Car il avoit un grand nombre d'Eipaçnols, d'Indiens, de Nègres, pluileurs domdtiques,plus de quatre-vingts chevaux , trente pour ion fervicc particulier , & cinquante qu il donna à des Cavalier- de l'Armée. Il avoit auili fait provilion de pain, de chair lalce, Se d'autres

chofes y

thofes ; & encourageoit par Ton exemple plu* ïieurs Efpagnols qui demeuroient dans Mile à iuivre le General , qui après avoir mis ordre à fes affaires, prit en diligence la route des Havanes.

CHAPITRE XII,

Soto arrive aux Havanes*

SUr la fin d'Août de l'année mille cinq cens trente-huit , le General partit de Saint Jacques , accompagné de cinquante chevaux pour fe rendre aux Havanes ; 8c commanda au refte de fa cavalerie, qui eftoit ce trois cens hommes, de le fuivre , & de fe partager par petits efcadrons de cinquante hommes chacun , avec ordre de partir à huit jours l'un de l'autre $ afin qu'étant en petit nombre ils trouvaient mieux ce quil leur feroitnecefïaire. Mais il voulut que l'Infanterie Se fa mai/on allaffe le long de la côte aux Havanes -> où aulïi-tôt qu'il fut arrivé , Se qu'il euft vu ladcfolationde la Ville, il fit des largefïes aux habitans pour reparer leurs maifons & leurs Eglifes, que les Pirates avoient ruinées. Il ordonna enluite à Juan d Aniafco fort expérimente dans la uaviga-

D

^ 8 îliftoire de la Tlorîde.

■ tion, d'armer deux brigantins, d'aller découvrir les côtes de la Floride , 8c d'en reconnoi-ftre les Rivières Se les hommes. Aniafco ©beit ; & après avoir couru deux mois plu-fieurs endroits de la côte , il retourna avec une exacte relation des chofes qu'il avoir

*vûës , & amena avec luy deux hommes du pays. Soto fatisfait de fa diligence le renvoya, avec ordre de voir où l'Armée pourroit aborder. Aniafco reprend fa route, viiite la côte, Se remarque les lieux où l'on pourroit prendre terre. Mais dans cette féconde courfe , d'où il revint avec -deux autres Indiens : il arriva que luy 8c fes comparons qui s'étoient égares les uns des autres dans une I-fle deferte, furent deux mois avant que de fe pouvoir rejoindre, Se ne mangèrent que des oileaux qu'ils tuèrent à coups de groiTes coquilles. Enluite ils coururent lur mer de li grands périls , que lors qu'ils abordèrent aux Havanes, ils furent au fortir de leurs vaifleaux a genoux jufqu'à i'E^lile ; où après avoir remercie Dieu de les avoir tirés de danger, l'Armée les reçut avec d'autant plus de joye, qu'elle croyoit qu'ils ewTent tous fait naufrage.

Cependant le General qui s'appliquoittout entier à" fon entrepriie , eut nouvelle que Mj'vloça Vice-Roy de Mexique , levoit des troupes pour la conquefte de la Floride»

Maïs comme il apprehendoit que leur rem-contre ne caufaft des differens, il refolut de luy communiquer les proviiions qu'il avoit de l'Empereur. Il dépêcha donc vers Men-doça , pour le fupplier de ne faire aucune levée qui le puft troubler dans la oonquefte qu'il meditoit. Et le Vice-Roy répondit, que Soto pouvoit en toute alTeurance continuer Ton voyage. Qu'il envoyoit Tes troupes en des endroits oppolez à ceux où il voulort mener fa flote. Que la Floride eftoit un vanité pays. Que chacun y trouveroit de quoy fatisfaire ion ambition. Que bien loin d'avoir la penfée de nuire à Soto , il fouhaitoit que la fortune luy donnaft lieu de luy rendre fervice , Se qu'il n'épargneroit pour cela ny fes biens, ny le pouvoir que luy donnoit îa qualité de Vice-Roy. Le General content de cette réponfe remercia Mendoça de fi bonne volonté,

" En ce temps-là les Cavaliers qui avoient eu ordre de partir de Saint Jacques pour les Havanes , y e(loient arrivez ; & avoient fait un peu plus de deux cens lieues, qui eftla di-ftanec d une de ces villes a l'autre. Soto alors voyant que fa Cavalerie 8c fon Infanterie tftoient jointes, Se que la faifon de fe mettre en mer approchoit j il laifîa pour commander en fon abfcr.ee , Iiabelie de Bovadilla fa fem»-

D %

me , & luy donna pour confeil Juan de Rochas. Il eftablit aufîi dans la Ville de Saint Jacques Franciico Gufman y car ces deux Gentils-hommes commandoient dans le pays avant fa venue, & fur le rapport qu'on luy avoit fait de leur bonne conduite, il les confirma en leur charge. Il acheta au mefme temps un beau navire , qui efloit abordé aux Havanes, 5c avoit fervit d'Amiral y lors que Cuniga fit la découverte de la Rivière de la Plata. * Ce vailTeaus'appelloit Sainte Anne j & efloit* fi grand qu'il porta quatre vingts chevaux en Floride.

CHAPITRE XIII.

Rencontre de Ferdinand Ponce aux Havanes.

DUrant que le General attendoit un vent favorable pour mettre à la voile, Ferdinand Ponce, qui efloit en mer s'opiniâtra quatre ou cinq jours, afin de ne pas relâcher aux Havanes $ mais l'orage l'y força. Il ne vouloit point entrer au port ; parce que quand Soto partit du Pérou pour l'Efpagne ,. ils eftoient convenus qu'ils partageroient

• * C'eft l'une des pl«s grandes Rivières de l'Amérique Me-

leur bonne & leur mauvaife fortune. La résolution de Soto lors qu'il fortit du Pérou, eftcit d'y retourner, pour y jouir des re-compenfes que fes fervices avoîent méritées dans la conquefte de ce Royaume. Comme depuis il changea de relolution ; Ponce obtint de Pi carre par ordre de 1 Empereur , une contrée où il aniafïa beaucoup d'or, d'argent, Se de pierreries. Il fêJit auffi payer de quelques dettes que Soto luy avoir laiïTées à recevoir : Se après s'eftre enrichy, iî prit la route d'Efpagne. Mais fur la nouvelle qu'il eut à nombre Dcdios, que Soto fe preparoitpour la conquefte de la Floride , il tâcha de palier outre y de peur d'eftre contraint de partager avec luy, Se que fous couleur de fon entre-prife , Soto ne s'emparait de les richeffes, ou du moins d'une partie.

Aufli-toft que Ponce fut au port, le General luy envoya faire compliment, Se luy ofrrir ce qui dépendoit de luy. Il allaenluite pour l'obliger de venir fe rafraîchir à terre , Se après s'eftre entretenu avec beaucoup- de civilité ; Ponce luy dit qu'il fe trouvoit limai de la tempefte, qu'il manqueit de force pour fortir de fon vaiiîcau ; Se qi:e des qu il fe fe-roit un peu fortifie,il 1 iroit remercier des offres obligeantes qu'il luy avoit faites. Soto par com r laiiancene l&f&efla point. Mais comme

D 3

S^b Wfioïre de U Floride.

il ie defîbît de quelque chofe il voulu l'éprouver. Cependant Ponce qui ne coniultoit que fon avarice , Se qui ne fe fioit pas auffi • i la tby du General , ne longea qu'à luy ofter in-confiderement la connoilïance des richefîès qu'il raportoit du Pérou. Il commanda donc, que fur le minuit on tirait, de Ion navire l'or , les perles Se les pierreries qui valoient plus de quarante mille écus,. Se qu'on les portait en la inaifon d'un de Tes amis ; ou qu'on les enterrait prés de îa côte , afin de les reprendre quand il le trouveroit à propos., fans que Soto en eut connoifTance. Toutefois cela ne reiiiiïlt pas 3 car ceux qui obfervoient les-gens de Ponce , appercevant venir un vaii-feau , fe cachèrent en diligence Se fans bruit. Mais lors qu'ils virent que le trelor efloit débarqué Se que ceux quil'avoient en garde s'a^-vançoient, ils donnent deilus , les mettent en fuite , Te rendent maîtres du butin , & le portent au General , qui ordonna que l'on ne divulgaitrien juiqu'à ce qu'on viit de. quelle manière fe gouverneroit Ponce qui s'eitoit défié de luy.

Le lendemain , Ponce qui diiViniuioit la trifteffe qu'il reiTentoit d'avoir perdu fon tre-for , vint deicendre au logis du General, où ils eurent un long cntretL-n , tant des choies preientes que des paiïccs. Mais comme 1*

converfation tomba ilir le malheur arrivé la. miit précédente , Soto le plaignit à Ponce de ce qu'il s'eftoit méfié de luy y Se pour mon-a-erlajuilice defes plaintes,,, il ht apporter les pierreries, Se les luy remit ,. 1 .apurant en mefme temps que s : ii eu manquoit quelq u— ne, il la feroit rendre ;-afm qu'il commit que ne touchant point aux biens de la fociçté , la conduite eftoit fort différente de la fienne. D'ailleurs que la depence qu'il avoir faite pour obtenir la permiilion de conquérir h Floride , eitoit.dans la vue de partager avec luy tout le bien qui luy en pourroit revenir. Qu'il en avoit fait fa déclaration en prefence. de gens d'honneur y Se que néanmoins il de-pendoit de luy de s'embarquer pour la Floride. Que mefme s'il le fouhaitoit , il renon-ceroit aux titres qu'on luy avoit accordez , & qu'il luy auroit obligation de l'avertir de* choies qu'il trouveroitbon qu'il hil pour leurs interefts communs. Qu'en un mot il-rencon-treroit en luy toute la fidélité que l'on doit attendre d'une perfonne genereuie.

Ponce plein de confufion du procédé qu'il' avoit tenu , Se encore plus furpris de la manière dont on \wy venait déparier, fupplia le General de luy pardonner fa faute , & de continuer à laymer. Il le conjura aullî de trouver.bon que chacun d'eux pourfuivifl fou

voyage, 8c de rerouvellerleurfocieté, mettant pour cela entre les mains d'Ifabellë de Bovadilla , dix mille éeus tant en or qu'en argent ; dont le General ie pouvoit fatfr pour l'avantage de la fociete. Cette façon d'agir fembla iî honnefte qu'on luy accorda ce qu'il demandoit. Enluite comme le temps parut propre à la navigation, Soto fit embarquer les munitions Se deux cens- cinquante chevaux dans les navires > qui fans compter les Matelots , portoient mille hommes tous gens bien faits, 5c bien équipez. De forte qu'il ne s'eitoit point vu julqu alors pour les Indes, un armemement ny fi grand , ny i\ Jefte. Il le mirent en mer Ifc douzième ds May de l'année mil cinq cens trente-neuf.Mais tandis qu'ils voguent au gre du vent, je diray ce que faifoit Ponce dans le port. Ce Capitaine fous prétexte de fe rafraîchir, Se d'attendre un temps favorable pour retourner en Eipagne , demeura aux Havanes après le de-part du Général, Et huit jours enfuite , il prefenta une requefte à Rochas, qui efioit le J*uge du lieu , par laquelle il expoloit que fans rien devoir à Soto, & feulement dans la crainte qu'il ne s'emparait de tout ce qu'il apportait du Pérou , il avoit donne à fa femme dix mille ccus en or Se en argent, & demandoit qu'on luy fia rendre cette iomme ,

ou qu'il proteftoit de s'en plaindre à l'Empereur. La requefte fignifiée , cette Dame répondit qu'il y avoit des comptes à faire entre Ponce & Ton mary, fiiivant le contrat de focieté qu'ifs avoientfait enfemble. Que Ponce devoit plus de cinquante mille ducats , Se qu'elle priok qu'on larreftaft juiqu'à ce qu'on euft vérifié les comptes qu'elle s'ortroit au plùtoft de produire. Ponce qui en effet eftoit débiteur dune grande fomme à la focieté^ furpris de cette reponfe mit à la voile , h bien qu'on ne puft l'attrapper ;. Et comme il seftoit embarraile là fort mal à propos , il fit prudemment de ne point pouffer cette afôire. Voila Comme l'avarice aveugle les hommes ,. Se ne leur apporte que de la peine 8c de la cou-fuiîon.

Vin du premier Livre de la Floride*;

picture1

&i ^ <=". '- <-.<^.^.^ ... O, <:7. <st £•. c; «5 o. ££ «t O <.-. <^ <r^

HISTOIRE

DE LA

FLORIDE.

LIVRE SECOND.

Ce qui arriva dans la découverte des huit premières Provinces.

CHAPITRE I.

Arrivée de Ferdinand de S et g dans la. Floride,

*S6 O t o ayant elle dix-neuf jours en % mer , à caufe qu'il n'avoit pas eu le p temps favorable ; ne découvrit la Floride qu' à la fin de May , Se vint mouiller en une très-bonne baye * , que l'on appella du Saint Efprit. Mais comme il eftoït fort tard,on ne débarqua point,& I'elendcmainon

* M Samfon appelle cette baye la rivière du S. Ifprit, U *îctUbaysdeccnotnàrj:ciJcQt de celle cy.

envoya les efquifs à terre. Ils revinrent avec des raifins (anvages, qui eftoient encore tout verts, «Car les Indiens qui les eftiment peu , ne prennent nul foin de les cultiver 3 & ne laiffent pourtant pas d'en manger , lors qu'ils font meurs. Le General reçut ce fruit avec joye, parce qu'il eftoit lémblable aux raiiins d'Efpagne : & qu il n'ei avoir point trouvé dans le Mexique , ny dans Je Pérou. De forte que jugeant par là de l'excellence du Terroir de la Floride ; il commanda à trois cens hommes dïci\ aller prendre poffeiTîon au nom de l'Empereur'. Ils débarquèrent incontinent, £< après avoir marché tout le jour , ils le reposèrent la nuit, à caufe de la fatigue qu'ils avoient eue. Mais le matin les Indiens qui les chargèrent avec vigueur , les mirent en fuite, & les menèrent battant juiqu'a la mer. Por-callo pour hs iouitenir , (ortit à la tefle de quelques Groupes : Se d'abord il eut taille les ennemis en pièces , lans h deiordre de fes foïdats , dont quelques-uns furent bleifez, à caufe de leur peud expérience. Néanmoins il les rallia, & comme il les.eut encouragez, il donna fur les Barbares qu'il pourfuivit chaudement. Et après leur avoir donné la chaffe , il retourna au camp ou/on cheval mourut au fi-toft d'un coup de flèche, qu'il a voit e* au travers du corps.

En mefme temps le General fît débarquer ; & après neuf jours derafraîchifTement, illaiffa fes ordres pour la garde des vaifTeaux ; 6e marcha environ deux lieues dans le pays, julqu'à la Capitale dHirriga* , qui porte le nom de la contrée & de Ton Seigneut ; parce que dans la Floride, la Province, la Capitale, Se le Cacique , s'appellent ordinairement du mefme nom. Lors que le General le fut donc ainfî avancé , le Cacique , qui efloit dans la Capitale de la Province , irrité contre les Efpa-gnols, à caufe qu'auparavant ils luy avoient coupé le nez, Se qu'ils avoient fait manger fa mère par les chiens : Se d'ailleurs allarmc de la venue de tant de monde abandonna la place, Se fe retira dans les bois, d'où Tonne put le faire fortir, quelque favorable traitement qu'on luy fit eiperer. Car tout en colère contre ceux qu'on luy envoyoit pour l'obliger de contracter alliance avec les Clire-ftiens ; il dlfoit que bien loin d'avoir communication avec eux , fon honneur ne luy per-mettoit pas mefme d'en oùir parler. Que c'e-ftoient des lafehes Se des perfides. Que le plus grand plaifir qu'on luy puft faire , eftoit de luy apporter leurs teftes, Se qu'il ne pourroit jamais allez reconnoiftre une Ci grande faveur.

¥ OuHirrihigua,

Tant

i ant les outrages ont de force pour exciter la haine dans ïe cceur de ceux que l'on a of-fenfez. Maïs afin que l'on connoiffe mieux jufqu'où le Cacique portoit Ton reiïentiment j je ràconteray les cruautez qu'il exerça fur quatre Efpagnols.

Il y avoit quelque temps que Narbaez" «doit party de la Province d'Hirriga ; lors qu'un de Tes vaiilèaux qui eftoit demeuréder-riere , & qui le venoit chercher parût à la rade. Le Cacique qui en futaverty, refolut de prendre ceux qui eftoient dans le vaiiïeau, 8c leur envoya dire que leur Capitaine en partant luy avoit ordonné les copies qu'ils dévoient faire y fl'p^T hazard ils meuiriorenv au port. Il leur-montra a. :es feuilles de

papier blanc , avec des lettres qu'il avoit re> çùës de Narbaez , tandis qu'il eitoiibïcn a-v^c luy. Mais cela rut inutile; car ils fe tinrent toujours (ur leur garde , fans vouloir prendre terre , jufqu'à ce qu'Kirri^a Lur en* voya pour oftages quatre des principaux de fa Sujets. Cette adrefte reùfiit , Sz autant d'Efpagnols entrèrent dans le bai t eau où eftoient k:s Indiens qui amenoient les ofb Le Cacique qui les apperçut^ fachc d'en voir fi peu, en voulut demander un plus grand nombre ; mais il en perdit la penfee , de peur que ceux qui venoient ne découd rïflent fon

^o Hifioiu de la Tïoïule.

deflein, Se ne luy echapaflent. Comme ils furent débarquez, Se que les oftages conn ( que leurs ennemis enoient au pouvoir de leur Seigneur ; Ils Te jetterent dans la mer fuivant l'ordre qu'ils en avaient; Se nageant entre deux eaux ils fe (àuverent. Cependant les mois qui voient qu'ils ont malheureu-fement iacririe leurs compagnons , lèvent l'ancre; Se de crainte de quelque autre malheur* ils fuient a toutes voiles.

CHAPITRE ïï.

Mort de mû Efpagnols , &'. us

que foujfrit fuan Or.

Hlrriga garde:: avec foin les prisonniers, pour augmenter par ' te d'une fefte qu'il devoit célébrer dans pçii de jours, îe on la couitume du pays. Le temps de la cérémonie arrivé,il commanda que l'on h: venir en public 'es Eipagnols tout nuds -, S; que les obligeant de courir tour à tour d'une extrémité de la place à 1 autre , on les tiraft de temps en temps a ce. afin que leur mort fiift plus lente , leurs tour-mens plus ;, & la rejoui .lance plus cé-

lèbre Se de plua longue durée. On

auffi-tôt, Se le Cacique qui affiftoit au fpc-cracle , vit avec plaifk trois de cesEfpagnoIs courir de cofte & d'autre , & chercher inutilement à le fâuver de la mort. Pour le quatrième qui s'apppelkut Juan Ortis, comme i! n'avoit qu'environ dix-huit ans, & qu'il eftok bien fait de ia perfor.ne,1a femme Se Itb filles du Cacique s'interreflerent en fa faveur. Ei'es dirent que fon âge eûoit digne de pitié , qu'il n'avoit point eu de part à [a peifidie de ceux de fa nation ; & quainfi n'ayant commis aucun crime digne de mort, ij falloit feulement le tenir efclave. Le Cacique y confentit: Mais cette erace ne fervit qu'à faire mourir Ortis de mille morts. On le forçoit à porter perpétuellement du bois 8e ue Peau , il man--geoit Se dormoit-trespeu, & eftoit accable de tant de coups, que s'il n'enfl eité retenu par la crainte de Dieu, lî fe fuft tue luv-mefmc.' Ajouftez que les Barbares reccubloient les peines aux réjoûilîances publiques, & l'obii-geoient de courir tout nud dans une grande place où ils eftoient avec leurs arcs pref s à le :■ , en cas qu'il paruft. vouloir prendre quelque relafche. Il commençoit à courir avec )c Soleil, Se ne finftToitqu'à la nuit ; Se mefine durant le dîner du Cacique, on ne ibuffiroit pas qu'il interrompift fa courfe. De forte qu'a la fin de la journée , il eftoit dans un E 2.

efiat pitoyable ; eftendu par terre , plus mort 1 que vif. La femme & les filles d'Hirriga touchées de eompaffion luy jettoient alors quelque habit,& lefecouroient (i à propos qu'cl es l'empefehoient de mourir. Mais leur pitié luy eftoit cruelle. Car elle ne fervoit qu a augmenter la barbarie du Cacique , qui enragé de ce qu'Ortis refiftoit à tant de diverfes fatigues, commanda un jour de fefte que Ton a lumaftunfeu au milieu de la place y que ionpofaft fur le brader un boucant * , & que fon mit Ton efclave deflus afin de le brufler vif. Cet ordre fut promptemen: exécuté, Se Grtis demeura étendu lur ce gril, jufqu'à ce que les Dames attirées par fes cris, accoururent à fon fecours. Elles conjurent îe Cacique de ne pas pouffer fa vangeance plus loin, elles blafraent fa cruauté, & enlèvent le pauvre Ortis à demy-bruilc. Car le feu avoit déjà Sut élever iur fon corps de greffes ampoules, àorx quelques unes s'eftant crevées le courroie nt de iang , & attiroient la eompaffion île la plupart des fpe&ateurs. Eniuite ces charitables filles, îe font porter dans leur mai-fon ; où elles le traittent avec des herbes., dont les Indiens fe fervent dans leurs maux , n'ayant ny Chirurgiens, ny Médecins, Enfcv.

tu bout de quelque jour , Ortîs guérît de Tes bîefïlires, & il ne luy en demeura que les cicatrices. Le Barbare réjoui de le voir en eftat de fourrrir 5 afin de faire durer la vançence long-temps y inventa un nouveau genre de iupplice pour ie iatisfaire pleinement , Se fe délivrer de ïtmportunité de les filles. Il luv ordonna donc de garder de jour Se de mrit les corps morts des habitans de la ville. Ces corps eftoient au milieu d'une foreft * cb.ns des cercueils de bois couverts d'aix, qui lï'eftoient point attachez : mais arreftez feulement par le poids de quelques pierres , ou de quelques pièces de bois qu'on mettoitdeil 6iSé Mais comme les lions qui font en grand nombre dans la contrée , venaient quelquefois tirer de ces cercueils les corps, & les emportent : Le Cacique commanda à Ortis fur peine d'eftre brufle vif, d'avoir foin qu'ils ne les enlevaient, & il luy donna quatre dards pour fe derrendre contre toutes fortes de beftes farouches. Ce pauvre^fefpa«.;nol reçut avec joye cet ordre dans Tefperance de mener une vie un peu plus heureufe qu auparavant. Il s'en va donc dair c la foreft, ou il s'acquittoit exactement de la commilîion , & fur tout la nuit -, parce qu'alors il y avoir

* Cette coutume d'enterrer les morts w'ans une toiçft, «toit particulière aux peuples de la Province d'Hirri^a.

E3

$4 Rîfiolrs de U Fhrjdeï

plus à craindre. Cependant il arriva qu'une fois comme il eftoit abbattu de fatigues, &£ «mil s'eftoit laiile turmontçr par le lommeil , un lion découvrit un cercueil Se en tira un enfant qu'il emporta.. L'efclave éveillé a la ckeute des planches, court, s'approche du cercueil, n'y trouve plus de:corps, Se croit ru'enhn c'eft fait de fa vie. Touché de crainte & de douleur , il va chercher le. lion , ou pour mourir en le combattant., ou pour luy faire lafeher fa proye. 11 fçavoit que dès la, pointe du jour , les fujet» d'Hir-riga vien-, droient vifîter les cercueils ; Se que s'ils n'y r«ncontroient l'enfant;, il feroit cruellement^ bruïlé. De forte que l'apprehenlion l'obligeant de courir ça & là , il fe trouva dans un, grand chemin au milieu de la foreft. , Se oùit,. un bruit comme d'un chien oui ronzeoit u». os. Il prcitel'oreil, & danslapenlcequec'c-. toic le lion , il le coule à travers des bromTail-. les, & à la faveur de la Lune il le voit qui de-. -proit fa^foye. Il prend donc courage, & luy, lance un de les dards : mais parce qu'il ne, l'oùit pasf.:ir, il crut ..qu'il! avoir tué, Se demeura jufqu'au jour pour en eure éclaircy f , priant Dieu avec larmes de ne.le point ab<ufc«. 4onner dans fon njajfreuu

fàvre fb'cond: fjj|

C H A PI T R E III..

Ortis fe fduve,

Sttoft-que. le jour-commençaàpareiuTe>-Ortis trouva le Lion tué , & tout tranu porté de joye , il r?.maife ce qui--reftoit clô Déniant, l'enferme,dans le cercueil? prend la. Lion par la pare, & fans luy. arracher la dard Cjui le perçoit, le traîne à Hirriça. Comme-c'en: une cho-fe nirpreiiante que de tuer un Lion dans ce pays-là, ou-toutefois ils ne font pas iî furieux qu'en AfFrique , Ortis fut ho«» noré de toute la ville, & le Cacique iupplia par les hlles defefervir d'un fi courageux ef-clave, .& d'étouffer Ton reifentiment, à caufe d'une fi belle action. Le Barbare en cette, rencontre eut un peu de complaiiance > 8c. durant quelques jours il traittaOrtis avec pluSi d'humanité. Mais parce que les injures reçues lai fient toujours quelque rené de haine :: toutes les fois qu il fe iouvenoit des indignité que !e> Lipj.c-noL luy avoitnt faites, Une fongeoit qu'a le vanner de cette nation en la perfonne d'Ortis ; & ia colère qui femb.loic. comme efhinte , feçajlùmoit tout à coupa-. xcç plus de violence. Défaite que fuçconw.

^K Stfloire de U Floride •'

tant au defir de vangeance qui le pofïedoit? me & à fes iules, que puisque la v s de fon efclave oit en Ton efprit l'affront v-"! p. voit reçu. $ il voulait à la première telle le faire tuer à coups de flèches, & que far peine d'encourir fbn indignation, elles ne le ibilicitailcnt plus en fa faveur. Qu'il eftoit vray qu'il avoit montré un peu de courage y mais que cela n eftoit pas affez confiderablc pour 1 emporter fur fes reflçnti-mens. Sa femme Se les filles qui le connoii-fôient, s'accommodèrent à Ion humeur, -5c luy témoignèrent que c l éCoit bien agir que de fè défaire d'un homme pour qui l'on avoit tant d'averfion : & dont la prefence ne iervoit qu'à renouveler les déplaifirs. Cependant l'aînée de les filles refoli ê* de fauver Or-ris , l'avertit de tout ce qui fe paiïoit. Mais comme à cette nouvelle il parut à demy-mort , elle luy dit qu'il ne devoir defelperer de rien. Qu'elle le tireroit de danger s'il avoit aflez de reioîution pour fuir. Que la nuit mirante à telle heure & en tel lieu, il trouverait un Indien en qui elle fe floit. Que cet homme le conduirait jufqu'à un certain Pont, à deux lieues de la Xille. Que lors qu il ferait arrivé à cet endroit , l'Indien reviendrait fur fès pas, avant qu il fut jour ; arin que le Cacique n'cuftconnoilTance d'au*

cmne chofe , & ne puft raifonnabîement fe vanger de la fuite fur perfonne. Elle ajoufla-qu'à fîx licuës, au de là du pont, il rencontrèrent une Ville *, dont le Seigneur appelle Mu coco la coniideroit, & (ouhaitoit mefme de lépouier.Quil luy diroit qu'elle lenvoyoit fe jetter entre fts bras , étant aiuiré qu a fa-considération ii feroit protégé de Mucoço. Qu'au refte il implorait, le fecours du Dieu quiiadoroit, Se que de Ton cofté, elle ne pouvoit rien davantage. A peine eut- elle a-chevé déparier, qu Ortis le jette à ies-pieds > Se !-uy rend tres-humblement graecs-des boutez qu'elle avoit eues pour luy. Il-s'appreiïe pour fe fauver îa nuit fuivante, & lors que les gens d'Hirriga étoientdans leur premier fom-meil, il s'en va chercher Ton guide, qu il trouve au rendez-vous, & part ïecrettementavec luy. Mais fi-tôt qu'ils furent au pont, Ortislç pria de le mettre dans le droit chemin , & de s'en retourner en la maifon. Après il le remercia , il luy fit mille proteftations de fervice> 8c s'en alla en diligence vers Mucoço*

CHAPITRE IvT"

Generofité du Cacique Mucoço.

ORt : s arriva avant jour prés de la Ville de Mucoço. Néanmoins de crainte d'âc-IkPjoviacc de Miifoço, ™

jS Biftohe de la Floride.

cident il n'ofa entrer que le Soleil ne paruit. Deux Indiens qui l'avoient découvert, Sortirent alors Se fe mirent en citât de le tirer., Il | S'apprcfta au(Ti pour fe defFendre ; car 1 honneur d eitre favoriio d'une belle Sz ger.ertufe Dame , luy donnant de la hardiefTe, l'obligea de dire qu il eftoit envoyé de !a part d'une fille de qualité vers Mucoço. Les Indiens le joignirent au mefme temps , & s'en retournèrent de cou . avertir leur Seigneur, qu'un e'cïave d Hirriga luy apportent des nouvelles. Mucoço qui fortoit de {a maifon, s'avança pour apprendre ce qu'on luy vou-îoit. Si-toft qu'Ortis l'apperç fit, il s'approcha avec rcfpect, 8c luy dit qu Hirriga l'avoir refolu de le faire cruellement mourir à la première ferle. Que les files noi oient plus parier en la faveur, que l'aînée l'avoit porté à fe fauver, 8c luy a y oit donné un guide. Qu'elle luy avoit commande de fe prefenter à luy de k pair. Qu'enfin elle le prioit par l'amour qu'il avoit pour elle Je ;e prendre en fa protection , 8c qu'elle luy en fçauroit beaucoup de gré. Après que Mucoço eut favorablement écouté Ortis, il le plaignit 8ç i'embraf-fant , il luy dit qu'il n'appréhendait rien. Que fur fes terres il mènerait une vie bien différente de celle qu'il avoit menée. Qu'à la.coniideratiou de la belle qui l'envoyoît, il

le

le protegeroît hautement, Se que tandis qu il VÎVToit perfonne n'entreprendroit de luy faire tort. Mue ço tint fa parole à Ortis, & e traita beaucoup mieux qu il n euû jamais oie eiperer. îl voulut que nuit & jour, il demeurait dans la chambre ; ma ; s i! acheva de le comb'cr de fes grâces, lors qa il apprit que d'un coup ce dard il avoir tue un lion. Cependant Hirriga eut nouvelle que fou efclavë eitoit auprès de Ivmcoço , & il l'envoya demander par an Cacique *leur amy commun. mdît, qu'Ortis ayant pris ifon pour azile , ?1 ne permettroit jamais qu'on l'en tirait; 3: que la perte d'un homme qu'Hirriga vouloir faire mourir ne luydevoit pas lu ronliderable. Sur cette réponse

Hirriga alla trouver Mucoço, mais fort inutilement. Car en fuite de quelques paroles de civilité , Mucoço luy témoigna qu'il efloit fort m de le vouloirobliger.a faire

une choie contre Ion honneur, & qu'il leroit le plus lâche de tous les hommes, s'il aban-donnoit Une perfonne qui eftoit fous fa protection.

Cette réponfc brouilla le Cacique avec Mucoço, qui ayma mieux renoncer a f.s a-mours que de violer fa foy ; de forte qu'Orcis

* Lriibaracuxi.

#0 TJiJlohe de U FÎorlcîel

demeura avec ce Seigneur, quiiuf contîiuîS fa bienveillance, il vécut avec luy jufqu'au temps que Soto entra dans la Floride Se fut en tout dix années parmy les Indiens, un an Se demy avec le Cacique qui le tourmenta 9 8e le refte avec eduy dont il reçût toutes fortes de bons traitemens. Mucoço en effet fè gouverna bien envers Ortis j S: \a conduite couvre de honte certains Princes Chrétiens qui trahiflent lâchement ceux au fq ne 1 s ils font obligez de garder la foy. Mais il f aut croire <r à l'avenii ia geno ohté du Cacique ks ton-chera. Son aclion part ve tentd'une

grande ame. Plus on confïdere la perfonnû pour laquelle il a fait tant et chofes , ceux à qui il areiifle, Se la paflîon qu'il avoitpour !a {■■\ d'Hirriga; Se plus il mérite de loiiange , d avoir genereufemen* iacrifié fa maiitrefTe , s a ion honneur. C'eftainf que Dieu fe piaiit à raire naiftre dans des régions barbares , des yenonnes extraordinaires , pour confondre les Chrétiens qui vivent dans des pays où régnent les feiences Se la religion.

CHAPITRE V. Le General envoyé demander Ortis.

SOto eftant en la Ville d'Hirriga, apprit les. a van turcs d'Ortis, dont il a voit leu quelque

Ihre fécond. &

<iue cnofè aux Ha/ânes par un des fod-'ens ou Aniafco a ! "oit attrapé , lors qu il alla découvrir la cofte de la Floride : Car ils eft 3\ctft -fuie es du Cacique Hirriga. Mais comme ce--4uy qui racontoit des nouvelles d Gitis prononçoit Orotis pour Oriis , les Eipa-gnols malgré leurs truchemens crurent que ce Barbare aflèuroit que Ton pays abon-doit en or., 5c ils fe réjoùilîoient d'en rendre ce mot d Orotis, à-caufe que leur but ne ten-doit qua chercher Ior de la Floride.

Enfin fur l'aflèurance qu'eut le General f qu'Ortiseftoita^ec Mucoço , il crut qu'il de* voit l'envoyer demander, tant pour 1-arrran-chir que pour s'en fervir en qualité de truche* ment. Il donna donc ordre à Balthazar de Gallego , Sergent Major de l'Armée , d'aller trouver Mucoço ; & de dry dire que les Espagnols prenaient part aux grâces qu'il avoit faites à Ortis. Que fe confiant fur la bonté qu'il avoit eue pour eux, ils le fupplioient de leur rendre cet efclave ; parce qu'il leur eftofe tres-necefTaife. Qu'en confideration de cette nouvelle faveur qu'ils efperoient, il n'y avoit rien qu ils n'entreprirent pour luy. Que s'il vouloir prendre la peine de les venir voir , il trouveroit qu il n auroit pas oblige des ingrats. Qu'enfin après ks marques de .ge-nerofitc qu il avoit données, leur plus grande

F

Gl lliftoirc de U Floride.

joye feroît de le reconnoiftre 5c de l'avoir

pour amy.

Gallcgo partie incontinent avec foixante lances, Se dans ce temps-là Mucoço apprit que les troupes Efpagnoles eftoient arrivées à Hirriga pour faire la conquefte du pays* Comme ilapprehendoit cette armée,il enparla à Ortis 3 Se luy dit qu'à Ton fujet il s'eftoit brouille avec de puiiîans Caciques. Qu'au-iourd'huy il fe prefeiïtoit une belle occafion de n'eftre pas méçomioiflâht de cette faveur. Que véritablement , il l'avoit oblige lans ei-■perance ; mais qu'il lembloit que la fortune defiraft que les bons offices qu'il avoit rendus aux Lfpagnols en (à perionne , fuffent reconnus. Qu'ainli ileftoit d'avis de l'envo ver avec cinquante des plus remarquables de les lujets vers le General , pour luy offrir fon ail iance-, avec prière de recevoir la contréee ious la protection. Ortis ravy de cette nouvelle, Tepondit à Mucoço , qu'il avoit beaucoup de joye de luy pouvoir témoigner la recon-noiffànce. Qu'il raconteroit aux Espagnols la généralité , Se que ceux de la Nation qui fe piquoien: d'effre fort fenfibles au grâces que l'on faifoit à leurs gens, le confidciv-roient à prel'ent Se à l'avenir ; S: qu affairement il recevroit le fruit des boutez qu il a-Voit eues pour luy. À peine avoit-il parle,

qu'il vint cinquante indiens à qui Ion avoir -commandé de fe tenir prefts pour l'accompagner. Ils prirent la route qui va de Mucoço a Hirri^a, & partirent le jour que Gallego lortit du Camp pour venir vers le Cacique. Mais il arriva qu'après trois lieues de marche dans le grand chemin, le Guide des Efpagnols s'alla mettre en tefte qu'il ne les devoit pas conduire rldeileinent. Il commença donc à les regarder comme des ennemis qui venoient s'emparer des Indes, & ravir aux habitons les biens avec là liberté. Touché de ces coniîde-rations y il quitta fa route; prit la première qu'il rencontra, Se égara les Efpagnols une bonne partie du iour. I! les menoit en tournant vers la mer, à deûein de les engager dans quelque marais pour les y faire périr. Et comme ils n avaient aucune connoiiïance du pays , ils ne remarquèrent point la malice du Barbare , que quand l'un d'eux apperçut entre les chênes de faforeftoùilseftoient,les mats de leurs Navires. On avertit Gailego de la méchanceté du Guide , & il fe mit en cftat de le percer d'un coup de lance. Lin-tout eflonné , fit entendre par figues qu'il remettroft les Efpagnols dans le chemin. 11 tint <a parole ; mais ils furent contraints de 3 fur leurs pas.

£$ Hiftoire de U Floridél

CHAPITRE VI.

Rencontre d'Ortis & de G aile go.

ORtis allant de Mucoço à Hirriga, entra dans le chemin qu'avoit pris Gallego , te reconnut aux traces doi Efpagnols , que leur Guide les avoit égarez par malice. De forte qu'airn de prévenir l'alarme qu'ils don-Kcroient à la ville , s'ils y arrivaient avant que de Juy avoir parlé > il refolut de les fui-* vre avec fa trouppe. Et après avoir marcha quelque temps, il découvrit Gallego avec Tes compagnons dans une grande plaine bordée d'un cofté par une épaiile foreft. Les Indiens audi-toft furent d'avis de gagner le bois, à caufe qu'on fe mettoit au hazard d'eftrei mal-traité des Chreiliens, G l'on n'en eftoit reconnu pour amis y avant que de les joindre. Crtis fans écouter ce confeil , s'imagina que c'efloit afTez d'eltre Efpagnol -> 8c que ceux de fa nation ne le méconnoiilroient pas. Cependant comme il eftoit veftu à 1 Indienne, un bonnet couvert de plumes , un petit caleçon , des flèches & un arc à la main, la choie n'alla pas ainil qu'il fe l'eftoit figuré. Car au meihic temps que les Eipagnols le virent ao-.

compagne de Tes gens, ils doublèrent leurs marches , quittèrent leur rang, Se fans obeïr à Gallego qui les rappelloit, fondirent furies" Barbares que menait Ortis, Se les pouffèrent à coups de lances dans les bois. Néanmoins, à cauie que ces Indiens ne furent pas fermes, il n'y en eut qu'un leul de blefTéd un coup de lance aux reins. Ce Barbare qui faifoit le Hardy, eftoit demeuré derrière avec Ortis , que Nieto preiïoit vigoureuicment à coups de lance, qu'il para d'abord de ion arc. Toutefois , comme Nieto qui eftoit ardent & robuste revenoit à la charge , Ortis craignit de fuccomber, 9c commença à crier Xibilla pour Scvilla. Il ritmehne de Ion arc le ligne de la Croix, afin que Ton reconnuft qui F eftoit Chrefticn ; parce qu il ne lepouvoit dire en Eipagnol. Il avoit tellement perdu la couftu-me de parler fa langue depuis qtf il eftoit par-m y les Indiens qu'il l'avoit oubliée j juiqu a. ne pouvoir prononcer Seville, le nom propre du lieu où il eftoit né* La mefme choie m'eft. arrivée à moy } car n'ayant trouve dans TEC pagne perionne avec qui je puiffe converfer en ma langue naturelle , qui cft celle du Pérou j'ay perdu de telle lorte l'ufige de la parler , que pour me faire entendre je ne (eaurois dire lix, ou fept mots de luite. J'ay pourtant f^ù autrefois m'exprimer en Indien avec tant

€6 Hiflolre de la Tlbride.

de grâce , que hormis les Incas qui parlent le mieux, nul autre ne s'expliquoit plus élegam* ment que moy.

Pour retourner à Ortis, après que Nieto luy euft oui prononcer Xibilla, il luy demanda qui il eftoit ; & des qu'il euft repondu Ortis , il le prend par le bras., le jette fur iaxrou-pe de Ton cheval, Se le mené tout joyeux à-Gaîlego , qui rit promptement raiTembler les-gens qui donnoient la chafTe aux Indiens, Ortis entre luy-mefme dans laforeft, appelle les compagnons, Se leur crie de toute fa force qu'ils pouvoient revenir en toute aiTeurance. Mais les uns épouvantez s'enfuirent juiqu'à la.Ville de Muçoço , où ils donnèrent avis de tout ce qui fepafïoit : 3c les autres qui n'a-i oient pas eu tant de peur, & quines'eftoient pas écartez fi loin, fortirerrt l'un après l'autre de la foreft à la voix d'Ortisi Es deteftoienr. tous la mauvaife conduite ; Ç\ bien que lans la. prtfence de nos gens ils feulTe outragé.. Mais pour fe iatisfaire en quelque façon , ils> s'emportèrent à des injures , qu'Ortis inter-. prêta le moins mal qu'il put auxEfpagnolsqui le bialmerent ayfli, & donnèrent ordre que l'on eûtfoin de l'Indien blefle.Cepcndanr ildé-pecha un homme au Cacique Mucoço ., pour le tirer de la peine oùl'avoient jette lesiuyars; le enfuite lu prirent touà la route du Camp.

CHAPITRE VÎI.

Mucçço vient voir h General. *

LA nuit étoitdéja fort avancée, lors que Galîcgo. arriva au Camp. Le General filfprîs d'un (î prompt retour, s'imagina quel-* Tûud maiheurunais ri fut auffi-tôt raflèuré par la vue d'Ortîs qu'il récent obligeamment^ &: auquel il donna un jupon de velours noir, dont Ortis ne fe put fervir , parce qu'il eftoît? accouftume d'aller nud, Il porta leii'ement une chemiie , un caleçon de toile , un bonnet , Se des fouliers j Se demeura en cet eftar plus de vingt jours, jufqu'à ce que peu à peu' il-, reprit L'habitude de fe veflir. Soto ht auflr un favorable accueil aux Indiens ; & après il" depécha.vers le Cacique pour le remercier de luy avoir envoyé Ortis. Il donna ordre de* kiy dire qu'il fe lentoit oblige de l'offre qu'iL luy faifoit de fe^vouloir mettre fous la protection des Eipagnols, S< qu'il l'acceptoit avec joye au nom de Charles-Quint ion Mahlrc, le premier des Princes Chrcftiens.

Cependant , les -Eipagnols viennent voir, Oitis, 1 cmbralfent, le félicitent fir L\ venue, & paffent la nuit en rejouiflançç ,• Enfui te la

#8 ni/foire de U Floride.

General l'appela pour s'informer des parti— eularitez de la Floride , & de la vie qu'il avoit mené ions les Caciques. Ortis luy dit Bu'Hirriga l'avoit cruellement tourmenté , il luy en montra les marques , & l'on vit qu'il fortoit des vers des playes que le feu luy avoit faites ; Mais que Mucoço l'avoit traitté hon-neftement. Que néanmoins il n'avoit ofé s'écarter -de crainte d'eflre tué par les Sujets de ce Cacique ; Ci bien qu'il n'avoit prefque aucune connoifiance de la contrée , Se qu'il fç avoit feulement que plus on avançoit dans le pays, & plus il eftoitfertiie,

Durant qu Ortis entretenoit le General , on donna avis que Mucoço accompagné de plulieurs Indiens approchoit du Camp. On l'apperceuten effet prcfque au(Ti-toft qu'on en eut nouvelle , 8c on le conduifit au General , qu'il falùa avec refpecl: auiTi-bicn que tous les Officiers de î armée , félon la qualité qu'Ortis'luy faiioit connoiftre que chacun avoit. Il retourna en fuite faire fa cour au General, qui le reccutavec beaucoup d'amitié , à caufe des bontez qu'il avoit eues pour Or* tis. Mais Mucoço témoigna qu'on ne luy avoir point d'obligation de ce .qu'il avoit fait ; parce qu'en qualité de Cacique il y eftoit obligé.Qu'ils'étoit feulement coniidere en cela, & que tnefme ii n'avoit envoyé Ortis, que

pour empefcher que les troupes ne fuTent du deeat fur ies terres. Quainli fes fervues eftoient peu de chofe. Que néanmoins il fe ré-joùifToit que faconduite fuit, favorablement interprétée du Généra' , pourlequel il avoir une eftime toute particulière. Qu il le fup-plioit par ce zèle & par la grandeur dame qui eft fi naturelle aux Efpagnols, de le prendre fous fa protection. Que deflors il recon-noûToit Charles-Quint, & Ferdinand de Soto pour Tes Seigneurs légitimes. Qu'eftant+eur raflai , il efloit recompenfé au de là de Ton mérite; Se qu'à l'avenir il les ferviroit de tout fon pouvoir. Porcallo & les autres Capitaines" furpris du bon fens de ce Cacique-, luy firent beaucoup d'honneur, mefmes despreiens, & à tous ceux de fa fuite.

CHAPITRE Vlin

la Mère de Mucoco vient au Cam?.

DEux jours après l'arrivée de Mucoço* la mère qui eftok abfente lors qu'il partit de chez luy , & qui n'auroit jamais con-ienty qu il fe livrait au pouvoir desEfpagnota vint trouver Soto. Elle avoitla trifteiîe peinte fur le vifage, Se paroiilok li fort agitée do

y a Hifloire de la Tleride.

l'inquiétude qu'elle avoit pour Ton fils, qu'api prochant du General , elle le conjura de luy rendre Mucoço ; dans la crainte qu'il nefuft traité comme Hirriga. Que s'il avoit relolu de fe porter à cette extrémité, elle efloit pre-fle de mourir pour Ton fils. Le General la. reçût civilement , & luy repondit que bien loin de faire aucun déplaiiir à Mucoço, il meritoit- toutes fortes de bons traitemens. Qu'il vouloit melme qu'à caufe d'un fiis Ci généreux, on rendift a la mère de grands réf. pedb. Que pour cette raifon elle n'appréhendait rien , & eiperail tout de la gêner ofi té des Espagnols. Ces paroles raffurerent un peu cette bonne mere # , Se l'obligèrent à demeurer toujours dans le camp. Mais elle avoit tant de défiance que mangeant a la table du General, elle craïgnoît que l'on ne luy donnait, du poifon. De forte qu'elle ne goûtoit d'aucune choie qu'auparavant Ortisn'en fift refïày,& ne laiTeurait qu'il n'y avoit nul danger. Ce qui obligea un des Gentils-hommes du General à dire, qu'il s'eftonnoit qu'elle euft. ottert fa vie pour Ion fils, puis qu'elle appréhendent fi fort de la perdre. Cette Da-me a qui l'on fit entendre cela, répliqua qu'il eiloît vray qu'elle aimoit extrêmement la vie ; mus qu'elle aimoit encore plus ion fils , & qu'il n'y avoit rien qu'elle ne donnafl pour le-

-conTerver. Qu'en cette confideratîon elle fupplioit le General de luy rendre le fa/et de toutes le: tendre Iles. Qu'elle defiroitpailîon-nement de l'emmener avec elle. Qu'en un mot elle ne pouvoit gagner fur Ion efprit de k fier à la parole des Cnretiens.

Le General Iuy repartit qu'elle eftoit libre de s'en aller • mais que pour fon fils-, il trou-voit quelque plaifir à demeurer parmyles Espagnols , dont lapluinart eftoient de ion âge. Que quand il auroit volonté de s'en retourner , perlbnne ne s'y oppoferoit* Qu'enfin il protêftoit que ton iiis auroit plutôt à s'en Jouer qu'à s'en plaindre.

La mère du Cacique partit du Camp fur cette promené ; mais auparavant elle pria Ortis de le fouvenir que fon fils 1 avoit -obligé , & de luy rendre la pareille dans le danger ou elle le laîfloït. Le General & toute fa Cour rirent de cette défiance , que Mucoço tourna avec tant d'elprit qu'il contribuai!: au divercilîement, & pour montrer'qu'il fefioic aux Efpagnols , il fut encore huit jours à entretenir Soto Se les Ornciers; Tantôt il s en-queroit de l'Empereur, tantofi des Dames, tantoftdescouitumes& des grands dEpagne. Après ce temps-là, il prit un honnefte prétexte pour s'en retourner , Se quitta civilement les Efpagnols. Mais il les revint voir plufieurs .

/ois depuis, 8c liur fit à tous divers preleifiC Muccço eftoit alors âgé de vir.gt-fixà vingt-fept ans. Il avoit le vidage bienfait, la taille belle & un que je ne Jç>y quel air de grandeur dans toutes (es actions, quigagnoit 1 eftime & 1 amitié de ceux qui l'approchoienu

C H A P I T R £ IX.

Vreparatifs pour avancer dans le Payf.

DUrant ces chofes le General donnoit ordre à tout. Car après que l'on eut débarqué les vivres 8c les munitions a Hirriga , la ville la plus proche de la baye du S. Elprit, il rnvoya auxHavane > les plus grands de fes vaif* ïeaux, avec pouvoir a (a femme d'endilpofer. Il garda les autres pour s'en fervir au befoin , -& en donna le commandement a Pedro Cal-cleron , Capitaux vigilant 8c expérimente. Il ■cflaya enfuite de gagner le Cacique Hirriga, dans la peu I ce qu'il n auroit plus de peine à fc bien mettre avec les autres Seigneurs du pays, qui n-avoient rcçii aucun dcplaiiir des Eipagnois. Que d ailleurs cela lu y acquere^ roi: du crédit parmy les Indiens , Se augmenteront ion honneur parmy ceux de ia nation, C'e/1: pourquoy lors qu on faiioit quelques

prifonniers,

prifonnîers, il les renvoyoit à Hirnea avec des prefens. Ii luy faifoit dire qu i. louhaicoit pamonnement Tes bonnes grâces, & qu'il luy donnerait fatisfaction des outrages qu'on luy avoir faits. Mais le Cacique répondoitfeulement quel injure qu'il avoit reçue, ne iuy permettoit pas d'écouter aucune proportion de la part des Efpagnols. Toutefois la conduite de Soto ne la'iila pas de produire de très-bons effets. Car comme les va T ets de Farines alloient tous les jours au fourage efeortez de trente ou quarante foldats ; il arriva que n'étant pas fur leur garde , les Indiens fondirent fur eux avec de grands cris, les mirent en de-fordre, prirent un Eipagnol nomme Graiales, & le retirèrent. Cependant nos gensieralient> •& depefehent"vers le General qui ht auilï-toft •courir des Cavaliers après Tennemy , qu ils iurprirent au bout de deux lieues dans un endroit fermé de rolèaux. Alors comme ces ■Barbares ne fongeoient qu'à le rejouir avec leurs femmes Se leurs enfans, nos Soldats entrent de furie dans ce lieu, ils le* épouvantent, les mettent en fuite, & prennent femmes & enfans prifonniers. Graiales qui dans cette • confufion entendit la voix de ceux de la nation , court le jetter entre leurs bras. Il n'en fut pas tout d'abord connu , parce qu il eftoit déjà habille à 1 Indienne 5 mats bien-toit aprrs

G

ils le reconnurent & revinrent tout joyeux au Camp avec les priionniers. Cela réjouit extrêmement Soto qui voulut fçavoir le détail de cette rencontre 3 de forte queGraiales luy dit 'que les Indiens n'avoient point eu deffein de nuire aux Efpagnols , Se n'avoient tiré des flèches que pourle<- épouvanter. Que comme ils les avoientprisendefordre, il leur eufl efté facile d'en tuer une partie ; mais qu ils s'e-.fioient contentez de faire un prifonnier. Que bien loin de luy avoir fait aucun tort, ils l'a-voient traite civilement, Se que le rafleuranr. peu à peu , ils le preffoient obligeamment de manger. Le General incontinent fit venir fes priionniers, Se après les avoir remerciez de la manière do ut ils en avoient ufe, il les renvoya* Il leur protefh auffi qu'il n'y avoir rien à craindre pour eux du coite des Efpagnols ; 8c que du leur, il Ls prioit qu'il en fuit, de mei-me à 1 égard de lès gens, Se de vivre en bonne intelligence les uns avec les autres. Quil n eftoit pas entré dans le pays pour s'attirer leur haine, mais leur amitié. Le Gênerai accompagna ces paroles de quelques faveurs, & les Indiens s'en retournèrent tres-latisfaits.

A quelque temps de là ces mefmes Indiens attrapèrent deux Efpagnols , aufquels ils

(ïcrent tant de liberté qu'ils curent moyen de s'échaper. Ces peuples fans doute ne se-

ftoient adoucis de la iorte, qu'à cauie des courtoiiîes de Soro envers leur Cacique ? 5c auflî il n y a rien qui falTe plus dimpre(lion fin les hommes que les faveurs qui font faîtes de bonne grâce.

CHAPITRE X.

Suite de U de couverte.

APrés que Ferdinand de Soto euft eflc environ trois femaines à faire fes préparatifs pour avancer , il commanda à Gallego r avec foixante lances & autant de fuie-lien dans la Province d Urribaracuxi. Galle/» go partit au mefme temps , Se fe reedrt à Mucôço où il fut reçu avec jove par le Cacique , qui logea une nuit les Eipagnoîs & ltur fit bonne chère. Mais le lendemain comme ils efloient prefts à marcher ils luy demandèrent un guide , Se Mucoço leur dit qu ils eftoient trop honneltcs gens pour fe prévaloir de ion amitié , afin de 1 obliger à faire une chofe contrefon honneur. Qu Urribaracuxi eftant fon coufn , il leroit blâmé de tout le monde , s'il leur donnoit quelqu'un pour les mener fur fes terres. Que meime quand ce Cacique ne leroit pas fon parent, il ne les

G z

yS Ri faire de Lt Floride.

Revoit pas lervir en cela, parce qu'il palTe-roit pour un traiftre envers la patrie , & qu'il oit mieux mourir que de commettre un crime fi indigne d'une perfonne de fa qualité. Ortis qui conduifoit les Efpagnols , luy. répondit par Tordre de Galleço, qu'ils r.e veu-loient point abufer de ion amitié. Qii ils luy demandoient feulement un Indien , en qui Urriharacuxi eut créance, afin de l'envoyer avertir qu'il n'apprehendaft point leur venue, Que meime quand il ne voudroit nv paix, ny alliance, ils avoient ordre de ne point ravager la Prov ince en faveur du généreux Mu-coco , dont ils confideroient les amis Se les parens. Et que pour 1 amour de luy ils n'a-voient fait nul defordre dans la contrée dn Cacique Hirriga leur ennemy déclaré, Mu-coço reprit qu'il eftoit fort obligé aux Espagnols , Se que dans la. connoiifance de leur defièin il leur donnoit un guide tel qu ils le Vouloient. Ils partirent donc de Mucoço extrêmement fatisfaits du Cacique , & fe rendirent en quatre jours à la contrée d'Urriba-racuxi éloignée d environ dix-fept lieues de la ville deMucoço. Comme Urribaracuxi 8c ks fujets s'en eftoient fuis dans les bois , les Elpagnols dépêchèrent leur guide qui luy offrit leur alliance; mais apres l'avoir civilement écouté, il le renvoya fans rien conclure.

Pendant le chemin qui eft de vingt-cinq lieues, depuis Hirriga juiqu'à Hurribaracuxi j on rencontra pluiieurs ceps de vigne > des pins, des meuriers, Se autres arbres (emblables à ceuxd'Efpagne. On pafîa auiTi à travers certains pays où il y ar oit quelques marais , des-colines, des boisy Se des plaines fort agréables , dont Gallego fît une relation qu il envoya au General, Se l'avertit que l'Armée* peuvoit fubiifter deux ou trois jours aux environs d'Urribaracuxi. Tandis qu'on vatrou--ver Soto, il eft bon de dire ce qui fe pafloit au Camp.

CHAPITRE XI. Dijgrace de Porcallo»

S.Ur là nouvelle qu'Hirriga eftoit dans un bois proche le Camp , Porcallo refolut malgré les prières du General, d'aller prendre ce Cacique. Il fortk donc avec de la Cavalerie Se de 1 Infanterie , dans 1 elperance de l'amener prifonnier, ou de l ; obliger à demander k paix. Hirriga averty de cette entreprife , envoya dire plufieurs fois à Porcallo de ne point pafieroutre, à caufe que les marai- Se îe-r autres dimcultez du chemin qu'il falioit

G *

?fc Ilijloire deU Floride.

franchir pour venir à Juy , le mettoient- à\ couvert. Qu'il luy donnoit ce confeil, non pas par crainte 3 mais en reconnoiflance du plaiiîr qu'on luy avoit fait^ de ne point ravager fes terres, tiy makraitter fes fujets. Por-callo fe moqua de ces avis, il crut, que le Cacique apprehendoit, Se. qu'il ne-luy pouvoit échapper. C'efl pourquoy il doubla fa marche , encouragea les foldats, &-arriva prés d'un lieu marefcage.ux, où fur la difficulté que chacun faifoit d'entrer , il picque ., Se en s'a-vançant oblige pluiieurs de fes gens àlefuivre. Mais il n alla pas fort loin que, fon cheval, s'abbattit y de forte qu'il fe trouva engagé def-fous avec fes armes., Sç parce qu'on ne pouvoit aller jufqu'à luy, à caufe-que le marais «ftoit trop profond, ce fut par un bonheur extraordinaire qu'il ne périt pa§. Ainiî lors. qu'il vit qu'il eftoit vaincu fans combat, &-mefme fans eiperance d'avoir le Cacique , il retourna au,quartier tout eji colère. , fiilant réflexion fur les douceurs dont il• joiiiffoit à la. Trinité ,.& far les fatigues qu'alloientfournir les Efpagnols ,. qui n'eftoient encore qu'au «ommencement.de leur conquefte.. D'ail-. leur< comme i! ,confiileroitqu'il avoit acquis, sffez de gloire ,. Se qu'à, l'âge où il eftoit, il ne de voit, pas s'expofer fr légèrement ;-il crut; ^uii n'y avoit. nulle honte à luy de quitter

l'armée, Se de tailler l'honneur de l'entreprife aux jeunes gens, qui a voient befoin d'acquérir de la réputation dans-les armes, Son malheur î'occupoit. effectivement il fort qu'il s'en en-tretenoit tout feul j Se quelquefois avec ceux qui l'accompagnoient. Il prononçoit mefme tout haut, iillabe à fillabe le nom d'Hirriga-&; d'Urribaracuxt. Il en tranlpoicit auffi quel-quesfois les lettres > il'difoit Huri Harri Siga Siri Barracoxa Huri , Se ajotiitoit qu'il don-noir au Diable laterre, où. les premiers noms qu'il avoit ouys eftoient eirroyables. Que l'on ne devoit rien attendre de bon de ceux qui les portoient. Que chacun pouvoir travailler pour fes interefts-pamculiers y mais qu'à Ton égard la fortune ne le touchoit point. Porcalio agité de la forte arriva au Camp, où après avoir demandé, à s'en retourner a ia Trinité , on luy donna un vaiiTeau. Mais avant que. de.s'embarquer il diitribua fou équipage à quelques foldats qu'il aimoic. .11 laifïa aux trouppes les vivres avec les muni--tions quil avoit., Se voulut que Suarez de Figucroa ion fils naturel -, qu il équipa fort bien, accompagnait Soto dans fonentrepriic Fjgucrda obéit avec joyc aux ordres de fon. pere, &,ne laiiTa échapper aucune occaiion de donner des marques de fon courage. Mais il; eut du malheur y les Indiens luy tuèrent Ses .

Sô Hiftoïït de U Fibride.

chevaux Se le bleflerent, & depuis il marcha' à pieds ians vouloir rien recevoir, ny du Ck> heral , ny de fes Capitaines. Cette manière d'agir déplut à Soto , qui le preffa pluiicurs fois de prendre de luy de quoy ie remonrer : mais Figueroa le portoit fort haut, Se 1 on na put jamais rien gagner fur ion elprit.

CHAPITRE XII.

Relation de G aile go.

POrcallo en quittant l'Armée , donna des marques de légèreté , comme il en avoit donné d ambition y lors que pour fuivre 1q General il abandonna fa rrraifon & Ion repos. C eft ainfi que dans les affaires d'importance les résolutions qui ne font pas priles prudemment , font honte à ceux qui les exécutent. Si Porcallo eut bien conlulté avant que de s'engager , il n'auroit pas perdu une partie de fon bien Se de fa réputation. Mais fouvent le» peribnnes riches s'imaginent qu'ils ne Jurpal-lent pas inoins les autres par les qualitez de frefprit , que par les avantages de la fortune, & perluadez de cette erreur y ils ne prennent conleii de qui que ce foit.

Parcalio eûoit a pekfe party , que la rcldj

thrt fécond: %t:

tîôn de Gallego arriva. Elle réjouit le Camp , parce quelle failoit efpererlaconquefledela Floride. Elle marquoit entre autres chofes que. trois lieues au de là d'Urribaracuxi, ilyavoit un marais fort dangereux. Mais cela ne fervic qu'à encourager les Efpagnols. Ils dirent que-Dieu avoit donné aux hommes le cœur Se I'in-duftrie en partage , pour franchir les obffa-cles qui le rencontroient dans leurs defleins. Sur cette nouvelle le General fit donc publier que dans trois jours on le tinft preff pour partir , Se envoya trente Cavaliers ibus la conduite de Silveftre , avertir Gallego qu'il iaU luit fuivre. Cependant il îaiùa une garniion de quarante lances Se de quatre-vingts fuie-liers dans la ville d'Hirriga ; ou après avoir eftably Calderon à la garde des vaiifeaux Se des munitions, il luy commanda d'entretenir la paix avec Tes voilins , de cultiver l'amitié de Mucoço , 8c de ne point quitter la place fans Ton ordre. Le General enfuite partit d'Hirriga avec îerefte des troupes , il prit la route de Mucoço , Se le troificme jour de fa marche il découvrit au matin îa ville. _ Le Cacique averty de fa venue , fortit au devant de luy , il le reçut avec jove , Se luy offrit fa maifon. Mus duns la crainte de i'incommo-der, le General l'ùlTeura qu'il eltoit oblige de' palier outre : Se apre\ luy avoir recommanda

Si Hïfloirc de ta Floride.

la garnifon d'Hirriga, il le remercia de toutes les bontez qu'il avoit eues pour lesEfpagnols. Mucoço luy baiiant les mains avec refpecl:, kiy dit la larme à l'œil , qu'il ne pou voit exprimer lequel luy eitoit le plus feniible, ou le contentement de l'avoir connu, ou ledéplai-iîr de le voir partir fans le pouvoir fuivre* Il le conjura auflfi de fe fouvenir de îluy y 8c fit fes complimens aux principaux Officiers de l'Armée. Au fortir de la, le General continua Ton chemin jufqu'à Urribaracuxi , fans faire aucune rencontre digne d'eftre écrite , & il marcha toujours au Nort d'Eft. Néanmoins je fuis obligé de dire , que fa route ne m'eft pas fi precifement connue , qu'un jour on ne trouve que j'ay manqué à la bien marquer. Ce n'eft pas. que je n'aye tâché d'apprendre les hauteurs du pays-j mais je n'en ay pu avoir une aufli exa&e connoifîance que je le fouhaitois -, parce que les Efpagnols ne ipngeoicnt pas tant a prendre lalituation des lieux , qu'à chercher for &. l'argent de la, Floride.

CHAPITRE XIII

Pajfage du Marais.

LE General arrivé à Urribaracuxi oùGal-legô l'attendoit, apprit que le Cacique

s'en eftoit fuy dans bs bois ; & àuflf*-tôtîl dé-pefcha vers luy, pour le prier de faire alliance -avec les Efpagnols, Comme ce Barbare ne voulut entendre en rien, Soto envoya fonder lin grand & large marais , qui eftoit fur fon chemin ; il [çut que le fond de^ bords n'en eftoit pas bon, & qu'il y avoit une telle quantité d'eau au milieu, qu'on ne lepouvoit paf-fer à pied. Néanmoins on chercha tant qu'au bout de huit jours en trouva un paiTage , où le General s "eftant rendu avec l'Armée, ilsen tira arfement ; mais parce que le défilé eftoit long , il demeura un jour 4 letraverfer, & fe campa à demie lituë au de là dans une grande plaine. Le jour fui van t il envoya découvrir le chemin, & l'on rapporta qu'on ne pouvoit avancer , à caufe des eaux qui inondoient la campagne. Sur cette nouvelle , après avoir pris etnt Cavaliers avec autant de fantafîins , -& laiffe le refte des troupes fous la conduite de îvlofcofo Ion Meftre de Catnp j il repalTe le marais, Se envoyé chercher un autre p -iTage. Cependant les Indiens qui eftoient dans un bois fondent iur Soto & fur fes gens , tirent fur eux, S* regagnent auffi-tôt la foreft. Les Efpagnolsles tepouffôient& en tuoient,ou en prenoient toujours quelques-uns. Ceux qui fe voioient pris fe voulant tirer des mains de leurs ennemis, s'orlroienc de les guider , ôc les

$4 HtfiAn de fa VloriHel

iaifoient paffe au travers des embufeades dé$ Barbares qui les perçaient a coups de flèches. Cette malice reconnue, on rit déchirer par les chiens quatre des plus coupables d'en-tr'cux. Si bien que les autres epouventez , commencèrent .1 bien faire leur devoir , 8c mirent les gens du General en un chemin, où après avoir marche environ quatre lieues, ils fe trouvèrent au defïus du grand marais en un .pailage , dont l'entrée 8c la fbrtie eftoient lèches. Mais une lieuë durant on a voit de î'eau jufqu'au deflous des bras, 8c k milieu du «trajet cent pieds de long n'eftoit pas gayable. •Les ennemis en cet endroit avoient drefle un méchant pont de deux gros arbres tombez dans l'eau, ioutenu de quelques pieux fichez en terre,& de quelques pièces de bois en travers, avec des manière de garde-fou.

Au meime temps que le General vit ce pont,il commanda à Pedro Moron 8c à Diego d'Oliva Métis, qui eftoient de grands nageurs , d'aller couper ces branches d'arbres qui embarraflbient le pont, &-de faire .tout ce qu'ils trouveraient a propos pour la commodité du pailage. Ils exécutent «éur ordre , mais au fort du travail les Indiens qui eftoient cachez parmy les rofeaux fortent dans de petites nacelles , 8c tirent fur eux. De iorte que Jdoron & ion camarade le jetèrent en bas du

pont,

pont , nagèrent entre deux eaux ,- ou ils furent légèrement bleffez , Se fe fauverent. •Néanmoins les Indiens eftbnnez de la refolu-tion de ces deux hommes, n'oferent plus pa* roiftre ; Se les Efpagnols accommodèrent îe pont à deux portées de moufquet plus haut -, ils trouvèrent un lieu pour palier la Cavale-* rie. Le General en donna avis à Mofcofo Ton Mettre de Camp , -avec ordre de faire marcher le refle de l'Armée > Se de luy envoyer promptement des vivres. Siiveflre qui -fut dépefché pour cela , eut charge d'amener les munitions, avec une efeorte de trente lances, Se d'eflre de retour le lendemain fur le foir. Car Soto promit de l'attendre , Se luy dit qu'encore que le chemin fut long Se difficile , il efperoit tout de luy. Siiveflre monte donc fur un excellent cheval qu'on luy tenoit prefl, Se rencontre Lopes Cacho , auquel il ordonne de la part du General de l'accompagner. Cacho s'en exeufe fur ce qu'il fè trouvoit fatigué , & le fupplie d'«n choifir quelqu'autre ; mais comme Siiveflre le prei-foit de plus en plus, il cède, monte à cheval > & part avec luy au Soleil couchant.

H

%$ }ïiftoiu de la Floride.

' CHAPITRE XIV.

Silveftre forte les ordres du General à Mofccfo.

Sllveftre Se Cacho qui n avoient pas plus de vingt ans chacun.} s'expoferent refo-Jument à tout ce qu -il leur pourroit arriver. -Il firent d'abord fans peine quatre ou cinq .lieues, parce que le chemin eftoit beau , 5c qu'ils ne rencontrèrent point d'Indiens. Ensuite , à caule du marais, ils fe trouvèrent engagez dans de tres-fàcheux chemins , dont ils defefperoiènt de fe tirer. .Comme ils n'a-voient aucune connoiilance certaine du pays, ils eftoienr. contraints de marcher au hazard, _Sc de taicher à fe louvenir des lieux par où ils eftoient paflèz la première fois avec leur General ; Se en cela leur chevaux leur rendirent de fort oons fervicts. Car lans eftre guidez que de leur inftincl:, ils prirent la route qu'ils avoient tenue en venant, Se baitîoient Ja.tc-fte pour ientir la pifte. Cacho & Ton camarade qui ne comprenGient rien à cela, leur tiroient la bride , mais leurs chevaux recher-ehoierit incontinent le chemin à leur manière, ils rônfloient li fort lors qu'ils l'avoient perdu, qu'il efterit àcQundre que le bruit qu'ils faj*

fôïent ne découvrit les Cavaliers. Le che* val de Silve/tre efloit le plus feur pour bien conduire , Se il avoit de très-excellentes marques. Il eftoit bay~brun, le pied du montoir blanc avec une pareille marque au front. Le cheval de Cacho eftoit alezan bruflé avec les extremitez noires : mais il ne valoitpas celuy de Sirveitre^qui après avoir reconnu î'aclioa de Ton cheval, !e laifa rdlcr à fa fantaifie. Voilà l'eftat où eftoient Silveltre & Cacho , & cet eftat fe peut fans doute mieux imaginer que décrire.

Os Cavaliers marchèrent ainfi toute la. nuit fans tenir aucune route certaine ; accablez de travail, defommeil , & tourmentez de la faim , parce qu ils n'avoient mangé depuis deux jours qu'un peu de millet. Leurs chevaux eftoient d'ailleurs abbattus de fatigues , à caufe qu'il y avoit trois jours qu'ils travailloient fans relaiche , Se qu'on ne les avoit débridez que pour repaiiire quelques rrcmers. Car limage de la mort que les deux Cavaliers voyoient devant leurs yeux , les obligeoitde piquer en diligence , Se de franchir toute forte de diir.cultez. Il y avoit de lin Se de l'autre cofté de leur chemin des troures d Indiens , qu'ils appercevoient à la lueur des feux que ces Barbares avoient nHumez , Se qui en fautant à l'cntour , foifbicftl

H 1

S3 Hifioire de la Floride.

tout retentir de leurs cris. On ne fçait s'il* c A broient alors quelque fefte , ou ii c eftoit un hmple ree;alc;mais leurs cris durèrent tout z la nuit ; Se empeicherent qu>l c n'entendiïTent le pas des chevaux, Se ne p rifle garde à leurs chiens, qui aboioient plus fort que de cou-ftume. Car s'ils enflent découvert Silveftre & Cacho , ils auraient fait leurs efforts pour les avoir.

Apres que ces Cavaliers eurent marché dix lieues avec beaucoup de crainte 8e de peine, Cacho pria Silveftre , ou de le tuer., ou de le laifler dormir , Se luv protefta qu'il ne pouvoit ny palier outre , ny le tenir davantage à cheval. Silveftre luy répliqua brufquement qu'il dormit donc , puifqu'au Juillet! du danger qui les menaçoit, il n'avoit pas la force de relifter une heure au lommeil. Que le paflage du maraisn'eftoit pas loin, & qu'ils ne pou voient éviter la mort s ils ne pa£-ioient avant le jour. Cacho lans écouter ce qu'on luy difoic, fe laiila tombera terre comme s'il eut efté mort. Silveftre prit auiïi-toft la bride du cheval , Se la lance de fon compagnon ; Se en ce moment il le répandit une grande obfcurité accompagnée d'une tres-groife pluye , qui toutefois n'éveilla point Cacho , tant la force du fommeil eft grande. La Pluye celîec, le temps s'éclaircit, le jour.

parut, & Silveftre fut au defefpolr de ce se-flre pas plutôt apperçù de la clarté. Mais tandis que Ton camarade repoloit, il s'eftoit peut-eftre endormy luy-mefme à cheval. Car il me fouvient d'avoir connu un Cavalier quimar-choit environ quatre lieues en dormant, Se qui ne s'éveilloit point, quoy qu'on luy parlait , Se quil fuft melme en danger d'eftre tue par Ton cheval.Incontinent donc que Silveftrs euft vu le jour , il appelle Cacho, le pouiTe du bout de fa lance, afin de l'éveiller, & luy dit que pouLs'eitre trop endormy, il leur eftoit prefque împoiTible de ne pas tomber entre les mains des Barbares. Cacho remonte à cheval*-pique avec Siiveftre au petit galop ; mais 1s jour les découvrit , Se auili-toft on n'entend de colle Se d'autre du marais que- cris , que trompettes, tambours, Se autres inflrume-ns. Les Indiens fortent d'entré lesrofeaux dans des nacelles,,gagnent le pallage , Se y attendent les deux Elpagnols, qui bien loin de perdre courage, fe rafleurent par le fouvenir du perd où ils venoient d'eftre expofez fur terre , Se Te jettent hardiment dans l'eau par où ils dévoient pafTer. On les couvre alors de fleches, mais comme ils vont ville■& font bien armez, ils échapent fans recevoir de blelTure, ce qui rut un grand bonheur , veu la multitude de* traits qu'on leur tira. Cependant 1$ H 3<

bruit que failoientlcs Barbares , fut entendu des trqjjes qui nettoient pas fort loin du marais, & parce qu'onfe douta dequelqechoie, il Te détacha trente Cavaliers > qui ie rendirent au pallage. Tovar monté avantageufe-merit piquoit à latefte j ilavoitdelahardieffc Sç aimoit la gloire , car encore qu il connufl qu'il eftoit mal dans l'efprit de Soto , que les actions ne feraient pas conliderces,il ne lailloit pas de fervir en homme de cœur.Toutefois,ce-. ia ne le remit point dans les bonnes grâces du General, il lembloit au contraire^ ileuftdu chagrin de voir tant de vertu en un homme > pour qui il avoit tant d avcrlion. Il eut auiil mieux valu que Tovar abandonnait le fervice, que de s'opiniàtrcr à vouloir regagner l'ami-tic de Soto. Il arrive rarement que les grands pardonnent, lors qu'ils iont perjuad,cz qu'on les a onènfez.

CHAPITRE XV. Retour de Sïlvcjlre.

COmme les Indiens pourfuivoien: hors de l'eau les deux Efpagnoîs , ifs apper-çùrent le fecours , & fe retirèrent de crainte flCftre maltraittés. Si bien que Silveitre vint

au Camp où il fut reçu deMofcofo qui ayant apris l'ordre du General , fit en diligence" chercher des vivres, Se commanda trente Cavaliers pour les eicorter» Cependant Sil-veftre s arreita environ trois quarts-d'heure à manger un peu de millet & de fromage j car on n'y trouvoit rien autre chofe ; Se lors que tout fuft prefl il reprit ia route accompagné de Ton efeorte , Se emmena avec luy deux mulets chargez de fromage Se de hiieuit. Cacho qui n'avoit pas ordre de s'en retourner demeura avec Mofcoio , qui commanda à les gens de fe tenir prefts pour partir. Durant cela, Sil-veftre Se Ion elcorte traverlèrent le marais, fins que l'ennemy jfîft mine de les attaquer 4 Se arrivèrent à deux heures de nuit, ouïe General les devoit attendre. Mais comme il* ne l'y trouvèrent point, ils en eurent beaucoup de déplaifir , Se ils fe campèrent en cette forte. Une partie de la nuit dix Cavaliers battoient 1 eftrade, un pareil nombre veilloit, Se fiiloit repaiftre les chevaux tout feelez, tandis que les autres prenoient un peu de re^ pos, ahn que chacun travail!aflj dormift tour à tour , Se qu'on ne puft eAre furpris de îen-«cmy. Si-tot qu'il fut jour on découvrit la route du General dans le marais * , que l'on traverla a r ant que les Indiens le rcndiiTcnt