" Ce n'est qu'une femme," s'étaient-ils dit sans doute.

Et le vol ouvert, le vol sans masque n'en avait pas moins été exécuté.

Depuis, comme la dame avait protesté tout haut, ils avaient voulu sans doute la faire taire par des menaces. Alore le clos de M. Théogène Hébert était devenu leur chose, leur domaine, et ils y ava,ient commencé des promenades fréquentes, le pistolet au poings la carabine en bandoulière, comme s'ils s'étaient trouvés en plein royaume de Xaples, au temps où le général Hugo, père de notre, immortel poète, travaillait à prendre le bandit napolitain Fra-Dia-volo.

Ernest,—était-ce pour lui faire admirer sa carabine, à la façon de Gastibelza ?—Ernest était venu une fois jusqu'à la fenêtre de la chambre de Théogène Hébert, le canon de son fusil tourné vers l'intérieur de cette chambre, dont ses yeux flamboyants avaient vainement cherché le propriétaire.

C'était déjà un assez joli petit crime devant le Code pénal, que cette invasion à main armée du clos et de la maison de M. T. Hébert, mais ce n'était pas là le tout.

Dans leur atelier, on avait remarqué, pendant plusieurs mois, une esclave portant toujours un garde-soleil, auquel garde-soleil était toujours adapté un voile vert, qui couvrait invariablement la figure de la dite esclave. Les voisins avaient d'abord remarqua-

.— 343 — -cette nouvelle-venue, si modeste, si peu désireuse de lever son voile vert et toujours rabattu à l'orientale sur son visage ; ils s'en étaient entretenus pendant quelques jours ; puis leur attention s'était portée ailleurs, et l'esclave au voile vert avait pu passer impunément au milieu d'eux.

Cependant, comme il n'est pas de secret si bien gurdé qui ne s'évente à la longue, la négresse mystérieuse avait été reconnue... pour un nègre de Don Louis Broussard, marron depuis plusieurs mois.

Une patrouille ayant rencontré la négresse au voile vert et l'ayant vainement sommée de s'arrêter, lui tira un coup de feu dans les jambes, ce qui lui fit embrasser la terre comme le vieux Brutus.

La négresse se trouva être un nègre... intervertissant ainsr le rôle de nous ne savons plus quelle héroïne du Tasse.

Ce nègj'e fit la confession la plus dramatique. Elle est consignée quelque part, dans quelques feuilles volantes, jalons futurs de quelque Balzac de riiistoire attakapïeune.

Cette confession ne doit pas trouver sa place ici.

Tout le monde connaît l'histoire de Don Juan, le débauché, le criminel, le raffiné, qui avait passé toute sa vie à jeter des cartels à. Dieu et aux hommes, et son souper avec la statue du Commandeur, et sa fin terrible quand son heure sonne au cadran de Dieu.

Les Canada devaient souper, eux aussi, avec la statue du Commandeur.

•'' Allez-vous en loin, bien loin, leur dit un jour le Comité de Vermillonville.^et malheur à vous, si vous rompez votre ban !"

Les proscrits partirent en proférant des cris de vengeance.

Ils ne devaient pas aller bien loin.

aUELQUES SCENES

DES PRAIREES ATTAKAPIENNES, AVANT LES COMITÉS

C'est par un soir d'hiver. Le temps est brumeux, mais la lune .glisse quelques-uns de ses rayons à travers des bancs de brume. Un jeune homme pas.se sur un chemin de la Côte-Gelée. 11 est

— ^44 — . oûze heures du soir. Deux ou trois cavaliers, ainsi que quelque» veaux, passent à dix pas de lui, (.-nveloppos de nuages^ comme dans une scène d'Ossian.

Le lendemain, récit dn jeune homme à, quelques voisins.

'^Veux-tu voir ta maison brûlée et ten animaux empoisonnés ? " lui dit un de ses voisins.

Le jeune homme comprit l'avertissement et se tut.

Une jeune fille attakapicnue, qui est aujourd'hui une épouse honorée et une noble et bonne mère de famille, disait un jour, devauî nous. Il son père, mort dejHiis deux ans :

" Mon père, étant encore au berceau, je marquais deux veaux ; aujourd'hui j'ai 17 ans, d'où vient que je n'eu marque encore qu^ deux?"

Le pères'atlendrit et lui dit :

•' Chère enfant, c'est parce que tout le monde ne récite pas, comme toi, chaque matin, les commandements de Dieu, dont l'iifl dit:

Le bJe^^ d'autvui tu uo prendras, Ni retieiidrns à ton escient."

Un individu est poursuivi pour une cargaison de peaux volée» qii'on avait trouvée chez lui.

Ces peaux portaierit la marijue d'un riche habitant de la paroisse Saint-lMartin.

" Je vais vous payer ces peaux, lui dit le voleur.

—Je veux votre punition, lui dit l'habitant, et non la valeur des peaux ; je suis assez riche pour m'exposer à la perdre."

Le voleur est poursuivi et renvoyé devant le juri de h. parois.se Lafayette. celui de 8aint-Martin n'nyiint pu s'accorder.

Le juri racquitte contre toutes les prévisions et codtre celles de son avocat lui-même.

Un plaisant fit ce quatrain qu'il envoya aux membres de ce juri

complice :

Vous avez soutHete le Christ, le divin maître. Mort entre deux voleurs, en buvant mille affront.=?. Cette fois, il est mort plus tristement peut être, Car vous cliez treize larrons.

Y compris l'accusé sans doute, si nous entendons bien l'autear de ce quatrain.

— 345 —

Fait déjà cité dans notre livre : le héros du fait est toujours vi-Tant, grros et gras, et nous le défions d'en contredire lautorité.

Un habitant le surprend un soir, volant une de ses vaches.

L'habitant était armé de deux témoins : le flagrant délit était donc bien constaté.

" Cette fois, je te tiens, dit-il au voleur, et nous réglerons notre difiFérend devant le juri de notre paroisse.

—Vous me tenez?... Et pourquoi? Xe vous ai-je pas acheté l'autre jour la vache que jenimène?

—C'est trop fort ! cria l'habitant.

—Monsieur, répondit l'autre, j'emmène la vache qui est bien îi moi. Si vous me poursuivez, je vous répondrai en Cour, et je cons^ taterai m| propriété par f^^rtémoiimage?."

IjC procès eut lieu. Le voleur, au lieu de dix lémoins-, en produisit quinze : cinq de plus qu'il n'avait promis.

Inutile de dire qu'il fut acquitte. Qael est le juri (jui îierait capable de lutter contre quinze parjures?

L'auteur de ces lig:ne3 a eu longtemps pour voisine une femme pour qui il professe le plus grand respect, et qui s'appelle Mme Val-mont Comeau.

Elle est vieille, mais son cœur et son intelligence sont restés jeunes, et l'un et l'autre sont plus grands que sa fortune.

A l'époque dont nous parlons, elle n'avait qu'une pan-e do breufs.

Un matin, ses fils partant pour le clos, ne trouvent plus qu'un bœuf; l'autre avait disparu ; malgré les plus actives recherches, il resta introuvable. L'excellente femme versa d'abord quelques pleurs ; mais, après le premier épanchement de sa douleur : •

" Je désire, s'écria-t-elle, que le voleur soit fouetté un jour avec la lanière de ce même bœuf! "

Son imprécation devait à moitié s'accomplir, car l'homme qui avait commis ce vol fut fouetté plus tard, à la Queue-Tortue, avec une lanière de bœuf, tenue par une main vigoureuse : il s'appelait Eugène Alloué.

L'excellente femme se permet parfois de tirer la bonne aventure : est-ce qjie cette fois elle n'a pas été sorcière de fait ? •" * =

— 346 — bœufs Oïl des vaches pour en lever les peaux et les revendre à des marchands toujours prêts à les recevoir.

L'an dernier, durant une épizootie, en allant k Abbe«ille, nous rencontrions à chaque pas des bêtes mortes dont les peaux étaient parfaitement intactes.

''Quantum mutatus ah illo!'' murmurâmes-nous. C'est un hémistiche de \''irîîile que nous traduirons pour nos lecteurs étrangers au latin par ces deux mots :

Quel changement !

On venait de fermer les yeux à une })auvre jeune femme qui, pareille à un roi d'Orient allant à la tombe couvert de tous ses diamants, venait detre ensevelie dans toute la Heur de ses illusions, de sa beauté et de sa jeunesse.

Selon la coutume attakapiennc, les visiteurs étaient nombreux.

Le cadavre venait d'être exposé, comme une statue de marbre blanc, et paré de ses beaux vêtements soyeux.

Pendant que les uns pleuraient et que les autres se recueillaient devant ce pâle visage qui venait à peine de s'endormir, un individu se présenta et offrit de vendre quatre quartiers de bœuf.

Il fallait des vivres pour les'nombreux as^^istants de la veillée mortuairQ : aussi s'empressa-t-OB d'acheter cette viande, au nom du chef de la maison désolée.

La jeune femme mise au cercueil et inhumée.—et quand les premiers élans de ia douleur furent passés, les survivants cherchèrent Tainement un de leurs bœufs gras, entretenu et trouvant toujours une crèche abondamment fournie dans la maison.

Il est demeuré prouvé que le marchand leur avait vendu leiu propre bœuf.

Un vol devant un cadavre ! et l'on dit que la mort parle haut au cœur de tous I...

UN ARTICLE DE JOURNAL

A cette époque, la presse vigilante des Attakapas publp l'article suivant, qui semblait annoncer à la population que la tâche de? Comités était à peu près terminée :

— 34T —

Ces '^ttakapas il r) a sije mois et aujourb'hni

I.

IL Y A SIX MOIS

11 y a f=ix mois, les Attfikapas étaient un paj's où Ion courait Riia a la propriété, romme les Barbares faisaient jadis sur les terres conquises par leurs armes.

Il y a six mois, les villages et les campagnes de ce comté étaient autant de forêts de Bondy où abondaient les coupeurs de bourses, les tire-laines, les malandrins, entin tous les types hideux et immondes qui grouillaient au Moyen-Age dans la Cour des Miracles do Paris.

Il y a six mois, les bœufs, les chevaux, les moutons, toî.s les animaux élevés pén^iblement par les habitants laborieux des Attakapas, tous étaient ou tués la nuit pour assouvir la ffiim des lazz.aroni, ou volés par eux et conduits impudemment, et par troupeaux, au marché de la NouvelleOiléans.

Il y a six mois, St-Martin,—St-Marîin surtout!—avait une formidable hande de voleurs de jour, de nuit, procédant tantôt par ruse et tantôt le pistolet au poing; s'introduisant dans les maisons par effraction et faisant feu au br-soin sur ceux qui avaient le courage de se défendre. C'était une armée experte au crime, exploitant Je foyer des familles et la rue avec une audace qu'augmentait labseace de toute police et poussant cette audace jusqu'à l'incendie de la plus riohe partie du village. Ces plagiaires de Néron, qui voulaient mêler l'utile à l'agréable, avaient de plus des pègres prêts à emporter la nuit, à travers les campagnes, le produit des vols exécutés dans les magasins en fou.

Il y a six mois, les Attakapas voyaient lu Justice souffletée chaque jour par des jurés indignes de leur mandat et parjures à leur serment, qui, en fihsoWfint pre9qnc toujours les hommes recoymus conpoh/rx par /es témoignages et l'évidence, donnaient une prime d'encouragement au crime au lieu de le frapper de terreur.

Il y a six mois, les hommes honnêtes, les bous citoyens, ceux qui ne se laissent pas entraîner à un optimisnac exagéré par un faux patriotisme, ceux-là voyaient avec douleur la moralité des masses s'affaisser, le V(tl impuni, le parjure passé à l'état chronique, les faux en écriture privée, l'incendie, le viol, linfauticidc, &c., &c. Tout cela florissait ici il y a six mois, pendant que le juri, trop souvent traître à sa mission trois fois sainte, laissait désarmée la société qu'il était obligé de soutenir.

Il y a six mois, les Attakapas étaient donc en proie à ces fléaux qui rongent parfois les société^'en décadence, mais qui parfois aussi atiei-jfnent les sociétés pleines de jeunesse et de sève, comme pour leur dou-

— 348 — lier l'occasion do se délivrer des impuretés qui lèsent envahies acciden tellement.

Il y a six mois, les Attakapas comprirent si bien que, pour revenir à leur état normal, il fallait appliquer à la partie véreuse de la population un remède héroïque, ils conq)rircnt si bien cela, di3oni?-nous, qu'ils se couvrirent de comités de vigilance.

Le globe manifeste ses maladies par des tremblements de terre ; les sociétés malades ou chancelantes traduisent leurs griefs ou leurs colères par des insurrections.

A cli/iqne poison, il y a un antidote ; au bandittisme attakapien, on a trouvé un antidote : les comités de vigilance.

II. aujourd'hui

Aujourd'hui, les voleurs des Attakapas nous rappellent notre citer et epirituel Méry, qui, après un voyage à Kome, se plaignait naïvement de ne pas avoir vu l'ombre d'un voleur, même sur la terre classique du vol, les Marais-Pontins.

Aujourd'hui, les Attakapas chantent le chaut du prophète :

«Comme les sables du désert dispersés! i

itous les brigands que leurs comités ont chassés. C'est un chant d'allé-gresse adressé à tous ces frelons qui avaient si longtemps et si scandaleusement échapiié au glaive de la justice. C'est un bon voyage souhaité à DoLSiK, Valsin et Aladin Hekpi.v, trois frères! par nobile jratrum! à Bernard Lacoutdre, à Gudbeek, la première victime qui ait fait brailler ici les cœurs sensibles, à Coco et sa tribu nu teint de bronza, aux voleurs et incendiaires de St-Martin, tels que Hulin, Manoel, Pkosper, AuuKi.iEN PicAUD, Al'kéi-ien Meau-X, l'hommc dont le jnri parjure de Vermillon n'a pu laver l'honneur, IIervilien Primo, son tils EucLiDE, &c., &c. Oui,aujourd'hui on entend comme rhosaunah de la victoire et de la régénération dans les villages, les forêts et les campagnes attakapiennes. C'est comme au lendemain d'une peste. Tout le monde sent ici que l'atmo^plière est ou va être purifiée.

Aujourd'hui, les voleurs ne battent plus monnaie dans les savanes ; les parcs et écuries sont veufs de leurs souillures ; ils ne vont plus ajouter la boue de leurs sandales à celle qui est piétinée, les }our8 de pluie, par les animaux auxquels ils faisaient lâchasse depuis trente ans.

Aujourd'lmi, malgré une opposition inqualifiable, et grâce à l'énergie d'une poignée d'hommes, la plupart jeunes, et dont nous regrettons de ne pouvoir citer les noms dans ces lignes ; aujourd'hui St-Martin est pur, ou à peu près, de tout alliage. Cette rif^daille, frappée au meilleur coin du style créole, n'a plus son hideux revers de bandits, d'incen-

— 349 — ■ Hairea et d'égorgours. Ses rues et ses banquettes ue se voient plus foulées par dt-3 ^gentilshommes de la haute et ba?se pègre. Hasardezy vos bottines, mfçdamcs ; leur satin n'en gei a plus terni.

Anjourdh ai, la HÎcurité est rentrée dans les esprits. Les toesins de? coijités de vigilance s'fgitent parfois encore, mais t "est lorsqu'on a à sorveiller quelque'personne suspectée d'appartenir à cette infâme association de bandits dont on a décapité les têtes les plus tristement célèbres, ou. comme il nous est arrivé,il y a quclquesjours à peine, lorsqu'il s'agit de traquer quelque banni eu rupture de ban, comme certain banni qui a échappé miraculeusement, pourrait-on dire, à vingt lanières de fouet préparées spécialement pour lui.

Aujourd'hui, une réaction aussi complète que formidable s'est faite dans les cœurs et les consciences.

Aujourd liui, on a vu que ce qUe l'on a appelé si longtemps le chaj^itrc (Us considérations, tout innocent qu'il semblait être, n'était qu'une mauvaise rosiîo de fiacre qui conduisait doucement la société à des abîmes inconnus.

Aujourd'hui, le mot : t Guerre aux bandits ! » est dans toutes les bou-fhos, et ncnis doutons qu'aucun juri (môme choisi dons la plèbe la plus infâme) ait à l'avenir l'audace sacrilège de soutileter le saint visage du CJirist en acquittant des criminels. *

Aujourd'hui, les bons citoyens, coux qui, pendant de longues années, avaient fermé les yeux sur les plaies de notre société, pour ne pas être obligés d'en avouer les crimes et les misères ;, aujourd'hui, ceux-là: les plus purs, les meilleurs, ceux-là sont tous soldats des comités de vigilance, et prêts à donner leur or et leur sang, s'il le faut, au triomphe de la cause qu'ils ont embrassée.

Aujourd'hui, la moralité s'cf-t réveillée. Elle qu'on croyait morte n'était qu'endormie, et elle rachète par son activité les années qu'elle a perdues à dormir son long sommeil.

Aujourd'hui, on oommence à reconnaître la compétence d'un tribunal à peu près inconnu ici jusqu'à présent. Ce tribunal, qui jugeait les rois d Egypte après leur mort, et probablement aussi un peu de leur vivant, —ce tribunal qui juge rois, présidents, juges, citoyens, et qui les met dans le ciel ou au'pilori de l'histoire, ce tribunal s'appelle I'Opimon PUBLIQUE, et il commence à siéger. Chacun tremble de comparaître à • ses terribles assises. Bénis soient les comités de vigilance qui ,se sont penchés sur le cercueil où dormait l'Opinion Publique et l'ont tirée du tombeau comme Lazare.

Aujourd'hui, le programme des hommes qui se sont jetés dans les Comités est reconnu par l'opinion publique comme devant obtenir certaines réformes sociales.

La première de toutes, la plus sacrée, est celle-ci :

1. 8i le juri acquitte un homme que les téiïioignages et l'évidence proclameront coupable, qu'on puisse poursuivre ce juri comme parjure,

— 350 —

et que tous lo6 citoyens qui sont honnêtes repoussent toutes relations avec ses membres, comme on repousserait le contact d'un galérien.

2. Si un honnête homme a connaissance d'un délit ou d'un crime commis dans son voisinage, qu'il ne craigao ni pour lui, ni pour sa famille, la vengeance! des auteurs de ces délits ou crimes, quels qu'ils «oient ; et qu'il soit c(^ain que les Comités le protétreront cofite que coûte et écraseront tous]les bandits qui voudront Yaire de l'intimidation.

:}. Si dans les districts ou régnent les Comités, il y a des hommes de métiers ou de professions sunpccts, qu'on les Kiirvoille. puisque décidément k'8 AttnkfipuH n'ont pas de police oflicielle; que tout bon citoy(^n supplée à l'indolonce, anfnrnirntcAe la justice par une vigilance do tous les instants. Qu'il y ait dr^s yeux ouverts le jour, la nuit, sur tous les chemins, derrière toutes les haies, partout où passera une personne suspecte; mais il est bien entendu que nous dirons aussi : liespeet à tous les pas, à toutes les Heti<ms des honnêtes gen?. Une seule vexation, une seule injustice commise sur eux tuerait lu sainte cause que nous défendons.

Un dernier mot :

11 y a six mois, les bandits étiilent debout.

Aujourd'hui, ce sont les honnêtes gens.

Honneur aux comités de vigilance! A. B.

Ou verni plus loin que, Comités et jonrnaliste, tout le rnoode était dans l'erreur.

LA JOURNEE DE LA QUEUE-TORTUE

lies Canada étaient partis, mais non pour le Texa? où Ton supposait qu'ils avaient été porter leurs tentes.

Où étaient-ils?

Nous allons tâcher de les retrouver.

Ceux de nos lecteurs qui sont possesseurs dune carte de la Louisiane et qui voudraient nous faire l'honneur de nous suivre, les verront se diriger à angle aigu vers la mer, en côtoyant d'nn côté la rivière Mermento, et de l'autre le bayou Vermillon, nui vont porter tous deux leurs eaux dans le golfe du Mexique.

Cette partie de la paroisse, d'une fertilité exceptionnelle, était et est encore couverte de vacheries, les unes riches, les autres humble*

— 351 —

et modp«»tef». mais repré^ntant à divers degrés la fortune d'nuc foule'i '0?, voués de père en fils h l'élève des animaux.

Ce< ; ,M , =!, nous l'avons dit. sont dune richesse exceptionnelle. Les aniiiiauv y grandissaient au soleil du bon Dieu, toujours plonges daiiH riierbe jusqu'au ventre, et rendaient au centuple à leurs propriéf-nres le peu de soins qu'ils en recevaient.

Il e?l vrai que ces soins étaient presque nuls ; d'un bout d'année à l'autre, la prairie était leur crèche et leur étabic, et les vaquerC8 ne s'occnpaiont guère d'eux que lorsqu'il s'agissait de les retirer de quelque tondrière ou ils auraient trouvé une mort certaine, si on le? y eût laissés.

Au printemps seulement, la prairie se remplissait de cavaliers qui, soudés à leurs chevaux comme les centaures de la fable, rassemblaient les veaux de l'année dans un coral et leur gravaient ensuite sur le corps, a l'aide d'un fer brûlant, la marque de chacun de leurs propriétaire!?.

La saison de la marque passée, les prairies rentraient dans leur silence solennel jusqu'il l'année suivante, et les vachers comptaient joyeusement l'or que représentait le revenu de leurs bestiaux.

Ces vachers étaient tous des hommes rudes, hâlés par le soleil, après au travail comme a la fatigue, faisant cent lieues à cheval comme les Cosaques de l'Ukraine, familiers avec les sentiers du Texas comme avec ceux de la Louisiane, et ne connaissant ni danger qui pût les intimider, ni tâche, si ardue qu'elle fût, qui pût lep faire reculer.

Ils étaient, en tout et pour tout, les hommes de la civilisation primitive ; ne se trouvant à l'aise que dans leurs forêts ou leurs savanes, ils ne savaient guère des choses du monde que ce qu'ils en avaient vu lorsqu'ils avaient campé dans quelque grande ville. Incultes et énergiques comme des pionniers, ils n'avaient accepté des lois -sociales que celles qui incombent à tout homme : la lutte et le travail. Ils étaient tout simplement des types de l'Hercule mythologique—des types à cheval.

A côté des travailleurs, avait aussi grandi une classe que nous pourrions appeler les frelons de ces prairies. Le voyageur qui voyait des cabanes en pisé, sans barrière, nues ou à peine ombragées de quelques arbres rabougris, chargés en été, en guise de verdure, de la poussière grise que le vent avait jetée sur leurs feuilles, ce voya-

— 352 — geur aurait pu lever la main et désigner hardiment du doigt ces ' maisons basses, à peine percées de fenêtres, comme des tapis-francs ou des cavernes qui avaient, chacune, plus d'un mystère à raconter. Ou plutôt, s'il avait connu le pays, il aurait pu évoquer et changer eu une action palpitant|J4''^^'^ ^^ ^*^^ ^^^ bouges semblaient cacher. [1 aurait pu écrire, noo comme un roman, mais comme une bonne et solide réalité, des courses de nuit à travers la prairie, des razzias d'animaux, des tueries de bœufs ù la clarté douteuse de la lune, et il aurait pti mettre au bas : Scènes des jyraivjcs attalopicniies.

Le jour, cette population dormait ou se chauffait, le ventre au soleil, comme d'S lézards. Le mot travail était inconnu dans ces bouges où grouillaient parfois une demi-douzaine déniants hâves et maladifs. Ja\ main qui fournissait le pain quotidien, et même quelque / chose de mieux à ces nuiisons, n'était point mystérieuse : leur pourvoyeur, tout le monde le nommait : c'était le vol.

Les classes dangereuses de ces prairies n'étaient pas que dans ces cabanes borgnes qui appelaient involontairement l'attention du voyageur. JOUes étaient aussi semées dans des maisons aisées ou le vol était un moyen certain de marcher ù la fortune.

Les preuiiers tuaient /les animaux, d'abord pour manger, ensuite ])Our faire, pour le compte des autres, l'appoint de quelque troupeau qu'on expédiait ensuite pour la Nouvelle-Orléans ou Galveston. Ils étaient des condottieri.

lies capitalistes dirigeaient les sorties, les expéditions, les coups de filet.

Prolétariat, aristocratie,—ces deux mots se coudoient fatalement partout, même au foudxJcs prairies attakaj)iennes...

Voilà les hommes chex qui les Canada s'étaient réfugiés après leur expulsion.

QUE FAISAIENT LES CANADA ?

(Je champ était, comme on voit.'d'une cxjjloitatioii facile, et les 1-auada étaient de rudes, mais intelligeuts défricheiirs.

S'ils avaient dit à ces bohémiens : faites cause commune avec

— sss —

noa, parce ,,„e non, .vons ea maille à partir avec les Comi..^, rtt V .g.lane». le, a„frc«, dr.„s leur e'goïsme de Toleur.. leur Tua ™, répondu comme Philippe : "uraien»

" Vou- avc7, reçu „„ soufflet sur la joue, peu nous importe • nous ne nous pnnions point Wespés." ^ F"'i.e.noas

M de Tali.yrand, qui croyait avoir invenjé la diplomatie annren dra,t..,l v,va,t encore, que sous la veste d'un raUro an gZl Mex,<,oe, „ pourra.t trouver, sinon des maître, du moilld»

Oc qui sait prouvera, croyons-nous, la diplomatie des Canada Chassé,. ,1, se m.reut à errer dans ces campagnes où leur pa;ole éta,t sure de fa.re tant de disciples, et ceux qui les auraient Ci Fhssant la nn,t comme des démons on des fantômes dans te ma on^ borgnes que nous avons fait conn»l;re, ceu.-là auraienr™ „« blotfssant à l'angle de quelque fenêtre, noyée dans de"; and" masses d ombre, les entendre souffler aux leperos. leurs auditeurs d« conseils que nous pourrions résumer ainsi :

" Jls étaient chassés, c'est vrai, non comme des n.alfaiteurs mais parce qu'ils tendaient la main aux pauv^s gens !-Ils étaient'cW ses, parce que, a tort ou a rai,,on, ils étaient soupçonnés de fendre la ma,n au.. pr«Iélaircs, et de la lenr tendre en échange de tran-sactions occulte, qui existeraient entre eux 1-Ils étaient chassés parce que. bien que jouissant personnellement d'une aisance incontestable, ou avait voulu qu'ils ouvrissent les premiers la longue Ion-gue liste de |,roscr,ption,q„i allait comprendre to« ks pauvre, de. cinq paroisses, &c., &c" ./'"«!•«» aes

I-es Canada annonçaient donc, ce qui était d'une fausseté insigne mais ce qu, tintera toujours comme un tocsin au cœur dos d^?^é

rites de ce monde: la déclaration de guerre des classes riches a„ prolétariat de ce pays. "

Non au prolétariat actif, pr6t à demander au travail son nain quotidien, comme dans la vieille Europe ; mais au prolétariat ê pins abject, le plus immonde qui soit au monde, celui de la pa esse

nlt.*^'"^^ ' "^ ''''' '' ''»' - '^^^- "¥ - -^aissL P-

Ils disaient que les Comités étaient, non la croisade de la société

contre les mal aiteurs, mais celle de celui qui possédait contre celui

qui ne possédait pas. ^^""

— 354 —

C'était la parodie, l'atroce parodie de la magnifique parabole de Lazare et du mauvais riche.

Le Christ, tant de fois souffleté par ces gens-là devant les triba-naux et ailleurs, avait encore la douleur de voir leur bave tomber sur son évangile. Les plaies de sa passion ont pourtant assez saigné depuis dix-huit cents anBi

A ce que semaient les Canada, il était facile de voir ce qu'ils allaient moissonner. Menacés d'être frappés dans leur pauvreté, frappés d'un autre côté dans leur vie de rapines, de déprédations,—rameau impur que le fer des Comités coupait impitoyablement partout où il semblait jeter ses feuilles,—les bohémiens des Attakapas décrétèrent une prise d'armes.

La Jacquerie allait prendre le fusil et écrire sur sa bannière ces mots : Droit au Vol I Droit au Pillage ! —Seulement, les Jacques anciens avaient des griefs légitimes contre leurs maîtres ; ceux des Attakapas n'avaient que les griefs d'une paresse invétérée qu'on voulait détruire à tout prix.

Décidément, notre Jacquerie n^avait rien de commun avec celle qui, au Moyen-Age, laboura si profondément le sol de l'Europe.

PREillER ACTE

Cependant il commençait à courir, dans la paroisse I^fayette, de ces bruits, venus on ne sait d'où, mais qui passent toujours dans le ciel, portés par nous ne savons quelles ailes mystérieuses dans les temps de crise. La police des Comités recueillait chaque jour des renseignements, et parfois mCme deè dénonciations anonymes, disant que les populations de la rivière Mermento, de Vermillon, de la prairie Robert et de l'Ile des Cyprès (paroisse Saint-Martin) étaient travaillé^ par des agents, prêchant de maison en maison la guerre du pauvre contre le riche ; et que ces agents faisaient ôe nombreux prosélytes qui étaient enrégimentés aussitôt sur les li-Tres d'une association dont personne n'avait la clé.

D'abord accueillis avec dédain par les ckefs des Comités, ce»

— 355 —

bruits avaient fini par prendre une forme et même par mettre en

relief des personnages qui avaient jusqu'alors joui des bénéfices de

la plus complète obscurité. On commençait à préciser les actes à

designer les noms propres. Les preuves dune prise darmes pro^

chaîne devenaient de plus en plus évidenteé. Dès ce jour, le Comité

de \ ermillonville ouvrit les yeux et les oreilles, et bientôt il eut un

pied et un œil dans tous les conciliabules de ses ennemis. Ce fut une

insurrection suivie, pour ainsi dire, heure par heure. Le secret est

fa plus grande force des conspirations : nos bandits semblaient ri<rno-rer. ^

Les meneurs, nous l'avons déjà dit, commençaieut à sortir de leur pénombre.

C'était John Jonc.,, un homme d'une quarantaine d'années Cet homme n'avait reçu aucune instruction, mais était hâbleur et exer-<:ait une certaine influence sur ses voisins, moins avancés que lui et qui écoutaient aveuglément sa parole, soit dans les élections, soit dans les différends de famille qu'il était parfois appelé à ré-lcr

Il était de taille ordinaire. Son teint brun accusait un sang plutôt castillan que français ; le soleil avait ajouté une couche de hdle a son visage, qu-un tempérament bilieux revêtait parfois de ces tons bronzes particuliers à la race arabe, peut-être son aïeule. Il gesticulait en parlant comme tous les individus de race méridionale chez qui le système nerveux domine. Il était le tribun naturel de ces prairies où les lettres fleurissaient beaucoup moins que les ronces et les cactus.

Du reste, il jouissait d'une certaine aisance qui devait lui donner une supériorité naturelle sur les bohémiens qui l'entouraient Quel ques esclaves cultivaient ses terres qu'il arrosait lui-même de ses sueurs ; son travail intelligent lui procurait d'abondantes récoltes Cet homme était plus qu'aisé, il côtoyait la richesse. Jusqu'à la journée dont il allait être le héros, sa réputation n'avait jamais été attaquée.

Derrière lui, se trouvait l'inspirateur de la journée, le serpent tentateur de ces populations que la paresse et des habitudes de vagabondage prises depuis longtemps allaient pousser à une prise U armes criminelle ; son nom était Wagner.

II était d'origine allemande et avait débuté comme économe dang ia paroisse Ste-Marie. Plus tard, il avait dit adieu à cette vie dont

— 3^6 — ïe travail et la vigilance sont les premières vertus, et il avait été s'établir à la Coulée Binney, le lieu le plus mal famé de la paroisse Vermillon. Dans son voyage de iète-Marie à la paroisse Vermillon, il paraît qu'il avait si bien étudié Lisfranc, Récamier, Cloquet, Gerdy, Ricord, Velpeau et autres princes de la médecine moderne, qu'à son arrivée il s'était fait annoncer sous le nom de docteur Wagner. Plus tard, le docteur avait été nommé juge de paix, ce qui avait mis le comble à son orgueil. Etre pris au sérieux comme médecin, rendre des jugements comme magistrat, lui paraissait le point le plus haut de l'échelle sociale. Il s'était cru une puissance de premier ordre, comme la Russie ou la France. C'était un rêve comme en font quelquefois les hommes créés pour l'obscurité, lorsqu'ils sont poussés en plein soleil par un coup de baguette du peuple... un rêve qui devait être suivi d'un réveil bien dramatique pour l'amour-propre de ce bon M. Wagner.

Cet homme infime, inconnu, avait cru qu'il briserait les Comités en se couvrant d'un mandat de magistrat..4.. mandat qui vaut ordinairement très peu d'argent aux époques révolutionnaires. Des hommes plus élevés que lui devaient être brisés par cette tempête. En général, le peuple est moins révolutionnaire qu'on ne croit ; il ne court aux armes que lorsqu'il souffre, et alors qui pourrait l'arrêter?

C'étaient encore : le nommé Jenkins, un Américain de haute taille, propriétaire ou directeur d'un moulin à scie sur la rivière Mermento ;

Dédé Islrc qui, pour vol d'animaux, avait été, pendant quelques mois, pensionnaire de l'Etat à Rutou-Rougo ;

Balthazard Plaisance qui, pendant cinq ans, avait joui du même honneur ;

Eugène ^//oité, bandit fieffé, déjà cité dans le vol de l'un des deux uniques bœufs de Mme Valmout Comeau, et à qui la malédiction de la noble femme devait porter malheur ;

Emilien La grange, qui devait prêter sa maison, comme forteresse, à l'insurrection naissante :

Sa concubine, veuve d'un marchand français, mort de la douleur que lui avaient causée les débauches de sa femme ;

La fille de cette femme, brune enfant de seize ans, qui brodait

— 357 — M)É^ 'VR Gantant, le drapeau qui devait couronner la maison le jour de la bataille. , Aî^||

Nous arrêtons ici la liste de ceux qui commençaient à préparer le terraiti révolutionnaire. Ceux que nous venons de nommer sont les fif^nres les p'as saillantes. Le regard de l'historien doit dédaigner de dr^cfndre plus profondément dans ce cloaque. On a conservé le souvenir de Mandrin et de Cartouche ; qui pourrait citer le nom d'un seul de leurs soldats !

PREPARATIFS

Si les meneurs s'étaient mis à l'œuvre avec la plus grande activité, le comité de Vermillonville, de son côté, avait ouvert les yeux. 11 était devonu, par ses agents, Tombre de tous ces conspirateurs de bas étage. Jamais conspiration n'avait été mieux étudiée.

TjCS agents s'étaient imposé deux tâches bien distinctes :

Recruter autant do combattants que possible ;

Se procurer des fusils, de la poudre et des balles.

Voyons comment ils accomplirent leur mission.

Les premiers, nous l'avons dit, avaient trouvé la tâche facile dans la zone de pays placée sous leur domination.

En parlant aux mauvais instincts des bohémiens des paroisses St-Landry, Lafayette et Vermillon, ils avaient pu trouver facilement et sans danger des oreilles tendues et des bras disposés à courir aux armes ; dans cette partie des trois paroisses qui court vers la mer, la mission était facile. La répression du vol et du brigandage y brisait tant de vocations, que les recrues 'de^ l'armée mystérieuse tlcvaient y abonder.

Mais il avait fallu aussi nouer des relations en dehors du théâtre où s'exerçait l'action de ces messieurs, notamment à Vile des Cyprès, district de la paroisse St-Martin où, à côté de nombreux habitants très honorables, s'agitait une population bohémienne des plus abjectes, et qui avait déjà fourni plusieurs noms à la liste de pros-<;ription dressée par le comité de St-Martin.

Alors, de même qu'il leur avait pris envie de braconner sur les

— 358 — terres des Comités, ceux-ci avaient éprouvé la même envie à Tcn-droit de leurs adversaires. Or, il advint qu'un matin, les citoyens de Vermillonville, flânant à la Maison de Cour ou au café Butcber, furent témoins de la scène suivante.

Ce même jour, on avait vu arriver à l'aube, un homme qui a acquis une fortune à vendre des troupeaux des Attakapas, au fleuve et k la Nouvelle-Orléans. Depuis quelque temps, cet homme sillonnait si souvent le chemin qui sépare la rivière Mermento de Saint-Martin que, à ♦ tort ou à raison,—à raison, croyons-nous,—le Comité de Vermillonville finit par soupçonner que ce vacher enrichi était un ambassadeur qui représentait MM. John Jones & Cie., auprès de cette puissance, non classée encore en géographie, qu'on appelle l'Ile des Cyprès. Or, comme tous les Comités ont pour mission d'être curieux jusqu'à l'indiscrétion, et que, surtout en ce moment où des bruits de guerre passaient dans les airs, leur curiosité devait être d'autant plus surexcitée,le Comité-Exécutif de Vermillonville lança un mandat d'arrestation contre le prétendu ambassadeur. C'était violer le droit des gens, mais en temps de guerre on n'y regarde pas de si près.

Cependant notre homme s'était aperçu de l'attention spéciale dont il était l'objet, et avait été faire couper sa barbe et ses cheveux chez le Figaro de Veitnillonville ;—pure modestie de sa part, car il était si bien connu que, passant sur la place de la Maison de Cour, il fut cerné par quatre promeneurs qui avaient l'air de s'occuper de .tout, excepté de sa chélive personne, et qui, après lui avoir dit en souriant qu'il était leur prisonnier et que toute résistance était inutile, le conduisirent devant le comité exécutif.

"D. G., lui dit le président, je n'accepterai do votre part ni excuses, ni explications. Le tribunal que je préside vous défend à l'avenir l'entrée de ce village. Si vos compagnons veulent la guerre, ils auront la guerre. Allez !"

Et l'ambassadeur, afl"olé de terreur, en paraissant devant celui qui venait de lui signifier cette sentence, était reparti, heureux d'en être quitte à si bon marché.

Cette expulsion coupa les communications entre le quartier-général de l'insurrection et l'Ile des Cyprès, car celle-ci ne fournit pas un seul combattant à la journée de la Queue-Tortue.

Quant à ceux dont la mission était d'acheter des fusils, de la

— 359 — pondre et des balles, leur mission avait été relativeœerit beaucoup plus facile que celle des recruteurs.

Et d'abord, ils avaient trouvé ouverts trois ou quatre marché? différents : Galveston. que les goëlettes de la Mcrmento et mênf>e de simples embarcations de pêcheurs visiteiit toutes les ^maines. Abbeville, le lac Charles, les Opelousas, et la Nouvelle-Orléans elle-même ou ils avaient de nombreux correspondants.

La poudre, le plomb, les balles, les bowie-knives et autres munitions et armes de guerre avaient donc été faciles à trouver. Le commerce ne connaît que le Dieu Dollar, cAac?m 5f7?f fa, comme dit l'Opéra Comique. Beaucoup de ses membres sont disposés à vendre, cent fois par jour, de quoi tuer père et mère. Du moment qu'ils sont payés, que leur importe !

Les achats d'arnies avaient donc été faits en divers lieux, et même au cœur des paroisses où régnaient en maîtres les Comités. A Vermillonville. les soldats de John Jones s'étaient même souvent présentés avec provocation dans les magasins en domandant-à acheter des munitions de guerre, dont ils déterminaient d'avance l'emploi ; demande îi laquelle on avait toujours répondu, soit par un refus absolu, soit par la vente de quantités insignifiantes.

Ix?s soldats de l'insurrection parlaient haut, comme des hommes déjà assurés de leur victoire ;—d'autant plus assurés, que le Gouverneur, qui avait déjà lancé sa proclamation, devait leur envoyer, disaient-ils, des soldats de rarmée fédérale, à l'aide desquels ils vaincraient facilement ces hordes de V^igiîantsqui voulaient chasser du pays les honnêtes et pauvres gens.

Septembre approchait et ces messieurs pariaient si haut que les Comités n'avaient plus besoin de veiller, mais d'ouvrir seulement les oreilles pour recueillir tout ce qu'ils avaient intérêt à savoir.

Ainsi, un jour, un homme de la Queue-Tortue, armé d^mi fusil, .s'était présenté à Vermillonville, chez un honorable négociant nommé M. Réveillon, et, après quelques achats, était remonté k cheval, oubliant son fusil. 11 était déjà parti au galop, mais quelques secondes après, il avait reparu devant le magasin et, reprenant son arme :

" N'oublions pas mon fusil, avait-il dit ; je pourrais en avoir be-«oin demain, ou dans huit jours." (On touchait au 3 septembre).

JJa autre bandit déjà nommé, [Eugène Alloué), avait rencontre

— 360* — un soîr, en revenant d'Abbeville, un habitant de la Côte-Gelée, étranger aux Comités de Vigilance, et lui avait montré un sac de postes qu'il venait d'acheter et qu'il rapportait trioraphalement chez lui.

" Pour qui ou pourquoi ces postes ? lui avait demandé l'habitant. Est-ce pour la chasse aa chevreuil ?.

—Non.

—Pourquoi donc?

— Pour la chasse à riioinme," avait répondu le bandit, en chargeant ses yeux et sa parole de toute sa haine contre une société qui roulait couper son industrie dans sa racine.

L'habitant avait fVissonné, car il connaissait le bandit qui venait de prononcer ces paroks, comme un homme capable de tout.

" Oui, pour la chasse à l'homme ! avait coniiiuié Alloué, en faisant cliqueter son sac de postes et en jetant au ciel avec bon poing, un geste de menace ;—toi qui vois les honnêtes gens, toi qui leur serres la main, dis-leur que moi et les miens, nous leur préparons une journée, et que s'ils résistent, nous tVrons des cribles avec leurs corps."

Et, en finissant ces paroles, l'horrible bandit avait piqué des deux, et s'était enfoncé dans la prairie en poussant un cri d'Indien ivre, cri faipilier îi la plèbe attakapienne.

Plusieurs avaient dit que, dans la lutte qui se préparait, ils égorgeraient d'abord deux hommes hautplacés de la paroisse Lafayett« : MM. Emile 3IoiUon, frère de l'ex-Gouvermur, et François JJaigle.

Enfin, au nom de ces mêmes anti-vigilants, on avait aimoncé officiellement et par tous les clairons, quun barbecue aurait lieu, h s^}-mcdi 3 septembre, à la maison d'Ernilien Lagrange, sur les bords dt la Coulée, dite Queue-Tor t uc ; <iii'on y recevrait à coups de fusil le Comité de Vermillonvtllc ; et que, si celm-ci ve se présentait pas, o»i irait planter le drapeau des anti-vigilants sur le clocher de Vermillon-ville et 7ncttre ce village à feu et à sang.

Jji lutte était donc imminente et se présentait avec les circonstances aggravantes d'une menace d'invasion si les Yigilants refusaient le combat ou essuyaient une défaite.

Une campagne devenait donc nécessaire ; le président du comité de Yermillonville s'y prépara avec le sang-froid et la prudence d'un homme d'Etat et d'un homme de cœur.

— 361 — Pendant qae les préparatifs de gncrre se font de part et d'auti'^, nous demandons la pernnisston de sortir du cadre austère de l'hig-toire et de décrire nnc .«^cène locale qui sera en même temps un tableau de mœurs. Du reste, tous les détails en sont historiques et notés, heure par heure, par un chef d'une ronde des comit<?^ de vigilance, qui. on risquant sa vie, fut le spectateur de la scène étran!:^e que nous allooS décrire.

UN BAL NEGRE

(-'était vers la fin d'août, à la frontière des paroisses Lnfayettc et St-Landry, dans la partie florissante et laborieuse de Lafayet.te qu'on appelle le Carancro.

Le soleil s'était couché derrière un banc de nuacrcs qu'il avait teint d'une couleur sançrlante ; puis la brise du soir avait chassé ces nuages dont les teintes de pourpre s'étaient décomposées à me-%uTe que le soleil s'élni|rnait de notre horizon, et la nuit était venue, calme, belle et éclairée d'une lumière sidérale, qui remplaçait presque celle de la lune.

C'était un de ces soirs où toutes les voix do la terre et du ciel disent tout haut le nom de Dieu,

IjC Carancro, dont les Vij^ilant". comme tous les autres, se disposaient à la lutte prochaine,—le Carancro avait vu s'éteindre, une il une. les lumières de toutes ses habitations, qui avaient d'abord rayé l'obscurité comme autant d'étoiles.

Une-seule, encore allumée, semblait protester contre ce silence et ce sommeil de cette riche partie de la paroisse Lafayette.

Celui qui se serait approché de la maison qui semblait avoir arboré, en guise de drapeau, cette lumière, celui-là se serait réfugié dans l'angle le plus sombre du voisinage, et aurait regardé, tout effaré, un spectacle que nous allons essayer de mettre sous les yeux de nos lecteurs.

Du nord, du sud, de l'est, de l'ouest, des ombres s'approchaient de cette maison par tous les chemins. Elles s'approchaient de cette Biaigon sans faire crier le sable ou la feuille égrainée parle vent sur

— 362 — les chemin?. Si le spectateur eût été'snperstitieux, il se fût cru au milieu d'une procepsion de fantômes. S'il avait été honime du monde, il aurait pensé au quatrième acte de Robeii-le-Diable, ou à un sabbat de .sorcière?, à minuit, dans un carrefour de forêt, légende qui a bercé notre enfance.

Seulement, si ces fantômes étaient entrés dans le cercle lumineux, le spectateur aurait vu des formes de chair et d'os et des yeux rayonnant même dans les ténèbres...

Ces formes étaient noires ou oranges.

Il y avait cohue d'hommes, tourbe de femmes.

C'était une procession d'esclaves se rendant à quelque revue mystérieuse.

Qui allait passer cette revue ?

Ces ombres se glissèrent dans la maison étoilée par une seule lumière Elles s'y glissèrent, une a une, en jetant k un gnome

assis à la poi'te un de ces mots qui ne sont connus que dans les dialectes parles dans l'intérieur de l'Afrique; puis, quand toutes les ombres furent entrées, on aurait pu voir portes et fenêtres se refermer, la lumière disparaître, et maison et prairie retomber dans une apparente obscurité. '

Obscurité apparente, avons-nous dit, car, en braquant l'œil à travers un des volets mal joints, on aurait vu dix, vingt flambeaux s'allumer à l'intérieur; un orchestre de banjos commencer à hurler ses notes aigres et criardes, et le plancher do la maison trembler sous des pas cadencés, d'abord lents, puis sexaltant à mesure que le banjo précipitait ses notes peu harmonieuses... puis se terminant par des bonds frénétiques, accompagnés de cri.s qui tenaient le milieu entre la douleur et la volupté.

Celait un bal de iièsrres... Dansez Calinda 1 I^e soleil d'Afrique cemblait s'être fait chair... et s'être incarné dans chacun de ces danseurs.

Un blanc se promenait au milieu de ces rondes furieuses, ivres, pantelantes, plongées, corps et âme. dans un plaisir qui ferait évanouir nos grandes dames... s'il ne les tuait pas... Rondes immondes., poèmes chorégraphiques mettant en action tout ce quelasainta Pudeur doit couvrir de ses triples voiies !

— 363 — tTLe mkno. passait à travers ces méandres de danseurs qne le hanjo avait enivrés avant le whiskey.

Un nèsrre entra, courbé sous une dame-ieanne qui paraissait pleine jus'in'anx bords.

" Buvez !' dit-il à la ronde infernale.

lies dix banjos se turent comme par enchantement. Le bîanc se retropva nu centre d'un cercle immense, et il versa à la ronde dei verres d'une liqueur blonde qui devait être du whiskey.

" Encore un coup, maître, disait l'un. *

—Deux coups ! trois coup? ! quatre coup? !

—Aujourd'hui !—demain !—toujours !

—Un coup pour vin^t-cinq coups de fouet !

—Trop cher I moi, à ce prix, je tends mon dos pour cinquante !

—Moi. pour soixante!

—Moi. pour quatre-vingtsS !

—Moi, pour cent !"

V.n vérité, les action^? montaient dan^ cette honorable assemblée de Bozais et de Conofos, que c'était effrayant ! O'est au point que le spectateur invisible de cette scène crut un moment que les actions montiiient de telle fiîcon qire ces drcMes demanderaient à boire d'abord a outrance.., quitte à être pendus... api es. ' I^es libations s'arrêtèrent.

" ]m danfic du nwvrhoir.' " cria le blanc, le sultan de ce noir harem.

Une négresse se détacha... puis un jeune mulâtre...

Puis commença cette danse... ou plutôt ce poème, rêvé par quelque Taglioni africaine sous un cocotier...

Ce poème, tout le monde l'a vu. aussi nous ne le décrirons pas.

C'est le poème échevelé, effrayant, de l'Afrique dansante. Il fait grincer ses banjos et passer ses danseurs délirants dans les rêves des adolescents qui se sont heurtés une fois à ces débauches de la chorégraphie africaine. An lieu d'être de la poésie, il pourrait s'appeler la fièvre. Ce poème, il ne peut être regardé que par les jeunes gens qui entrent dans la vie, ou les vieillards descendant de ceux qui profanèrent du regard le bain de la chaste SuzannG.i

Nous nommons cette danse... mais nous ne la décrirons pa^

Les nègres couvraient du regard la danse immonée et suivaient du fifcste et du cœur toutes les contorsions, tous les frémissements

— 364 — de la danseuse. Toutes ces figures, noires ou cuivrées, exjl^aient la plus complète béatitude... Il y avait presqr.e de la vie, presque nn reflet d'intelligence dans ces fronts déprimés, où le cerveau ne peut trouver assez large place...

La dame-jeanne fut apportée de nouveau. Le blanc daigna verser de sa main un filet de whiskey à chacun des acteurs masculins et féminins de la scène nocturne...

Puis du geste il rapprocha tous les anneaux de cette chaîne sata-nique, que Gallot eût croquée avec cette voluplé que connaissent seuls les grands artistes... ' '

Puis le blanc leur adressa ù voix basse des paroles mystérieuse!? qui furent recueillies par l'intrépide spectateur de cette scène, déguisé en nègre, et qui jouait héroïquement sa vie pour porter dans les ténèbres de cette nuit la lumière des Comités de Vigilance...

Puis roiides et libations continuèrent jusqu'à ce que le chant de l'alouette vint mettre fin à ce sabbat, comme elle interrompt l'adorable duo de Roméo et de Juliette...

Puis les .acteurs de ce bal reprirent silencieusement, et du même pas dont ils étaient venus, les chemins qui conduisaient aux habitations de leurs maîtres...

Et le courageux Vigilant qui les avait suivis, sorti sain et sauf de cette épreuve, où il pouvait être mis en pièces, remettait triomphalement, le lendemain, à son comité, un rapport un rapport

révélant que les Modérateurs, dont on annonçait la pri?e d'armes prochaine, devaient fomenter en môme temps une insurrection do nègres.

Nota.— Qu'on ne nous accuse pas de faire ici du roman, ce qui serait d'ailleurs impossible, car nous serons lu principalement sur le théâtre où se passe notre action ; c'est-à-dire dans un pays qui connaît les faits presque aussi bien que nous-même, et qui aurait le droit de nous blâmer sévèrement si nous faisions de l'imagination, quand la réalité est si triste et surtout si dramatique. Nous ne faisons pas du roraau, c'est vrai, mais notre histoire le coudoie sans cesse; et, quant au chapitre précédent, la meilleure preuve qce nous n'avons fait que de I4 vérité, la voici :

Ix; blanc qui avait donné ce bal fut chassé par le comité de vi-

— 365 — gilance^e Vermillonvilic ; il n'assista pas à la journée delà Queue-Tortne ; mais ce fut parce que le cœur lui faillit au deruier mo-ment.

UNE PATROUILLE VIGILANTE

Veut-on savoir si l'œuvre des Comités était une sii^écnrc ; si ces hommes séditieux, armés contre la société, comme certaine presse l'a dit si souvent, dormaient sur un lit de roses?—Voici une esquisse qui prouve le contraire.—C'est de l'histoire, toujours de i'hiatoire, rieu que de l'histoire 1

C'était un soir,—nous ne choisissons pas l'heure de la mise en scèae, c'est l'histoire qui nous la dicte.—le Comité de Saint-Martin devait fouiller, à quatre heures du matin, une maison de Wle des Cyprès, appartenant à un homme banni et qui, d'aprè.> les rapports, devait y passer la nuit, en compagnie de plusieurs autres vertueux citoyens, bannis comme lui. •

Ces gens-là rompaient souvent leur ban, disait-on, ce qui était un danger, non-seulement pour les honnêtes gens du quartier, mais encore pour Saint-Mariinville, déjà éprouvé par l'incenJie et la fièvre jaune, et qui, grâce à ce dangereux voisinage, pouvait être exposé aux chances d'un nouvel incendie.

Appel avait donc été fait à tous les Comités du voisinage, afin que tous les passages fussent fermés à ces bandits, en cas de fuite. Cet appel avait été si bien entendu, que ce même soir, tous les passages devaiv3nt être gardés dans une étendue de plus de vingt milles.

Il écait huit heures du soir,—la nuit était sombre, et vingt cavaliers environ étaient partis delà mdison du major St-Julieu.

Ces cavaliers devaient être répartis en trois escouades et garder trois passages : le Pont Ozanue, qui conduit au Coteau ; le gué de Théodule Morvan, seul point de sortie de l'Ile des Cyprès ; et le Pont St-Julien, trait d'union des paroisses Saint-Martin et La-fayette,—Pont voilé d'arbres gigantesques que la hache éclaircit tous les jours et que nous avons décrit ailleurs.

(Jhaque cavalier avait uu revolver de Coït à sa ceinture ; quel •

— 366 —

fiues-uns avaient des fusils, luxe inutile dans les étroits défilés que nos patrouilles allaient Billonncr. Le Major, chef de l'expéditioD. avait seul un faux-volant.

" Pourquoi cette arme? lui avait-on demandé.

—Pourquoi ? avait-il répondu en souriant, parce qu'on fait trop d'honneur à ces drôles en allant au devant d'eux avec des pistolets et des fusils... Des pistolets et des fusils, à quoi bon ? ça crache dea ling-ots de plomb qui peuvent tuer sans danger à vingt-cinq ou cinquante pas. Avec un volant, c'est différent. On les aborde et on leur dit, avec sa voix la plus douce : rendez-vous ! S'ils se rendent, c'est bien; s'ils résistent, on leur passe le volant autour du cou. doucement d'abord, comme un bras d'homme qui voudrait enlacer le cou d'une femme ; puis on leur dit une seconde fois : rcudez-vpus ! Ma foi, à cette seconde sommation, s'ils ne descendent pas volontairement de cheval, ou pèse sur le volant, et s'ils montrent la gueule d'un pistolet, on pèse encore plus fort sur le volant ; et s'ils continuent à y mettre de la mauvaise volonté, en pesant plus fort, on l'ait sur leurs cous une expérience qui ressemble fort à celle de la guillotine.

A un groupe de sycomores, ornement d'une habitation (celle de M. J.-B. Girouard) qui n'existe plus, les vingt cavaliers se divisèrent pour se rendre aux points déjà nommés : les premiers, au gué de l'Ile des Cyprès, (chef de patrouille, Dupré (iuidry) ; les seconds, au Pont Ozanne, (major St-Julien) ; les troisièmes, au Pont St-Ju-lien, (nous faisions partie de cette patrouille).

La nuit était belle et calme, comme celle que nous avons décrite dans un bal de nè^^res ; seulement, elle était plus sombre, si sombre que, sans la parfaite connaissance que chacun avait des sentiers et des chemins, les trois corps auraient eu de la peine à se rendre à leur destination.

Au Pont St-Julien, deux sentinelles avaient été placées k chacune des extrémités ; les autres cavaliers s'étaient enfoncés dans le bois pour allumer, dans une cabane abandonnée, un feu qui devait leur aider à passer leurs longues heures de veille.

Le feu allumé et le café fait, pendant que chacun accroupi autour du feu, comme dans les douars arabes, lançait silencieusement dans les airs les spirales bleues de la pipe, un qtii-vive .' sonore se fit entendre sur le pont.

— 367 — " Qxiï vive !" cria-t-on encore. Silence.

'" Qui vivel"

Nouveau silence, suivi d'un coup de feu.

Les fumeurs s'élancèrent et trouvèrent entre les mains des deux sentinelles un rôdeur des prairies, parti pour nous ne savons plus quelle expédition nocturne, et qui avait mieux aimé essuyer te feu que de répondre aux trois sommations.

" Où allais-tu, drôle, lorsqu'on t'a arrêté ? lui demanda-t-on.

—La nuit est belle et je me promenais," fit-il avec une indifférence toute stoïque, et en embrassant d'un regard assuré tous lea membres de la patrouille qui, eux, le regardaient des pieds à la tête... et cherchaient à surprendre son secret... s'il en avait un.

Le chef de patrouille ordonna que le rôdeur fût gardé à vue jusqu'au jour.

Celui-ci s'assit froidement au pied d'un -de ces arbres de haute futaie qui enveloppent presque entièrement le Pont St-Julieu deleuri branches ^gigantesques, et s'y endormit jusqu'au jour avec le «aime d'un fataliste.

Au jour, il fut relâché.

Cet homme était un émissaire des bannis de l'Ile des Cypref qui, au péril de sa vie, était venu reconaitre si les chemins étaient ouverts.

Le vol a, comme on voit, lui aussi, ses dévoués et ses enthousiastes.

Serait-il donc vrai, mon Dieu ! et la conscience hymaine pourrait-elle se tromper à ce point, qu'on trouve des hommes prêts à mourir pour les bonnes comme pour les mauvaises causes ?

La patrouille continua silencieuse au milieu de ces bois pleine des murmures de la nuit et du concert fantastique donné par le« cossardes, les sarrigucs et chats-tigres, aux fées de ces solitudes.

A trois heures du matin, un coup de fusil retentit : cette fois, il n'y avait pas à s'y tromper ; il venait de l'Ile des Cyprès, du lieu même que l'on devait fouiller.

Les chefs de nos trois patrouilles s'étaient portés en avant an bruit du coup de feu.

I^a patrouille du Pont St-Julien, enchaînée par ordre supérieur, à son poste, était restée à son bivouac. Mais on s'y entretenait ù

— 368 — voix basse, dans un groupe de deux personnages : l'un, brun comme un Espagnol de la plus belle eau ; l'autre, pâle, aux cheveux châtains, à la figure mélancolique ; une tête de vingt-deux ans, M-droyée, non par la douleur physique, mais par une souffrance morale.

" Aussi vrai que je m'appelle Valsain Broussard, dit le brun, ce coup de, fusil vient de la maison que doit fouiller cette nuit le Comité de Saint-jMartinville.

Oui, dit le jeune homme triste que nous nommerons Désiré

iiernard. De quels rangs est-il parti ? de la maison ou du côté des assaillants? je l'ignore ; mais, en vérité, il serait temps d'en finir avec cette guerre de buissons, et de rencontrer une bonne foie lc« bandits sur un champ de bataille quelconque. Une lutte au soleil, tt découvert, abrégerait considérablement les choses... tandis que ces querelles sont capables de nous ii>Qv, nous d'abord, puis, après nous, trois ou quatre générations.

• —Ilssontaux troisquarlsabattusdéjà.rcpritValsain; noschefs ont fait comme Tarquiu avec ses pavots ; par l'exil ou le fouet, ils ont décapité les plus hautes têtes de la truandcrie attakapienoe. Jl ne reste donc plus que les tronçons brisés du serpent qui étreignait notre société, connue un boa gigantesque; ces tronçons qui palpi tent encore, nous en aurons facilement raison."

Le beau et limpide regard de Désiré Bernard s'enflamma. *' Nous en aurons raison, dit-il, oui sans doute ; mais seulement s'ils se groupent, s'ils s'enrégimentent, s'ils s'exposent, comme on le dit, à une journée. Ce cas étant donné et s'il y a choc, le groupe qui représentera Vhonncur vaincra facilement le groupe représentant le CRiMK ; car ce serait alors un duel où Dieu lui même iuter-vieudrait, si nos bras n'étaient pas assez vaillants. Puisse donc ton désir ou ton présage se réaliser ! Mais faisons quelques pas et tu vas voir de tes ])ropres<yeux à quels hommes nous avons a faire."

Et Valsain Broussard et Désiré Bernard, deux créoles de laCôt^-Gelée, deux de nos amis, aurionS'UOus dû dire, rampèrent à travers les hautes herbes, l'un suivant la direction de l'autre : puis, a l'endroit le plus touffu, Désiré se redressa et désignant, du doigt, à Valsin. un arbre, aïeul de cette forêt, dont le vent berçait donce-ment les longues et flottantes draperies de mousse : »* Tu crois peut-f'tre que nous s«ir «s seuls, murmura-t-il d'un»

— 369 — voix BÎ basse, qu on aurait dit la voix à peine articulée d'un sylphe, —erreur, ami, nous sommes entourés ^'un réseau d'ennemis-iavisi-bles. Il y en a dans le lit du bayou Tortue, dans les herbes qur noua foulons, dans les branches qui sont au-dessus de nos têtes,—il y en a partout."

Valsain tressaillit ; —an silence qui régnait dans la campagne et qui n'avait été interrompu que par deux coups de feu, il ne se serait jamais cru en aussi mauvaise compagnie.

" Oui, nous sommes entourés, poursuivit Désiré ; mais heureusement nos ennemis sont lâches.. lâches comme tout ce qui est bête carnassière ou oiseau de proie; aimant le vol, ils aiment encore plus la vie. La proie les attire, miis, pour la dévorer, ils attendent et attendront toujours que le danger s'éloigne. Cette nuit, ils ne voleront pas, c'est vrai ; mais ce matin, en entrant dans leurs cabanes. la main et la bourse vides, ils diront, en parodiant, sans s'en douter, le mot de l'empereur de Rome :" Nous avons perdu notre nuit ! "

—Mais je ne vois rien, dit Val?ain. en essayant de déchirer avec ses yeux noirs, le rideau de ténèbres qui noyait presque entièrement alors hommes et cho.«es,

—Tu ne vois rien ? Kh bien ! ten^s tes regards vers cette branche qui se balance à vingt pas de nous. L'œil qui est foit pour contempler le soleil, peut lircauFsi, à livre ouvert, dans les ténèbres ; autrement, où serait le motif du titre que, du reste, nous nous sommes donné assez arrogammcnt nous-mêmes : celui de rois de la Création ? Au milieu de ces longs voiles de barbe espagnole, regarde, et tu verras, comme je la vois, une tête d'homme, sentinelle perdue qui observe nos propres sentinelles... Autant que je puis en juger, cette têt» n'est pas ou ne doit pas être belle ; mais que veux-tu y faire? Depuis que le christianisme a détrôné la mythologie, les Apollons du Belvédère et les^ Vénus blondes n'abondent plus sous lafeuillée.

—.Te vois ! je vois ! murmura Valsain.

—Eh bien ! .fit Désiré, il y eu a dix, vingt, trente peut-être encore ; c'est-à-dire quatre fois plus qu'il n'en faudrait ponr nous cou-cher tous dans les herbes du bayou ; mais, je l'ai dit, ils sont lâches ; un couteau les fait fuir ; une gueule de fusil ou de pistolet leur donne la fièvre ; c'est heureux pour nous, mais quel séduisant avenir pour le pays, que l'éternité du vol ou du brigandage ! Un chancre indéracinable] un cancer sans fin L. AhJ vienne donc une bataille avec

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ces hommes ! nne bataille où chacun de nous étreindra un ou plusieurs de ces hoinmes et Tes écrasera sous ses pieds comme de» reptiles !

—Cette bataille, tu l'auras, dit Talsain ; et, selon toutes les pro-» habilités, la semaine prochaine.

—Dieu t'entende et t'exauce ! Mais, en attendant, laisse-moi envoyer une dragée h. cette chouette de malheur qui nous observé peut-être nous-mêmes du haut de son perchoir."

Et, ce disant, Désiré braqua son fusil dans la direction de l'arbre aux draperies de mousse.

La capsule seule éclata et raya les ténèbres comme un éclair.

De l'arbre se détacha aiïssitôt une forme humaine qui se perdit! dans la forêt en poussant un cri d'épouvante.

Tous les autres oiseaux de nuit vont s'envoh'r. reprit Désiré ; re-plionS-nous sur nos sentinelles. Du i-este, le ciel blanchit et nous saurons vite à quoi nous en tenir sur le coup do feu de l'Ile des Cyprès.

Une demi-heure après, en effet, comme le jour se levait, les chefs de patrouille étaient de fctour et rapportaient ce qui s'était passé îi rile des (Jypres.

A trois heures, le Comité de Saint-Martinville avait d'abord investi la maison où l'on supposait ((ue les bannis avaient passé la nuit ; puis, agissant sur l'ordre de leur intrépide capitaine, les Vigilants avaient franchi la barrière de la cour, et c'est pendant que l'un d'entre eux exécutait cet ordre que son fusil était parti. Les Yig'ilants étaient ensuite entrés, le pistolet au poing, dans la maison qu'on leur avait ouverte sans résistance, lavaient fouillée de fond en comble et avaient fait buisson creux, comme ou dft ea termes de chasseur. Puis on avait fait de pareilles visites chez la veuve lîulin et chez les Picard ; l'une mère, les autres père et frères de bannis dont nous avons conté les exploits dana une autre partie de ce livre. Là encore, toutes les recherches avaieut été inutiles. Les Comités avaient donc été ou trompés par leurs agents, ou bien les bannis s'étaient réfugiés dans ces cachettes mystérieuses de rile des Cyprès dû Valéry Picard, blessé à Saint-Martiuvilïe, ù l'attaque du magasin Tourneu. avait langui plus d'un mois, au pied d'un arbre, et ù'oh il était ensuite sorti de nuit pour se diriger a cheval vers la Merraento.

— 371 —

Le major Saint-Julien venait de relever les trois postes qnî avaient fait une veillée inutile, et chacun se retirait désappointé et insensible au spectacle du soleil levant qui commençait à inonder le ciel orientai de ses millions de gerbes lumineuses, lorsqu'un aulky leur apparut, fendant la prairie Sauvé, entouré d'une auréole de poussière.

" J'ai à vous parler, !Major," dit le propriétaire de cette voiture.

Lautomédon et le Major se retirèrentù quelques pas de distance. Dans celui qui portait sans doute quelque nouvelle grave, on avait reconnu M. Murr.

AUGUSTE MURR

Il était en ce moment cinq heures et quelques minutes du matin et le soleil levant faisait flamboyer une goutte de rosée au bout de chaque brin d'herbe.

Pendant que le Major et. M. Murr échangent, à quelques pna des cavaliers, des paroles à voix basse, disons ce qu'est Auguste Murr.

C'est un enfant bon, loyal et courageux de cette Alsace qui a donné Klébcr à cette mère nourricière de tant de grands hommes et de génies qu'on appelle la France. Brun, le visage estompé par le sang ou par le soleil di> Sud qui s'entend mieux à ombrer lc8 fronts que les pinceaux des maîtres les plus célèbres, il était venu s'étal^lir à Ycrmillonville, il y avait deux ans, avec sa jeune et intelligente compagne, qui y avait fondé une institution florissante de demoiselles. Murr s'était jeté tête et cœur, corps et âme, dans l'insurrection vigilante, d'où devait jaillir la régénération attaka-pienne.

Nous avions la certitude que, en ce moment, il voyageait au nom de notre cause ; son eitrevue secrète avec le Major donnait d'ailleurs, à son voyage, sa véritable couleur.

Nous attendions.

Api es un serrement de main entre les deux interlocuteurs, Murr remonta en snlky et se dirigea, avec la rapidité d'une floche, vers

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le bayou Tortue, dont les hauts arbres étincelaient, à un raille de cous, au soleil levant ; et le Major vint à nous, le sourire aux lèvres et le visnge rayonnant.

" Messieurs, dit-il, je viens de recevoir une lettre du gouverneur Mouton, qui me dit que, le 3 septembre, il doit y avoir, à la Queue-l'ortue, un rassemblement composé des bandits que nous avons chassés, assistés d'autres bartdits qui désirent probablement accompagner les premiers dans ce dur voyage de l'exil qu'ils n'ont pas fait encore, mais que nous les forcerons bien de faire. Vous recevrez des ordres ultérieurs. Kn attendant, préparez vos armes, et n'oubliez paa que,le 3 septembre, nous monterons tous à cheval.

"M. Mnrr, contiima le Major, va porter, aux comités de la paroisse St-Martin, des ordres pareils h ceux que je viens de recevoir. C'est pour nous une question de solidarité. C'est vous dire que je compte, ce jour-Jà, sur tout mon comité. Je n'excuserai que les malades.—Allez, messieurs !

•—Aux armes ! "

Tel fut le mot qui sortit, plutôt comme une explosion que comme un cri, de toutes les poitrines.

Puis une voix entonna l'immortel refrain de la Marseillaùe :

Aux nrmcp, citoyens ! formez vos bataillons! Marchons ! qu'un saîig impur&hre\i\onoB sillons!

Les vingt cavaliers, y compris le Major, répétèrent en chœur l'électrique refrain ix'publicain.

Qu'un sang impur abreuve nos ^illçns .'

Depuis reufautemcnt du chef-d'œuvre, ces mots n'avaient peut-C'tre jamais reçu d'application plus méritée. •

Sang impur eu efîet I car les événements allaient amener le choc des Comités avec toute l'écume attakapieune.

MISSION BIEN REMPLIE

Cependant Murr avait continué sa route à travers le bois qui fait au pont St-Juliea une ceinture luxuriante que la hache diminue

. 373 —

tous les jours, au grand regret du voyageur, car jamais ceinture de fée ne fut plus riche,

li avait franchi, de toute la rapidité de son cheval, le pont qui est comme la sentinelle de l'immense prairie de l'Ile des Cyprès, qui est à la fois, pour St-Martin, un luxe et un fléau, et était arrivé, toujours eu galopant, à ce village placé sous rinvocaliou du saint qui, obéisKant au divin précepte de l'Evangile, donna autrefois la moitié de son manteau à un pauvre.

En descendant de voiture, il avait couru chez Désiré Béraud, le chef chevaleresque du comité de St-Martin.

" Une' lettre du président du comité de Vermillonville ! '* avait-il dit.

Désiré avait lu.

" Votre président nous donne rendez-vous pour le 3 septembre. Nous y serons, et nous lui disons merci de uoné convier à pareille fête."

Et Murr, heureux d'avoir si bien rempli sa missron, était reparti.

Il avait été porter pareil message à Louis Savoie et Alfred Voorhiee, du Comité de la Pointe.

" Merci ! " avaient dit ces messieurs.

A Dupré Patin, de l'Anse-à-la-Butte, et Dupré Patin lui avait dit :

" Merci ! "

A Béguenaud, du Pont-Braux, et à notre brave et chevaleresque Domingeau, de la Grande-Pointe,—et Béguenaud et Domingeau avaient dit :

" Merci !"

La parole dite dans la prairie Sauvé et répercutée par Désiré Béraud, avait donc trouvé de l'écho partout.

La sociçté n'avait donc rien à craindre de la bataille qui se préparait, puisque tous les Comités se disposaient à y prendre une part active.

Ainsi donc, les bandits qui avaient fait les premiers préparatifs de cette journée, allaient être enfermés dans un de ces cercles de fer qui se trouvent dfcns l'enfer du Dante J Ainsi ils couraient d'eux-mêmes au devant des fusils et des revolvers qui leur livraient depuis quelques mois une chasse si active !

Inutile de dire que d'autres messagers avaient semé dans les pa-

— 374 — roisses Yerir^ilton et Saint-Landry la bonne nouvelle de la prochaîne prise d'armes, et que Sarrazin Broussard, Numa Nunez, Foreraan, Stanton, Mag^^y et Désiré Hébert, les frères Lebleu et autres vaillants jeunes gens de Oalcassieu, sommés de se trouver en armes, le 3 septembre, à la Queue-Tortue, avaient répondu comme les autres : " Merci ! Merci !"

UN YILUGE CHANGE EN CAMP

Il est de ces contrastes qui passent inaperçus pour les homme» ordinaires, et qui ravissent les peintres, les poètes, tous les artistes qui clierclient la vie en dehors des chemins battus par les roues des voitures de poste ou des wagons h, coton.

Nous avons à peindre un de ces contrastes.

Avcz-vous vécu dans un de ces heureux villages où l'angelus roule trois par jour dans lo ciel sans qu'aucun bruit, aucune imprécation terrestre se mêlent îi sa mélodie ac^rienne ?

Un de ces villages de la Louisiane où les femmes passent dans les rues, à demi-cachées sous leur voile vert où sous leur voilette de gaze, gracieux bouclier contre la poussière et les moustiques,— (jui remplace, au dix-neuvième siècle, le loup de satin, dont se couvraient les grandes dames du Moyen-Age?

Un de ces villages qui rappellent le calme de la mer, tant la vie Y est douce et régulière ; tant la cloche y tinte des heures monato-iies ; tant le lendemain ressemble à la veille ; tant on y recueille avec avidité les i)rimeurs des petites villes claustrales—primeurs qui peuvent sa résumer eu trois ligues, ou plutôt en trois tintements de cloche :

Tintements pour baptême ;

T'intements pour mariage ;

Tintements pour enterrement ? • ^

Un de ces villages où les journalistes n ont a enregistrer, commet nouvelles, ([ue les faits sur\-ants :

M. et Mme X vieunent de faire baptiser leur premier enfant. C'e&l

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«ne fille ; elle est belle comme sa marraine... On lui a donné le nom de Résina.

Oa bien '.

Marié lo... par le R«^v... Mlle E. à M. L.—Manée. chaste et roiiçis-«ante pous son voile Hanc et sa couronne vir^îriHle. .Tonne homme succombant 8008 Je poids de son bonheur. Dieu leur donne longue vie I

Ou bien :

Décédéd le... Mlle... à l'âge de dix-sept ans, trois mois et huit jours.

Cercueil blnnc, couronne d^ ro.«>es blanches,—insignes de mariée sur un cercueil. Fleurs éphémères, symbole de la vie qui vient de s'éteindre. Fian<;'ai]]e8 de la jeunesse avec le ver du tombeau. Madone de Raphaël, souillée par ce mauvais rapin qu'on appelle lu moit ;

et pour compliment ;

Et roeo— elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin !

Une cavatine de Rossini, violée par un misérjiblô orgue de Bar-liarie î

Le type de ces villages, où la chronique ne glane que sur les bonheurs et les malheurs de la vie ordinaire, c'estVermillonville.

Quelques jours avant le 3 Feptonibre, le voyageur qui l'aurait vu sous l'impression des événements qui allaient se passer, aurait eu quelque peine à le reconnaître.

De nombreux voyageurs encombraient les hôtels Rigues et Mar-toune. Il y avait cohue au café Jiutcher ! cohue au café 1^'chard I eohue à la Maison de Cour !

Hier, Vermillonville était calme comme un village suspendu sur le flanc des Alpes suisses ; le lendemain, c'était un camp.

On y fondait des balles ;

On y faisait des cartouches et des gargousses, comme à la veille d'une bataille.

Les deux forgerons du village, Lacoste et Billaud, en collectiou-aant leurs débris de fer rouilles, avaient même poussé les préparatifs guerriers jusqu'au luxe des sacs à mitraille.

Or, la mitraille serait utile, puisque le village possédait un canon «3e six.

Ce canon, en bronze, luisant comme un miroir et entretenu avec

— 376 — amour, depuis des années, par un Anglais, nommé' Georges' Reinerj qui s'est voué à lui, comme Quasimodoaux cloches de Notre-Dame^ ce canon, le gouverneur Mouton l'a obtenu de l'Etat pour le village de Yermillonville.

C'est pour la gueule de ce canon que l'on prépare de la mitraille.

On lui réserve donc un rôle pour la journée du 3 septembre.

Qui sait?... cette pièce que le gouverneur Mouton a obtenue pour ses compatriotes, et qui n'a jamais toussé que pour le 8 Janvier, le 4 Juillet et les autres anniversaires patriotiques,—cette pièce jouera peut-être un rôle dans la journée du 3.

Elle est brillante comme si elle sortait de l'atelier du fondeur, cette pièce ! et pourtant elle nous rappelle un vieux souvenir I

C'était en 1848.

La République française, à laquelle nous avions toujours cru, nous avait montré, à travers les m*ers, son drapeau qu'elle avait hissé, au milieu des éclairs du 24 Février.

Un Te Deum devait être chanté à St-Martin, le 29 avril; et nous, et bien d'autres qui croyions à l'avenir républicain de la France, nous avions convoqué à ce Te Beum tous nos amis, de toutes les nationalités, comme pour faire bénir de Dieu la liberté future de tous les peuples.

La paroisse Lafayette vint, elle aussi, à flots, à St-Martin, par une pluie battante, protestation de Dieu, peut-être, contre une œuvre qui ne devait pas durer.

Elle avait amené cette même pièce de canon, qui tonna si bien pendant le Te Deum chanté par l'abbé Dtifour, qu'elle fit voler en éclats presque toutes les vitres de l'église où retentissait le magnifique chant de triomphe.

Yous en souvenez-vous, A. D., vous qui venez de porter votre intelligence et votre intégrité sur les bancs de la Convention loui-sianaise ?

Vous en souvenez-vous. Major ?

Pendant les jours qui précédèrent le 3 septembre, ce canon était non-seulement choyé, mais encore gardé à vue.

Le jour, on le laissait libre de montrer aux "passants une gueule prête à mordre ; mais la nuit, c'était bien différent.

Le jour, de la flirtation ; mais la nuit, comme on craignait qu'il ae fût enlevé par les insurgés, on faisait autour de lui bonne garde;

— 377 —

Jamais Bartholo ne garJa mieux Rosine.

Vermillonville voulait le garder pour lui.

On le gardait donc, mais tout eu se disposant h, le bourrer de fleurs... et de mitraille.

De mitraille d'abord, pour qu'il remplît son rôle de canon,—«-ôle de tueur qui lui est assigné depuis l'invention de l'artillerie, et sans lequel il n'aurait pas de raison d'être; de fleurs ensuite, s'il remportait la victoire ; car les fleurs sont la meilleure draperie qu'on puisse jeter sur le sang.

On soignait donc cette vaillante et luisante pièce de six, comme' un directeur de théâtre soignerait son premier ténor, la veille de la représentation d'un opéra de E-ossini ou de Mejerbeer.

Puis on se donnait rendez-vous pour le samedi aux lieux et à l'heure assignés d'avance parles chefs des Comités.

On était alors au jeudi, et le lendemain, vendredi, chaque chef devait passer, dans son district, la revue de ses forces.

Ce jeudi, avant-veille de la journée, un phénomène singulier^^se produisit. ■ Ce phénomène, c'était une Aurore Boréale.

Ce fut comme la réverbération d'un immense incendie qui aurait dévoré les campagnes attakapiennes. En voyant ce ciel teint de sang, ceux qui n'avaient pas la clé de ce coup de théâtre physique, crurent à un désastre annoncé par le ciel.

Ces croyants furent heureusement le petit nombre ; ils brillèrent, le lendemain, dans les rangs des Comités par leur absence.

Mais qu'importait aux Comités!

Au lieu d'une poignée de cavaliers, les cinq paroisses allaient kur envoyer une armée.

PLAN DE CAMPAGNE

Nous l'avons déjà dit : les Comités avaient été parfaitement informés, jour par jour, heure par heure, pourrait-on dire, de la marche et des progrès de la conspiration qui touchait à son cinquième acte. Ils en connaissaient les chefs, les instigateurs., les earôleare et,.

— 378 — à quelques hommes près, le nombre des combattants que tous les rapports s'accordaient à évaluer de deux cent cinquante à trois cents.

. Ils connaissaient aussi le théâtre de l'action, si action il devait y avoir. C'était une vaste maison, aux murailles en troncs d'arbres, crénelée sur ses quatre faces, ainsi qu'un magasin construit à la façon du log-cabin.

Cette maison appartenait à un homme de très mauvaise réputation, ré]ion(lant au îiom d'Émilien Lagran^j^e. I^a veuve d'un Français nommé Valc'tte, mère d'une grande et belle jeune fille, s'était faite la concubine de cet hoinme.

La jeune fille vivait sous le même toit et pouvait compter un îi un les jours de déshonneur de; sa mère ! victime promise, elle aussi, à ce ijiinotaure qu'on appelle la débauche !

Faisant face à la coulée de la Queue-Tortue et à la forêt, cette maison était de plus adossée à un bois de houx où l'on avait taillé des chomius en zig-zag, d'une utilité incontestable si l'on engageait, en dehors de ces fortifications, un combat de tirailleurs.

Une main experte avait choisi ce thérure et présidé à l'érection des fortifications. Cette main était celle d'un ex-sous-oflicier de l'armée française, nommé Gautier, décrété d'arrestation, le 2 septembre, par le Comité de la rivière Mermento, et qui avait échappé au châtiment sommaire qu'on lui préparait, en s'enfuyant. la nuit, à Galveston, à travers le golfe... Il n'était pas le seul mercenaire qui eût vendu ses services aux bandits de la Queue-Tortue. Il devait y en avoir un autre, un descendant de celui qui vendit le Christ pour trente doiiier^.-. Xous le nommerons dans le récit de la journée du 3 septembre.

Les Comitéi; savaient aussi que le motif apparent de la réunion qui devait avoir lieu le 3 dans cette maison, était un barbecue, et qu'à ce barbecue, d'autant plus étrange qu'il ne s'agitait en ce moment aucune question politique, le Dr. "Wagner, déjà nommé, devait prononcer Vappcî aui armes.

Le terrain où l'on allait s'engager était d«nc parfaitement connu ; connus aussi étaient les personnages.

Il était Sicile de V>atir sur les données qui abondaient un plan de iCarapagne ; voici celui qui fut adopté.

11 fut Cv^nvena d'abord que les Comités arriveraient devant la

"Z?1^-

— 379 — maison forti6ée avant le commencement du barbecue, c'est-à-dire avant que l'orçie et le vin eussent échauffe les têtes et donnéàlen-nemi l'énerfrie passagère de l'ivresse ;

^ Que les Comités partiraient des paroisses Vermillon, Calcassieu, Saint-Landry, Saint-Martin et Lafayette, de façon à arriver sur le terrain de neuf à dix heures du matin. Cette marche, si simple, était en même temps de la plus haute importance ; car, commençant simultanément aux quatre points cardinaux, elle fermerait toutes les avenues, interromprait toutes les communications et envelopperait la maison fortifiée d'un immense réseau d'hommes.

Ordre avait été aussi donné de courir sus à tout cavalier, étranger à l'association des Vigilants, qui serait trouvé armé dans les prairies ; de lui ordonner de déposer les armes ; de le faire prisonnier s'il les déposait volontairement et de le tuer comme un chien, s'il résistait.

Enfin, de peur d'une diversion possible, sinon probable, des bandits qui auraient pu jeter une partie de leurs forces sur les derrières des Comités et semer l'incendie et le meurtre dans nos campa-g:nes, de fortes patrouilles avaient été placées à l'entrée de tous les chemins avec la consigne d'arrêter tout voyageur inconnu et d'interdire la circulation à tout le monde.

Devant la maison fortifiée, l'on s'inspirerait des lieux, des accidents de terrain, enfin do tout ce qui paraîtrait favorable à lattaque.

Une pièce de six essaierait d'abord d'ouvrir une brèche •

Vermillonville engagerait le combat ;

Puis tous courraient à l'assaut, selon leurs postes de bataille.

Ce plan était simple, comme on voit ; mais, l'attaque devant avoir lieu à découvert, on échapperait ainsi aux décimations de la fusillade et l'assaut serait d'autant plus court qu'on se trouverait rapproché de l'ennemi à une longueur de pistolet ou de poignard.

LES CHEFS

Les Comités connaissaient aussi leurs chefs.

Le véritable organisateur de la journée s'appelait John Jones ; son vrai nom était Jean-Baptiste Chiasson.

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Il était de taille ordinaire. Sa chevelure brone, son teint bistré, 8a constitution flèche et nerveuse, tout annonçait en lui le bouillonnement (lu sang espagnol ou portugais, plutôt que celui de la race gauloise, qui courait aussi dans ses veines. Dans cette figure anguleuse qui trahissait tous les détails anatoniiques du /acîC5, il y avait comme une étampe laissée par le soleil d'Afrique. Dépaysé et transporté dans un rronrhi de l'Algérie, on l'aurait pris facilement pour un Arabe de Hlidah ou d'Oran.

Il possédait Une habitation dans le voisinage de celle d'Êmilien Lagrange, et l'exploitait avec quelques esclaves qu'il avait acquis par son travail. La supériorité relative de sa fortune sur celle de ses voisins lui avait donné sur eux une influence qu'il avait accrue par l'abondante fluidité de sa parole. 11 rappelait ces ruisseaux des Alpes et des Pyrénées qui roulent du poison dans leurs vagues limpides. Ses voisins l'écoutaient comme un oracle. Sa réputation était bonne et complétait le crédit qu'il s'était créé.

Jones était du reste un diamant brut que l'éducation, ce divin lapidaire, avait oublié de polir. 11 savait un peu lire,h peine écrire, ce qui ne l'avait pas emp^'cbé, l'orgueil aidant, de se croire un flambeau destiné à éclairer la société.

Cet homme sans instruction, sans énergie (il devait le prouver dans cette jonrnée du 3 septembre), cet homme avait épelé la proclamât ion du Couverneur contre les Comités et l'avait lue ensuite, à peu près couramment, aux pirates des prairies, ses voisins. Il avait ensuite appelé à lui tous les hommes de professions douteuses, tous les aventuriers, tous les voleurs, et Dieu sait s'ils abondaient dans les prairies attakapiennes ; il les avait appelés h la croisade de ceux qui n'ont rien contre ceux qui sont riches ; avait fait acheter dans tous les villages de la poudre, du plomb, des postes, tout ce qu'achètent les Indiens lorsqu'ils vont déterrer leurs tomahawks de guerre ; avait préparé dos créneaux à une 'maison ; avait ensuite envoyé une provocation aux Comités. A leur arrivée, il devait être saisi d'une terreur panique et voir finir son épopée héroï-comique... par le fouet.

0 Schiller I reconnaîtr-ais-tu là ton Karl Mot 7

Auprès de John Jones brillaient, comme autant de constellations, beaucoup trop éclatantes, quelques lieutenants dont nous allons essayer d'esquis»er les traits.

— 381 — j C'était d'abord Dédé Isfre.

Xstre était le Goliath de ces prairies. Grand comme un de ce? Patagons qui parcourent à chevalles pampas,^ avait passé, lai ftosëi, sa jeunesse à cheval dans les solitndes de la Sabine et dv. Texas, avant que le Texas fût devenu une nation. On disait qu'il avait fait partie de ces giicnllas qui avaient si longtemps désolé nos voisins d'outre-Sabine, en pillant, tuant, brûlant, comme les Condottieri du Moyen-Age et qui avaient enfin nécessité, là-bas, comme ici, l'emploi des Comités de Vigilance, le seul remède héroïque pour les sociétés malades. Rejeté sur notre sol par la crainte des procédés sommaires de la justice texienne, il y avait apporté ses habitudes vagabondes, sa vie nomade et aventureuse. Uu de ses frères avait été au bagne et lui-même l'avait côtoyé plus d'une fois. Sa main était drpuis des années dans toutes les affaires qui avaient défrayé la chronique de notre justice criminelle. Grâce à sa force herculéenne, il s'était talilé dans nos prairies une espèce de royauté, contestfée tout bas, toujours reconnue tout haut par ceux qui vivaient dtis son dangereux voisinage. Le règne du poin^existant alors ici, comme dans toutes les sociétés primitives, Istre lui avait dû l'impunité et le silence—double voile dont il avait chastement couvert ses crimes. Il était comme ITsis égyptienne, il avait toujours tenu sa vie masquée, sinon voilée.

Jenkins était de cette race kcntuckiennc, forte comme les chêncp verts, ces géants du Nouveau Monde. Nomade comme tous Icf hommes de race américaine, qui sont aujourd'hui ici. demain la-bas, et semblent céder à une voix d'en haut qui leur crie sans cesse, comme au Juif-Errant : Marche ! marche !—il avait erré, comme le vieux Isaac Laquedem ; avait vu le Mexique, les îles Sandwich, Ift Californie et avait fait avec "VValker la pittoresque expédition delà Sonore. Blessé au bras par la flèche d'un Apache—flèche trempée d'un poison qui tue, dit-on, mieux que l'obra-capella ou l'aspic— non l'aspic de ce pays, dont le nom et la livrée sont menteurs, mais celui qui piqua le bras 4fi Cléopâtre ;—il avait fait mentir la vieille réputation de ce poison, et s'était guéri lui-même, Satan aidant. Campé à la Queue-Tortue depuis quelques années, il n'avait pas tardé à y conquérir une réputation à la hauteur de celle de ses voisins. Ce chef d'insurrection, qui portait sur son front le hâle du so-loil de vingt climats, comptait à peine de trente a trente-deux ans.

Emilien Lagraiige, cxAm. qui avait changé sa maison en citadelle pour résistor aux Comités de vigilance, était un jeune homme de trente-quatp^ ans. Brun comme un P^spagnol, et ayant même comme un reflet de la race castillane, il avait mis sous son toit, nous l'avons dir déjà, la veuve d'un Français mort à Vermillonville qui, en collaboration avec sa fille, âgée de seize ans, avait fait le dra* peau de l'insurrection.

Quant à sa moralité, nous la jugerons avec une parole et une autorité bien supérieures à tout ce que nous pourrions en dire nous-raôme.

Le soir de la journée du 3 septembre, le gouverneur Mouton, passant la n'vuc des pri.sonniers. et apercevant John Jones et I^agrange, dit au premier avec douleur :

" John, je suis étonné et affligé de vous voir ici."

Puis, allant à Lagrange, et le regardant avec une expression de mépris indicible :

"Quant à vous, lui dit-il, je vous trouve côte à côte avec ces misérables ; je n'en suis ni étonné, ni afflijîé."

On nommait aussi des figures de second et de troisième plan, pour jiarler la langue des peintres ; de ces figures (jui semblent sortir de dessous terre il l'aube des révolutions politiques ou sociales.

On nonmiait :

Balthazar Plaisance, qui avait expié un parjure par cinq ans de bagne ;

Eugène Alloue, vagabond fîeflTé, forcé de quitter la Côte-Gelée pour mille déprédations connnises par lui, depuis qu'il avait l'Age d'homme ;—Eugène Alloue, le héros d'une anecdote qui nous a été racontée par son défenseur lui-même et que nous voulons répéter à notre tour à nos lecteurs.

Eugène avait été mis en cour pour vol.—Témoignages évidents comme le soleil.—Fusées d'éloquence du défenseur.—Acquittement prononcé par le mot sacramentel : Not guiltij I —L'accusé ue bougeant pas. l'avocat alla à lui : •

•' Tu es libre, lui dit-il.

—Pas possible ! " répondit l'autre. Le drôle ûë croyait pas à la possibilité d'un acquittement.

— 383 —

LE 3 SEPTEilBRE

]ji 3 septembre était r.rriv6.

Dès quatre heures d(i matin, heure convenue pour commencer le mouvement, le major St-Julieu traversait le pont Vermillon, à la tête de cent vingt hommes armés jusqu'aux denl^ et pleins d'en-thou-siapme.

Le silence régnait dans les rangs ; les premières lueurs du soleil commençaient à peine à mettre en lumière les canona de fusils et de revolvers.

A cinq heures du matin, ce magnifique détachement de cavalerie laissait derrière lui la belle avenue Crow et passait dans les rues de Vermillonville, sans y faire halte ; puis, marchant fraternellement et côte ù côte avec le Comité de Vermillonville, au grand complet, il se dirigeait, à cinq milles plus loin, vers l'habitation Térenre Bégnenaud, où devait se faire la jonction des Vigilants de La-fayette et de S t-M art in.

lis arrivaient de tous les côtés, nombreux, ardents, et faisant étin-celer au soleil levant lenrs armes luisantes.

Hommes et chevaux, tous semblaient appeler la lutte. On eiit dit le prologue d'un de ces drames sanglants où va se jouer un empire. Dans ce pays aux passions brûlantes comme le soleil, jamais tant d'enthousiasme n'avait Tt'^né.

M. Alfred Mouton, ex-élcvede West-Point, et qui avait le commandement pendant la j(jurnée, passa une revue rapide de ces Hots de soldats arrivant de tous les côtés.

Tous les Comités do cette partie du pays étaient venus en nombre ; plusieurs avaient aussi leurs cadres au grand complet.

Le commandant compta ses hommes et sourit. L'empressement de ceux-ci lui-faisait bien augurer de ceux qu'on devait encore rencontrer avant d'arriver Ê la maison Lagrange.

Eu moins d'un quart d'heure, sept Comités s'étaient ralliés :

Côte-Gelée capitaine Major St-Julien.

Vermillonville Alfred Mouton.

Saint-Martin D. Béraud.

l'ointe L. Savoie.

— 384 —

Pont-Braux capitaine Béguenaud.

Grande-Pointe Domingean.

Anse-à la-Butte Dupré-P^tin.

# On forma immédiatement trois colonnes :

Gayclio,— Côte-Oelée.

Centre,—Vermillon ville.

Droite,—Pointe, Pont-Braux, Grande-Pointe, Anse-à-la-Butte.

Saint-Martin,' n'estant pas assez nombreux. s'<?tait fondu dans le Comité di' Vermillonv'llo et devait faire la campagne avec lui.

T/î canon fut piac<^ entre le centre et la droite qui s'enfermèrent aussitôt dans une double liaie de baïonnettes.

A cheval sur ce canon.— brillant comme s'il ne fut sorti que la veille de l'ar.'Jenal de Bùton-KouL'^e,—à cheval sur ce canon, ou remarquait une espèce de gnùmc. d'être fantastique, comme il y en avait dans tous les chAteaux du Moyen-Age, sans doute pour rappeler Satan aux mondaines chûtelaines : c'était Georges Peiner, un Anglais fait prisonnier le 8 Janvier et établi, depuis cette époque, dans le pays. Georges est depuis vingt ans l'artilletir de toutes les rôtc^ pu\)liqnoiî de la paroi ' Il aîmo son canon comme

Quasimodo les cloches de et ce n'ist pas la seule res-

semblance qu'il ai(^ avec le sonneur de cloches créé par le grand ])oète. Il avait demandé et obtenu l'honneur d'accompagner sa chère pièce an combat.

IvC signal du départ fut donné ;

Et, comme on entrait en pays ennemi, on lança des avant-gardes et Ton se couvrit d"'' ' -! qui servirent de trait d'union aux

trois colonnes <pii allai ; , rer leur mouvement en avant à deux milles de distance les unes des outres.

Bien que la matinée fût peu avancée, le ciel était un peu orageux ; au loin, on entendait les vagues et sotirdes détonations du tonnerre. La chaleur commençait ù être intense.

C'était un cadre digne du tableau héroï-comique qui allait Être signé par sept à huit cents artistes.

1^1 prairie où l'on entrait est une de ces rares savanes louisia-naises qui disparaissent tous les jours hélas \ sous la charrue impitoyable de Tagriculteur.

C'est la dernière poésie dj pays qui s'en va avec ces savanes ;

qa y faire ? L homme est un rapin qni mutile depuis six mille *D8 les to.'es du Grand Peintre, Si M. Rouq.ctte était venu au ■onde cinquante ans plus tard, les modèles lui au^giient manqué et il n aurait point écrit ses chères Savane.<^

Cette prairie, une des dernières qui nous rêstcnt, est un de ce^ immenses théâtres de verdure que les .généraux choisissaient pour ces immenses chocs d'homm«v, qu'on vit tant de fois sous Xapoléon I> une largeur do plusieurs lieues, s étendant en lon^netir usqu a la mer, oti dirait une pa^e du Far-West jetée dans un coin de oette paroisse. Point d arbres ; point de bayous ; rien que la mer de verdure flottante. Si elle avait les débris de quelque tribu indienne on repasserait, en la voj-ant, la P,vT;n. et le Tm^pn-de Cooper' Quelques petites coulées, quelques modestes platins, raient de leurs lignes noirâtres cet oréan de verdure aux lignes infinies

Quelques rares maisons-rar, .a./r.-jettent timidement Inirs ilhouettes à 1 ombre de quoique arbre isolé venu à la grâce d^ Oieu dans un coin de cette prairie immense. C'est là que les Comités s'étaient engaçrés. P

A neuf heures du matin eut lieu une halte générale. Ives hommes se dé.^^altérèrent. Le soleil était brûlant.

La marche reprise, la colonne do gauche rencontra le^eavaliers du Comité Foreman qui, leur capitaine en tête, s'étaient fluts de l^iis le mann, batteurs destrade, et n'avaient cessé d'observerl'en lipTes.'" ''' "'"'""' ^' '' "^"^'" ^^^^^"^^ ^« nombreuses el^

Ces cavaliers presque tous vaqueros, étaient tous des hommes d action et de véritables centaures. Arrivés lee premiers sur 1^^ raiD, Ils se seraient engagés sans attendre leurs camarades... Heureusement, 1 ennemi n'avait pas fait de sortie.

Le Comité de Vermillon, capitaine Sarrazin Broussard, avait aussi rallie les cavaliers de Foreman et s'était fondu avec eux

Cette compagnie de cavalerie forma une quatrième colonne h (extrême gailche.

La mai-che eu avant continua dans la direction du nord-ouest, où . on devait rencontrer les comités de St-Landry et Calcassieii

Dans quelques maisons qu'on trouvait, comme des sentinelles per-'iues, dans cette prairie immense, les femmes et les enfants, montés

— 386 — sur les toits, jetaient de longs regards de curiosité sur ces longues lionnes de cavaliers et sur leurs armes d tin celantes. Dans ces raai-sons, point dhommes ; ils étaient tous sous les drapeaux de John Jones. 9

Les Comités marchaient toujours.

Nous avons dit que l'on marchait vers le nord-ouest, en laissant à gauche la maison Lagrange, afin de rallier les colonnes de Saint-Landry et ('alcassieu.

Le point choisi pour cette dernière halte était précisément la maison de John Jonefe,—de celui-là même qui avait donné son nom à, un mouvement où lui et ses compagnons allaient être brisés comme des roseaux !...

Dans cette prairie large, plane, comme une zone saharienne, on avait déjà aperçu quelques cavaliers armés se rendant, isolés ou pat-groupes de trois ou quatre, ù la maison Lagrange.

On leur avak, fait une chasse éperdue, ardente, et deux d'entre eux étaient même tombés au pouvoir de deux Vigilants delà Côte-GeT^e, Raphaël Lachaussée et Charles Coraeau qui, au moment de les atteindre, leur avaient crié : Rendez-vous, ou vous ète^ morts/

Ils avaient jeté leurs armes,—ce qui veut dire qu'ils avaient voulu vivre.

Les Comités marchaient toujours.

Bientôt on découvrit, à droite, une centaine d'hommes armés qui semblaient campés le long do la barrière d'un clos. On détacha i^ piquet de cavalerie pour reconnaître si ce rassemblement était amî ou einienii.

Avis avait été donné en même temps aux autres colonnes que la droite avait devant elle un corps armé dont on ignorait le drapeau.

Le centre s'était aussitôt hâté d'accourir pour renforcei: la droite, si besoin était.

Cependant, le piquet envoyé en reconnaissance s'était rapproché du rassemblement inconnu, et celui qui commandait, arrivé h. vingt pas, avait crié :

'*Qui vive'? Qui êtes-vous?

—Comités de Vigilance! avaient répondu les autres.

—Lesquels '?

—Prairie-Robert î Fakataïque !"

Alors les mains et les voix avaient échangé des poignées dô

— o»/

ïiiains el des paroles amicales et l'on avait informé promptemcnt nos colonnes anxieuses que le corps que Ion venait de reconnaître était composé d'auxiliaires et d'amis.

Prairie-Robert et Fakatai^ue étai^t en effet les deux corp? attendus pour prendre part à l'attaque de la maison Lajrramre. Ils avaient fait sept prisonniers qu'ils avaient trouvés armés de^'revol-vers et de fusils portant d'énormes charçes, et les poches bourrées de postes et de cartouches et qui, interrompes sur ce qu'ils voulaient faire de leurs munitions et de leurs armes, avaient répondu qu'ils voulaient faire une chasse k la papabotte.

Quelques jeunes j^ens de Calcassieu s'étaient joints à cette vaillante troupe commandée par les capitaines Stanton et Mao-o-y.

D^s ce moment, tous les Comités se trouvant au complet, on commença le dernier mouvement, le mouvement décisif, la marrie sur la maison Lagrange.

Entre elle et les Comités, il y avait une distance de deux milles et demi à trois milles. **

L'expéJition comptait environ six cents cavaliers. Cette dernière étape serait donc vite franchie.

Dans toutes les poitrines, il y avait ardeur et espoir. Si nombreuse que fût la bande de Jones, si forte que filt sa citadelle, il no lui restait guère dautre alternative que d être broyée, soit dans un combat dont l'issfte ne pouvait être douteuse, soit ^ans une défaite qui, si elle avait coûté une blessure ou une vie aux Vigilants aurait exposé les vaincus à des représailles qui seraien't restées h 1 état de légende dans l'histoire attakapienne...

On fut bientôt en vue de la maison Lagrange.

A un mille et demi environ, un des chcis de'^l'expédition braqua une longue-vue sur le quuiticr-général de cette insurrection lépreuse, et contempla longtemps le spectacle qui semblait danser au bout de sa lunette.

Bien que des nuages cuivrés voilassent le soleil, la maison Lagrange n'en découpait pas moins, dans un ciel assez lumineux, son toit ainsi que ceux de sa cuisine et de son magasin.

Les uns et les autres fourmillaient d'homines armés qui interrogeaient la partie de la prairie que commençaient à raver les colon-hes vigilantes. ' "

La cour regorgeait aussi d'hommes allant, venant et échangeant

\

— 388 — avec ceux qui étaient percliés sur les toits des paroles et des geste» —gestes qui traduisaient les paroles au lointain observateur de ce spectacle étrange.

Plusieurs chefs prireii^ ;i leur tour la longue-vne et observèrent cette fourmillera humaine qui semblait peu à peu disparaître et rentrer sous terre ù mesure qu'approchaient les colonnes assaillantes.

Knfin les Comités arrivèrent à deux cents mètres de la maison Laizrange et s'arrêtèrent.

Ijq moment suprême et désiré de tous était venu.

LE 3 SEPTEMBRE

eiiTE

Cette maison était bien telle que lavaient dépeinte les batteurs d'estrade des Comités.

Comme sa cuisine et son magasin, elle faisait face à la coulée de la Qneuc-Tortue, distante à peine de qnel(|ucs mètres, et se montrait toute marquetée de créneaux, du rez-de-chaussée au pignon. On l'avait aussi délattéc sur ses quatre faces, îi hauteur de ceinture d'honinio. I/»s autres édifices montraient aussi leurs créneaux comme autant de bouches béantes.

Dans la cour, quelques lilas étendaient les panaches verts de leurs branches.

l>ans un coin, était un monceau de pieux, sur lequel s'était hissé, H l'approche des colonnes, on individu (|ui, l>attant des ailes, avait imité le chant du coq et s'était ensuite, non replongé dans la foule qui disparaissait peu u peu comme dans des trappes de théâtre, mais caché sous ces mornes pieux où il devait être pris et fouetté quelques heures plus tard.

La maison fut d'abord investie avec une rapidité remanjuabie.

Fakataïque et Frairic-Kol>ert reçurent l'ordre de se porter à l'ouest à l'entrée du bois qui offrirait des moyens de fuite facile» r.nx bandits,sils essuyaient une défaite.

♦'

— 389 —

Un officier énergique et intelligent de Vermillon, M. E. Maux, fat chargé de traverser la coulée à Test afin de prêter la main à ce corp? avec ?es cavaliers ;

Puis la pièce de six fut placée ostensiblement en batterie à deux «eots mètres et braquée sur la maison qui s'était hérissée de fusils à toutes les ouvertures et à tous les créneaux.

Ensuite, à côté de la pièce on alluma du feu. Ce feu fut allumé leotxîment,.. lentement... comme pour laisser à l'ennemi le temps de savourer ce prélude de la canonnade.

Quand le feu flamba. Georges Reiner approcha de la flamme une mèche blanche qui se couronna bientôt dune fumée bleuâtre ;

Et comme il approchait cette mèche fumante de la pièce, après lui avoir fait décrire dans les airs un gracieux demi-cercle...

Un cri de terreur partit de la cour ennemie où était massée une partie de la bande et chacun deux s'empressa de disparaître derrière les édifices ou de gagner le bois à travers la coulée de la Queue-Tortue, coulée qui avait peu d'eau à éfette époque et qui, du reste, est guéable à toutes les époques de l'année.

A ce cri et à cette fuite, Georges baissa sa mèche et attendit de nouveaux ordres.

On poursuivait déjà ceux qui avaient donné le signal de la fuite... on entendait crier poursuivants et poursuivis... parfois retentissaient dans les bois des détonations isolées...

Le gros de l'armée de John Jones était encore retranché dans les édifices de la maison.

C'est alors que le gouverneur Mouton, qui était venu en voiture jusque sur le terrain, mais qui, le moment de l'action venu, était monté à cheval comme les autres chefs—c'est alors, disons-nous^ que le gouverneur Mouton appela le major St-Julicu et M. Val-mont Richard (du Comité de Saint-Martin).

" Suivez-moi, messieurs, leur dit-il. Épargnons le sang, s'il est possible. Allons parler à ces gens-là."

Un quatrième, M. Steack, se joignit spont|nément à eux et le groupe de cavaliers se dirigea, sans armes,vers la maison;—ou, pour être plus conforme à la vérité, le Gouverneur était armé d'un parasol ; le Major de sa longue-vue ; et MM, Richard et Steack... de leurs chapeaux que, pour le moment, ils avaient changés en éventails.

— 39p —

A moins de s'appeler le Roi d'Yvetot. il était impossible d'avoir un extérieur plus pacifique que ces messieurs.

Ils descendirent avec un sang-froid tout romain à la barrière.

John Jones et Émiliet^Lacrranire se présentèrent, et alors eut lieu le dialogue suivant, qui nous a été répété et analysé par un des acteurs de cette scène.

" Que désirez-vous, messieurs ? demanda le premier.

—Nous informer de ce qui se passe aujourd'hui ici, répondit le Gouverneur.

—Nous avons une réunion politi(jue.

—Une réunion politique ?... Mais nous ne somme? h la veille d'aucune élection générale ni particuliè-ro ; mais îi une réunion politique on n'apporte pas de fusils,—et vous avez des fusils! et même des canons peut-être ! N'avez-vous jîas quelque part <les amis qui vous en auraient promis un ou diMix pour cotte fcte? Vous dites 7W)n de la tête, je veux bien le croire. La chronique le dit pourtant.

—Nous ne sommes^ pas assez riches pour avoir des canons, répartit Joncs avec amertume.

—Soit ; mais vous avez des fusils... beaucoup de fusils, des cartouches, des munitions de guerre de toute espèce. C'est toujours la chronique qui le dit, et cette fois elle a du dire vrai.

—Nous n'avons (jue cinq ou six fusils a]>portés, soit pour tirer ties salves à notre réunion, soit pour chassera la papaboUe.

—Nous nous sc^imes réunis, interrompit lingrange, parce que le droit de réunion est sacré, et (jue nous sommes blancs et libres.

—Tout beau, monsieur Ijagrange. fit le Gouverneur avec une dignité suprôme ; je suis venu u vous, non pour discuter, mais pour interroger, et mCme pour sommer. Vous avez chez vous, dans vos ranîTS, Olivier Guidrv dit Nani Canada, ses deux fils Ernest et (îeneus Guidry, et son neveu Onézime Guidry, bannis par mon Comité et que mon Comité veut reprendre et châtier. Voulez-vous les livrer ou les défendre ?

—Nous ne count^^sons pas ces hommes, fit Jones. •

—C'est bien ; nous saurons bien les trouver et les arrêter nous-mêmes. Une dernière question : Vous avez des fusils. Voulez-vous combattre ou les remettre ? ''

Et comme Jones répondait évasivement ù ces demandes catégoriques :

— 391 —

'•'•©•Ofernear, dit le Major, nous sommes venus ici pour écliantror, non des paroles oiseuses, mais des balles. Puisqu'ils refusent de vous rendre ws bannis et leurs armes, retournons à notre poste, et commençons le combat."

Le Gouverneur fit un g'cste d'assentiment, et avisant à quelque* pas de lui, la concubine de Lagrange qui, un enfant dans les bras, <5tait spectatrice de cette soèii^:

" Messieurs, dit-il à Jones et h Lagrange, nous ne voulons faire la guerre ni aux femm 3S, ni aux enfants. La place de cette femme et de cet enfant n'est donc pas ici. Si vous voulez les éloigner de cette maison qui peut-être dans u.ie minute sera un champ de bataille, je vais leur donner une escorte de mes Vigilants qui les mènera dans tel lieu quil vous plaira de me désigner—et qui les respectera, je vous en réponds sur ma tête.'

En ce moment, Jones rentra dans la maison et en ressortit avec une demi-dbuzaine de fusils qu'il déposa debout contre la barrière.

•' Tous devez en avoir encore, cherchez ;" dirent ceux f|ui avaient partagé la périlleuse mission du gouverneur Mouton. Nous disons périlleuse, car pendant que ce groupe d'hommes de cœur s'entretenaient avec Lagrange et Jones, sans autres armes que leur titr^ sacré de parlementaires, un des bannis récîamés par M. Mouton avait passé son fusil à travers un des créneaux et l'avait mis trois fois eu joue. HeureuEcment ses compagnons, mieux instruits que lui des consprjFTonces de cette violation des lois de la guerre, avaient trois fois détourné cette arme prête à tuer...

Aussitôt que Jones avait remis ses premiers fusils, leGouverneur avait envoyé requérir vingt-quatre Vigilants qui auraient la mission de veiller an désarmement général.

L'envoyé rejoignit le Comité au moment où MM. Alfred Mouton et le colonel Creigbton (qui firent preuve durant cette journée d'un zèle au-dessus de tout éloge), allaient envoyer des détachements de vingt-quatre hommes par Comité, au secours des quatre parlementaires qu'ils croyaient en danger. Leur joie fut vive eu apprenant le dénouement de ce drame où les Vigilants n'avaient accepté un rôle que sous le coup d'une nécessité de salut public. La cause de l'ordre allait donc être gagnée sans quelle eût fait verser une ' goutte de sang.

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Pendant que l'envoyé des parlemen>taiçes remplissait sa mîssfoo^ ceux-ci assistaient à la remise des fusils.

Une quinzaine environ avaient été disposés à leurs pieds, lorsque-^ans la eour et dans les édifices se firent entendre de sourds murmures de désapprobation. Chez ceux qui apportaient les armes, il j eut aussi hésitation, tiraillement.

Le Major saisit de l'œil ce tiraillojifeent, de l'oreille ces murmures* Se tournant vers ses adversaires et les regardant avec mépris :

" Reprenez vos fusils et acceptez, le combat, leur cria-t-il, ou rendez-vous à discrétion !"

Ce ra>ot parfaitement historique, comme tous les détails de ces scènes, fit cesser toute hésitation. Sur ces entrefaites, les vingt-quatre hommes demandés entrèrent en bon ordre dans la cour... pendant que deux cents têtes de Yi^-ilants apparaissaient à toutes les barrières.

Le poèmje héroï-comique touchait décidémeftt à son dénouement.

LE a SEPTEMBRE

SUITB.

€e fut alors une de ces scènes excentriques qui auraient tenté^ le pinceau d'un peintre fantaisiste... &i dans les rangs des Comités iî y avait eu un peintre... • 'y

Il n'y en avait pas...

La fiiite avait commencé ; la iuite folie, effarée ; la fuite avec toutes ses vertigineuses terreurs.

Tous ces courages, qui avaient failli à l'heure du combat, semblaient avoir des ailes aux pieds comme certains dieux mythologiques,, et dévoraient le sol comme ces coureurs impossibles, surli>araain8, que nous avons tous vu passer quelquefois dans nos rêves.

Le bois ouvrait ses profondeurs aux fuyards... le bais couvert et sillonné dans tons les sens de patrouilles vigilantes.

Les édifices de la maison Lagrange avaient en vain ouvert eux-mêmes tous leurs asiles.

On se cachait ou l'oQ se laissait emporter par la pire- des faites^îa fuite sans espoir L

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Étudions d'abord les scènes de la maison :

Là, d ^s insurgés étaient entassés. Le grenier en regorg-eait ; on en retirait sçpt de dessous un lit.

Sous un autre lit, c'était une vaste manne d'osier, recouverte de coton, et renfermant plusieurs milliers de cartouches.

Entre les matelas d'un autre lit, c'était le drapeau fait par la concubine de Lagrange et ^Uo Valette, sa fille, pour couvrir le triomphe de l'insurrection et qui ne couvrait, hélas ! que sa défaite —et une défaite désastreuse !

Ce drapeau fut découvert par Raphaël Lachaussée (Côte-Gelée).

Et à chaque pas, c'était une découverte et une trouvaille !

Ici, des couteaux bowie-kuives !

Là, des revolvers !

Et des postes !

Et des balles ! i *

Et des lingots ! ^

Et tout ce qui peut déchirer ! et tuer ! et broyer !

Et à chaque instant, c'étaient un, deux, trois prisonniers qu'on ar-r^hait des tanières peu discrètes qu'ils avaient cru être des asiles, et qui venaient grossir le nombre de ceux qui, déjà prisonniers des Vigilants, étaient^gardés, dans la cour de la maison Lagrange, par un fort détachement.

Pendant ces scènes de confusion et de désordre indicibles, il s accomplissait un drame, le seul qui ait assombri cette journée si heureuse pour la cause de l'ordre.

Un des bannis les plus dangereux, par sa résolution et son audace, et dont l'arrestation avait été demandée par le gouverneur Mouton, sur lequel il avait levé son fusil à trois reprises, Geneus Guidry, voyant la cause de l'insurrection perdue, s'était réfugié derrière le magasin fortifié, dans un carré de barrière protégeant des berges de foin.

Un \^igilaut du Carancro l'avait vu se réfugier dans cet asile qui ne devait pas être plus protecteur que les autres, et croyant que son courage, à lui, était au moins à la hauteur du celui de^Ge-neus Guidry, il s'était juré à lui-même de l'arrêter, dût-il jouer dix fois sa vie. Ce Vigilant, d'une des meilleures familles de la paroisse Lafayette, était un jeune homme d'une force athlétique et d'un courage à la hauteur de sa force physique : il s'appelait J. L. F. Tréville Bernard.

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Insoucieux dn danger que pouvait présenter cette arrestation, certain de pouvoir réduire G. Guidry à l'impuissance de nuire s'il pouvait le saisir avec ses mains herciiléejines, il avait^généreusement refusé de faire usage des armes qui hérissaient sa ceinture ; ce qu'il voulait, c'était, non le cadavre de Geneus, maisXjeneus vivant. Séparé de lui par une barrière, il se disposait à la franchir d'un bond, qui lui aurait fait perdre«^viron une demi-secoBde, lorsqu'un coup de pistolet retentit et Geneus s'afïaissa sur lui-même ; c'était une balle suicide qu'il venait de se tirer dans l'oreille. Tombé, mais encore maître de lui, il se frappa à la gorge avec son poignard à plusieurs reprises. 11 râla ensuite quelques minutes et mourut.

Fouillé après sa mort, on trouva dans ses poches une fiole de poison,—qui fut remise au docteur Francès, le médecin de l'expé-dition,-^un couteau poignard et un revolver.

Ainsi mourut Geneus, la seule victime de la journée. Déjà banni par un Comité, coupable de la violation d'une des lois les plus sacrées de la guerre, le respect des parlementaires, il désespéra d'obtenir une grâce, qu'on lui aurait peut-être accordée sans qu^ la demandât lui-même, et de peur de subir une mort honteuse, il se donna lui-même la mort. •

Dans la fin de Geneus, quelques personnes virent du stoïcisme. Le stoïcisme est mort avec le Paganisme. Folie, remords,scepticisme, crainte du déshonneur, tels sont les mots qu'on pourrait lire sur le front de tous les suicides du Catholicisme. La Croix a tué les,,, morts stoïcfues de l'antiquité.

Dans le bois, c'était aussi, comme autour de la maison, une pour-suite acharnée, impitoyable des uns ; une fuite échevelée de la part des autres.

Si les Vigilants chargeaient impitoyablement tout fugitif qui essayait vainement d'échapper k ceux qui s'attachaient à sa poursuite, les vaincus profitaient, de leur côté, de tous les plis de terrain, de toutes les cachettes qui pouvaient les rendre invisibles à leurs vainqueurs.

Il y en eut qui se cachèrent non sur des branches d'arbre, comme Charies-Édouard d'Angleterre, mais dans des troncs creux où ils pouvaient peut-être se heurter îi des serpents ou à quelque essaim d'abeilles...

D'autres cherchèrent les roncières les plus touffues et s'y déchi-

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rèrent, habits et chair, aux milliers d'épines qui les firent saigner a chaque pas comme les pointes d'un cilice.

On rapporte même que dans une de ces Foncières, où sept individus étaient déjà réfugiés, il s'en glissa un huitième, mais sans bruit, sournoisement, comnle aurait pu faire un serpent, si un serpent n'avait pas cherché les abris les plus profonds devant le tohu-bolm de cette journée.

En entendant le bruit, h peine perceptible, que faisait cet homme en déplaçant les ronces, les sept individus crurent u l'intervention mystérieuse de quelque Vigilant et allèrent se réfugier ailleurs en lui laissant la roucière libre.

Ce Vigiliint était un des leurs qui, comme eux, essayait d'échapper à la poursuite des Comités.

Ce malheureux resta toute la journée enfoui sous les ronces, entendit peut-être l'autre bruit—celui du fouet—qui devait bientôt succéder au tumulte résultant de la poursuite, et monta, dit-on. le soir, sur un cheval qui, ardent comme celui do Mazeppa, l'emporta dans la direction de la Sabine, ce refuge de tant d'épaves sociales.

Cette chassa aux vaincus aurait présenté des difficultés insurmontables à toute autre troupe que les poursuivants. A chaque pas, ils trouvaient fossés, flaques d'eau, troncs d'arbres renversés, branches brisées par l'ouragan et se dressant devant la cavalerie, plus infranchissables que les barricades parisiennes le jour où se font les révolutions. ^i^Rien n'arrêta le torrent. Les poursuivants atteignirent tout ce qu'ils virent ; les fuyards, de leur côté, mirent à profit leur connaissance parfaite du terrain et s'échappèrent en grand nombre.

Adolphe Comeau (Côte-Gelée) et Lebleu de Comarsac (Prairie-Robert), montés, l'un sur un excellent cheval, l'autre sur un mulet mexicain, firent des prisonniers dans les circonstances suivantes :

Ils avaient devant eux plusieurs fuyards armés, avec lesquels, après d'inutiles sommations, ils avaient écUangé des coups de fusil sans succès. La poursuite n'en continua pas moins et lorsqu'ils furent à portée de la voix : •

" Kendez-vous !" leur crièrent les deux jeunes gens qui n'avaient plus de coups de feu à tirer, tandis que les autres en avaient encore.

Les fuyards s'arrêtèrent.

" Déposez vos fusils, là 1" ajoutèrent-ils en désignant un arbre qui se trouvait à quelques pas.

— 396 —

Les fusils furent ^déposés au lieu indiqué et leurs i^ossesseurs amenés prisonniers.

Ce trait de courage ne fut du reste pas le seul.

Comme les colonnes des Comités arrivaient devant la maison La-grange, le cljeval de Louis Béer, premier servant de la pièce de canon, s'échappa et alla donner du front contre la barrière de cette maison en ce moment hérissée de fusils. Un membre du Comité Prairie-Kobert, grand et brun, dont nous regrettons de ne pas savoir le nom, s'élança seul et au galop, vers* le cheval qui semblait vouloir déserter à l'ennemi, coinme Bourmont la veille de la suprême bataille de l'Empire et le ramenai triomphalement à son maître en murmurant :

*' Quant à eux, ils ne l'auront pas !"

D'autres épisodes avaient marqué cette journée déjà si accidentée.

Au moment où le sauve-qui-peut commençait, on avait vu arriver, du Marge, à toute course de cheval, un mulâtre qui était venu se jeter étourdiment dans le gros des Comités.

" Au nom de qui viens-tu ? Q,ue viens-tu faire ici ? lui avait-on demandé.

—Je viens au nom de ma maîtresse, chercher des nouvelles de mou maître, M. Maximilien Leblanc. (Il était déjà lié et gardé à vue comme prisonnier.)

—Tu lui en rapporteras de fraîches," lui avait-on répondu, et on l'avait fouetté.

Ce mulâtre, on le sut j^lus tard, venait chercher des nouvelles au nom d'une centaine d'hommes de la rivière Mermento, amenés par Jean-Baptiste Istre, qui s'étaient arrêtés, pour reprerfdre haleine et faire faire halte à leurs chevaux, à l'habitation Maximilien Leblanc dont le propriétaire, comme nous l'avons dit, était déjà prisonnier des Vigilants.

Le mulâtre fouetté s'en revint tristement à la maison d'où on Pavait envoyé.

" Quelles nouvelles ?" lui demanda-t-on anxieusement lorsqu'on le vit apparaître à la porte.

Il descendit lentement... péniblement de cheval et... silencieux comme la statue du Commandeur, il se contenta de faire une réponse... en pantomime.

La réponse était trop éloquente pour ne pas être comprise en ce moment.

— 397 —

Là aussi, comme àrla Queue-Tortue, commença une fuite écheve-lée.

Ils fuirent tous à^ travers champs, abandonnant armes, chevaux, équipement?, munitions, tout ce qui devait les aider à marcher et à combattre.

Jamais plus vaste insurrection n'avait eu plus piètre dénouement.

LE 3 SEPTEMBRE

SUITE

Il était une heure de l'après-midi.

Nous l'avons déjà dit, la journée était brûlante ; on était trempé de sueur ; on souffrait, mais toutes les souffrances physiques s'efTa-çaient devant les résultats de la journée.

Quatre-vingts prisonniers, enfermés dans un carré de Vigilants ; cinquante-sept fusils remis volontairement ou pris de force ; une quantité d'armes semées dans les bois par les fuyards ; une insurrection faite sur une vaste échelle et se dénouant par le plus misérable avortement, tel était le bilan de la journée,

Les Vigilants avaient le droit d'être contents.

Les prisonniers furent conduits, sous bonne garde, à deux cents 4^'mètres de la maison Lagrange, sous de grands arbres, à l'ombre 'desquels rôtissaient, comme aux temps homériques, les quartiers de trois bœufs, étendus sur des barres de fer, au-dessus de trois fournaises ardentes.

C'était le théâtre du diner que les vaincus ne devaient pas manger.

D'un côté, les fourneaux primitifs que nous avons décrits ; de l'autre, une tribune dressée—tribune qui sans doute attendait le Dr. Wagner, un orateur qui ne se présenterait pas...

C'est là que les prisonniers furent conduits, en attendant jugement, sous la garde des baïonnettes vigilantes.

Puis les colonnes expéditionnaires dînèrent. Chaque soldat avait reçu, la veille, l'ordre d'emporter pour deux jours de vivres. Chacun tira alors de sa valise les provisions qu'y avait placées la ten-

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dresse maternelle, conjugale ou fraternelle. On fit, en riant, un repas de Spartiates.—Mais l'eau ?...

La température était brillante et l'on avait beaucoup couru... et l'on n'avait pour se désaltérer que le puits de la maison Lagrange... puits immense qui contenait peut-être du poison et la mort. On haletait et, comme Tantale, on regardait ce puits dont l'eau était miroitante et limpide et semblait aller au devant de la coupe.

La concubine de Lagrange vit tous ces regards, toutes ces souffrances, tr)utes ces craintes, efmue par une de ces pensées délicates qui se trouvent chez la grande dame comme chez la femme déchue... elle envoya sa fille puiser de l'eau et en but ostensiblement.

L'expédition comprit... but... épuisa le puits en moins d'un quart-d'heare et alla ensuite étancher sa soif en disputant l'eau bourbeuse de la Queue-Tortue aux serpents... que la chaleur y avait accumulés par milliers.

Dans cette chronique à vol d'oiseau, nous avions oublié une figure sinistre dont nous avons tracé ailleurs la silhouette—silhouette qui est loin de rappeler celle de l'Antinous antique : nous voulons parler du Dr. Wagner.

A l'heure oii l'insurrection se débandait, on l'avait vu près de la barrière de la maison Lagrange, désespéré sans doute de n'avoir pu remplir son rôle d'agent provocateur... puis il avait disparu.

Quand on se fut reconnu et compté. Ton demanda s'il était parmi les prisonniers...

Il y brillait par son absence, comme César au sénat de Rome.

On lança aussitôt un piquet de cavalerie à sa poursuite...

Les cavaliers revinrent, ayant fait buisson creux, comme on dit en termes de chasseur. Pour nous servir de l'expression de l'un de ces messieurs, il avait brûlé les chemins.

LE 3 SEPTEMBRE

F [ N

L'heure du jugement était venue.

Deux délégués par Comité composèrent le juri* chargé de peser les hommes et les choses de l'insurrection,

— 399 —

lis S'assirent à l'ombre d'un bouquet d'arbres comme des juges et appelèrent, un à un, les vaincus qui, toujours liés et entourés de baïonnettes vigilantes, entendirent sonner tristement/c gitarf-d'Aatre de Rabelais.

Il y eut des confessions... d'horribles confessions. Aucun n'eut le courage de la discrétion. Tous livrèrent leurs mystères. Il y eut même comme une fièvre de dénonciations qui s'empara de ces très peu héroïques et très peu intéressantes victimes. Si les quelques hommes honorables qui, après cette journée, donnèrent quelques sympathies à cette boue sociale, avaient assisté aux interrogatoires, ils auraient senti, comme nous, dans leur cœur, le mépris succéder h, la pitié. ,

Pourquoi, le lendemain du 3 Septembre, les Comités ne publièrent-ils pus ces révélations ?

iKn condensant toutes les déclarations des prisonniers, on peut constater :

Que le mouvement qui venait d'avorter si misérablement avait un triple but :

L'invasion de la paroisse ;

Le pillage ;

La révolte des nègres. " Fresque tous les prisonniers déclarèrent que :

Ils ne s'attendaient à avoir sur les bras que le Comité de Ter-

millonville—Comité qu'on leur avait représenté comme hostile aux

; pauvres et devant les balayer torts (sic) de la paroisse Lafayctte.

(C'était une calomnie des meneurs de l'insurrection, contre laquelle

nous n'avons pas besoin de protester);

Que, s'ils avaient triomphé de ce Comité, ils devaient marcher sur Vermillonville, hisser leur pavillon sur l'église de ce village, éventrer les coffres-forts de MM. Alexandre et Emile Mouton, V. A. Martin, Gérassin Bernard, Latiolais, Camille Doucet, François D'Aigle, &c., &c., et en égorger les propriétaires ;

Que ces chefs morts, ils devaient sonner le tocsin, appeler les nègres à la révolte et incendier les habitations ;

Que les cartouches trouvées dans la maison Lagrange, avaient été faites par un ancien soldat de l'armée d'Afrique, colporteur qui mangeait chaque jour le pain des habitants de la paroisse Lafayette et qui depuis y a fait proscrire le colportage, et que cet homme se Bommait Klein. ^ ^

— 400 —

Devant de pareilles déclarations, la lâche du juri devenait facile ; aussi les honnêtes gens qui le composaient se mirent-ils à délibérer.

Il y avait un crime à punir ;

Le pire des crimes, une prise darmes contre la société avec un drapeau portant ces trois mots : Invasion de la Paroisse ! Pillage et Massacre ! Révolte des Nègres !

Ce crime demandait un châtiment exemplaire^

Quel serait ce châtiment ?

Les Comités ne pouvaient assumer sur eux de noyer dansîe.sang des vaincus une victoire qui ne leur avait point été disputée. Recourir aux moyens sommaires et terribles employés si souvent par ies Comités texiens, c'eût été se faire traduire au tribunal du monde civilisé, et se faire flétrir du titre peu enviable de bourreau, lies jurés pesèrent et comprirent toutes ces raisons et froidement, sans passion, impassibles comme des juges, ils décrétèrent avec douleur, mais en s'inclinant devant la nécessité, le supplice du fouet et l'eaâj dans cinq jours.

Le Dr. Wagner, principal acteur de cette journée ù laquelle il s'était dérobé par la fuite, fut aussi condamné au châtiment réservé aux capitaines, et le reçut, le lundi suivant, de la main des cavaliers de l'énergique Sarrazin Broussard.

Le supplice du fouet fut infligé. *

Non a outrance, comme l'ont dit certains journaux qui ont puisé leurs renseignements à une source impure.

Le châtiment fut mesuré à l'outrage. Malgré l'enivrement de la^ victoire, chacun fut jugé selon la part qu'il avait prise au drame qui venait de se jouer.

Le chef de cette peu héroïque insurrection subit le supplice du fouet le premier.

Ses lieutenants Emilien Lagrange, Jinkins, Istre et deux autres comparses, reçurent ensuite, comme leur chef, 120 coups de fouet.

Une seconde catégorie de condamnés en reçut 40 ;

Une troisième, 20.

Y eut-il chez ces Catilinas de bas étage un de ces cris d'indignation, une de ces explosions de l'âme qui vont au cœur de ceux qui en sont témoiije ? Non. Plus d'un soldat des Comités attendit un de ces cris, une de ces explosions, pour se jeter entre les exécuteurs et les martyrs et demander aux uns la grâce des autres... Tous re-kiurent le fouet, non comme un châtiment infamant, mais comme une

— ^401 — torture physique. Les coups furent comptés par eux. non comme une flétrissure à l'honneur, mais comme une amende de guerre imposée à leurs corps... Xous nous trompons : un seul demanda la ■mort—et nous soumettons ce fait ?x ceux qui aiment à étudier le? mystères uti cœur humain : ce cri fut poussé par un des bandits les plus compromis.

Il était six heures du soir.

La tâche des Comités était finie.

Les 500 soldats de l'ordre remontèrent à cheva*î et s'éloignèrent, après avoir remis en liberté leurs prisonniers.

Ils venaient d'étouffer une insurrection, sans avoir répandu une goutte de sang et de délivrer leurs paroisses de bandits que la loi n'avait jamais eu la puissance de réprimer.

La prairie était déserte ; il n'y avait plus qu'im cadavre : celui de Geneus Canada, qui, le matin, se voyant poursuivi, s'était fait sauter la cervelle, (La véridique Bannière des Planteurs l'a fait mourir par la main des Comités ; nous lui répondons que les f/mgs, que son parti soudoyait, il j a quatre ans, en ville, n'ont jamais fait école aux Attakapas.)

Les Comités s'empressèrent de regagner leurs foyers où veillaient des mères, des sœurs, des femmes inquiètes, et de relever en même temps les patrouilles armées que la i)rudeacc des chefs avait placées sur tous les chemins. Ces patrouilles avaient reçu la consigne d'arrêter tout inconnu qui serait rencontré, durant la nuit du 3 septembre, sur les chemins attakapiens. Ija crainte d'une diversion probable, sinon certaine, des bandits, diversion qui se serait traduite au moins par des incendies, avait dicté cette consigne sévère, qui du reste no fut appliquée qu'à deux fuyards de l'armée de John Joncs qui, ne voulant pas s'arrêter, furent sak>és de deux balles, qui ne leur firent aucun mal.

Le lendemain, to«it était rentré dans l'ordre, A la tempête de la veille avaient succédé le calme, la sérénité des époques les plus heureuses—et des bandits armés de John Jones, il ne restait plus que des vaincus qui, tout saignants encore des blessures reçues la veille,\^laieiit commencer tristement le dur voyage de re:^il.

Un court épisode vint seulement clore la période militante des Comités. Dans les derniers jours de septembre, un des bandits, Bernard Lacouture. banni pour vol commis en complicité avec ses. '

~ 402 — trois 'beaiix-frères, les Herpin, et accusé d'assassinat sur la personne d'Emile Comeau, darrs la prairie de la Côte-Gelée,—Bernard La-couture s'aventura à la Nonrelle-Ibérie. Informé de son retour, le major St-Julien se rendit à la maison où était le banni. La mai-tresse de la maison prétendit qu'il était absent. Alors le Major ordonna qu'on explorât le grenier ; deux ou trois hommes y montèrent et furent accueillis par deux coups de feu, qui se perdirent dans les boiseries. Le Major monta à son tour, seul selon son habitude, et comme il se présentait à la porte du grenier, il fut frappé au cou d'une hache qui heureusement ne l'atteignit que par ricochet... sans quoi la blessure eût été mortelle. Il chancela, mais avec son vigoureux sang-froid, répondit par deux coups de pistolet, après avoir inutilement sommé de se rendre Lacouture, qui tomba pour ne plus se relever, baigné dans son sang. Ce sang n'était pas plus pur que celui de Geneus Guidry, et le sort des deux victimes de la lutte doit être léger à la conscience des Vigilants.

CRITIQUES DE LA PRESSE

PRESSE DES ATTAKAPAS

Il est curieux, à la distance où nous sommes des événements dont on vient de lire le récit, de retourner en arrière et de reproduire quelques-unes des critiques soulevées par la formation des Comités. Sur le théâtre même de l'action, dans les limites de la région des Attakapas, naquit une opposition à la sincérité de laquelle il serait difficile de croire. Comment supposer que les éditeurs de la presse locale aient ignoré des faits aussi notoires que ceux qui ont armé le bras des Comités? S'ils connaissaient ces faits, comment qualifier leur hostilité ? Pour ne point trop abuser d'une victoire dont les anciens ennemis des Comités partagent aujourd'hui leis fruits, nous nous bornerons à exhumer et à sauver de l'oubli quel-♦iptes passages de la presse anti-vigilante d'alors. •

ÎjQ Planter s JSanncr. de Franklin, Ste-Marie,—camp où s ourdis-

ê

~#03 •

-aient mille intrigues impuissantes,—s'exprime ainsi au sujet ou voyage du gouverneur Wickliffe, à la fin de septembre 1859 :

Le gouverneur Wickliffe. accompagné de l'adjudant-général Grivot, a passé ici, à bord du steamer T, D. Hine, revenant d'une tournée d'observation sur la scène des opérations du fam»^ux C(uuité de Vigilance des paroiiJ^esattakajiiennesd'en haut. On dit que le Gouverneur est profondément impressionné par les détails qui sontarrivésà sa connaissance sur les outrages comenis par les Viffjlants. Il est d'avis que ces procédures arbirraires touchent à leur fin et que leurs auteurs se soumettront tramiuillenient aux lois ; mais il exprime la ferme volonté qu'ils se débandent et obéissent immédiatement aux lois de l'Etat, et il est résolu à recourir à la fnrce, s'ils ne cèdent pas. Le Gouverneur a appris que trois des victitnes des Vigilants avaient succombé aux blessures faites par le fouet qui leur avait été si brutalement infligé ; qu'un individu avait été fu.sillé; que plusieurs cadavres avaient été trouves dans les prairies; que, dans ces mêmes prairies, on voyait mourants d<'s feiumes et des enfants dont les pères, les épouK et" les frères avaient été chassés de leurs foyers par les Viirilants! Triste nomenclature de crimes que celle-là. dans une communauté civilisée! Pour comble d'audxice, le juge Simon a. ditMui, reçu l'ordre de ne pas essayer de tenir des sessions de Cour dans la paroisse Vermillon. Il nous est difficile d'ajouter foi à ce dernier bruit, car il nous semble incroyable que dos hommes possédant le moindre degré d'intelligence soient assez insensés pour se croire capables de fouler aux pieds le!^ Cours de l'Etat, à moins qu'ils ne soient prêts à couronner leurs actes illégaux par le crime de trahiscm, le plus grand crime prévu par le« lois d'un Etat quelconque, et à tenter une révolution contre le gouvernement.

Nous espéi*ons> au nom de Dieu, que ces hommes égarés reviendront à eux et rentreront dans le devoir, sans qu'il soit besoin dec forces de l'Etat pour les broyer, rétribution qui leur est destinée aussi sûrement qu'il y a une épée de justice dans la mam du Gouverneur, s'ilp persistent dans leur voie coupable. Nous espérons que la violence est à son terme ; que l'ordre et la loi seront promptement rétablis; quo la justice, honorée dans les Cours, reprenant sa solennelle dignité, mesurera un châtiment mérité aux coupables; sans acception de rang ou de fortune. Il faut que la loi soit maintenue, que l'existence et les droits des citoyens soient protégés, que l'ordre public soit garanti, que les Criminels soient traduits devant la justice et punis, sans quoi la vie et la propriété des citoyens ne sont plus en sûreté. ' Ce serait une honte pour l'Etat que le Gouverneur fût contraint de recourir à une force militaire pour abattre l'insurrection contre lei» autorités légales ; mais ce serait une honte infiniment plus grande encore qu'une foule, si nombreuse qu'elle fût, pût se jouer de l'existence des citoyens et braver les Cours de justice. Sans esprit de parti à cet égard, nous espérons que le gouverneur Wicklifi'e prendra, s'il eet nécessaire, des mesures promptes et efficaces pour abattre ces procédures despotiques et pour veiller ù l'exécutiou des lois.

CepeDcfant îe journal précité connait le mal demi iî repousse le ?emède, ainsi que l'atteste la description suivante de l'ancien régimej? datée,du mois d'octobre 1859 :

Lorsqu'on voîeur de bœufs, un voleur ^e porcs, un Toîeur de nègres ou un misiémble assassin,—quelfjue noir que soit son caiactère et odiewx que soit son crime,—est arrêté et traduit devant une Cour de justice, po^ir y être jugé et puni, que fait le coquin pour échapper au châtiment? fe"îl n'a ni argent ni amis, le ciel hii vienne en aide! H'îla de l'argent on une propriété quelconque, il emploie immédiate* inent un avocat qu'il paie de $25 à $5,0G(>, selon que sa bourse est plus ou Hioius bien garnie et que son crime est plus ou moins atroce. L'avocat se charge de sa cause, non par principe, par amour de Ba paroisse, de son Etat, de sa race, du bon ordre, nîuis pour l'argent et souvent pour une bagatelle. Pour une somme bien moindre que celle qui induisit jadis certain gentleman à trahir son maître, il s'efforce de blanchir le criminel et de le lâcher sur la société,oit il ira encore voler, piller et assassiner.

Le Moniteur des Attakapas, — Attakapa» Regisier, —également publié à Franklin, ne ménageait pas non plus les Yigila»ts. Nous lisons dans son numéro dn 1er octobre 1859 :

L'ex-gouvernenf Mouton prête aux Vigilants l'influence de son nora et de sa position, et les soutient dans les outrages inhumains qu'ils commettent. Déjà twixs avions appris que le gouverneur Mouton était membre du Comité, et qu'il en avait inspiré et dirigé tous les mouvements, bien qu'il ne se fût pas mis en campagne avec lui ; mais, songeant à la situation honorable et éminente qui lui avait été faite parle peuple, comme conservateur de la paix dans les années passées, nous n'avions pas cru k cette rumeur et nous avions douté qu'ail pût, en aucune circonstance, permettre (ju'on fit usage de son nom et de son influence dans une entreprise illégale et rebelle. Mais il ne nous est plus permis de conserver ce doute.

' Nous pourrions supposer qu'un homme comme le gouverneur Mouton, possédant dans la communauté une haute position conquise par ses qiialités morales et son éminente capacité, se joigne, dans un cas particulier, à une bande de cette sorte, pour en devenir le conseiller et le directeur ; pour tenir égales les balances de la justice ; arrêter la licence ; prévenir la confusion de l'innocent et du coupable : tempéi;er la justice par la miséricorde : empêcher de commettre des actes de violence et de barbarie et veiller à ce que les sentiments de lacommu» nauté ne soient point outragés. Mais nous avons le regret de dire que telle n'a point été l'intention de l"ex-Gouverneur ; il a fait partie du

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qui osaient pf

quand les pères, les époux et les frères étant arrachés à leurs demeures, torturés avec inhumanité et violemnient expulsés de leur pays,

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lenre femmes et leurs eufante étaient exposés a la raart dans les prairies. Sous fa conduite, le Comité u'a pas été guidé par la moindre îiotion de jtisric<\ ou gouverné parle moindre sentiment de pitié dans rexécuti<*n do ses ordres et de ses instructions. Il «serait iusensé de croire qu'il n'a pas af puyé ces actes. Sa grande influence est trop connue ponr cj'i'il subsiste un doute & cet é^ard. N'aurait-il pu empêcher cetro bande de commettre tant dVitrocitéfi ?—Dire qu'il ne le pouvait pas. que fson contrôle était sans poids t't ses conseils méprisés, serait nier son infiuenee dans la communauté et lui refuser ce q«e ses amis réclament pour lui. Comme tout le monde ici, nous «ommes convaiacu que rex-goiiverne«r Mouton aurait pu contrôler les actes •des Vigilants et prévenir bien des cruautés et des barbaries, qu'il aurait pu débarrasser le pays d'hommes nuisibles, sans avoir recotjrs à la violence et à la rebeilion. S'il eut agi ainsi, comme c'était son devoir, et surtout soa devoir eu égard à sa haute position, beaucoup d'illégalités auraie>nt été évitées par lui; il aurait obtenu les éloges et les applaudiese'.ne^its de ses-eoncitoyenfi, et son nom aurait été trans-înis a«x générations futures comme celui d'un homme bon et miséricordieux, pur de toute tache de cruauté. Mais, par la marche qu'il a cru devoir suivre,—poussant à la violence au lieu de prêcher )a modération,—bravant le pouvoir executif de l'État «u lieu de dissoudre le Comité,—dormant son approbation «iiK)n sa participation aux outrages vils et i!ihumâii>s commis «ur un grand nombre do personnes rassemblées dans un but inaisible en apparence, car nous ne uous inquiétons pas de savoir s'ils étaient coupables ou innocents,—en excitant à la révolte contre la loi, lorsqu'il devait tout faire pour eu maintenir le respect,—il s'est pZacé avec tous les Vigilants dans l'attitude de la rébellion, et il doit compte de ce fait aux tribunaux. C'est là un triste et fcumiliîint spectacle, et uous voulons encore espérer qu'il est faux que l'ex-gouverucur Mouton appartienne à cette bande.

Mais tous les journaux attakapiens ne parlent pas sur le même ton. Nous avo<ns mentionné ailleurs Tintelligent et énergique concours des journaux de V-ermilloiwille et de Saiot-Maî-tin ; nous remarquons maintenant le langiage sympathique de la Gazette des Opelousas :

Noue appreumis que le Gouverneur et sa suite ont visité cette partie de la Louisiane dans!'© but de supprimer une prétendue insurrection ou une révolution qui, suivant uue autorité judiciaire de cette paroisse, sévissait à Saint-Landry et dans les paroisses voisines. On avait dît au Gouverneur que les Comités de Vigiknce avaient fouetté jusqu'à mort d'honnêtes gens, dispersé dans les bois des femmes et des enfants innocents et les y avaient fait mourir de faim ; que lei« warrants des autorités régulièrement constituées de l'Etat ne pouvaient ^tre exécutés; que les officiers de la loi étaient bravés par <:rette orgaumtjoii; qu'il était eu couséquence prié do venir pour ],^ œuvei'eeî:.

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Étranofes durent être les sentiments du gouverneur WickiiffiB,lors -qu'il arriva .sur la scène de l'action et qu'il npprit le véritable état des tihoscs. Pas un seul membre des Comités de Vigilance n'avait refusé, en aucun cas, obéissance aux ordres émanés des Cours de son pays, ou résisté à un officier dans l'exercice de ses fimctious. Un warr.tnt avait été lancé centre un membre des Comités dj-i Vif^Llance, et immédiatement ce membre s'était présenté devant le majjistrat et avait fourni caution pour répondre de sa comparution à la session suivante de la Cour de District : et ainsi, pensons-nous, aurait fait tout Vigilant de cette paroisse, en semblable circonstance. Ce sont tous des hommes-honorables, profondément intéressés à la prospérité de la communauté.

Il est viai qu'avant la mémorable journée Au 3 Septembre, et en d'autres lieux qu'à, la Queue-Tortue, iU avaient châtié quelques voleurs et coquins bien connus et leur avaient ordonné de quitter le pays. Est-il extraordinaire qua lorsque ces u>iséraUle8 réunis à des brigands nomades venus d'auti-ea régions donnaient ud«' fête, défiaient les honnêtes gens, proclamaient leur résolution de rester dans le pays, envoyaient un message spécial aux Comités, les prévenant que s'ils voulaient les chasser, ils les trouveraient tous à la Queue-Tortue, prêts à se défendre ; est-il extraovdina-ire que les Vigilants, ainsi provoqués, aient infligea toute la bande un châtiment sommaire?

D'honnêtes gens ont souffert dans ce fouet infligé en gros? Mai* quelle affaire avait là unhonncite homvie ? Comment eut-il o.sé se liguer »vec des bandits avoués contre la population honuête?

L'arrivée du Gouverneur fut immédiatement notifiée à ces prétendus Modérateurs, et plusieuis d'entre euji allèrent le trouver, lui décrivirent dans un langage pompeux leurs propies vertus et leurs habitudes laboiieuses ; lui dénoncèrent avec indigua.tiou leurs persécuteurs, insistant longuement sur ce fait qu'ils respectaient les lois et que, lorsque leur grande et deruiève infortune leur était advenue, iltt s'étaient assemblés ponr la protection de la loi et pour l'exécution de 0 la proclamation de Votre Excellence, monsieur le Couverneur. »

Mirabilc dicta ! En terminant leur harangue, ils produisirent, pour établir qu'ils étaient de bons citoyens, des certificats de Son Honneur le juge ***, et demandèrent au Gouverneur s'il ignorait que des hommes auxquels le juge délivrait de tels certificats, étaient loyaux, et que k'M torts commis à leur égard devaient être redressés.

La substance de la réponse du Gouverneur à leur appel fut que,, s'ils avaient éprouvé un tort, ils devaient s'adresser aux .autorités judiciaires ayant juridiction sur l'affaire. Là, justice leur serait rendue. Jusqu'à ce qu'une opposition fût faite à l'exécution des mandata de»' Cours etde lei*rs officiers, son devoir n'était point diatervenir. Il verrait à ce que les lois fusse<it exécutées, lorsqu'on invoquerait son appui dans des circonstances opportmies.

La convenance de l'usur}>ati()n des fonctions de la loi par un certain nombre d'hommes n'est point en question devant cette communauté. Une nécessité commandée par la première loi de r.ature, la défense personnelle» a contraint les premiers et les meilleurs d'entre-wcus d'employer de vigoureux moyens pour protéger leur eO.reté- e4b

— 407 — kurs propriété . Il s'agit maintenant de savoir «ils seront soutenu? ou 81 \me hoKle do co<ininfi sera de douv<?, u lâchée Pur nous.

Demi<.'reîîipnt, plusieurs pîv>6critsont parcouru les ruesd'Opplousa* hardiment et en plein midi; ils rôdent en armes dans le voisinage et Ke montrent au corn des ruée. Quel charme, quelle langue de syrène les retiennent encore ici ? 81 nous avions un mt.t d'avis à leur donner pour leur profit et celui du public, nous leur dirions : « Ne vous oubliez pomt ICI Les Comités et vous ne pouvec vivre voisins ; les un« ou les autres doivent partir, s

Notre but n'est pa« de prouver que les Comités de Vigilance sont absoluiiient nécessaires dans St-Landry; mais ils existent, et il et=t impossible de juger de la chose à quiconque est éloigné de Pendroit et Ignore la topographte de la paroi^^se et les occupations des citoyens fet-l.andry embrasse une vaste superficie dont une notable partie €st appropriée à 1 élève du bétail. La sont situées les v»cheiics et errent les grands troupeaux qui, jusqu'à ce jour, (mt constitué princi-paleraeiiit la. nchesse de la paroisse ; là aussi se rassemblent les pirates <^ui traitent leurs semblabes comme une proie. Ils s'établissent le Ong des bayous et dans les baies oii ils peuvent le mieux poursuivre leur criminel trafic ; ils vivent sur une terre qui n'est pas souvent la leur, dans do petites cabanes près desquelles ou voit à peine le soup eond un champ; ils n'ont rien, ne font rien et pourtant vivent. Un honnête homme ne pourrait demeurer là, où sont réunis des gens de t^ette trempe. En de tels lieux, bien faibles sont les chances de surprendre un voleur, et bu'sque par hasard un individu est arrêté en îiagrant délit <Ie vol, le faux serment de ses compagnons lui fait un bOHchercoiitre le.s peiiM.-, de la loi outragée.

Us sont ])ien approvisionnés de bœuf; ils ont des peaux à vendre souvent avec la marque coupée, et ils ne pourraient nommer un seul • propriétaire auquel ils aient acheté un bœnf depuis plusieurs année'' A cause de leurs déprédatiims, il se marque aujourd'hui beaucoup moins de veaux q.ie par le passé.

Mais ces misérables ne sont pas les seuls dont ait souffert le br.n ' peuple<je fet-Landry ; ils ne sont que de pauvres instruments entre les mains d hommes ambitieux, de coquins plus hardis. Leg démagogues alimentent leurs vices et reçoivent leurs votes ; des hommes ouf ont une tortuneplus grande, une position plus élevée dans la société, mais aussi une honnêteté moindre et des instincts plus vils, s"il est possible favorisent leur évasion aux poursuites <le la justice et profitentdeleur :?ce.eratesçe. C est à purifier la communauté de ces fknges que travaillent maintenant les Vigilants. Tant qu'ils se borneront à 1 objet de eur organisation, tous les bons citoyens doivent les encourager dans Jeiir noble tâche. ^

LA PRESSE LOUISIANAISE

Constatons maintenant le ton général de la presse a« dehors des Attakapas. Voiei d'abord comment s'exprirae^ie Bâton Roiio-e Ad-/locale, journal officiel de l'État : ^

,4ûe g^uvern£ur AVickliffe arriva iies paroisses du Sud-Oue^t, qal

étaient nn théâtre de violence et d'anarchie et nonsr informe que l'ordre a été rétabli, bien qu'il y règne encore une vive émotions Le Gouverneur est allé jusqu'à Veiiuilionvilîe et a eu desenti evues avec les principatix cliefs des Comités de Vigilance, lesquels lui ont promig' que l'orjîanisation ne tenterait de commettre tHicuae violence «Ité-î-ieure. Il est difficile de dire jusqu'à quel point ces promesses seront tenues. "Nous y ajouterons peu de foi jusqu'à la dissolution des Comités, chose à laquelle les chcfn n-e. se sont point cngdgês.

Nous apprenons qu'une des victimes de la Queue-Tortue Tient de succomber à la Pointe-Coupée, et que le Dr. Wagner a e<5 une côte brisée et le corps horriblement lacéré par les brutals coquina au pouvoir desquels il est tombé.