Quels que puissent êtreles crimes, supposés ou réels, dont on a pu accuser Jcs personnes expulsées par les Comités de Vigilance, cette ques tion, je ne puis la discuter à cette heure. Chaque homme est tenu poui ■mrîO'-'.'i^jusqu'à prenrc de sa cnlpabilH.6. S'il est accusé, on doit lui don

— 140 — ner connaissance de la nature de l'accusation portée contre lui ; il peut requérir le temps nécessaire pour la préparation de sa défense, et la présenter soit par lui-même soit par l'entremise d'un avocat ; il a le droit de réclamer un jugement impartial par wnjuri de ses pairs au-dessus de tous liens et au-dessus de toute intimidation; il peut confronter les témoins de la poursuite, et se servir de procédés compulsoires pour s'assurer de la présence de ses propres témoins ; tout témoignage provenant de menaces, de la VIOLENCE, ou diQ promesses de faveur, doit être écarté ; il ne doit y avoir aucun entendu entre la poursuite, les témoins, les jurés et les juges ; le jugement par contumace est inconnu à notre législation; le (iozf^îe acquitte le prisonnier. Kéfléehissaut sur ces droits de l'accusé, garantis parles lois et dont aucune cour ne saurait le priver, et nous rappelant pourtant combien de fois, n;ième avec ces sauvegardés, les innocents ont souffert: dites, mes concitoyens, si nous devons, oui ou non, prendre sans qualification quelconque le verdict de culpabilité prononcé contre ces hommes par des tribunaux militaires? Et pourtant quelles étaient les ^jié/ia/ii^és prescrites par le nouveau code? LA PEOSCEIPTION ! Une pénalité qui a été rayée et condamnée dans tous les codes de tous les Etats de l'Union ; une pénalité qui, là où elle existe, est une honte infamante pour le siècle ; une pénalité dont les effets immédiats dans notre rays sont le rejet de malfaiteurs dans le sein de communautés lointaines; le couteau emportant le membre malade, mais introduisant le virus du mal dans une autre partie du corps. Un sentiment de charité du moins envers d'autres portions de notre pays (si les preuves de culpabilité étaient si patentes) aurait rendu les murs d'un pénitencier un réceptacle plus convenable pour le rebut et lafécu-leiîce de votre population (comme on nomme les hommes bannis) que le scinde communautés qui n'ont fait aucun mal auxmembres des Comités, mais au milieu desquelles, par la logique inflexible do leurs actes, Us feront séjoiirner des maifaitezirs. —Souvenez-vous de tout ce qui est compris par ce seul mot : PliOSCKIPÏION ! Le coeur se révolte à l'idée que la monstrueuse usurpation d'un pouvoir/)%s?9?/e puisse anéantir toutes les garanties de la Constitution. Je rejette;ridée d'être désigné au public comme le défenseur et le protecteur de brigands, ainsi qu'on nomme les proscrits ; mais dites si les fins de la justice ne pouvaient et ne peuvent pas être atteintes par d'autres moyens? Par l'organisation de patrouilles volontaires, cherchant la découverte des crimes et agissant toutefois de concert avec les officiera de la loi ? Maie peut-on admettre, sans le bouleversement complet des lois morales, que le '^nal puisse produire le juste ? que la majesté du droit puisse être revendiquée en prenant la loi au collet ?

A-t-onle droit de se plaindre de l'inexécution des lois ? Considérez le dossier de la Cour Criminelle, citoyens de Saint-Martin, et dites com bien de criminels sont restés impunis depuis quatre ans.

Elu par votre confiance au poste que j.'ocoupe à cette heure, j'ai tou-

— 141 — jours eu pour but radministration de la loi comme je la trouvai dans le code. Si dans quelques circoustauces le crime est resté impuni, si dans de certaines localités la propriété u'a pas été amplement sauvegardée, appelez-en à l'insuffisance des lois, et plus particulièrement au carao-tèrc moral de certains individus qui sont parfois appelés -à siéger sur les bancs comme jurés, mais dont la conduite no subit pas le pouvoir coërcitifet irré8i8tible,quand il est franchement exercé,de l'opinion publique. Je sais que vous m'avez confié le mandat de revendiquer les droits de l'ordre et de réprimer l'illé^ralite. Quels que puissent être les résultats ultérieurs, je no saurais abandonner les obligations solennelles do mou serment et marchander avec ma conscience pour ga'^ner soit la fa* veur d'un homme, soit la faveur du peuple. Quoique je désire posséder la confiance et l'estime de mes concitoyens, si toutefois la société—oubliant les obligations réciproqu(!S qui doivent exister entre le peuple et ses mandataires—censurait ses officiers publics à cause d'une conduite tenue selon les prescriptions de la loi, quant à moi, je ne puis abandonner mon mandat pour le gain d'une popularité.

En terminant, je dirai aux membres des Comités parmi lesquclïje crois pouvoir compter un graml nombre do mes anciens amis : " J'ai eu à remplir mon devoir quelque pénible qu'il fût."

Respectueusement,

A. OLIVIER,

avocat de district. ■Franklin^ 20 juillet 1859.

XLI.

Nous avons parlé plus haut et de M. Olivier et de son attitude vis-îi-vis des Comités attakapiens. Nous avons interprété s.a conduite suivant notre conscience, avec le calme de la critique au lendemain de la lutte. Nous n'avons rien à ajouter au portrait de l'homme et de l'officier ptiblic. Seulement., pour accomplir notre tache d'historien, nous publions la réponse d'Alcée Judice à la lettre d'Adolphe Olivier, deux pièces se ressentant l'une et l'autre des émotions de l'époque que nous décrivons, et qui ne sont plus qu'un écho lointain de la bataille.

XLn.

Monsieur l'éditeur du Démocrate^ Nous allons essayer de réfuter un article ])ublié par M. Adolphe Olivier, avocat de district, dans les colonnes de V Attakapas. RctrUter, do Franklin, en date du 20 jnill^3t, et nous pensons pouvoir le faire.

— 142 —

iion-seulemcnt d'une manière victorieuse, mais même nous i:uus faisons fort de le mettre eu contradiction flagrante avec lui-même.

D"aIjord. il a\;anceque des individus expulsés de leurs domiciles par l'action illégale des Comités, se sont adressés à lui pour réclamer sa protection officielle,comme avocat de district. L'avocat de district (M. Oli-vierj s'est-il donné la'peine de s'enquérirde la moralité des individus qui, à cequ'ilpréteud, sont venus réclamer sa protection officielle, et s'ils n'étaient pasplAtôt dignes, en considération de leurs bonnes œuvres, d'être nourris, habillés et logés au Pénitentiaire de Bâton-Rouge aux frais de l'Etat, que d'obtenir en leur faveur l'intervention légale du ministère public? Et cependant, M. A. Olivier doit savoir que, dans leë cours de justice, la moralité d'un témoin est la seule chose qui puisse donner une valeur réelle fi son témoignage, et servir à former l'opinion d'un magistrat intègre. Pour l'édifier à ce sujet, et tranquilliser sa conscience à l'égard des prétendues victimes du pouvoir arbi-ti-aire et illégal que se sont arrogé les Comités de Vigilance (ce sont là les propres expressions de M. A. Olivier), nous le référons d'un article publié dans le Courrier des Gpelousax, et signé A. B. Cet article, éerit par son ami M.'^ A.B., qui ne fait pas partie des Comités, et dont l'impartialité ne peut être révoquée en doute, fait mention d'un troupeau qui, il y a quelques mois, arriva le soir au lac Catahoula,|)arois8e St-Martin. Pendant que les prétendus Texiens,conducteurs de ce troupeau, se délassaient de leurs fatigues, sans se douter nullement de la surveillance dont ils'étaient l'objet, M. A. B. examina le troupeau, ety reconnut qvAnze bceufs portant la marque de M. Robert Cade, de la paroisse Lafayette, et un autre bœuf, ayant la marque de M. Elisée Thi-bodeau, delà même paroisse.

Le deuxième frère du même individu qui avait volé ces bœufs, a été chassé, et le troisième, tant pour le vol susdit que pour achat de coton fait à un nègre, coton qu'il savait parfaitement avoir été volé, a été expulsé de cette paroisse. Cette intéressante famille est un dee plus beaux échantillons des bandits dont les Attakapas aient été'pur-<Tés parles ('omîtes de Vigilance. Et voilà les individus dont M. A. Olivier PC fait le champion et sur le sort desquels s'émeuvent ses cntraillcK officielles !

M. A. Olivier parle de lettres reçues par lui, et écrites par des juges de paix, lettres qui l'informaient des graves conséquences qui ne pouvaient manquer de résulter de l'action illégale et arbitraire exercée par les Comités. Nous ne pouvons croire que ces lettres soient le fait de M. R.T. Eastin,car lui-même fait partie de ces associations protectrices, et a embrassé cette cause avec tant do zèle, qu'il a porté ce zèlejusqu'à faire courir une liste de souscription, souscription qui a produit nue recette de deux cents piastres qu'il a remises outre les mains du capitaine Désiré Béraud, et qui devait être consacrée, comme elle l'a été en effet, à assister les individus expulsés de quelques moyens pécuniai*

— 143 — res suffieants pour les mettre à l'abri du besoin ju?on à ce qu'ils se tussent procuré des moyens d'existence par l'oxercico lé.iriîime d'une industrie (Quelconque. Kous dirons même plus, M. R. T. Eastin a, en ?a qualité de maire de St-Martiaville, commandé les citoyens qu'il a juprés être les plus honorables, pour l'elayer les membres des Comités qui faisaient, jour et nuit, un ser\'ice actif à la prison de ce villaj^e, où se trouvaient lee bandits. Xous citeronsentre autres les noms de MAI. Alcibiade De-blanc, de l'Hqn. Edouard Simon û\^, d'Euphémon Broussard, d'Aristide Tertrou, d'Emile Bernard, de Julien Babin et de trois ou quatre autres dont le nom nons échappe. Cg sont là des faits qui prouveront â M. A. Olivier que les actes qu'il lui plaît de qualifier de violentes infrae-iions' à la lai, et qu'il a dénoncés comme tels au pouvoir exécutif de l'Etat, i:e sont pas, comme les termes do la proclamation du gouverneur le donneraient à penser, l'octc de bandils ci de vialfni leur $ ce ruant sur les per,tonnes et les 'propriétés, mais bien celu? de citoyens honorables, ne se proposant d'autre but que la protection efficace de la société.

Qui 'aurait pu dire à M. A. Olivier que les Comités frappaient de terreur des citoyens hortorablos, quand H est de notoriété publique que, même des hommes de couleur respectables, qui avaient pris l'alarme mal-îi-propos, ont été assurés par les Comités qu'ils n'avaient rien à redouter, et ont eu pleine et entière confiance dans ces assurances?

Quant aux inceitdtes, aux vols avec effraction, dont fait mention M. A. Olivier, nous lui répondrons qu'il ne doit pas i^-norer que le nommé James Reed, l'un des individus expulsés, a été poursuivi par lui-même, comme faisant un commerce illicite, et que, sur le réquisitoire présenté par lui à la Cour, en sa qualité d'Avocat de District, ce bandit a été condamné à l'amende et à la prison. Comment pourrait-il prétendre qu'il fut impossible aux aittorités de se livrer à une enquête contre des individus qui échappaient à l'ombre même du soupçon, quand les Comités de Viîriîauce ont, en moins de quinze jours, démasqué la bande de voleurs et d'assassins qui infestait notre viliapjo. Et cependant les moyens d'action dont pouvaient disposer ces Comités, no peuvent se compArer à ceux dont les autorités constituées sont investies par la loi ; ce qui prouve d'une manière rncontestablo que ce qui a fait défaut aux autori-t^ée, ce ne sont pas les moj'Cns d'action, mais bien la bonne volonté et rénercrie dont doivent être douées des personnes remplissant des fonctions emportant avec elles une si haute responsabilité morale.

Nous ne reprochons pas aux autorités de n'avoir pas fait aiTêter des individus qui, lora des désastres successifs qui ont affligé notre village depuis plusieurs années, échappaient à l'ombre même du soupçon : ce que nous leur reprocherons, c'est de ne pas s'être livrées, ainsi que leurs fonctions leur en faisaient un devoir sateré, à des enquêtes qui, si elles eussent été bien dirigées, n'auraient pu manquer de les mettre sur la voie (Tés coupables, puisque les Comités sont parvenus, en trèspen de temps, ^ «Mjtcnir' CCS résultats, tout privés qu'il étaient des moyens d'action

— 144 —

qu'il est si facile à l'autorité d'employer dans l'accompUssement de ses devoirs. Est-ce qu'il n'était pas dû, au moins, à la mémoire des onze v%ctitïies qui gisent encore ensevelies sous les débris de la grande rue {ut qvbi aoiit nofi amis, nos parents et nos enfants)^ qu'on se donnât la peine de rechcrclier kurs assassins ? Avons-nous institué ces autorités pour nous laisser livrés à l'assassinat et au pilla^^c, ou bien pour protéger nos personnes et nos propriétés ? En vain ces autorités argueraient-elles j)our leur justification de moyens d'action insuilisants pour atteindre ce but ! Les Comités se sont chargés de leur répondre d'une manière qui ne leur laisse ni excuses ni faux-fuyants ; car cette réponse,, ce sont les faits mêmes qui la leur jettent à la figure avec brutalité.

Nous avons déjà dit que les individus expulsés, loin de se oonsidérer comme victimes d'uu pouvoir illégal et arbitraire, nous avaient publiquement remerciés de la conduite pleine de modération, et nièmodogéné-rosite dont ils aA^aientété l'objet: car plusieurs d'entre ewx, et il» l'ont aussi déclaré publiquement, s'attendaient, après une enquête, à être bel et bien pendus, en réparation des crimes réitérés que, depuis nombre d'années, ils commettaient constamment contre la société. En preuve de ce qui pr<îcède, nous invoquerons le témoignage de M. Aristide DugaA, jeune homme respectable, et qui remplit actuellement dune manière exemplaire les fonctions de geôlier do notre village.

M. A. Olivier pouvait se dispenser de nous régaler d'une lecture sur le droit criminel, chose qu« nous connaissons tout aussi bien que lui ; il devait s'en tenir au point capital de la question, cfui est de savoir si la Kiociété a été protégée telle qu'elle doit l'être dans Xcwio communauté régulièrement constituée, ou bien si elle a été livri^e sans défense à la merci d'une bande de voleurs, d'incendiaires et d'assas.^ins. Quoique ce qu'il cite pour notre instruction particulière, soit l'A. B. C du métier, et connu du moindro saute-ruisseau qui ait jamais griffonné la copie d'un acte quelconque, nous ne l'en })rierons pas moins d'accepternos sincères remcrcimeuts, jugeant du fait par l'intention.

M. A-Olivier parle plus ba.s de l'organisation de patrouilles agissant sous l'autorité, et d'après la direction des magistrats. Mais ces patrouilles existaient, et telle est l'admirable sagesse qui avait présidé à leur organisation, que les individus qui les composaient étaient complices des bapdits mêmes qui,ls étaient supposés devoir surveiller, et partageaient le fruit de leurs vols. Pour preuve de ce que nous avançons ici, noue nous contenterons do rappeler que c'étaient les nuits mêmes qu'il y avait patrouille, qu'il se commettait le plus de -vols : d'où il résulte évidemment que ce n'étaient pas les propriétés que protégeaient ces patrouilles mais bien les bandits à la rapacité de qui elles se trouvaient impunément livrées.

M. A. Olivier nous demande si l'on a le droit de se plaindre de l'inexécution des lois .' Nous lui demanderons à notre tour, si l'assassinat, le 'vcA à main armée et l'incendie, sont autorisés ou défendus par la loi ? JBÎt

— 145 — comme, dan« notre humble jugement, noua pensons que CC8 peccadilles «ont au nombre des industries prohibées, quoique dîwis Gusman dAlfa-rache, Gringalet-le-Grand prétende que aie vol est u« tnétier franc, ïqui peut s'exercer sans payer licence, et qui, journellement, se corn-' >mct impunément,:) il en résulte évidemment que les lois restent incxé-

CUtéOo.

M. A. Olivier noua demande de consulter le doesicr de la cour criminelle de la paroirise Saint-Martin, et de lui dire, depuis quelques années combien de criminels sont restés impunis. Il nest pas besoin, pour lui répondre, d'aller feitilleter le dossier de la Cour Criminelle, car les faits «ont de notoriété publique, et connus comme Barabas dans la passion. Pour répondre à saquestion, nous le prierons de vouloir bien nous an-prendro ce qu'est devenu Valsin Dérousselle. condmnné par la Cour a vingt années de travaux forcés, et qui, depuis sa condamnation, a eu l'efirontorie, après s'être échappé de la geùle de Saint-Martinvilie, de reparaître dans la paroisse sans avoir été jamais inquiéfé. D'ailleurs son domicile au Texas est parfaitement connu, et rien n'eût été plus facile que de l'arrêter, si lou eût bien voulu en prendre la peine. Qu'est devonule nègre de M. Gérard Fournet, qui, après avoir commis vn assassinat, sur la personne d"un autre n«gre, avait été incarcéré, et s'est échappé de la geôle, la veille même de sa condamnation ? Qu'est devenu l'individu qui a volé le cheval de M. Ea;,MeHon, et qui, après l'avuir vendu à la Côte-Gelée, avait été anété et hébergé dans la même geôle? Bien plus, il a même poussé l'effronterie, à l'instant de.«îasecontZe incarcération, jusqu'à port<^r le déû qu'on parvint à le garder sous les verroufi ? Et c'est après de tels faits qui ne peuvent manquer d'être à votre connaissance, aussi bien qu'à la nôtre et a celle du public eu général, que vous osez nous mettre en liemcure de voua citer des faits qui attestent l'inexécution des lois! Franchement, il faut avouer que si de tels faits sont déjà sortis de votre mémoire, la nature vous a bien peu favorisé soua ce rapport.

Quant à l'impartialité des jurés, et à la bonne foi exemplaire avec laquelle ils observent le serment qu'ils ont prêté de rendre bonne et impartiale justice, nous vous renverrons à un autre article qui porte la signature de votre ami, M. A. B. Vous trouverez dans cet article des faits réellement édifiants. Voici un de ces faits, extrait textuelle-mc'U du communiqué do M. A. B., communiqué qui a paru dans le numéro du^ l(j juillet du Courrier des Opelousas.

La scène se passe à Vermillonville, un jour de Cour. On jugeait un homme chez qui l'on avait trouvé une cargaison de peaux,les unes ayant leur marque, les antres une marque contrefaite, enfin, d'autres

ayant une marque brillant par son absence. J'entrai dans la salle en

compagnie d'un des jeunes créoles les plus honorables de la paroisse La-iayette. Nous assistâmes aux débats : les témoignages étaient écrasants

2 Cet homme sera condamné, lui dis-je.

— 146 —

— tJn, deux, trois, qiratre, cinq, six, sept, huit, «ouf. Neuf voleu':»» de peaux et trois honnêtes gens, murmura mon ami, en comptant siir ses doifrts. Les neuf seront pour l'acquittement ; les trois autres seront d'abord pour la condamnation, puis ils se rallieront à l'avis des autres. Aussi snr qu'il ftiit jotir, cet homme sera acquitté. »

Il le fut !

Nous n'avoni? pas be-soin de dire qu'il ne s'agit pas ici de juris honorables, composés d'hommes consciencieux, résolus de n'écouter que la voix de leur conscience et celle de la justice, mais'bien de juris tripotés par des avocats, compo'sés comme ils .s^avcnt le faire, et on vertu dub droit illimité de récusation que leur laisse la loi. Du reste, cette même observation peut s'appliquer au fameux Bernard Roméro qui. maintes et maintes fois a fait partie d'un juri charge de prononcer sur l'innocence ou la culpabilité d'individus accusés des mêmes méfaits dont il était coutumier. Il nous semble qu'Userait difficile do citer un exemple plus concluant contre cette impartialité tant vantée de juris tripotés par des avocats retoi's.

Maintenant que nous avons répondu à toutes les questions qiii'e M. A. Olivier a bien voulu candesceu'drc à nous adresser, nous allons? changer de rôle et remplir à notre tour celui d'interrogateur.

Puisque M. A. Olivier compte, parmi les membres des Comités, vn grand nombre d'oncicns amis, iiows lui demanderons ce que signifie le rapport officiel ffu'il a adressé au gouverneur de l'Etat, et suivant lequel, à en juger par la proclamation de ce fonctionnaire, proclamation qui, d'après les termes mêmes dans lesquels elle est conçue, a été basée sur le rapport officiel de l'avocat de district, ces amis de M. A. Olivier sont tout simplement des et voleurs » commettant k des dégâts, des pilla-3 ges et des vols contre les propriétés, et dos outrages contre les per-3 sonnes. » Nous désirerions être édifié pour savoir à qui reviennent, de droit, CCS épithètes outrageantes. Est-ce à M. A. Olivier, ou au gouverneur de l'Etat? Comm.e la proclamation parle des comités de la paroisse Vermillon et de la paroisse St-Martin, et qu'il existe plusieurs comités dans cette dernière paroisse, nous désirerions savoir exactement quel est celui de'ces comités auquel cette infâme qualification peut s'appliquer. Est-co au comité do la Fausse-Pointe ? Est ce à celui de la Pointe ? Est-ce à celui du Pont de la Butte, ou est-ce à celui de St-Martinville ? Car nécessairement elle s'applique à l'un des quatre, si même l'on n'a pas fait de la calomnie en gros, sans prendre la peine de désigner un de ces comités plus spéciîilcmcnt que les autres? Car enfin lorsqu'on s'abaisse jusqu'à l'insulte et à l'outrage, on doit expliquer clairement à qui s'adressent ces insultes et ces outrages , autrement on agit comme des assassins qui frappent leurs victimes dans l'ombre.

Consultez, monsieui A. Olivier, tel dictionnaire do la langue française ou de la langue anglaise qu'il vous plaira, et vous y verrez, que le mot dé-prodationj dans les circonstances où il est employé, n'a pas d'autre signifî'

— 147 — cation que celle ûepillage, vol avec dégàf., ce qui, vous en conviendrez, n'est pas trts flatteur pour d'ancieus amis que vous reconnaissez avoir parmi quelques-uns des mcmbi-cs des comités de notre paroisse.

îfous vous 1 appellerons de nouveau, pour vous mettre en flagrante contradiction avec vous-même, que vous avex déclaré publiquement, en présence deJOI, Désiré Béraud, Alphonse Tertrou, Victor Carrosse et le signataire de cet article, qu'il est vrai qu'en vertu de vos devoirs officiels, voufi aviez été contraint d'adresser au gouverneur de l'Etat un rapport oflicicl dans lequel vous réclamii'ï la dissolution du comité de vigilance de Vermillon, mais que, dans cette circonstance, vous agissiez comn\e magistrat et non comme simple particulier ; que bien loin de là, si le gouverneur envoyait des k gueules rouges d'Irlandais 3 :car c'est air.si que vous désignez les enfants de la verte P^rin), pour dissoudre, par la force, le comité de St-Martinville, vous-même seriez un des premiers à vous opposer à cet acte à main armée. Nous vous avons répété ces mêmes paroles, à St-Martinville, en présence de MM. Aloibiade Dcblanc, Valmont Richard, Bélisaire Borel, George» \Vèbre, Thélismar Bienvenu et plusieurs autres personnes, et vous n'avez pu faire autrement que de convenir de la véracité de notre allégation. Dites-nous maintenant quel est celui, de vous ou de nous, qui se Trouve en contravention avec la loi et la morale publique et en contradiction avec lui-même. Est-ce celui qui demande au gouverneur d'envoyer des k gueules rouges d'Irlandais pour dissoudre les Comités,» (ce sont là vos propres expressions), et qui ensuite se fait fort d'être l'un des premiers à s s'opposer à main armée aux susdites gueules rouges, 2 ou ceux qui, depuis l'origine de cette discussion, n'ont pae varié d'un iota dans leur conduite ou dans l'expression do leurs sentiments, et qui n'ont jamais reculé devant la responsabilité morale qu'ils savaient fort bien encourir,en participant à des actes qui, quoique d'une stricte justice en eux-mêmes, ne laissaient pas cependant d'être, jusqu'à un certain point, attaquables au simple point de vue légal ?

Nous espérons, monsieur A. Olivier, qu'en novembre prochain,vous serez débarrassé du tracas que vous donnent ces turbulents Comités de Vigilance, et du soin de la justice à faire rendre à notre paroisse. Si cependant, contre notre attente, vous étiez de nouveau appelé à veiller à l'exécution des lois, nous espérons que vous saurez apprécier, à leur juste valeui*, les délateurs et les calomniateurs de ces Comités; nous espérons déplus que, quand il s'iigira, pour vous, de qualifier des citoyens honorables, vous saurez trouver des expressions moins offensantes que celles que renferme la proclamation du gouverneur de l'Etat, si toutefois ces expressions ont été empruntées au rapport oflicicl que vous avez adressé à ce fonctionnaire, ainsi que tout porterait à le faire croire.

Permettez-nous, monsieur A. Olivier, avant de terminer, de vous Soumettre une dernière réflexion.

— 148 —

Nous tenons de légistes distinguéa, profondément versés dans la connaissance des lois qui régissent cet Etat, versés, disons-nous, dans cotte connaissance à un degré auquel nous craignons malheureusement que vous ne i^arveniez jamais, que vous avez outrepassé vos attributions, car votre ministère, comme avocat de district, ne commence que lorsqu'un individu est traduit pardevant la Cour, et que dans tout ce qui s'est passé dernièrement, vous n'aviez rien à communiquer au gouverneur, ni officiellement, ni officieusement, et nous sommes étonné que ce fonctionnaire ne vous ait pas rappelé à vos véritables fouctiona, fonctions dont vous vous êtes écarté bien légèrement.

Recevez, monsieur l'éditeur, l'assurance de la parfaite considération avec laquelle nous avons Tlionneur d'être.

Votre serviteur et ami,

ALCf:E JUDICE.

XLIIL

Cette lettre, comme on voit, est signée Alcée Judiœ. Sauf b forme, qui était quelquefois passionnée, elle dessinait par la hauteur et la franchise de sa rédaction, l'attitude que les Comités preiidraient si la proclamation du Gouverneur devenait jamais autre chose qu'un chiffon de papier sans valeur, que le passant lisait à peine d'un œil distrait. Cette attitude était et ne pouvait être que la résistance. Le bon sens des populations devait laisser, fort heureusement, passer et la proclamation du Gouverneur et les provocations de certains journaux qui, 'pendant quelques semaines, essayèrent de donner aux At-takapas la représentation d'une guerre civile. Aujourd'hui que la cause des Vigilants est victorieuse dans nos paroisses et que la victoire rend facile liimpàrtialité, disons :

Que l'intervention de l'autorité fut un tort dans une question qui n'avait rien de commun avec aucune loi écrite, parcequ'elle s'appelait : Loi de salut'public :

Que cette intervention fut un tort, parce que, lorsqu'un poiiple^est en danger, il a le droit de jeter un voile sur la visage divin de la Justice et de se taire lui-même juge souverain ;

Parce qu'il est évident que toutes les révolutions, réformes on réactions sociales, ont commencé par la violation d'uire loi écrite, y comprise l'émeute de Boston, en 1776, émeute qai fut le signal de la guerre de Tludépendauce américaine ;

Parce que respecter la loi, quand la Idi elle-même ne se respecte plus ou ne sait plus se faire respecter, ce serait violer la loi de Dieo,

— 149 — qui permet à Tindivida comme ù la société de se défendre, lorsque l'un ou l'autre est attaqué ;

Parce que chacun sait aussi bien que nous, que le juri a été souvent infâme dans nos paroisses ;

Parce que les malfaiteurs, sûrs de l'impunité, régnaient par le meurtre, le vol, le parjure, Vincendie, et parfois, dans quelques localités, par riiiJJiience de leurs votes sur la société attnkapicnne, et qu'il n'y'avait plus guère d'autre alternative pour les hommes honnêtes, que de les étouffer sous une main impitoyable, ou de s'exiler au Texas...- là où ils ont envoyé l'écume attakapieunc.

A. Judice eut le tort de donner à sa polémique des allures aussi guerrières. Sa logicjue si serrée, si impitoyable, n'aurait rien perdu il être plus modérée. Il était fort, car le bon droit était de son côté.

Cet exemple est bon, du reste, à être mis sous les yeux de certaines intelligences que nous aimons ; qui ont trouvé des triomphes dans la défense des causes généreuses, et rien qu'amertume et déception à épouser de mauvaises causes.

XLIV.

Pendant que les agitations de la société attakapîeune se reflétaient dans la presse, ce miroir des passions des états démocratiques, une réunion de plusieurs Comités avait lieu dans le bois du bayou Tortue,—ce bois si beau, si pittoresque hélas ! et qui tombe arbre à arbre, sous la hache du planteur. Cette réunion avait pour but de délibérer sur la proclamation du Gouverneur. Nous ne dirons pas ce qui fut décidé dans ce petit Congrès, qui représentait les Attakapas et leur fortune., C'était la barque de César, si parva licet componerc magnis.

Les événements ont rendu inutiles, jusqu'à présent, les résolutions adoptées à cette assemblée. Nous ne devons compte au public que des événements accomplis. Quelqu'un a dit : L'histoire a sa pudeur ; ajoutons qu'elle doit avoir ses mystères. ^

XLY.

Ceux qui ont bien voulu lire les dépositions des bandits de Saint-

— 150 —

Martin, y auront sans doute vu passer les noms de plusieurs individus de Tîle des Cyprès, contre lesquels le Comité de Saint-Martia avait lancé des mandats d'arrêt,...

Connaissez-vous l'île des Cyprès?

Au nord de Saint-Martin, s'étend une cyprière immense qui ferme l'horizon comme un rideau.

A la pointe Est de cette cyprière, on avait vu se dresser, l'une après l'autre, des buttes bâties en pisé comme toutes les maisons des premiers temps de la civilisation ; huttes à une seule porte d'entrée, à une seule fenêtre, à une seule cheminée, ayant pour plancher le sol ; huttes ayant plutôt l'air d'une de ces excroissances végétales que la terre enfante dans ses jours de caprice, que d'un abri pour cet étrange bipède qu'on appelle l'homme.

L'ajoupa de l'Indien, le gourbis arabe auraient paru un palais à côté de ces misérables huttes.

En hiver, il y ventait, il y pleuvait, il y glaçait ; mais la forêt était à deux pas ; et puis l'hiver est si court dans ce pays î

Et quand le printemps venait et tirait feuilles et fleurs de l'écrin où la nature les cache tant que dure le froid, ces huttes n'étaient-elles pas ensevelies sous de grar'? arbres qui faisaient flotter à Ten-tour leurs grands parasols d ^iiibre, et leur donnaient même plus d'avantages que les saules (saiices) à la Galathée de Virgile, car de ces massifs ou pouvait voir dans la prairie sans être vu.

C'était, comme on voit, magnifique, le masque ayant toujours en l'avantage sur le visage nu.

Les acteurs étaient dignes de ce théâtre.

La Louisiane est une bonne mère qui rend au centuple la peine qu'on se donne pour lui déchirer le sein ; la plupart des Cypriotes (qu'on nous permette de leur donner ce nom) aimaient mieux laisser leur mère tranquille ; ils ne travaillaient pas.

Que faisaient donc ces braves Cypriotes?

Eh ! mon Dieu ! ils volaient.

Leurs huttes, ou pour mieux dire, leur camp était comme nous l'avons appelé plus haut, un théâtre où chaque moitié des vingt-quatre heures qui composent la journée, amenait un brusque changement de décors.

Le jour, tout était tranquille comme une communauté de moines. IjCS hommes dormaient comme des gitauos, les femmes s'aceroupis-

— 351 — Bâieiit au pied d'un arbre ou se sokillaieui, «uivaut les sai&ûas. Les eafants se roulaient dans la bouée» mâchant des jurons du bout de leurs lèvres roses. Parfois une chanson canadienne, tombée d'une bouche de femme, faisait concurrence et une triste concurrence, ma foi ! aux moqueurs du voisinage, qui s'en vengeaient par d'éblouissantes fusées de notes aux voix éraillées qui les provoquaient. Ces chansons, ou peut le croire, n'avaient rien de commun avec celles de Béranger ou de Dupont. En voici du reste un .échantillon qui a été recueilli par un ,de nos amis, Paul I^révost, il j a quelques années.:

Cher ami, tu s'en va. Tu me laisse eu doleur, \ Sans whiskej', sans tabac,

Saus dé f,n-i (si'u) ni dé bieur (beurre) Tra,la,la,la, La, la.

Parfois aussi, il y avait fête sous le couvert,-de l'île des Cyprès. Le samedi, si la semaine avait été bonne, on dansait.

Les dames n'étaient pas vêtues de soie, les cavaliers ne portaient pas précisément le costume des lions qui, à Paris, vont chevaucher au bois de Boulogne ou dîner à la Maison d'Or ; mais on dansait.

Dans ces bals, si quelque main gantée se fût présentée, on aurait crié : " A bas les gants !"

Les mains nues s'y unissaient donc aux mains nues : sœur contre sœur.

Les jurons, les mots obscènes servaient d'accompagnement aux étranges musiciens de ces bals da la Bohême.

Quant aux mélodies de leur répertoire, nous n'en parlerons pas.

Xous parlerons encore moins du talent des instrumentistes. Cela miaulait, hurlait, glapissait, coassait, &c. C'était une répétition eu miniature des cris de tous les animaux de la création.

il parait que, depuis les temps mythologiques, les Yieuxtemps sont rares sous la feuiliée.

L'île des Cyprès, le jour, c'ét^^it donc le calme, le far mente, le sommeil à l'ombre des grands chêiaes, la chanson monotone de la ménagère dans sa hutte. Le travail, nulle part.

A la nuit, le tableau changeait comme au coup de sifflet d'un machiniste mystérieux.

Aussitôt que l'ombre descendait sur les grands arbres, les hommes se,ç»éveilj,aient. le? chevaux .étaient sellés, les laz^os s'enroulaient à la

— 152 —

selîe ; puis chevaux et hommes partaient au galop et disparaissaient comme des êtres fantastiques. La chasse était commencée.

Et quelle chasse, vive-dieu !

La chasse échevelée, ardente, aux animaux paissant dans la prairie ! la chasse aux chevaux ! la chasse aux bêtes-à-cornes ! îa chasse aux moutons ! la chasse ii tout ce qui était bon à prendre, à vendre et à manger !

Seulement, celle-là ne se faisait pas au bruit des fanfares, aux cris des chasseurs haletants et courbés sur leurs selles ; ici les chasseurs ne parlaient pas, ne criaient pas ; les chevaux passaient comme un éclair dans la prairie, sans faire crier un brin d'herbe, et le voyageur attardé qui voyait cet homme et ce cheval courir ainsi à travers les ombres de la nuit, se signait tout épouvanté, croyant avoir vu passer une apparition.

Les animaux traqués, puis rassemblés en troupeaux par ces étranges chasseurs, étaient ensuite amenés dans la forêt et parqués dans des savanes mystérieuses, profondes, connues seulement dïi voleur et du chevreuil.

Le lendemain l'habitant qui parcourait la prairie pour compter ses animaux de la veille et qui les trouvait diminués d'un quart, d'un tiers et souvent d'une moitié, l'habitant regardait avec indignation ces huttes dont les cheminées fumaient au-dessus de leur voile de verdure et s'éloignait lentement, lentement, en leur jetant un geste de menace.

Il est bien entendu que nous ne parlons ici que de la Bohême de l'île des Cyprès,—et que nous ne pouvons parler des quelques familles honnêtes qui se trouvent campées dans cette léproserie atta-kapienne.

Le 30 mai, seize hommes, commandés par le capitaine Désiré Béraud, partirent de Saint-Martinville et se dirigèrent vers l'île des Oypres, pour mettre à exécution les mandats lancés par le Comité.

Ces seize hommes étaient armés jusqu'aux dents.

Arrivés aux huttes, ils en fouillèrent quelques-unes qu'ils trouvèrent désertes. Portes et fenêtres étaient closes. Cette population semblait s'être évanoi^ie comme les figures qui tourbillonnent dans un rêve.

— 153 —

Où était-elle? Les hommes da comité ne devaient pas être longtemps à le savoir.

En quelques n\inutes, ils arrivèrent devant la maison Hulin ; là, un spectacle étrange frappa leurs regards.

Dans la cour de cette maison, des arbres abattus récemment, tordaient leurs branches dans les airs comme autant de rayons de barricades ; une cinquantaine de fusils étincelaientet montraient leurs bouches h travers les i'iiêtres. Décidément les soldats du comité étaient attendus.

" Holà ! quelqu'un 1' cria le capitaine Béraud, en étendant son bra.s ters la maison où, dci'rière les fusils, se dessinaient des têtes de femmes muettes, mais attentives à la scène qui allait se passer.

Deux hommes sortirent alors de cette maison changée en forteresse anti-vigilante et se dirioèrent vers le capitaine Déraud.

'' Que voulez-vous ? demanda un de ces hommes, grand vieillard à barbe blanche, âgé d'environ soixante ans, mais paraissant avoir conservé toute la vigueur de la jennesse.

—Il y a dans cette maison un jeune homme contre lequel j'ai un mandat d'arrêt, répondit le capitaine.

—Eh bien ! allez le prendre," dit le vieillard en montrant avec une complaisance visible la ligne de fusils dont les fenêtres s'étaient hérissées.

Le capitaine réfléchit.

Si 1g combat s'engageait, ses hommes Faccepteraient dans des conditions si désavantageuses, qu'un désastre en résulterait peut-être pour eux, quelle que pût être leur Valeur personnelle.

D'un autre côté, ses adversaires avaient pour eux le nombre, une maison où ils seraient h l'abri pendant qu'ils tireraient sur ses hommes, et des retranchements qu'oivne pourrait franchir qu'en essuyant de très près un feu roulant de mousqueterie. Il valait dqnc mieux ajourner l'expédition, demander le concours des comités voisins, revenir le lendemain en nombre et exécuter à tout prix les arrestations projetées.

En conséquence le capitaine ordonna la retraite.

" Comment ! vous ne venez pas arrêter votre criminel? hurla le grand vieillard, en voyant les dix-sept cavaliers faire volte-face,

—Sois tran(iuille, murmura le capitaine, nous ne reviendrons que trop tôt pour les antres et peut-être aussi pour toi."

— 154 — Pendant que l'expédition s'éloignait, il y avait eu dans la maison Huliu une explosion de cris de triomphe ; ils ne devaient pas être :de longue durée.

XLVI.

Cependant, dès son retour à Saint-Martinville, le capitaine avait .adressé une demande de concours aux trois comités voisins : Pointe, Fausse-Pointe et Côte-Gelée.

Les envoyés avaient brûlé les chemins et avaient trouvé les chefs ■des comités requis disposés à accourir le lendemain pour que force restât à la loi.

On dansa, dit-<)n, cette nuit, à l'île des Cyprès, au bruit —dire au •5071 serait de la flatterie,—d'un de ces violons impossibles, qui nous rendraient féroce au point de nous faire décréter la mort contre ceux qui les manient... si nous étions législateur. On y exécuta des bourrées monstrueuses, des rilles à amener la dislocation des membres et même, lious a-t-on dit, des bamboulas africaines, ces spasmes K^ui rendent les passions voluptueuses des tigres et des lions plutôt que celles des hommes.

Le grand vieillard que nous avons déjà entrevu deux fois, excitait de sa voix sonore, cette musique et ces danses eflrénées.

Les chefs des Comités employaient leurs heures plus utilement.

Désireux de concourir à la journée du lendemain, ils avaient couvert les campagnes d'émissaires qui frappaient sans bruit à toutes les portes et transmettaient aux soldats l'ordre écrit de préparer leurs armes et de monter à cheval au point du jour.

Partout ils avaient trouvé empressement et enthousiasme, car tous désiraient en finir avec cette étrange population bohémienne, campée près d'eux,-sur la lisière d'une forêt, comme aux frontières de la civilisation.

La journée du lendemain s'annonçait donc sous les meilleurs auspices.

L'aube du 31 mai parut.

XhYïl. .

Le rendez-vous général avait été fixé à Saint-Martin. Dès sept heures du matin, le Comité de la Pointe était arrivé, ^îommaudé paj* un honnête homme, Louis Savoie, et par un jeune

— 155 — homme qui cache tant d'esprit sous tant de bonhomie, Alfred Voor-hies.

Le Pont de la Butte avait aussi envoyé une députation ; la place <3e la ville où campaient tous ces hommes ressemblait déjà à un camp.

Le Comité de Saint-Martin, nous n'avons pas besoin de le dire, -était là aussi à cheval, son capitaine en tête, tous armés comme pour un jour de bataille, et appelant de leurs vœux l'heure oii ils reverraient cette lie des Oypres qui leur avait présenté la veille la gueule de ses fusils. •

Un autre Comité parut dans le lointain : c'était celui de la Côte-Oelée qui accourait au galop, veutre-à-terre, conduit par son chevaleresque capitaine, le major Saint-Julien. Ce comité était nombreux, enthousiaste, et était comjwsé de gens qui avaient souffert plus que personne, des déprédations des Cypriotes.

La petite armée s'ébranla bientôt à la voix des capitaines. Les Cj'priotes allaient trouver à qui parler.

XLvm.

Avant de partir, les chefs avaient eu un conciliabule et le capitaine D. Béraud leur avait dit :

** Messieurs, j'ai demandé votre concours pour m'aider à faire les arrestations décrétées par mou Comité ; rien de moins, rien de plus. Tous n'estimeriez ni moi ni les hommes que je commande, si vous pensiez qu'en cas de danger nous cacherions nos poitrines derrière les vôtres. Si le combat s'engage, la place que nous demandons est celle où pleuvront les premières balles. J'ai dit."

Les chefs avaient salué ces paroles d'un geste d'assentiment. Ils étaient connaisseurs en courage et savaient que, s'il y avait engagement, le poste le plus périlleux revenait de droit au Comité de Saint-Martin.

Puis chaque chef avait regagné la tête de sa colonne et les deux cents cavaliers s'étaient élancés dans la prairie.

Une heure après, les Cypriotes se trouvèrent enveloppés par une nuée de cavaliers qui avaient débouché à la fois de tous les sentiers qui aboutissent à leurs huttes mystérieuses. C'était un coup de filet immense exécuté dans une minute. Seulement, au lieu de poissons, on avait pris des hommes.

— 156 — »

Bientôt après, la maison llulin se trouva enveloppée. Seul, abandonné par ses amis de la veille qui, à l'arrivée des Comités, s'étaient débandés et avaient lui dans toutes les directions, Tiburce Hulin vint se livrer lui-mèrae aux hommes da capitaine Béraud. 11 était accompagné de sa mère et de sa jeune femme qui pleurait.

Après avoir été solidement garrotté, il fut jeté sur la croupe d'un cheval.

*' Mon' fils, lui dit sa mère, je t'en supplie, quoiqu'il arrive, ne dis rien de ce que tu sais.

—Vous serez obéie, ma mère," répondit le jeune bandit en fondant en larmes.

Tiburce ne devait pas tenir son serment.

XLIX.

L'expédition s'était donc faite sans qu'on eiît brûlé une amorce. Les Cypriotes de la veille s'étaient évanouis ou cachés dans les abris secrets de leur cyprière, et le peu qu'on en avait vu avait fui comme des daims traqués par des chasseurs. On avait arrêté Hulin, les Picard et d'autres comparses des malfaiteurs de Saint-Martinville, et les Comités n'avaient p^s besoin de se laver les mains pour effacer une seule goutte de sang. Elle était donc bien complète, cette victoire, puisqu'elle ne coûtait rien à l'humanité.

Les mandats des Comités étaient exécutés, il est vrai, mais il y avait d'autres coupables à punir.

Un cercle, composé de tous les Vigilants, se forma dans la prairie. Les chefs entrèrent dans ce cercle, et l'un d'eux, d'une voix éclatante :

" ]\ïessieurs, dit-ii, Bernard Roméro était évidemment le chef des hommes armés qui se sont opposés Mer à l'arrestation d'Hulin. Xous mettons aux voix l'expulsion de Bernard Roméro (c'est le nom du grand vieillard que nous avons vu au premier plan dans l'expédition de la veille).

—Hourrah ! qu'il parte ! c'est un voleur ! il m'a volé un cheval !— à moi vingt moutons !—à moi des vaches !—Qu'il parte ! Qu'il parte ! "

Tels furent les cris de l'armée vigilante ; les chapeaux volèrent en l'air et cent coups de fusil furent tirés en signe de réjouissance et d'assentiment.

— 15V —

Unanimité toucLaute,, mais très peu flatteuse pour Bernard Ro-mcTO.

Les rangs farent rompus bientôt après et les comités, remontés ?i cheval, s'acheminèrent lentement vers la demeure du condamné.

''Bernard !" cria le capitaine Béraud d'une voix solennelle.

Le vieillard se présenta.

" Bernard Roméro, ajouta le capitaine, en scandant ses mots pour que chaque syllabe frappât les oreilles de son auditeur,— Bernard, les Comiîé'i ici 'présents voii-i condamnent à sortir de la paroisse et de l'Etat. Ils vous donnent un mois pour mettre ordre à vos affaires. Siy dans trente jours nous vous trouvions dans Ivslimites de notre paroisse, vous recevriez ^m châtiment plus terrible. Votre Jils aîné vous suivra aussi dans Vexil.'^

Et les Comités se retirèrent, laissant Roméro frappé de cette condamnation sans appel.

Qu'est-ce que Bernard Roméro ? demandera peut-être le lecteur.

Un membre de la Bohême attakapienne qui s'était enrichi k la maraude, et qui avait toujours su marcher sur les articles de la loi qui protègent la société, sans être mordu par eux ; un homme qui, grâce à son influence sur les bohèmes dont il était le général, était -devenu une puissance avec laquelle comptaielat les coureurs de places, car il disposait de quarante ou cinquante votants qu'il menait à l'urne électorale plus bravement qu'il ne les avait menés la veille au feu. C'était, pour me servir d'un beau vers de Virgile,

Immanis pcccris ciisios, iminanior ipse.

En l'expulsant, les comités décapitaient la bohème. Le vieux Tarquin n'avait pas mieux fait avec ses pavots.

Bernard partit. Le Comité de Saint Martin veut le rappeler, dit-on ; nous n'en croyons rien. IjCS hommes qui composent ce corps se respecteront trop, pour se laisser marquer au front du crime de haute trahison et pour se faire renier de leurs collègues des autres Comités.

158 LI.

rrr-naç^v-èitïii;. ---'^^

Amené à Saînt-Martin et jeté dans la prison du Comité, Tiburce ne tint pas le serment qu'il avait fait à sa mcre. Interrogé, il conï-prit que le quart-d'lieiire de Eabelais était arrivé pour lui.

Yoici sa déposition copiée littéralement, comme toutes celles de Saint-Martin :

Il dît qu'à la tentative de vol chez Mme Tourneu, il y avait Valéry Picard, Aurélien Picard et lui, et que c'est Valéry Picard qui a tiré sur le jeune Tounieu, après avoir essuyé son feu. Personne n^a été blessé; (ce fait est démenti par plusieurs témoignages).

Chez Georges Lognan, il a commis le vol en compagnie de Prosper Grand, Maximin Kouly, Estève, Manoël, Valéry et Aurélien Picard. Ces deux derniers et lui avaient amené une charrette où ils ont mis les marchandises volées. Il y avhitdes indiennes et des pièces de coton fin.

Le partage s'est fait dans la prairie, en allant à Vi\e des Cyprès.

Mauoël et Prosper étaient armés chacun d'un revolver.

James Rced était avec eux.

Prosper et Reed ont ouvert la porte, après s'être introduits daus le magasin par une'lucarne. Ils ont allumé une chandelle.

Beed, Prosper et Manoël faisaient passer les marchandises à leurs camarades qui étaient dehors, lorsque Georges Logiian se leva. Sauvons-nous ! crièrent Keed et Manoël.

Lorsqu'on devait commettre un vol, le rendez-vous était chez Manoël. Prosper, Manoël et Tiburce étaient les trois chefs de la bande.

Chez M. Béraud, il a volé avec les individus déjà connus ; il a vendu sa part de butin à Rééd.

Chez MM. Marais & Saint-Germain, ils ont fait une tentative qui n'a pas réussi. Prosper a percé les trous de la porte.—Dans tous leurs vols, ils marchaient parfaitement armée.

Il dit que Bernard Roméro (l'expulsé de l'île des Cyprès) a gardé plus d'un an chez lui une négresse marronne appartenant à Alex. Roy, et qu'il la faisait travailler au clos sous des habits d'homme. Sachant qu'on faisait des perquisitions, celui-ci la congédia ; alors elle alla se cacher chez une négresse de Mme John Frederick. Plus tard, elle fut arrêtée chez un nègre de M. Charles Gauthier.

Le même Roméro et son fils disaient qu'ils feraient feu sur tous ceux qui viendraient arrêter les déposants.

Comme on voit, la déposition de Hulin venait tard, mais ni ses compagnons, ni le Comité n'avaient perdu à attendre.

Quelques jours après, il ne restait plus à Saint-Martinville un seul des misérables qui, pendant plusieurs années, eu avaient pillé et

— 159 — incendié les habitants. Ils avaient tous disparu dans les chemins ardus de l'exil auquel ils avaient été condamnés. Le Texas avait reçu les uns (ses forêts et ses prairies sont assez vastes pour cacher les fronts les pins coupables); la Nourellc-Orléans reçut les autres. Est-ce que le baudittisme a, comme la terre, sa loi d'attraction ?

Lir.

Après la campag-iie contre les Cypriotes, M. D. Béraud donna sa démission de capitaine et de membre du Comité, tout en restant attaché de cœur au drapeau qu'il avait défendu.

Il avait gardé peu de temps le pouvoir, mais il l'avait exercé d'une manière glorieuse pour lui et utile pour la communauté. Il pouvait donc se retirer honorablement.

Ses soldats lui donneront deux successeurs, en nommant M. Georges Wèbre capitaine et M. Talmont Richard lieutenant. : dcTix noms qui sont deux drapeaux pour toutes les causes honorables, car ils sig-nifient honneur, courage et loyauté. Nous tous retrouverons à la Queue Tortue, mon clier CTeorg:es, ainsi que votre brave lieutenant. iS DUS aurons donc le plaisir de reparler de vous.

LUI.

Nous avons écrit tous ïes actes de ce Comité qui sont du domaine de l'histoire, actes dont il peut prendre hardiment la responsabilité devant, ses concitoyens des paroisses voisines et devant le pays. Créé par l'indignation populaire dans un village pillé, incendie et tout fumant encore du sang de onze victimes écrasées souâ les décombres brûlants, il sut garder le calme et la gravité du juge. On l'aurait excusé peut-être sur le moment, s'il avait donné quelque chose à la passion, à la colère, h l'indignation de ceux qui avaient tant souffert ; plus tard, on aurait peut être cassé ses arrêts; heureusement pour lui et pour la souveraineté populaire, dont il était l'expression et l'organe, il sut éviter cet écueil. Ministre d'une loi de salut public, il fut juste, mais implacable dans les châtiments qu'il appliqua. 11 punit de l'exil, non seulement les bandits leg lEfoins compromis, mais ceux qni, comme Rccd, Prosper et ManoèU

— 160 —

avaient mérité la suspension à la corde d'une potence. Il ne voulut pas de l'écliafaud populaire, il se contenta de couper les branches pourries de notre arbre social.

Le résultat de son œuvre fut la suppression complète du vol cl de Vincendic dans le village de Saint-Martinville. Si, en étudiant la mission de ce Comité, il se trouvait un seul adorateur de la Loi qui eût le triste courage de l'accuser de sédition, nous répondrions : Ces séditieux ont réparé en quelques semaines le mal que votre justice aveugle et votre juri, criminel ou vénal, avaient Aiit au pays pendant vinct ans.

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LA MAISON DE PIEEKE-MARIE

Chàlet assis au bord des ondes, Caché dans les forêts profondes Comme un nid d'oiseaux sous los fleura

POitTE INCONNU,

\>n pourrait faire un grog volume avec la 'moitié des pages qui ont été écrites s«.r les savanes américaines.

Depuis Cooper, le grand paysagiste américain, jusqu'à Théophile (rautier, qui a, quelque part, dans ses œuvres, une splendide poésie adressée à une jeune créole,—et Adrien Rouquette qui a signé un volume étincelant de foi et de poésie descriptive, intitulé : les Savanes, tout le monde a chanté les immenses prairies qui se déroulèrent aux yeux des premiers ex])Ioratcurs de l'Amérique,—prairies ondulant au vent avec leur végétation vierge et gigantesque,—prairies infinies comme la mer, car elles étaient elles-mêmes une mer de verdure, prairies qui, aux premiers temps de la colonisation, confessèrent, par leur grondeur et leur étendue, le nom de Dieu.

Il en a été de même des forêts vierges, immortalisées pour nous, hommes du dix-neuvième siècle, par la prose de Chateaubriand.

Un jour l'homme toucha à ces prairie^, mers verdoyantes, et h ces ibrèts qui sont, elles aussi, de's ébauches grandioses de Dieu ; et comme l'homme est aussi grand démolisseur que Dieu est créateur, il nous gâta la Création.

Le jour où le soc mordit, pour la première fois, le sol de no? prairies, elles perdirent la poésie cfui s'attache à tout ce que l'homme n'a pas défloré par son contact. Ce fut comme si l'on avait déchiré une robe de vierge.

Le jour où l'homme abattit les arbres centenaires de nos forêts, il commit un sacriMge ou, tout au moins, une profanation : le printemps rend, chaque année, sa couronne ù la terre et efface amsi les ravages de la charrue ; mais les arbres, ces géants qui ont mis des siècles à grandir, l'homme, ce ver de terre qui ne vit que quelques jours, l'homme les tue àcoups de haei«3ct détruit ainsi, on quelques minutes, ce qui semblait être immorteF. •

Étrange mystère que cet animal à deux pattes que Ton appelle l'honmie î Pourquoi Dieu a-t-il joint tant de force ù tant de faiblesse ?

Peu à peu les solitudes se peuplèrent ; les patriarches des premiers temps de la colonisation devinrent, comme ceux des temps bibliques, pères d'une postérité aussi nombreuse que celle de Juda ; l'immio-ration vint apporter son contingent à l'armée des pionniers qui sillonnait déjà le pays, et l'agricuiture régna bientôt en souveraine dans cette Louisiane qui, au commencement de c^e siècle, n'était guère qu'un désert.

Aujourd'hui les grandes prairies des Attakapas ont presque disparu.

Il en reste cependant encore quelques-unes où les animaux ont ('eau du ciel en abondance et de l'herbe drue et haute jusqu'au poitrail.

Ces savanes se trouvent, les unes aux frontières des parpisses Saint-Martin et Lafayette. les autres au dessus d'Abbevilleetsurces riches plateaux—oasis de la mer—appelés chènières, oii l'on retrouve la merveilleuse fécondité des premiers jours de la Création.

Dans quelques années, l'agriculture aura tout pris de sa main égoïste, et alor? on cherchera cd vain les magnifiques :::avanes loui-

— 163 —

sianaiaes, comme on cherche de l'eau, réié, dans le lit de lAruo eu da Mançaiiarez.

Les savanes auront complètement disparu.

Un jour du mois de mai dernier, un cavalier partit de la Oôto-«jelée pour le Vermillon, porteur duu message du vaillant capitaine de ce district pour un autre vaillant chef du Comité de V^ermillon, Sarraziu Broussard.

Ce cavalier portait la ceinture vigilante, qui bc roule autour du corps seulement lorsqu'on va en expédition ou qu'on est porteur de dépêches de capitaine à capitaine. Il était monté sur un coursier qui devait descendre en droite ligne de la célèbre mouture dé Don l^uichotte, car à chaque pas qu'il faisait, le digne coursier lui disloquait les os.

Ce cavalier était parti, selon sa noble habitude, une heure ou deux après le lever du soleil, c'est-à-dire à l'heure ou l'armet de Membrin aurait été chauffé comme un fer rouge sur le chef lui-même du chevalier de la Triste Figure.

Comme par miracle et comme s'il eût su que son maître et seigneur était porteur d'un message assez important, son coursier était sorti de son allure ordinaire qui était le pas, et après s'être permis une contrefaçon de trot tout-à-fait belge, s'était émancipé au point de prendre le galop.

Le qnadrupeâantc putretn fionihc quatit ungula campum était un Uixe qu'il se permettait pour la première fois de sa vie.

Sauf le soleil, qui lui brûlait le cerveau, ce cavalier aurait été décidément un être privilégié.

Hàtons-nous de dire,—pour sortir de l'ornière où se traînent tant de romans et où nous n'avons pas le droit de nous engager longtemps, nous qui n'écrivons que de l'histoire,—que ce cavalier brûlé par nn des plus chauds soleils de l'été, c'était nous.

Nous passâmes, galopant et suant, à côté de la maison des Her-pin,—maison cachée derrière un grand rideau de lilas compae pour mieux voiler les crimes que commettaient journellement ses propriétaires, chassés depuis longtemps par nos Comités de Vigilance ;— imaison morne aujourd'hui comme un sépulcre ou comme un de ces

— 164 — iiionuDiGiitH sur lesquels a passé la colère du peuple,—ci nous nou>-engageâmes dans la prairie du Vermillon.

Malp-ré l'ardeur du soleil, nous traversâmes lentement cette prairie où s'étalait la riche corbeille de la Flore attakapienne, corbeille tjui attend encore son naturaliste. Arrivé à l'entrétidu bois, où le Sûl subit une de ces brusques dépressions qui sont si fréquentes ici, tt qui accusent toujours le voisinage d'un bayou ou d'une eypricre. tous prîmes un chemin parfaitement tracé et dcsccrdant h travers une voûte de verdure impénétrable aux rayons dii soleil, jusqu'à UU' t^uc que nous voyions de loin amarré à la rive du bayou Vermillon, ver? laquelle nous nous dirigions.—Dieu a semé des oasis dans 1'. désert ; il nous donne, à nous, un parasol de verdure, comme pour nous faire oublier la chaleur torréfiante que nous venons de subir.

Tel fut le monologue que nous nous permîmes durant cette descente que nous rendîmes aussi lente que possible, autant poîir jouit (îc la fraîcheur que par respect pour le peu de solidité des jarret'^ de notre cheval.

Arrivé au bac, retenJi par une forte chaîne de fer à un de ces cyprès centenaires qui sont ù la fois les géants et l'orgueil de la Louisiane, nous vîmes ai)paraître nu homme au teint olivâtre, à la barbe brune, au.x yeux ardents, au visage ovale—une médaille i'rappéc au coin, non des plus beaux types italiens, car notre homme n'était pa-l eau—mais des types italiens les plus accentués.

Nous lui dîmes notre nom.

'' Soyez le bienvenu, nous répondit-il en sinclinant avec cette exagération de gestes ([ui est le propre de la nation italienne. Qu'y a-t-il K votre service ?

—On ma dit que je trouverais le capitaine Sarrazin Broussard dans cette maison.... et je suis venu."

Kt je lui désignais du doigt une maison noyée pour ainsi dire daiir-lu verdure, selon la charmante coutume attakapienne.

'• Celte maison est la mienne," nous dit Thomme au teint olivâtri-en se rengorgeant.

Nous nous inclinâmes avec le respect que tout prolétaire doit n tout propriétaire.

'•'Alors vous vous appelez? lui denjandâmes-naus.

—T*ierre-"NTarie, mom^icu, Pierre-Marie.... ù votre service."

Et comme il disait ces mots, l'amarre de 1er était tombéeàgraii<I

— 1G5 — broit, et lltalien pesant sur la chaîne tendue d'une rive à Ta"^^^ faisait voler la lourde carcasse du bac comme une flèche. Bientôt nous touchions à l'autre bord.

Après avoir gravi une éeore h pic ou à peu près, comme les i.i-laises de France, nous noi7s trouvâmes dans la cour do rierre-.Mo-rie.

" Le capitaine n'est pas ici, nous dit-il, après avoir échangé quelques mots avec une voix pure et argentine <{\v h-.', r-'pondit do riûtérieur de la maison.

—Veuillez le faire avenir, s'il est dans le voisinage... Je suis porteur de dépêches, ce qui équivaut presque au titre de paricmcntairo en tcmpy de guerre.

—J'ai déjà euvoyé un de mes enfants l'informer que vous désiriez avoir «ne entrevue avec lui... et dans un quart d heure au plus il

i'eraici Kii attendant, permettez-moi de vous faire !«•> jxumeurs do

mon ile d'abord, ensuite de ma maison. "

Et Pierre-Marie, avec l'iastinct artistique que les Italiens semblent sucer avcHî le lait de leui-s nu-res, Pierre-Mario m'avait entraîné sur un mamelon don Ton pouvait embrasser du roirard so;i de, comme il l'avait ajij^elée.

Une ilc en eflfeti une miniature d'Ue l une corbeille de Heurs ! une couronne d'arbres trois ou (juatre lois centenaires ! élevée au-dessus lu bayou, à pic comme une petite Antille ? découi>ée comme cette barque du temps des croisades, retrouvée à Aigues-Mortcs en 1832 ou 1833 et dont la gravure a popularisé la copie ! un diamant caché ilans les bois par la Nature, cette artiste si grande et si modeste qui cache son écrin dans la solitude, lorsque la femme met tant do soin à montrer le sien !

Xous fûmes émerveillé, et pourtant Dieu sait f-i, dans notre vie, nous avons vu des choses <^ui nous ont blasé en ce qui to*iche l'admiration.

^'Uc—car c'était bien une z/c—avait environ cin^i cents mètres ile long, était découpée, ainsi que nous l'avons dit plus luiut,commo une barque du temps des croisades, et semblait avoir été fouillée et sculptée par quelque statuaire dédaigneux des applaudissements d^ .ses contemporains et de ia postérit<3. Au centre de Vïlc, s'élevait une maison en pisé, comme toutes celles que l'on construit encore dan^ DOS campagnes et haut-voilée d'arbres qui auraient pu abriter un

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moetîng sous leurs immenses branche? ; à quelques mètres de la maison, un modeste magasin, micellanie, diraient les Anglais ; salmigondis, diraient les Français ; de tout ce qu'il y a en apparence de plus étranger, et qui se trouvait néanmoins réuni sur les mêmei^ étagères.

Sur le bras sud-ouest du bayou, qui formait la moitié de la ceinture qui faisait donner à cet adorable joyau de terre le nom d*2/p, sur ce bras, une svelte goélette se balançait et étalait orgueilleusement au vont sa coque fraîchement peinte, ses cordages que le goudron n'avait pas touchés encore et, à la pointe de Tun de ses mât>. i?.ne flamme fantaisiste, sans doute dessinée par Pierre-Marie. Nous nous penchâmes sur sa drisse et nous y vîmes se détacher en grosses lettres blanches sur fond noir, le gracieux nom de : ELMA.

" Elraa ? fîmes-nous en nous tournant du côté de notre cicérone, rrest sans doute un nom pris dans votre famille... le nom de votre femme... d'une de vos filles, d'une..."

Pierre-Marie, h ces mots, avait laissé monter à ses lèvres im dt' ces sourires qui expriment à la fois un monde de choses.

Ce sourire voulait dire : Mon Dieu ! que ce voyageur est simpl<»^t Qu'il est... ce quOdry a dit des gendarmes !

(/C sourire était une sanglante épigramme adressée à notre ignc'-rance.

Nous faisions pitié à notre hôte ; c'était évident comme le jour.

.lVou« cherchions en vain à deviner comment nous avions pu non' compromettre au point d'appeler un pareil sourire sur les lèvres d(-Pierre-Marie, lorsque notre bon génie nous porta à lui adresser la question suivante :

'• Mais enfin, pourquoi votre goélette s'appelle-t-clle Elma ?"

Nouveau sourire sur les lèvres de Pierre-Marie.

•• Parce que, nous dit-il en scandant ses syllabes comme un indigo ae de Marseille,— parce que V Empereur Napoléon III a gagyié. eri personne, fa bataille d/Elma contre les TurcsJ' ^

Nous nous inclinâmes devant tant de science. Pierre-Marie avait évidemment suivi un cours d'histoire sous d'autres professeurs, et surtout sous des professeurs plus progressifs que les nôtres. Non? étions battu et bien battu.

Notre humilité et l'empressement que nous avions mis à confesser notre défaite nou=: eurent réhabilité en peu d'instants aux yeus.

— 167 — 4e notre hôte qui, dès ce moment, consmenca de jouer le rôic de protecteur à notre égard.

" Napoléon primero, il était Italien, raurmura-t-il. toujours avec son .«ourire protecteur, et voilà porqué je m'intéresse aux actions de son neveu.

—C'est convenu."

Un son de trompe retentit dans le bois, pendant que l'orage, q^ii se formait a mon arrivée, commençait à se résoudre en éclairs et en éclat<ï de tonnerre.

"Sarrazin Broussard arrive, c'eet son signal ; en attendant, vous plairait-il de visiter ma famille ?

—Volontiers.'' lui dîmes-nous avec une curiosité avivée par ie site merveilleux qui servait de cadre à cette modeste maison.

Et nous entrâmes dans ses foyers îi sa suite.

Cinq ou six blondes totcs de petites fillos nous accueillirent en secouant leur chevelure, et en noH<? souriant de leurs beaux yeux intelligents et de»leurs lèvres roses comme la flour du grenadier. L'aînée, jeune fille de .«eize ans. blanche. l>elle et fii-re comme les médailles qui nous rappellent Marie Stnart, l'aînée trÔRait k côté de sa mère et gourmandait parfois de la voix ou du geste ses petites sœurs folâtrant et riant. Tl nous sembla voir GrazicUa dans la Cabane de son père, le Pêcheur de Procida. 1^ dieu des voyageurs nous avait protégé... Nous étions tombé au milieu d'un petit bataillon d'anges.

Cette maison était du reste une cabane de pêcheur qui aurait fait illusion a Léppold Robert lui-même. Ici des til^ts. là des harpons pour la pêche à la carpe, au poisson armé, à l'esturgeon et aux poissons de mer pendant -icb voyages de la jolie goélette Elmn, qui se balance maintenant » la marée dn bayou, comme une valseuse qui attendrait le signal de l'orchestre ; dans une autre salle, au second plan, trois ou quatre matelots, dont deux coiffés du bonnet i'»hrygien et s'entretenant dans la langue du Tasse : enfin notre guide, Pierre-Marie, l'Italien, le chef de la famille, le patron de la goc" iette, jetant sur ce tableau les fauves reflets de son visage estompé par le soleil de la Méditerranée et celui de la Tjouisiane. C'était curieux à voir^t à étudier, sur l'honneur !

Ah ! si nous avions été peintre !

fia trompe retentit de nouveau sur la rive opposée.

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" C'est lui, c'est Sarrazin! ' dit PieiTe-Marie eu s'élacçaut, c'est-à-dire en dégringolant de l'écore à pic sur les bords du bayou.

Nous le suivîmes, car nous avions hâte de connaître le chef que nous allons présenter à nos lecteurs. Xous le connaissions comme un homme d'action, le seul peut-être capable de purifier sa paroisse, qui était incontestablement la pins lépreuse de la Louisiane, mai? nous ne l'avions jamais vu.

" Hâtez-vous," criames-nons h Piei're-Marie qui conduisait le bac au vaillant capitaine.

Avant que le bac eût abordé, ie cavalier de la rive opposée lit (aire une volte gracieuse ît son cheval et puis, le piquant anxrlanca par le double aiguillon de ses racachas, il le fit bondir d'un saut jusfiu'au milieu dn bac qui chavira presque sous ce poids inattendu.

" Vigilant et porteur de dépêches 1 lui criumes-nous, en lui montrant de loin un papier.

—Vigilant !" clama-t-il en découvrant sa ceinture.

Désormais la connaissance était faite ; deux mots y avaient suffi.

l)ès que le bac toucha le bord, Fierre-]\Iario s'empara du cheval île Sarrazin qui avait sauté Ji terre aussi légèrement qu'un écuyer de cirque et avait couru rapidement à nous.

'i Ne me dites pas votre nom, je le sais, je le connais,—vous me portez une dépêche du Major, c'est bien ; en haut, noua verrons cela ; montons."

l^t nous commençâmes lascension—ascension est le mot—de i'écore, pendant que le coursier et Pierre-Marie, l'un guidant l'autre, montaient péniblement, de leur côté, une espèce de sentier de chèvre, taillé à la pioche sur le flanc abrupte de VHc. '

Durant notre ascension, nous étudiâmes l'homme à qui nous venions de remettre une dépêche de notre ami, le major St-Julien, et qui avait îi nos yeux un mérite (pie nous dirons franchement : celui d'être un des rares chefs qui aient compris que les Comités de Vi-2rilance étaient, non des tribunaux de parade, mais des conseils de guerre appliquant la loi impitoijahlcmmi et ne belaismnt fléchir par aucune considération.

Cet homme était petit, nerveux ; ses mains étaient dune délicatesse presque féminine ; ses yeux respiraient la loyauté et le courage ; il marchait avec la souplesse et 1 "agilité de tout ce qui est jeune 8t fort. Tout, en un mot, était viril chez lui, excepté la voix.

— 169 — «(f Ouf I me voiià enfin au sommet, nous ûii-il ca nous teudaut Iù /nain, car nous gravissions encore péniblement lescarpemeut de récore,—ouf! nous voilà enfin arrirés ; causons.

'Je 6ais, ajouta-t-il, que vous allez écrire lliistoirc des divers Comités. Je eais d'un autre côté que vous écrirez cette histoire, telle que vous la comprendrez ; cest-à-dire avec un dévouement absolu au principe qui nous a fait sauter sur nos armes, mais aussi avec une indépendance complète à l'endroit de vos jugements. <4uant à moi, devant la gravité du mal et linfamie du juri, tel qu'on le èompose dans notre paroisse et ailleurs, je jure Dieu que tous les exils que j'ordonnerai, que toutes les exécutions (jue mon Comité fera, exils et exécutions, je confesserai tout hautement, à la iace de IHeu et des hommes ! Prenez acte de ce que je vous dis-là."

Nous lui tendîmes la main. Cette parole nette, franche, loyale, nous avait subjugué. i

Il continua :

'Je ne suis qu'un acadien ; je ne suis pas lettré ; mais j ai un cœur qui bat et cclui-la, k chacune de ses pulsations, me dit : il y a des chefs qui ont déjà accordé des grâces ; moi, je n'en accorderai pas ! 11 y a des chefs qui ont jeté un voile sur des méfaits commis par des hommes qu'ils avaient à ménager : moi, je ne jetterai de . voile sur aucun acte, ni aucun nom ! 11 y a des chefs qui ne punissent que le vol, comme si le vol était, hélas ! la seule lèpre de la société : moi, j'ai ]mni et je punirai le guet-à-pens. le parjure, le viol, le meurtre, le faux, tout ce qui seia réputé crime par le code,—le code sur lequel les Comités ont jeté momentanément un crêpe,— et je le punirai sommairement. •

—Bravo ! lui dimes-nous. Xous voyons f(u'avec vous nous n'aurons pas à oonquérir le droit d'avoir carte blanche.

—Allons dîner, fit-il, nous causerons affaires entre la poire et le i'romage."

Une minute après, nous étions assis à une table dressée à notre intention.

Avant de toucher aux mets qui nous étaient destinés, Sarrazin se leva. • •

" Avant de dîner, je vais appeler les quelques personnes qui sont dans la maison et les prier de boire à un toast que je vais porter."

Un cercle d'une vingtaine de personnes fut bientôt formé autoiir de nrous.

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Sarrazin se découvrit, tous les spectateurs l'imitèrent, et puis, d'une voix émue :

** Au triomphe de la Vigilance ! Au succès de la réaction armée de l'honneur contre la boue sociale 1 "

Et ce fut une tempête de cris sous laquelle la maison de Pierre-Marie faillit crouler. Jamais Lord Palmerston, portant un toast aux marchands de la Cité, à Londres, ne fut plus chaudement acclamé.

Et puis, durant ce dîner, qui n'eut d'autres témoins que les dews. convives assis à la môme table,.Sarrazin nous conta ses expéditions, ses courses à travers champs et bois, ses chasses aux bandits, ses razzias, ses rondes incessantes de tous les jours et de toutes les nuits. Il refit, page par page, le poème, pour ne pas dire l'iiistoire de ce Comité, campé ù la porte d'une armée de bandits, comme une poignée d(; zouaves dans lesblockliaus de la Kabylie. Nous complétâmes, à l'aide de ses explications, tout ce qu'il y avait d'incomplet, d'inachevé, dans les procès-verbaux de son Comité qui, comme ceux^de tous les autres Comités, contiennent tués peu de chose.

A la fin du dîner, nous nous trouvâmes parfaitement renseigné.

'• A lix Vigihinccl A la réaction armée de l'honneur! répétâmes-nous, en vidant notre dernier verre.

*• Faites-nous une bonne histoire,'' nous cria Sarrazin, comme nous remontions à cheval sur l'autre rive.

Nous n'osâmes lui faire une réponse affirmative, de peur de voir TfOirç. promes>e protestée au tril.mnal de nos lecteurs.

U PAROISSE VERMILLOIS

L'or s'y mêle à la bouo

HKNRI HEINE

Dans les premiers temps de la colonisation attakapienne,—et ce one nous allons dire date presque d'hier,—nos pai*oisses étaient dix fois plus grandes que certaines principautés allemandes qui sont encore gouvernées par deè grands-ducs.

Elles étaient autant de rovaumes, dont les shérifs étaient les rois.

— 171 — et que quelque,* familles faisaient mouvoir- comme Jupiter faisait mouvoir l'Olympe—avec un froncement de lenrs,sourcil3.

C'est la du reste une règle générale ; toutes les sociétés primiti-ve=? ont commencé par l'autocratie.

Quand les population? clair-semées et comme perdues dans le-i prairief', commencèrent a être assez nombreuses pour s'appeler f'iuk, elles flemandèrent k se fractionner, à former des paroisses nouvelles et à avoir ainsi à proximité d'elles, un chef-lieu où elle? pussent régler leurs affaires, et s'épargner, de cette foçon. des vo-^'ages qui, par exemple, de la Sabine aux Opelousas, étaient de véritables voyages au long cours.

De ce fractionnement naquirent Calcassieu et Vermillon, découpées, l'une sur la paroisse Saint-Tiandry, Tautre sur la paroisse T^a-fàyette.

T/ci paroisse Vermillon a les plu.s belles frontières de toutes le? paroisses maritimes. En géographie, c'est splendide.

Au nord, elle tend la main à Lafayette : au nord-ouest, a Saint-Martin ; h lest, elle touche si Calcassieu : au sud. au golfe du Mexique qu'elle borde par ses prairies tremblantes, pendant que le bayou Vermillon, sa seule rivière navigalde, se jtîtte dans la baie dont W porte le nom.

C'est en vérité une belle paroisse ; mais, sauf une centaine de familles, plus ou moins, qui ont pour elles la justice, l'honneur, la probité, cette paroisse aura les commencements de Rome : elle scrii peupléo par des bandit?.

Pourquoi ? nous demandera peut-être le lecteur.

Pourquoi ?

Ah ! la réponse à ce ponyquoi est une des plus sanglantes satires qu'on puisse adresser, non à la justice américaine, mais aux officiers de cette même justice.

Parce que, il y a quelques années, et nous dirions encore de noc-jours, sans l'établissement des Comités de Vigilance, l'individu. coupable cVim crime danr^ une paroisse voisine eût-il volé ou tué. trouvait dans cette paroisse vn refuge ou il n'était jamais poursuivi.

C'est honteux ! c'est infâme I mais c'est vrai.

Cette paroisse s'était donc organisée—les éléments honnêtes h part—avec des évadés de la justice qui ne pouvaient pas lui dci-nf»r une grande moralité, . ^-,\

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Les brio-ands y eurent donc d'abord leurs coudées francîies^ia souveraineté dans les prairies et la haute main daus les électiens.'

Oui, c'est une chose triste à dire, mais qui doit être dite, ne fût-ce que comme une leçon à l'adresse de ceux qui ont étendu au-delà de toutes Imites la souveraineté populaire :

Pans la paroisse Vermillon, lea honnêtes gens étaient débordée par la canaille, et cette canaille avait se^ flatteurs ii ces tristes périodes des nations démocratiques, où les hommes, qui se ruent à la curée des places, abdiquent souvent toute dignité comme toute indépendance, et touchent fratcrneilement des mains qui devraient être depuis longtemps garrottées par le bourreau !

C'est un triste revers de ce dogme séduisant de la souveraineté populaire ; —dogme dont nous avons été Ihumble, mais dévoué soldat, toute notre vie ;—mais ce revers existe et nous devon? b signaler.

Le crime régnait donc dans la paroisse Vermillon et, qui pis est, <m le festoyait, on lui touchait la main, on l'appelait : jl/oz/sei-

gneur I

Il était du reste tellement sûr de l'ascendant qu'il exerçait, «qu'il ne portait plus de masque.

Le masque est bon pour les aventures d'amour ou pour la perpé-tratiou d'un crime... là où il y a une justice et une potence.

A quoi bon se masquer dans un pays où la justice est morte et oii la potence a été brûlée depuis longtemps "?

Grâce aux Comités, la justice et la potence ressusciteront peut-être ; et cette double résurrection les dédommagera des insultes et des calomnies anonymes qu'elles reçoivent journellement et de celles qu'elles ont reçues derniùremeut, à Saint-Martin, de M. T. Leiois, îi'otabilité attakapieftne qui a oublié, ce jour-là, qu'elle avait perdu depuis longtemps le droit d'insulter les honuêtes gens.

Oui, le crime existait dans cette paroisse et existait à l'état de

pouvoir.

Un membre de son juri de police avait été condamné au bagne, pour un vol commis dans les circonstances les plus aggravante?, et sa famille avait fait circuler une pétition demandant au gouverneur la grâce du condamné,—laquelle pétition avait trouvé denombrea-•^es signatures. '

Le juri de cette paroisse n'était pas comme les autres, qui se par-

— 173 — jurent <[U' ,^ui écoutent parfois aussi la voix de icur

conscience ; il était, non le parjure par exception, mais le parjure vivant cl permanent.

Manipulé, choisi par les avocats, qui ne faisaient qu'user du bénéfice de la loi américaine qui a poussé jusqu à la niaiserie, jus-<iu'au désarmement de la société, les garanties dont elle entoure l'accusé, le jiiri y rendait à chaque cour des verdicts infâmes. // acquittait Do'iiihéc Maux, surpris en plan midi, un couteau à la nmin. Uê bras kmts de sang, dépeçant un bœuf portant la inarque dî madame Jofi Leblanc, qu'il venait de tuer ! Il acquittait Corner quiavari nssassiné le vieux Bell Toups, à coups de manche de fouet plombé!.... Il déshonorait enÊn, à chaque session, une des plus belles institutions des temps modernes et appelait inévitablement et logiquement la formation des Comités de Vigilance, ces conseils de guerre du peuple qui devaient régénérer les Attakapas.

Comme le dit la iiroclamation du Comité de la Côte-Gelée, chaque acquittement rendu contre les témoignagcs et révidence, CQSt-ii-dire chaque parjure, faisait cent criminels.

Aussi les bandits avaient-ils pullulé dans ces riches campagne? couvertes d'animaux,—proie facile, décimée chaque nuit par les banfles nonibrenses de la pègre, et décimée aussi en plein jour, comme nous lavons vu dans raffaire de Dosithée Maux.

Tout marchait donc là, comme ailleurs, vers une crise sociale.

Quand la justice se prostitue ou devient impuissante, il n'y a plus qu'une loi, celle du ■^■o!vt pulilic ; et, ])our nous servir d une paroU-célèbre, l'insurrection est le plus saint des devoirs.

LE PREMIER COMITE*

Le 22 murs 1859, le premier Comité de la paroisse Vermillon sr forma.

Le programme en fut aussi concis qu'énergique. Les peuples pasteurs sont sobres en paroles comme les soldats.

Voici ce que dit le procès-verbal :

Vu les vols et autres crimes qui se commettent tous lés jours et

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restent impunie, nous, soussignés, nous nous organisofts, dès ce jo»r, en 'Comité, de Vigilance, et nommons :

MM. Sarrazïn Broussard, président.

Seven Boudreau, vice-président.

SÉVERFN Leblanc, ^^reffier.

Joseph LfEBLANX\ député-greflier.

Les résolutions adoptées furent anssi laconiques que le préambule. Toujours de la concision antique :

Article premier.—Tout individu qui sera traduit devant le Comité de Vermillon et trouvé coupable, sera sujet à l'une des trois punitions suivantes : V Exil, le Fouet, la Mort.

Art. 2.—L'exil sera appliqué pour le vol, ou tout autre crime ordinaire;

Le fouet sera appliqué à ceux qui résisteraient à la signification d'une condamnation à l'exil ;

La peine de mort sera appliquée à tout auteur d'un crime puni de mort par le Code, lors viême qii'il aurait été acquitté par un juri parjure.

Art. o.—Tout individu trouvé coupable par le Comité et qui aurait réussi a gagner une paroisse voit^ine, y sera arrêté et conduit dans la paroisse où il aura été condamné, afin d'y subir son châtiment.

A une autre séance (2 avril), résolu que :

Tout membre oui aura connaissance d'un délit ou crime sera obligé d'en iaire un rapport immédiat au président ;

Que, da7is le cas où un ou plusieurs membres seraient poursuivis pour actes se rattachant aux intérêts de la Vigilance et ordonnés par le capitaine, nous nous engageons mutuellement et solidairement à lui donner secours et assistance, soit en argent, soit autrement, sur la réquisition du capitaine.

On organisa ensuite un juri de quinze membres.

Plus tard, enfin, à la suite d'une nouvelle organisation du Comité qui^devait rendre tant de services, on adopta le programme suivant, sorte de Déclaration des Droits de l'Homme que nous reproduisons, autant pour le fonds que potir la forme, qui nous a paru émifiCm-ment littéraire.

(ïTomitc hc iMigiiancc bc la paroisse lUTinilloit.

Capitaine. Sarrazin Broussard. Séance du 5 jnai 1860.

Parmi ies éléments démoralisateurs d'une sociétë, il n'eu est pas dont l'influence soit plus à redouter pour les masses que l'impunité assurée aux Criminels. Trop longtemps, malheureusement, nous en avccs vu

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les pernicieux effeie, et li est temps de cheicbei à découvrir la couse de retto impunité, pour la faire cesser, s'il est poe.sible.

Commençons pur poser, en thèse générale, que ce n'est pas dans l'in-fuflBsance de la loi, dans l'imprévoyance du législateur, que nous pouvons trouver le motif qui laisse les crimes impunis. Non, nos lois sont trop sages, rédij^écs avec trop de clarté, prévoient trop bien les chemins f-i eeutiers par lesquels on arrive au vice, et sont armées de peines trop énergiques et trop sévères pour qu'on puisse les actuieer d'imprévoyance on d'indifférence. Ce n'est donc pas à notre code pénal qu'il faut recourir pour trouver la racine-du mal ; ce n'est pas non 1^^ à /'inertie Jr non maf^istrats^ dont le zèle et l'intelligence sont trop connut!, fju'il faut attribuer cette maladie sociale, car leur dévouement et leur activité ne laissent rien à désirer. (Nous protesterons en temps et lieu contre cette phrase.) C'est donc purement et simplement dans le mauvais vouloir et rimmornlité d'une partie de notre population qu'il faut chercher le défaut de la cuira-sse-

Ce point, sur lequel on pourrait s'étendre à l'inlini, une fois succinctement établi, il s'agissait de remédier au mal, en venant en aide à nos fonctionnaires, souvent éloignés du lieu du crime, par conséquent mal et tardivement inrtruits. 11 n'y avait donc pas d'autre moyen d'arriver au but proposé que de créer, au sein mêm'e des populations de nos campagnes, une coujpugnie d'hommes honnêtes, intègres, éclairés, dévoués à leur pays et à la société, placés et vivant au milieu des masses et pouvant ainsi donner à la justice de salutaires renseignements, pour qu'elle puisse avoir et suivre son cours.

Cependant, il ne laut passe le dissimuler, une société comme celle-ci no peui pas toujours arriver à la découverte des coupables, car il arrive, malheureusement trop souvent, que les témoins d'un crime sont subornés ou personnellement intéressés à ce que le crime reste dans Tombre, et qu'alors ils sacrifient leurs croyences religieuî^es pour .sauver l'honneur ou la vie d'un des leurs, et pour maintenir la poi)ulation dans un état de panique qu'il faudra bien du temps pour dis.siper. Ce sont ces parjures, pour ainsi dire principe du mal, qu'il faut châtier.

Notre compagnie est encore à même, ses membres ctant répandus sur presque toutes les parties de la paroisse, de connaître la vérité vrah et de flétrir ou châtier le faux témoin.

Il découle de soi que, si le témoin craint unejiiste et sévère punition, eu cachant la vérité, aucune promesse d'argent ou autre, ni aucune menace ne le fera consentir à se perdre devant Dieu et devant les hofti-<nes. Si des citoyens zélés, intelligents, sont là tout exprès organisés pour recherciier et châtier sommairement les diseurs de viensongts, les coleurs, incendiaires, et autres criminels, ceux-ci deviendront tous les jours pUis rares, les crimes diminueront sensiblement, car nos bandits «raindront l'étreinte de la main vigoureuse de notre compagnie, soldats «nvils, si l'on peut s'exprimer ainsi, qui feront to;ijours prêts, eoiî à ^eur barrer !c passage, soit à les broyer.

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La liste des crimes serait tïop longue à énumérev ici: c'était au législateur a les prévoir, il l'a fait dans sa saj^esse. C'est à nous de faciliter l'application de ces lois qui ne sont autre chose que le bouclier, la sauvegarde de la société.

En conséquence, persuadés que quelques exemples sont indispensables pour faire perdre r.ux âme? corrompues le goût et les habitudes du crime, rétablir le sens moral depuis trop longtemps perdu, rassurer le? honnêtes gens et sauver la société do la décadence vers laquelle elle marche ù grands pas, de nombreux citoyens de la paroisse Vermillon se sopjl^ réunis le 22 mars 1859, au domicile de M. Cavailhez, négociant, ot après une mûre délibération, ont résolu de se constituer et se sont en effet constitués en Comiié de Vigilance.

Le but principal do cette société est d'aider à la découverte des crimes, délits et contravehtions, et de leurs auteurs; d'en référer aux magisti'ats, de les aider dans leurs instructions criminelles, d'arrêter les coupa1)lcs et leurs complices, et même de leur infliger, soit ovant^ fotI aprc!^ le jugement ri ex trilnmcmx, telles peines q\xe le Comité croira utiles, tlans l'intérêt et pour la sticurité des personnes et des propriétés.

Avant déterminer, il ne faut pas omettre de mentionner que si le Comité de Vigilance s'est constitué pour déraciner ou punir le crime, il a eu aussi une autre penfée qui a animé et animera toujours le cœur des sociétaires, à savoir : Créer des secours aux familles des malheureux qui, bannis pour avoir quitté le sentier do la vertu, laisseront ou abandonneront leurs proches dans lamisêre. Déjà des subsides ont été offerts et acceptés avec recoanaissancc. On voit que si latâche que s'imposent les sociétaires ost'le plus souvent aride et difficile, elle est aussi quelquefois bien douce, car s'ils frappent d'une main, ils ouvrent l'autre, qui est toujours pleine de bienfaits. 7

Le programme qui précède a été rédigé par le Comité, aujourd'hui. 5 mai 1P60. ,

Fait, adopté et rédigé*ce jourd'hui, en séance, au domicile de ÎM. Cavailhez, successeur de M. Gallet, et membre du comité.

TSigné] Sarrazin 'ii'RovssKn'ù^capitaim.

Édouard-Théophils Buoussari), lieutenant. Léonck Perret, greffier. B. Cavailhez, trésoi-ier.

Ou voit, par ce programme,—le plus explicite que les Comités aient rédi,Q:c,—que leur mission est une de celles qui peuvent être avouées devant Dieu et devant les hommes. Le programme adopté, le Comité allait se mettre à l'œuvre, car il était composé d'homme? d'action.

A pareille œuvre, il fallait de pareils hommes. Pour avoir raison des brigands de cette paroisse, il fallait des soldats prêts à frapper de grands coup's.

— 177 — -* GEORGES CLAUS

Georges Clans était Allemand, Alsacien peut-être; mais, dans %ous les cas, il barap^ouinait le français avec cet accent fabuleux, impossible, qui est particulier à la race d'outre-Rhin.

Nous pouvons parler en parfaite connaissance de cause de Georges Olaus. car il fut notre voisin, ainsi que celui de notre ami, le majer St-Julien ; mais ce voisinage eut toujours des frontières qu'il ne lui fut jamais permis de franchir : l'Allemaf^ne ne put jamais réussir k former un traité avec la Louisiane, représentée parle Major, ni avec Ift France, représei^tce par nous.

Entre lui et nous, il y avait peut-être les frontières du Rhin ; entre le Major et lui, qui était son plus proche voisin, il y avait une frontière plus large : celle qui existera toujours entre un vagabond et un honnête homme. Cette frontière est encore plus large que toutes les provinces rhénanes.

11 restait alors à la Côte-Gel<îe, sur cette magnifique prairie Sauvé, dernière savane de la paroisse Lafayette, voisine du pont St-JuIien, que noua avons décrite en commençant l'histoire de notre Comité.

Il n'avait ni clos, ni industrie connue, et son ménage,—car il avait un ménage,— avait le nécessaire^ et même le superflu.

Où était la source de ses revenus?

Il vivait avec une compagne de couleur orange.

Ce que noua venons de dire est un rideau que nous soulevons d'une main qui serait mal assurée, si nous n'avions pas pour mission de toucher du doigt toutes les plaies attakapiennes.

Il vivait dans l'abondance, sans clos, sans revenus connus, et il avait une compagne couleur orange.

Nos lecteurs devineront.

Après une série de mésaventures, dont le récit serait peut-être trop pittoresque, ou ne pourrait être fait qu'en latin, qui,

, en ses mots brave l'honnêteté,

5X tfit Boileau, il était parti pour Abbeville, cbef-Iiea d« la parciaee

VprinilînT» C'Ant.lÎ5. c>\i,9, -f-otrip ri^r^itVft ?p rPtroîîVP>r

Vermillon. C'est là eus rotre récit va le retrouver

n

— lis — ABBEYÏLLE

Une digression :■

Condamné à vous parler de bandits, non par goât, comme Sal-vator Eqsa, mais pour obéir aux exigences de l'histoire, nous aidions, nous aussi, ÎV faire l'école buissonnière, et à sortir de l'austérité de notre rôle, pour cueillir, en dehors de notre route, une fleur, fût-elle même inodore, ou pour faire une halte dans une oasis.

Nous trouvons Abbeville sur notre route : saluons Abbeville.

En 1842, tin navire de Bordeaux, le Talma, porta en Amérique l'auteur de ces ligues et un prêtre qui devait laisser d'impérissables souvenirs dans la paroisse Lafayette : ce prêtre se nommait Maigret. Elève et admirateur de Lamennais, qu'il avait servi, comme soldat, dans la rédaction de l'Avenir, ce chef-d'œuvre de tous les jours qui, ain^i que le National, a fait des titres de noblesse éternels à la presse française, Fabbé Maigret avait apporté aux Etats-Unis une activité dévorante. Le dix-neuvième siècle est un siècle d'action : l'esprit du dix-neuvième siècle s'était incarné en lui.

Envoyé dans la paroisse Lafayette,—paroisse immense et dont 1 étendue aurait effrayé un autre prêtre qui aurait aimé le/a?- nientc et les doux loisirs du presbytère, lui, s'y était senti à l'étroit. Il est des âmes à qui il faudrait un monde pour théâtre ; il en est d'autres qui trouvent un cadre trop large dans un hameau.

En allant porter le baptême ou les sacrements qui aident à mourir, ce prêtre côtoya le bayou Vermillon, en reconnut toutes les sinuosités, et, plantant un jour son bâton de voyageur à côté de misérables huttes, dit avec la foi d'un apôtre :

" Ici, je bâtirai un village I '

Ce jour-là, Abbeville naquit.

Tous dire tous les combats que le prêtre eut à soutenir, serait impossible... Un hameau américain disputa deux ou trois fois, au village qu'il avait créé, son titre de chef-lieu de paroisse. L'abbé lutta devant les cours et devant la législature, cette bonne mandataire du peuple, toujours disposée à commettre une injustice, comme une daii-■rreuse une pirouette ; il lutta si bien qu'il finit par triompher et par

— 179 — fepêcher les Ic^gifères de commettre un énorme abus de pouvoir en •donnant la maison de cour au bourg- voisin.

Décidément Tabbé Maigret avait fait un miracle... uij vrai mira-•rle...

Abbeville se développa.

Du reste, la plus charmante position dû monde : un bayou, large, profond, ombragé comme une villa de Provence ou d'Italie... et des voix qui criaient, à Abbeville, le village qui sortait de terre à la voix de l'abbé : A nous les hommes de travail î

Ils vinrent de tous les côtés : ouvriers, marchands, tous ceux qui portent avec eux des éléments de morale et de civilisation.

Un de nos bons amis, P. Gueydan, y vint représenter le commerce, pur, hoimête, actif, marchant, agissant et travaillant toujours comme le Juif-Errant de la légende.

H y porta les vieilles traditions de l'honneur français, le respect de soi, la dignité, l'esprit, Tintelligence. 11 n'est rien de plus moralisateur au monde que le commerce, exploité par un homme de cœur et d'honneur.

En devenant le chef-lieu de paroisse, Abbeville était aussi devenu le centre d'une communauté catholique : à ce village naissant, il ' fallait donc la maison de Dieu.

Cette maison surgit bientôt sur un des points les plus élevés du village, avec ses fenêtres à ogives et ses vitraux historiés, empruntés à l'Ecriture Saititc, et jetant l'ombre de sa croix jusque sur le cimetière, joli champ de verdure zébré de monuments funèbres, qui semble une copie du Cimetière de Campagne, de Gray.

L'ouragan du 10 août 1856, qui prit tant de jeunes et belles victimes à la Dernière Ile, cet ouragan passa aussi comme une trombe 3ur Abbeville, broya l'église et rasa les tombes du cimetière à fleur de soi. Si, comme à St-Martin et îi la Nouvelle-Ibérie, on avait eu la pieuse, mais peu saine coutume de déposer les cercueils dans des fours élevés au-dessus de la terre, les côndrcs des morts auraient été jetées au vent et balayées par la tempête.

Horreur !

Cette nuit-la, l'ouragan ne se contenta pas d'abattre la maison de

Dieu et de toucher aux monuments des morts il frappa aussi le

village.

Vingt-deux maisons avaient été renversées pendant cette nuit fatale.

— 180 —

Pourquoi tant de ruines et de deuils en si peu d'heures ? Eet-cc*| que la tempête qui est la messagère de Dieu, avait à remplir ce soir-là un acte de justice ?

Aussitôt que le calme fut revenu, et pendant qu'on ramassait le* morts et les jeunes et élégantes mortes de la Dernière Ile, les habitants d'Abbeville se mirent à relever leurs ruines.

Heureusement, ils n'avaient pas de morts... il^n'y en avait que trop ailleurs.

Les maisons se relevèrent rapidement sous le marteau fiévreux de la population.

L'Église se redressa aussi à la voix d'un jeune prêtre, aussi énergique qu'intelligent, l'abbé Payet.

Notre merveilleux dix:-neuvième siècle est éminemment celui des hommes de la trempe de l'abbé Payet : il aime les intelligents et les forts.

Quelques mois après la tempête, toute trace de ruines qu'elle avait faites avait disparu.

il ne restait plus à Abbeville qu'à se délivrer d'un autre fléau plus redoutable que celui qu'il venait de subir.

Heureusement, les Comités de Vermillon allaient s'organiser.

SUITE DE ^HISTOIRE DE GEORGES CLAUS

Nous avons dit, à la fin de i'avant-dernier chapitre, que Georges O/iaus avait été planter sa tente de bohémien à Abbeville : suivons-y notre héros.

En arrivant à Abbeville, il avait ouvert un étal de boucherie.

Où achetait-il ses animaux? nul ne le savait. Seulement, chaque matin, on voyait, pendus à ses crocs, les quatre quartiers saignants d'une bête.

La population * payait et mangeait sans eu demander davantage.

Pourtant, comme ce commerce durait depuis plusieurs mois, que l'étal de Clans était toujours abondamment pourvu, sans qu'on eût jamais su à quelle source mystérieuse il achetait ses bœufs, la cu-Hosité s'éveilla ; on commença à étudier les allures diurnes et noo-

— 181 — iarnes de Georges, et l'on arriva bien vite à la conviction morale qu'il volait les bêtes qu'il tuait.

Mais les preuves matérielles manquaient encore. Heureusement pour la communauté et malheureusement pour lui, sa compagne au teint orange disparut un jour avec un matelot bronzé et hâlé par le soleil, qui faisait le commerce des huîtres sur îe bayou Vermillon.

Et yopfue la nacelle

Qui porte mes amours ! *

Cette fugue causa un profond chagrin à Georges Claus. Tout le monde connaît la sentimentalité allemande qui s'apaise chez les uns par rinfluetice des spirales bleuâtres qui s'exhalent du fourneau d'une pipe ; chez les autres, par les douches intérieures et multipliées aussi souvent que possible, du vin ou de l'alcool. ^ Comme Georges ne fumait pas, il choisit, pour oublier son infidèle, le second des moyens curatifs indiqués plus haut : d'autres peut-être diraient le vin ; nous, pour être historien, nous dirons l'alcool. Hélas !

Il aimait l'alcool, c'est ce qui l'a tué !

On sait que, lorsqu'il ne stupéfie pas, il délie les langues, et que les confessions faites à ces heures où, en l'absence de la volonté, l'esprit prend la clef des champs, comme un jeune cheval qui aurait franchi son corail; que ces confessions, disons-nous, sont ordinairement aussi sincères que celles que les catholiques pieux font aux pieds d'un prêtre, et ont même inspiré un proverbe latin qui dit : U vtno Veritas.

Cette fois encore, ce proverbe devait avoir raison. Un soir, après de nombreuses libations, et pendant qu'il nageait dans toutes les béatitudes de l'ivresse, sa langue, délatrice involontaire, raconte avec une verve fort contestable, quelques chapitres encore inédits de ses mémoires. S'il avait commencé par ses amours avec la fille au teint orange, qui s'était envolée, pendue au bras d'un matelot, il finit par la révélation d'un mystère qu'il aurait dû taire : JDositkée Maux, le voleur acquitté par lejuri parjure de la paroisse, lui pmtait, ^ la nuit, à xtn lieu convenu, les quatre quartiers d'un bœuf fraîchement tué.

Ainsi Georges Claus était bien ce qu'on le supposait être : c'est-à-dire un ptraU de prairie, type qui alors abondait dans la paroisse

— 182 ~

Vermillon, comme les boucaniers aux Antilles, dans les premier^' temps de la colonisation française. Son complice fut guetté, surpris et expulsé par le major St-Julien (Voir le Comité de la Côte-Gelée); quant à lui, il avait appelé sur ses actes l'attention de Sarrazin Broussard et de son Comité.

Avoir appelé l'attention de Sarrazin Broussard, c'était être sûr ou à peu près de recevoir sa visite...

Il la reçut... accompagnée de l'invitation polie, mais formelle, d'aller honorer d'autres lieux de sa présence, si mieux il n'aimait U7i châtiment plus sévère.

On nous a conté qu'un jeune magistrat avait voulu faire du zèle ?i propos de l'expulsion de cet honnête cîienapau.

Ou cette version est fausse, ou, si elle est vraie, il est trop intelligent pour ne pas l'avoir rangée lui-raômedans ses pages de !a vingt-cinquième année. Ces pages, il doit les appeler ses Juvenilia.

Georges Clans s'éclipsa le matin même du délai fatal qui lui avait été assigné par le Comité de Vigilance. Xous plaignons le paya et la ville où il a été dresser sa tente.

LUFROI APCHER

LE VOLEUR DE NÈGRES

Après le voleur de bœufs, voici venir le voleur de nègres.

Comme on le voit, toutes les industries non patentées abondaient dans la paroisse Vermillon. Heureuse paroisse !

Abbeville s'étend, comme nous l'avons dit, sur la rive gauche du bayou Vermillon et est relié à la rive droite par un pont qui s'ouvre, au besoin, pour laisser passer les rares bateaux à vapeur qui naviguent dans la paroisse. Ce pont, qui subit des mésaventures ou des avaries chaque fois qu'on le fait tourner, h, l'aide d'une roue primitive comme les artistes qui l'ont faite,—ce pont, disons-nous, est jeté sur la partie du bayou la plus pittoresque et la plus ombreuse, (j^ui baigne Abbeville. On dirait un hamac fait pour )>ercei

_ 183 — 5|ùelque crc'olc indolente et rêveuse, plutôt qu'noc voie de communication entre les deux fractions d'une paroisse que le bayov coupe dans toute sa longueur.

f=ur la rive droite-rive oppose'e à AbbevJIle.-et ?i côté du ponî qui rche les deux bords, se trouve une maison ombrairée par quelques grands et vieux arbres, doyens des forets de cette paroisse C est celle de Mme Ursin Bernard.

Mme Ursin Bernard est la veuve d un homme appartenant à nne des meilleures familles du pays, et la belle-sœur d'un autre homme que nous avons aimé comme un frère, et qui se coucha dans la tombe, Il y a trois ans, h la fleur de l'âge, comme un travailleur se couche avant la fin d;? sa journée.

Celui-là 8'appelait Tréville Bernard, et nous n'avons oublié ni son nom, ni la place où est sa fosse.

Jlélas ! notre chemin est pavé de tombeaux! a dit Alfred de Musset. ^

Malheur à qui oublie î Quant ù nous, nous nous souvenons de celui-la et de bien d'autres que nous avons vu s'ouvrir.

Mme Ursin Ber.^ard avait un atelier que des malheurs la mor^ et diverses circonstances qui ne sont pas du domaine du public' avaient décimé. II ne lui restait que quelques esclaves (cinq ou .îx au plus) que ses enfants traitaient avec une bonté toute paternelle • notre société est plu^ pratriarcale qu'on ne pense. Dans quatre-vingt-quinze familles sur cent, l'esclavage est tout simplement la domesticité de la vieille Europe. Ceux qui abusent du pouvoir que

la loi leur donne sur leurs esclaves n'ont jamais été qu'une infime exception.

Un jour, deux de ses nègres disparurent-Ies plus jeunes et les meilleurs.

Où devait-on les chercher ?

Ils avaient devant eux des horizons infinis, des forêts profonde*^ des prairies tremblantes, forêts de roseaux, où ceux qui s'y hasar. dent-et ceux-là sont les chasseurs et les vaqueras, c'est-à-dire ceux-là seuls qui connaissent la carte topographique de cette paroisse-ou ceux qui sy hasardent, disons-nous, ne pourraient être traqués par tous les eonstables des cinq paroisses.

Mme Ursin Bernard se résir^na et attendit tout du hasard, sou-

— 184 — Teot meilleur agent de police que les limiers délégués ad hoc, et du temps, ce grand révélateur.

Les jours, les mois se passèrent : rien ne paraissait à l'horizon. I^s nègres étaient si bien cachés, qu'ils semblaient s'être effacés comme des fantômes.

Mme Ursin Bernard devait penser sans doute ou qu'ils avaient franchi les Etats à esclaves, ou que quelque barque de pêcheur, franchissant le golfe du Mexique, les avait jetés sur la côte du Texas.

Un jour vint où l'on éventa leurs traces ; ces jours-là arrivent toujours. Quand la police ne veille pas, c'est le temps ou le hasard qui se charge d'être b commissaire de l'ordre public.

Il y avait sur la coulée Kmney, appelée par les habitants coulée Quinme, un habitant nommé Apcher.

L'impunité était si certaine à cette époque dans la paroisse Ver-miOon, celle où le juri a rendu les verdicts les plus infâmes, qu'on y recelait très souvent les nègres marrons, du travail desquels on profitait en échange d'un maigre salaire. Il n'y avait vraiment, à cette époque, aucun danger à jouer ce jeu-là. La justice était aveugle comme une taupe et les jurés étaient si bous !

Un jour donc, on trouva les nègres de Mme Ursin Bernard chez Apcher. Devant la Justice, cette grande prostituée ou cette grande impuissante, les avocats auraient invoqué, en faveur de leur client, les circonstances les plus atténuantes ; ils auraient dit :

'• Mon client ne connaît pas ces nègres il ne les avait jamais

vus... Il est même probable qu'ils étaient venus chez lui pour le voier..."

Et J. Apcher aurait été acquitté par le juri infâme de Vermillon !

On arrêta donc ces deux nègres ches lui, et voici ce qui arriva.

Kamenés chez leur maîtresse qui, ainsi que nous l'avons dit, demeure sur les bords du bayou Vermillon, ils furent abandonnés, seuls et liés seulement par le bras, dans la cuisine de l'habitation, pendant le dîner de la famille.

Il était onze heures du matin.

Pendant que la famille dînait, ils prirent sans doute une résoin^ tion suprême ; sans doute ils furent tentés, séduits, attirés par le bayou qui faisait miroiter devant eux ses eaux dormantes à traders une verte ceinture de grands arbres... Gar on les vit s'élaacerf

— 186 — àe la cuisine, de front et avec un é^al empressement vers la rivç, pareils à deux frères qui auraient jouté à qui arriverait le premier au bain ; puis se jeter dan« l'abime qui sembla s'ouvrir un instant pour les recevoir et se referma ensuite en les recouvrant comme on linceul.

Malgré les rechcrcîi'^s le^ plus actives, on ne retrouva que deux cadavres... deux cadavre^i unis encore dans la mort, à laquelle ils avaient du reste couru fraternellement.

C'était là une de ces vengeances noires et terribles que les nè-fçrca ont accomplies plus d'une fois dans nos Etats à esclaves.

Ils s'étaient suicidés pour appauvrir leur maîtresse de trois mille piastres. Le vrai coupable, le véritable auteur de leur mort, c'était évidemment Apcher. qui lea avait excités au marrounage, au vagabondage, à la haine du travail, et qui les avait fait travailler chez lui par l'appât du whiskey, appât qui a déjà inspiré tant de crimes à la race africaine.

■' A l'exil, le voleur de nègres ! "

Tel fut le mot répété de tous.

Deux Comités (Côte-Gelée et Vermillon) lui signifièrent on ordre de bannissement.

Au Texas, on l'aurait accroché au premier arbre qui aurait étendu ses branches sur la route ; ici, on l'invita à aller étudier les mœurs et les coutumes de quelque nation étrangère.

liCs Comités ne sont pas ce que les a faita certaine presse : des buveura de sang.

VOLS SUR VOLS

La paroisgse Vermillon est, nous le répétons, composée d'une po pulation de pasteurs, campée plutôt qu'établie dans de magnifiques prairies—les dernières peut-être qui restent en Louisiane—«t consacrant toute son énergie et son activité à l'élève des animaux.

Les animaux semblaient se prêter, pour ainsi dire, eux-mêmes aux espérances placées snr leurs têtes. Des frontières des paroisses Ijafayett^ et Saint-Martin jusqu'à la mer. ils vagabondaient et

— 186 — ■grandissaient à la grâce de Dieu ; car, sauf les années d'une sèche-resse exceptionnelle, ils avaient toujours l'eau du ciel en abondance et de l'herbe jusqu'au poitrail.

IjCS voleurs de cette paroisse devaient s'attacher à la proie la plus abondante et la plus facile ; à celle qui rapportait tant d'argent, et dont la conquête faisait si peu suer.

Aussi est-il facile de deviner ce que peut être la chronique d'un <Jomité de Vigilance, ati milieu de ce peuple de bergers. Sauf deux ou trois exceptions, assez dramatiques, ce ne sont qu'expulsions pour vols et pour imrjxirea, et c'est tout simple.

Pour que les bohémiens du Vermillon pussent continuer leurs déprédations sans avoir rien à craindre de la justice, il fallait qu'ils eussent à leur service une armée de témoins, toujours prête à se parjurer.

Nous constatons donc simplement et en peu de mots quelques expulsions :

1. Thertule Broussard, d'une famille et d'une parente de gentilshommes, pour avoir fait voler une vache à Mme Joe Leblanc— Banni.

2. Clerville Boiidreau. pour vol d'un bœuf, de complicité avec Bélisaire Normand—Banni.

3. Emile Landry, pour signature des listes des Anti-Vigilants, déchirées à la Queue Tortue, le 3 septembre 1859—Fouetté et banni.

Les vols vulgaires, enjolivés de toutes leurs circonstances comme d'autant d'arabesques, ne seraient pas d'un bien grand intérêt pour le plus grand nombre de ceux qui nous feront l'honneur de nous lire. —Passons.

VÎLEOR THIBODEAU

H y a quelques semaines, une scène étrange se passait à la Côte-Oelée, dans une maison où nous entrons souvent, et toujours avec plaisir, et d'où nous sortons toujours à regret. Cette maison est habitée par un vieillard et par une femme, dont le cœur est resté si .bon et la voix si douce et si jeune, qu'on écoute ce que disent ses

— 187 — ièvrCB avec un plaisir qui fait oublier que le temps a mis des rides sur son visage intelligent.

Ce jour-là, nn homme était entré dans cette maison, avait échanjB^é une poijrnée de main avec le vieillard, et avait adressé à la femme ur saint respectueux que celle-ci lui avait rendu avec dédain.

Puis, comme la conversation s'était engagée sur la question brûlante du jour (celle des Comités de Vigilance), où la noble maîtresse de cette maison a ses deux fils engagés, le nouveau venu fit à ce couple d'honnêtes gens une appréciation des Comités, de sa façon. Cette appréciation où le cyiiisme et l'immoralité débordent, noue sommes ù peu près sur do la reproduire avec exactitude ;—lu personne qui nous l'a rapportée, ayant une des plus merveilleuses mémoires que Dieu ait jamais créées.

" Il existe des comités, dit-il ; a quoi bon ? Ils sont venus trop tard. C'est il y a vingt ans qu'ils auraient dû se former pour frapper comme la foudre ; car alors le vol en grand existait.—C'était le bon temps !—Prairies immenses et presque pas peuplées.... Justice aveugle... avocats faisant prendre au juri des vessies pour des lanternes... Ah ! comme nous volions I Je le répète, c'était le bon temps I —Et puis c'étaient, non de petits troupeaux comme aujourd'hui, mais des armées dont les propriétaires eux-mêmes ne connaissaient pas le nombre... Vingt, trente, cinquante têtes enlevées à ces troupeaux, c'était comme un verre d'eau enlevé au Vermillon.—On n'y connaissait rien. Il y avait surtout des marques si nombreuses et si mal surveillées que c'était un plaisir. Celle des Wilkoff, surtout ! —Dieu ! la bonne marque. ! on pouvait tomber dessus les yeux fermés. Mais aujourd'hui tout cela est ruiné ou a dégénéré. Il ne reste rien, plus rien, que de petits troupeaux que l'on compte du regard... Une tête de moins y est aussi visible que le soleil en plein midi... Le Texas seul a aujourd'hui les grandes marques, et (ceci fut accentué par un soupir) le Texas est bien loin... et l'on y pend."

L'auteur de ces cyniques paroles, dites à un honnête vieillard et à une noble femme, s'appelle Marcellin Thibodeau.

Marcellin Thibodeau est le père de celui dont nous allons vous ra^ conter l'histoire.

Tel père, tel fils. Il n'est jamais sorti de lion de la tanière d'un chacal.

Ce digne fils d'un tel père avait voulu imiter son père et George?

— 188 — Clans ; c'est-à-dire conrir sus, comme le premier, à la propriété de son voisin, et, comme l'autre, vendre aux habitanta de la viande qu'il prélevait sur leurs propres troupeaux.

Il s'était fait boucher.

I^ boucherie est un métier qui lui permettrait de retirer le plu» de profit possible de ses vols nocturnes ; Barêrae n'aurait pas mieux •calculé.

De l'anse Latiolais, où il avait son étal, il traversait le Vermillon, frontière de sa paroisse, et allait, trois ou quatre fois par semaine, vendre le produit de ses vols à la Grande-Anse, paroisse • St-Laudry.

Le métier ne lui avait pas réussi. Son masque avait éclaté tin beau jour et avait laissé transparaître un visage de voleur.

Aussitôt le comité de l'Anse-Lyons s'était rassemblé et lui avait signifié le plébiscite qui lui retranchait l'air et le sol de la patrie.

Vileor Thibodeau avait simplement traversé la rivière et avait planté sa tente à la Grande-Anse, croyant sans dr>ute qu'il serait couvert par le pavillon que certaines gens ont voulu faire flotter sur la paroisse St-Landry. Hélas ! ce pavillon ressemble fort à celui du roî de Naples, et ne protège rien du tout.

Vileor devait s'en apercevoir.

il était pourtant en pays ami, au milieu d'une population où l'on avait parlé de le défendre à outrance, si l'on venait l'attaquer.

Ses compagnons avaient fait tant.de fanfaronnades, affiché des prétentions si guerrières, proféré tant de promesses de pourfen-' dre les Vigilants qui se présenteraient,-que notre banni avait fini par se croire entouré d'un corps de Bayards.

Funeste sécurité !

Ceux qui crient le plus de loin sont ceux qui capitulent le plus vite quand l'ennemi est près.

Vileor devait l'apprendre à ses dépens.

Un samedi soir,—-c'est toujours le samedi que le violon grince dans toutes les salles de bal attakapiennes,—un samedi, dieone-nous, il y avait grand fandango à la Grande-Anse.

Nombreux étaient les danseurs et les danseuses. C'était trn congrès de crinolines fort jolies, ma foi 1 car on dirait que le voisinage de la mer et l'hygiène particulière à cette zone du pays donne

— 189 —

a la chair des femmes des teintes marmoréennes. Les hommes j abondaient, et notamment les amis de Vileor Thibodeau.

Le bal s'alluma aux grincements du violon.

La salle avait un aspect pittoresque. Les revolvers et les poi-gnards y brillaient à la ceinture des danseurs.

On eût dit un fandango mexicain, à voir l'entrain de la danse et le pittoresque des costumes.

Cinq hommes,—était-ce cinq nouveaux danseurs ?—se présentèrent tout-à-coup sur la galerie où regorgeait la foule.

Don Juan Vileor dansait en ce moment, ne se doutant pas qaMl allait avoir à faire avec la statue du Commandeur.

Pauvre Don Juan Yileor !

^ Cependant les cinq hommes avaient fendu lentement la foule et «'étaient avancés lentement vers une des portes d'entrée.

" Faites-moi venir le chef de l'établissement," dit un des cinq hommes, petit, mais nerveux, vif comme un taon, brave comme Ney ou Murât, un des plus beaux et des plus probes caractères de cette paroisse,— Pierre Maux.

Le chef accourut.

" Yileor Thibodeau est-il ici ?

—Oui, il danse."

Alors, et après avoir montré sa ceinture vigilante ornée d'une gaîno d'où sortait la crosse d'un revolver, Pierre ajouta :

" Combien de portes ?

--Trois, dit l'hôte. ^ —Prends mon fusil et fais bonne garde à celle-là, car si c'est par là que Vileor s'échappe, je jure Dieu que tu recevras toi-mérae... le châtiment que nous lui destinons."

L'hôte prit le fusil qu'on lui présentait et se planta à fa porte, raide comme une sentinelle autrichienne.

Il était évident que ai Vileor sortait de la salle, ce ne serait pas par là.

" Toi, à cette i?sae ! toi, à l'autre," continua Pierre Maux, en re-Jûtant au dehors la foule amoncelée sur la galerie.

Cet ordre avait été donné à deux de ses hommes qui se rangè-reot. aussitôt aux postes à eux assignés.

— 190 —

*' Et maintenant, dit Pierre Maux, nous allons rire."

Et il entra avec les deux hommes qui lui restaient, dans la saller de bal.

En ce moment, les quadrilles tourbillonnaient au sou, ou plutôt au bruit d'un violon qui aurait fait déserter la Louisiane à notre ami Ed. Voorhies, s'il l'avait entendu... Heureusement pour la Louisiane... et aussi pour nous...' il n'était pas là.

Au milieu des quadrilles, l'œil perçant de Pierre Maux avait/reconnu Don Juan Vileor, dansant et souriant à une jeune fille.

Pierre fendit les rangs et alla à lui.

A^ileor le voyant venir, devint affreusement pâle et lui tendit la main.

Pierre la saisit. *

" Ce cher Vileor, dit-il, il a tant de plaisir îi me voir qu'il me tend la main, et moi donc ! Eh bien ! cber ami, je tiens ta main droite, et je trouve que ce n'est pas assez. Donne-moi donc aussi la gauche... J'éprouve tant de plaisir à les serrer, tes mains, que si au lieu de deux tu en avais une douzaine, je te les demanderais aussi."

Vileor lui tendit son autre main que la frayeur avait déjà ren* due moite de sueur et frissonnante.

*' Une corde ! cria Pierre aux deux hommes qui étaient entrés avec lui."

Vileor fut lié avec une promptitude qui prouvait l'adresèe de celui qui l'arrêtait, en lui disant :

'' Tu échapperais peut-être à ma tendresse, cher ami de mon âme ; de cette façon, au moins, je suis sûr que je te garderai avec moi tant que je voudrai." *

Puis, se retournant vers les danseurs et les danseuses, qui contemplaient d'un air effaré cette scène :

" Où sont donc, fit-il dune voix tonnante, où sont les modérateurs de la Grande-Anse, ceux qui devaient défendre Vhoiinêtc homme que je viens d'arrêter ? Y a-t-il ici de ces modérateurs ?"

Silence général.

" Je vois, continua-t-il, des pistolets, des poignards, armes inof-feusives entre vos mains, comme un rosaire aux doigts d'une femme. Ces pistolets, voulez-vous les faire parler? Ces poignards, voulez-vous les faire luire ? Non, n'est-ce pas ? Eh bien ! vous autres, amenez le prisonnier, et vous, fit-il aux danseurs avec un geste de provo-

— 191 — cation et eu les regardant avec des yeux dilatés et étinc» • 'nime

ceux du lion—vous, faites place et large place, aux trois soldats dn Comité de Vermillon.''

Et la foule s'ouvrit devant le prisonnier qu'on amenait.

Comme il convenait à un che/d'expédition, Pierre Maux rest* à l'arrière-garde et sortit le dernier.

" Adieu, mes lions de la Grande-Anse, leur cria-t-il eu montant à cheval à la porte de la cour. Je n'ai qu'un mot îi vous dire en manière d'avis. Souvenez-vous du Comité de Yerrailloul Qni s'y frotte, ?'y pi(|ue."

Un quart d'heure après, Yiloor Thibodeau recevait cinquante ftups de fouet.

A])rès l'exécution, Pierre s'approcha du condamné et lui dit :

" Tu avais été banni et tu avais rompu ton ban : la peine que tu viens de subir, c'est donc toi qui l'as appelée. La terre de la Ijoui-siane «repousse toi et tes pareils : si tu es repris, tu seras pendu.— Maintenant, tu es liln-e. Va."

Et les cinq hommes armés remontèrent à cheval.

Un nous a dit que le bal de la Grande-Anse avait éteint ses bruits et ses lumières après l'enlèvement de Vileor Thibodeau, le beau danseur si désagréablement interrompu.

ALADIN CORNER

Après la comédie, le drame.

Après les voleurs, les assassins.

Parfois un rayon descend sur les terres les plus maudites ; ici, nouF ne sommes plus en pleine civilisation, h, la chaude et vivifiante chaleur du soleil du dix-neuvième siècle ; nous sommes condamné à ce coudoyer que ceux qui, sinistres papillons, volent autour du bagne et de l'échafaud.

Nous sommes sur la coulée Kinney, à quelques milles d'Abbeville et sur la lisière de cy]3rières profondes,—chaîne cpii lie les prairie? tremblantes à la terre ferme.

— 192 —

Oette coulée avait la réputation de la forôt de Bondy au Moyci -Age, car, à côté de quelques habitants honnêtes on comptait de» bandits tels que :

Jean Lacouture, àont ]e frère occupe une si triste place dans 'l'histoire d'un autre comité, et qui, luimême, se trouvait sous le coup d'une accusation de vol de chevaux, commis au préjudice de M. Hilairc David, un de nos amis qui habke aujourd'hui le Coteau, et cumule le métier de forgeron avec un esprit porté à l'étude ;—' lequel vol n'avait pas été puni parles Comitéi parce qu'ils voulaient voir ce que ferait la justice officielle, avant di faire intervenir la justice du peuple.

On y comptait encore Elisée Toutchique, poursuivi plus tard poo^ nue tentative de meurtre que nous raconterons aill'îurs ;

Meance Primo, un des acteurs de notre drame, et enfin AUidm Corner.

lÀ aussi vivait un vieillard nommé Bell Toups. *

li était pauvre comme un de ces trappeurs du Far-West qui n'ont qu'un cheval, pris même quelquefois au lazzo dans ces prairies ei>-chantées que Coopcr nous a décrites ; mais sa pauvreté était pour lui, non une honte, mais un manteau qu'il portait dignement et fièrement, à la façon des Espagnols.

Huit enfant." grandissaient à ses côtés, au chaud soleil de la Louisiane, au milieu des roseaux et des cactus-opuntia (Haquettes) de la coulée Kinney, leur voisine ; buvant plus de rayons de soleil que de lait ; jouant et riant,.malgré la pauvreté paternelle, parce que l'enfance, par un heureux privilège de la Providence, ne voit de la vie que le côté éblouissant.

Une mère était aussi là, à cet humble foyer, portant courageusement sa part de fard-.:., pour que ce fardeau ne pesât pas seulement sur les épaules du pore.

Famille patriarcale, qui occupait sur la terre une place si humble qu'elle ne devait guère se douter que le crime viendrait choisir une victime à son humble foyer !

Non, l'avenir n'est à personne, Sire, l'avenir n'est qu'à Dieu '

a dit Victor Hugo, le grand exilé de Jersey.

Oui, Dieu a ouvert à l'homme tous les horizons, excepté celui-là ..

— 193 —

Car voici ce qui arriva au mois de mai 1859.

Un soir, le vieux Toup^ manqua au foyer où il aimait tant îi voir ses huit enfants. Ce soir-là, la famille fut rêveuse, mais s endormit néanmoins dans le calme, pensant que son chef lui reviendrait le lendemain.

D'ailleurs, qui aurait pu faire du mal à celui qui n'en avait jamais fait à personne ?...

Ils attendirent donc le lendemain, cette femme et ces huit enfants, avec la sécurité de ceux (pii se sentent tellement petits, qu'ils-croient qu'ils ne font ombrage à personne.

• Ce lendemain arriva et les premiers habitants qui coururent îi leurs travaux à travers la rosée du matin et en aspirant les j^arfums secoués par les arbres de la forêt voisine, ces habitants trouvèrent Toups étendu sur la route, et la tête tellement broyée que. sans ses habits, il n'aurait pas été reconnu.

On lava le sang qui s'était horriblement collé sur cette tête d'où la vie s'était échappée en même temps que des flots de cervelle et de sang, par mille blessures. On reconnut que le malheureux avait été assassiné îi coups de manche de quarte plombée.

Le meurtre de ce vieillard inoffensif fit sensation dans le pays.

Jusqu'à ce jour, les vols avaient été nombreux, épidémique». pourrions-nous dire ; mais les meurtres ne s'étaient guère montrée qu'à Fétat sporadique. Décidément les bandits de la paroisse faisaient une formelle déclaration de guerre ;i la société. Du vol ilr passaient au meurtre. I^eur cartel était rédigé et signé selon toutes les règles.

Aussitôt tous les yeux s'ouvrirent ; tout le monde alla aux informations.

On commença par remarquer une chose : c'est qu'Aladin Corner avait disparu. • " Pourquoi ? " se demanda-t-on.

La réponse à ce pourquoi parut si concluante qu'un jnandat d'arrêt fut lancé contre lui.

M. Lufrosi Guidry fils, député-shérif, fut chargé de le mettre ù exécution et partit immédiatement.

Deux jours après, il ramena dans la prison d'Abbeville l'assassin qu'il avait arrêté à la rivière Mcrmento.

Aussitôt l'instruction criminelle commença,—instruction légère,

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superficielle ; comédie où. l'on fait paraître les acteurs que l'en vent, et où ne paraissent jamais ou presque jamais les premiers rôles, ceux qui pourraient arracher le masque de l'assassin et le livrer, pantelant et effaré, au bourreau.

Bien qu'il ne se fût fait qu'un demi-jour fort obscur autour du crime, Aladin fut renvoyé devant la cour criminelle.

Sauf la prison préventive, c'était presque un acquittement ; car, à cette époque, ce boa juri de Yermillon se souciait aussi peu d'ua parjure que de l'acte le plus insignifiant du monde ; ce bon, ce vertueux juri, ce modèle des juris passés, présents et futurs, n'était qu'une machine à acquittements. C'est dur, c'est triste, mais c'eaè vrai. La cour d'Abbeville était un Calvaire où le Christ était régulièrement crucifié tous les six mois.

Cependant la vérité éclatait de toutes par»s. On avait su que^ la-nuit de l'assassinat, un homme avait frappé ii la porte de Jean La-couture, campé, pour une cause que nous avons déjà rapportée, sur cette coulée Kinney—coulée pleine de mystères sanglants, comme la forêt de Boudy—et qije la porte de cet honnête Jean Laœuture s'était ouverte immédiatement.

L'homme qui avait frappé à cette porte s'appelait, selon la chronique, Aladin Corner.

Cet homme—toujours selon la chronique—aurait interpellé la maîtresse de la maison, fille d'un honnête homme, honnête femme elle-même, mais mariée à un bandit, et lui aurait dit :

" Je viens de tuer un homme ; ]q fuis, et demain il faut que j'aie franchi la Mehnento, Préparez-moi donc un bon souper."

Quels liens y avait-il donc entre ces deux bandits, dont l'un venait d'écraser la tête d'un homme, et cet autre bandit qui était poursuivi pour vol?

La jeune femme se leva et, toujours selon la chronique, tua et prépara une dinde qui fut mangée par celui qui se vantait d'avoir tué un hommô, et par son mari.

Le meurtrier, dit-on, mangea avec le meilleur appétit du inonde, après quoi il monta à cheval et prit un chemin bien connu de lui. celui de la rivière Mermento.

Là, il trouva, comme nous l'avons dit, M. Lufrosi Guidry fiîs, député-shérif, qui l'attendait, un mandat d'arrêt à la muio.

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D'un autre côté, un piège était lendu à une généreuse et vaillante individualité dont la perspicacité égale la loyauté.

Un soir, à dix heures, un nègre de l'habitation Saint-Julien vint prévenir son maître qu un inconnu l'attendait à la barrière de sa cour. L'heure était indue pour demander une audience, surtout lorni-qu'on a à la fois des amis ardents et des ennemis qui vous auraient tue depuis longtemps, s'ils en avaient eu le courage. Le Miijor alla à

la barrière seul, mais armé jusqu'aux dents liC Major s'était mis

en frais inutiles : l'inconnu était le père du meurtrier de Bell Toups — Michel Corner.

Le Major rit d'un rire silencieux qui lui est particulier.

Il avait deviné que le renard venait ruser avec le lion.

" Qu'est-ce qui me vaut l'honneur do votre visite ? demanda le Major.

—Major, dit Corner, vous êtes chef dun comité de vigilance et à ce titre je viens vous dénoncer un vol.

—J'écoute, fît le Major avec une raideur toute britannique, car aucun Anglais n'a jamais été plus Anglais que lui, à certaines heures.

—Vous connaissez John Ilarrington ? lui dit Corner.

—Oui.

—Il a commis plusieurs vols, et je viens vous les dénoncer.

—Kon, je ne toucherai pas à cet homme, fit le Major avec indignation. Kût-M commis dix, vingt, cent vols, il'me serait tout aussi sacré ; et, si vous voulez en connaître la raison, Michel Corner, je vais vous la dire, car vous savez que je dis tout, moi î Je ne toucherai pas à cet homme, parce que vous mentez, et qu'il n'a pas plus commis de vols que je n'en ai commis moi-nicme I.... Je ne toucherai pas à cet homme—et ici veuillez bien retenir mes paroles— parce qu'il est un des premiers témoins de l'Etat dans l'accusation qui pèse sur Aladin Corner, votre fils.'''

Et, après avoir dit ces mots, le Major lui tourna le dos en lai laissant, pour adieu, un geste suprême de dédain.

Michel Corricr repartit en maugréant d'avoir fait un voyage et un mensonge inutiles.

La loyauté est la meilleure des cuirasses contre le mensonge ; et, ^le ces cuirasses, le Major en a à revendre.

Les amis ne manquaient pas non plus à Aladin Corner.

— 196 —

Les truands de cette paroisse,—et Dieu sait s'ils étaient nom-■^reux, s'étaient émus de la captivité de celui qui était déjà, malgré sa jeunesse, un de leurs plus illustres chefs ; aussi avaient-ils ourdi une conspiration^ pour le délivrer, chose facile à cette époque, surtout avec les prisons de Yermillon, de Lafayette, et même celle de Saint-Martin, qui a acquis, depuis longtcmps,à l'endroit des évasions, une célébrité ridicule ; prisons de carton-pierre que les amis des prisonniers, ou les prisonniers eux-mêmes ont toujours brisées d'un coup de pied.

Heureusement pour la société et malheureusement pour le prt-sonnier, le shérif, connaissant mieux que personne la fragilité de la prison d'Abbeville, avait pris une précaution aussi simple que sfire pour que le prisonnier ne s'évadât pas : il l'avait enchaîné.

Bien lui en avait pris, car, un matin, le .geôlier, portant à manger au prisonnier, avait trouvé ouverte la porte de sa cellule ; or, la porte étant ouverte, Aladin se serait envolé comme uu oiseau à qui l'on tarait montré la liberté en enlevant la baie de sa cage. Heureuse-raent, le bris de la porte n'avait fait Aladin libre qu'à demi ; car il restait encore à briser quelques anneaux de sa chaîne.

Ces anneaux, qui avait empoché les libérateurs d'Aladin de les

briser ?

C'était une circonstance pour ainsi dire providentielle.

Clette môme nuit,, il y avait dans un café voisin cl,e la prison, etp tenu par un individu fort connu sous le nom de Désiré î'Hercule; — il y avait une de ces nojKcs (style local) tumultueuses, une orgie, dirait-on dans un style plus réaliste-,.une de ces orgies indescriptibleb où se réalise, pour les simples mortels, le symbole biblique de Na-buchodonosor changé en bête, et où l'on pousse surtout des cris sauva*yes qui feraient croire aux Qrléanaises que nos villages sont eavahis par les Indiens.

Ce soir-là, ces cris sauvages avaient été poussés avec accompa-<*Liement de coups de pistolet, bien que cet instrument n'ait pas encore droit de cité dans aucun orchestre , et il est probable que ce concert si bruyant et si voisin avait fait croire aux amis de Corner 'Oue le concert du café de Désiré VHerade était donné par des Vigilants. Cette croyance était une erreur ; mais cette erreur avait eu un beau ré:-uitat pour la société ; car, sans l'orgie,"Corner aurait t 6^0 délivré et uli crime infâme serait resté impuni.

— 197 —

Le lendemain, les auteurs de l'orgie noctiirne furent très étonnés d'apprendre qu'ils avaient empêché l'évasion du prisonnier... sans s'en douter... absolument comme ce bon M. Jourdain faisait de la prose.

Quant au shérif, il doubla les serrures de la prison et Aladin dut se résigner à attendre, dans l'ombre de sa cellule, l'ouverture de la cour.

La cour s'tfuvrit.

Lorsqu'on appela l'affaire d'Aladin Corner, l'oiseaii resté en cage malgré ceux qui en avaient voulu briser la porte, l'on remarqua l'absence de John Harrington, un des principaux témoins de l'Etat, que le père de l'accusé avait dénoncé comme voleur au major Saint-Julien, et qui avait disparu, bien que le> Comités ne Veussent pas inquiété.

John Harrington était un homme gênant, un obstacle ; on l'avait -supprimé.

On remarqua aussi que la femme de Jean Lacouture, lequel Jean s'était empressé de prendre la clé des champs aussitôt que les Comités avaient fait icur apparition première, on remarqua, disons-nous, que cette dame n'avait pas paru aux débats, bien qu'elle eût été citée.

Expliquons cette non-comparution.

Si ce qu'on npus a dit est vrai, cette femme aurait été citée sout*. !e nom de Sonnicr, au lieu de Richard, nom porté si dignement par son père ! nom qui était ou aurait dû être parfaitement connu de ceux qui avaient lancé ladite citation.

Si elle fut du chef du shérif, cette erreur—car nous aimons ù croire qu'il n'y eiit là qu'une erreur—nous paraît d'autant moins inexplicable que M, Légé connaissait le nom de la personne citée, au moins aussi bien que celui de ses enfants ; car il avait été pendant cinq ou six ans, le voisin de clos et l'ami de son père, et l'avait même souvent bercée sur ses genoux, lorsqu'elle était petite

mie.

Si l'erreur vint d'ailleurs, elle témoigne d'une indifférence condamnable dans la poursuite des affaires criminelles.

Quoi qu'il en soit, il y eut là une erreur de nom qui autorisa peut-être le juri à commettre son parjure.

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Corner fut défendu par M. William Mouton. Cet avocat, si jeune encore, surtout si l'on mesure son âge à sa renommée, défendit son client avec sa verve et son éloquence ordinaires. L'acquittement de Corner fut pour lui un triomphe, et pour la société uù malheur.

Le devoir du jnri était de punir, comme celui de l'avocat d'éloigner le châtiment de la tête qu'il défendait. ,

Le juri, ainsi que l'avocat, sont les soldats de la société.

Si l'un représente le châtiment, ce dogme écrit dans la loi humaine comme dans la loi divine, l'autre représente la clémence ou îa charité chrétienne qui combat les erreurs judiciaires, en cas d'innocence, ou qui, en cas de culpabilité, invoque les circonstances atténuantes, et adjure, supplie, implore qu'on mitigé la peine encou-r^ie par le coupable et qu'on ne détruise pas l'œuvre de Dieu.

M. W. Mouton fit son devoir en tâchant de dérober la tête d'A-ladin à la potence.

Le juri ne fit pas son devoir en refusant de prendre cette tête et de la désigner au bourreau en lui disant : elle t'appartient !

Aladin fut donc acquitté, malgré l'horreur et l'évidence de son crime... et disparut aussitôt que sa mise en liberté eut été prononcée.

I! devait comparaître plus tard devant un autre tribunal.

ETUDE SUE LES COMITES DE LA PAROISSE VERMILI,Oî^

Kn attendant que l'homicide rentre en scène pour s'y voir appliquer la peine du talion, étudions les Comités de cette paroisse qui semblait subjuguée par les criminels et qui aujourd'hui acclame sa régénération.

I! y a trois Comités dans la paroisse Yermillon :

Celui du Lac ;

Celui du Pont Perry;

Et celui dont nous venons d'écrire l'histoire.

— 199 — Le comité dn Lac a son comité exécutif composé comme suit ; MM. Jean Réaux, capitaine ;

Simmonct Leblanc, lieutenant ; Séverin Leblanc, secrétaire. M. Réaux est un des hommes les plus probes de son quartier, ou la probi lé semble, pour ainsi dire, indigène; chasseur comme Nemrod. affable comme lès ancêtres d'il y a un siècle, juste comme la justice, brave conmie presque tous les entants de cette terre cliauffée et bénie par le soleil.

M. S. Leblanc est d'une lamillo décimée par le choléra en 1848 et dont nous avons t)ous-méme enterré la sœur, Mme J. U., ainsi qu'un parent, Jean-BJarie Richard, un matin, à quatre heures, et dans des circonstances que nous n'oublierons jamais. Il a reçu de ses aïeux un magnifique héritage d'honneur, de'probité, de considération, qu'il transmettra intact à ses enfants. Noblesse ubUge ! l\'\K^

sait et i)Ourrait le i^raver sur son blason s'il lui prenait un jour

^învie d'avoir un blason.

Séverin Leblanc est aussi d'une de ces familles dont les chefs se sont élevés jusqu'à la richesse par le travail. Fils d'une mère, dont le^ troupeaux sont surtout considérables, il a été mieux que personne en mesure de savoir ce que l'armée de voleurs de Vermillon coûtait ^ Fa paroisse. Il est dévoué corps et Ame à notre cause trois fois Riiinte.

Oe Comité a eu le bonheur de n'avoir à faire aucune expulsion.

Le Comité du Pont Ferry est connnandé par l^L Adrien Nimez, jeune homme au teint brun, aux (Cheveux d'un noir de jais, dont nous n'avons vu qu'une fois la douce, mais énergique figure, h un banquet offert, en mai, au niajor St-Julien, sous les beaux ombrages de M. J. Giroard, à la Côte-Gelée. Nous savons que, dans son district, il fait son devoir comme les autres capitaines dans le leur. Nous regrettons qu'il ne nous ait pas envoyé son livre. Nous aurions écrit ce qu'il a fait avec un plaisir égal ù celui que nous a fait la seule entrevue que nous ayons rue avec lui.

Le comité du Vermillon était commandé, comme nous l'avons déjà dit, par Sarrazin Broussard, dont nous avons esquissé l'énergi-|ue et loyale figure dans le premier chapitre de cette histoire, ïomme d'action, il avait commencé avec une poignée de soldats i cha.-î6e aux bandits dans uneparoi&se où ces derniers se comptaient.

— 200 -à cette époque, par centaines. Il avait donc été le premier à la tetc cle la révolution de Vhonneur contre la houe sociale de sa paroisse ; et cette révolution, il l'avait dirjgée comme elle devait l'être : avec justice, énergie et implacabilité, les trois qualités nécessaires aux chefs de ces conseils de guerre populaires qu'on a appelés Comités de Vigilance.

Pour des raisons que nous ne voulons ni discuter, ni combattre, il donna sa démission.

Nous nous séparons de lui, mais nous le retrouverons à cette grande et décisive journée de la Queue-Tortue, qui assura la dictature aux Comités, st la flagellation dix fois méritée du nommé Wagner, qui mit, l'an dernier, une sorte de coquetterie, à montrer ses blessures îi la Bannière de Franklin et à ses lecteurs.

Le récit de cette journée se trouvera dans l'histoire du Comité de Yermillonville, qui fermera ce livre. Là, nous toucherons de nouveau la main du vaillant capitaine démissionnaire.

Il eut pour successeur un de ses cousins, Edouard-Théophile Broussard, homme de forte race, haut placé dans sa paroisse, et honoré plusieurs fois par elle d'un mandat de représentant à la Législature d'Etat. Il apporta à son commandement une main et une volonté fermes comme un roc, un immense désir de bien faire et de frapper, lui aussi, de grands coups sur les bandits qui restaient encore dans sa paroisse.

Avec un pareil homme, il n'y eut rien de changé dans le Comité... excepté un nom.

DEUX PARJURES

Aladin avait été acquitté.

Pour mettre à Taise la conscience de ce bon j.iri, si peu difiicile pourtant à se laisser convaincre, il s'était trouve deux hommes prêts à souffleter la vérité et Dieu dans ces débats : ils avaient atteint leur but en sauvant la tête d'Aladin, e' eu laissant ainsi sauf vengeance la tombe du vieux Bell Toups ; mais, en salivant Aladir ils s'étaient noyés eux-mêmes ; la trappe-du précipice qu'ils avaiei

— 201 — fermée au meurtrier, allait s'ouvrir sous leurs pieds et les engloutir.

Le Comité avait vu et entendu.

II avait vu avec un frémissement de colère lacquittenient.

Il avait entendu ce que ces deux hommes avaient dit pour lobt^^-nir.

A un assassinat ils avaient ajouté le plus grand des crimes : le Parjure.

Fils de Judas, ils avaient vendu le Christ pour moins de trente deniers.

Ce crime avait été commis ai\ rabais.

On appliqua donc le bannissement à ces deux hommes à qui la loi ancienne aurait percé la langue avec un fer rouge ; à (jui la loi américaine aurait donné un logement à Bâton-Rouge !

L'exil pour un crime aussi infâme ! Quel est l'anti-vigilant qui serait assez... Jocrisse jjour verser des larmes sur ces deux vertueux citoyens ? «

Il en est peut-être ; mais le ridicule dont ils ont été frappés leur a donné ce qui leur avait toujours manqué jusqu'à ppésent : Vinprit ùii. silence.

Et puis ils ont tant besoin des électeurs !

Et ces électeurs sont si faciles à tromper !

Et il est si doux de se balancer, comme la Sarah de V^ictor Hugo, dans ce hamac ({u'on appelle les places !

Ces deux hommes furent condamnés h l'exil.

L'un était Michel Corner, père de Taccusé.

Une simple question :

Par quelle inconvenance, par quelle horrible niaiserie, la loi anglaise permet-elle qu'un proche parent dépose dans une affiiire où la tête de son parent est mise en jeu ? C'est mettre la conseiehcfe aux prises avec la voix du sang. C'est dire au mensonî^e : Entre ''ans cette cour de justice qui devrait t'être fermée. C'est une aiita-risation, sinon une légalisation du parjure. C'est forcer un homme h se déchirer les entrailles ou à mentir ; h sacrifier son fils, sacrifice que Dieu refusa d'Abraham, ou à outrager la vérité.

Ce parjure, nous l'absolvons presque,,.

Michel Corner fut banni.

Nous serons plus sévère pour l'autre parjure.

Celui-là s'appelait : M. de Juge, baron de nous ne savons quel

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titre, noble depuis les Croisades et... maître d'école dans un des districts de la paroisse Yermillon. Ce baron, ce noble du temps des Croisades (noble doré par le procédé Ruolz) vint certifier que, le soir de l'assassinat, AlaJin avait été vu à vingt-cinq milles du lieu où cet assassinat avait été commis.

Il vint certifier cela d'une voix assurée et le front ceint d'une couronne de cheveux liàtivement blanchis sans doute par la débauche. "Il vint certifier cela, lui vieillard, malgré les témoignages nombreux qui constataient qu'Aladin avait été vu la veille dans le voisinage du théâtre du crime.

'ï^e baron de Juge fut aussi banni.

Nous l'avons vu dernièrement à Sainte-Marie, en voiture, devant le magnificiue café de notre ami Prévost.

On nous dit qu'il avait trouvé, en arrivant à Sainte-Marie, une place de maître d'école (qupl professeur de morale ! ) et que, renvoyé, il s'était mis à faire des filets, des^seines et autres engins de pêche, qu'il tressait du reste fort adroitement.

Le bagne a' perdu là un bon ouvrier.

Qu'on dise après cela que les Comités de Vigilance ne sont pas cléments !

L'EXPIATION

Plusieurs mois se sont écoulés depuis racquittcment d'Aladin Corner.

On croit qu'il est fiu Texas, au Mexique, ailleurs peut-être, fuyant son crime... et le retrouvant partout... car avant que Shakspeare eût évoqué le spectre de Banco, la voix qui épouvanta Caïn était là, criant dans la Bible.

On le croit loin ; on le laisse à Bes remords, les remords, ces vautours de Prométhée I

"Qu'il vive loin avec son vautour 1 se disent les témoins ou voisins de son crime. Mais surtout qu'on n'entende plu?, parler de lui ! 1 ! "

Un jour, on entend parler de lui.

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C'est à l'encan d'un nommc^ Aube, h Vormillonville. au milieu d'un grand concours de peuple.

Ah ! un conventionnel de l'héroïque époque de 1793 avait raison ; Il n'y a que les morts qui ne ressuscitent pas !...

n est ressuscite, le héros de la Coulée Kinney, le broyeur de tètes Luniames ! l'assassin qui n'emploie ni le pistolet qui édite, ni le poignard qu, déchire, ni le poison qui corrode.... mais qui emploie un mstrumcnt nouveau qui fait jaillir la cervelle et broie un visa-e d homme... et en fait le quelque chose sans nom dont parle Bossuct-

Il est dans la paroisse Vermillon... sur un de ces beaux plateaux qui se tro,ivent, on ne sait pourquoi, sur les bords de la mer, cernés par elle d'un côté et de l'autre par la prairie tremblante.

11 esta la Chênière-Perdue.

La Chênière-Perdue n'est pas nn lieu d'asile : les Comités iront l'y chercher.

N'est-il pas condamné à la jfeine du talion ?

Quinze jours aprè.^ il arrive au Comité de Vermillon une nouvelle lettre.

L'amnistié, et no.i l'acquitté, du juri de Vermillon, ne s'est pas amendé, n'a pas demandé pardon à Dieu et aux hommes, après ayoïr été épargné miraculeusement par la foudre judiciaire. ' . Il bat les uns, menace de tuer les autres ; vole, pille, incendie • il est un sujet d'intimidation... et ce héros du crime, ce marteleur'de t^tes humaines a à peine vingt-deux ans.

Il jt vrai qu'il est grand et fort, et qu'il a déjà tué un homme dans des circonstances aU-oces

Et ce héros du crime ce marteleur de têtas humaines n'a po..

vingt-deux ans ! '

D'un autre côté, on signale -i ces mêmes chênières, plusieuiN bannis des paroisses attakapiennes, et notamment plusieurs célébrités déchirées à la Queue-Tortue.

Les Comités ne peuvent souffrir que leurs expulsés se groupent ainsi à leurs portes.

Us mettront le pied sur ce nid de iiuêpea

Ils partiront.

Ils partent un lundi. Ils vont faire le voyage le plue accidenté du monde, dans cette partie de la paroisse Vermillon. f|u'on appelle la.

-^ 204 —

Prairie Tremblante, et dont aucune carte n'a peut-être jamais été levée.

Ils ont demandé un contingent de cinq hommes au comité du Lac ; de dix au comité du Pont Perry

Ceux qui partent sont vingt-huit.

Ils ont un terrible devoir à remplir ; mais ils le rempliront.

Une tetc a été scandaleusement épargnée par la justice officielle; cette tête, ils la prendront.

Ils partent avec cinq jours de provisions ; car la campagne sera longue et il y a cent milles à franchir.

Heureusement que, grâce à une sécheresse exceptionnelle, la prairie tremblante est praticable et ne présente, comme obstacles, que quelques bayous qu'il faudra franchir à la nage.

Qu'est-ce que cela pour des Attakapiens ?

Ils côtoient d'abord les sinuosités de la rivière Mermento. à travers la prairie ; v»

Ils traversent le lac de La Cassine (un mille environ) ;i l'cmbou-churc du bayou La Cassine et du bayou des Lataniers ;

Puis ils se jettent dans une prairie tremblante, temce de cô-tectux comme le désert l'est d'oasis, et arrivent à un bayou, bien justement nommé Vaseux (Bayou Marjolet) ; jamais baptême ne fut mieux donné. •

Oha((ue cavalier le franchii, en portant sur son dos la selle de son cheval, et en enfonçant dans la vase jusqu'aux genoux et en chassant Il chaque pas les serpents, hôtes visqueux de ce bayou où k boue domine l'eau.

Les chevaux suivent et pataugent, à leur tour, dans la boue, •^omme leurs maîtres ; avec un homme sur le dos, ils n'en seraient jamais sortis.

De l'autre côté, distribution d'une ration de cognac, pendant qu'on remet la selle aux chevaux.

Ceux qui voyagent sont des juges ; (^nc ils doivent être ««obres.

La fiOiite aux liquides ne s'ouvre qu'à la voix du chef... et elle ne s'ouvre que trois fois par jour.

Quant aux repas, chacun les fait, à sa volonté, avec les vivres qu'il a apportés, et seulement lorsqu'on fait halte pour laisser reposer les chevaux^ qu'on lâche, li la fa<^on mexicaine, avec deux liens aux jambes, de devant.

— 205 —

Le taf^ est un objet de luxe. On en prépare et on en boit dans les rares termes que Ion trouve dans ce désert.

On repart, et Ton trouve un autre bayou, celui de la Petite-Cbé-nière.

Puis, dans cette voie aux mille zig-zags, aux détours infinis et sans cesse renaissants, véritable ouvrage de Pénélope pour les voyageurs, ils se remettent à côtoyer les bords de la rivière qu'ils ont déjà repris et dix fois abandonnés.

Enfin, ils arrivent au bayou de la Chênière-Perdue.

Est-on au terme du voyage ?

Non.

Vi faut encore filer le long de ce bayou pendant dix milles, ensuite de quoi on se jettera à l'eau et l'on sera k peu près rendu.

Ou en aura fini avec ces méandres de lacs, de bayous, de rivières qui zèbrent, comme autant décbeveaux de fil embrouillés, la prairie tremblante, et l'on avisera.

On traverse et le guide crie : halte !

On laisse les chevaux en lieu sûr, et lo guide, sur Tordre du chef-dispose les membres de l'expédition autour de la maison habitée par les Corner, père et fils.

Puis, comme ordre est donné h voix basse de n'agir que le lendemain h l'aube, chacun, sauf les sentinelles, s'endort sur l'herbe, à la belle étoile, la main appuyée sur son ftisil.

A r^ubc, on visitera la maison Corner ; puis on fera ime battue pour arrêter les autre,^ bannis qui ont été signalé.^.

On dort. Les coqs chantent la venue prochaine du jour. L« maison de Corner s'éclaire. L'on aperçoit Michel (le père) dégustant une tasse de café, en tenant un enfant sur ses genoux.

Un tableau d'André del JSarle.

Cinq hommes du ("omité entrent.

" Où est ton fils ?

—Cherchez, il n"est pas ici.

—Où est-il ? I

—Je ne vous le dirai pa?."

On respecte ce scrupule ])alernel et l'on se met en chasse-La petite expédition se divise en quatre escouades qui partent chacune de son cùté, vers les quatre points cardinaux.

T.* silence du père d'Aladin sert les Vigilants. Au lieu de foui!-

— 206 — 1er la Chêuière-Perdue en corps, ils la fouilleront sur tous les points en même temps, tout en cherchant Aladin.

D'une pierre ils feront deux coups.

La Chênière est fouillée dans tous les sens, mais sans qu'on découvre aucun des bannis dont la présence a été signalée. L'escouade qui s'est dirigée vers le bout de la chênière, appelé les Iles Hautes, est plus heureuse. Elle trouve Aladin, à cheval dans la prairie, et l'arrête.

Ij'assassin du vieux Toups, le marteleur de têtes, le broyeur do cervelles humaines n'avait pas songé au quart-d'heure de Rabelais.