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ôutre qu'il est honorable , en toute circonstance, il est même avantageux , bien souvent , d'être sensible et bon !

Maintenant , à cette esquisse faible , mais fidèle , de la conduite franche et magnanime des Américains , avec les Colons de St. - Domingue , opposons la peinture des procédés inhumains des gens de la Louisiane envers ces mêmes Colons , procédés aussi agrestes et sauvages , en tout, que Test le pays d'où ils proviennent. D'abord , à peine les Loui-sianais ont - ils connaissance des malheureux évé-nemens survenus dans les Antilles , à la suite et par un effet immédiat de la Révolution française , qu'ils s'empressent à faire dresser, par le Cabilde ou Corps municipal de leur Colonie , un Règlement portant défense expresse d'y introduire des nègres sortant de ces lieux, et notamment des Iles françaises , sous peine même de quatre cens piastres d'amende par tête de nègre , que le maître serait obligé de payer au profit de la Colonie , d'arrestation , et de prompt renvoi desdits nègres hors du pays. Ils requèrent et obtiennent du Gouverneur - général la promulgation, sur les lieux , de ce règlement prohibitif ; et non , coiitens de cette mesure , ils en font demander , auprès de la cour d'Espagne , la confirmation , rendue effectivement au mois de Janvier 1793. Par la voie de leur Cabilde, ils ont fait, ensuite , rigoureusement tenir la main à l'exécution de ce règlement , sans aucune considération , ni

exception quelconque en faveur des Colons français accumulés au nord de l'Amérique , ( dans un pays dont ils n'entendaient pas la langue , et dont le climat leur était contraire ) et qui , sans cette .rigoureuse interdiction . seraient venus en grand nombre s'établir ici , et y porter les débris de leur fortune et leurs talens , s'ils avaient pu y amener avec eux quelques domestiques fidèles qui ne les avaient jamais abandonnés.

Quelques - uns de ces Colons , n'ayant point connaissance de ce Règlement intérieur , ou bien croyant qu'au bout de quelques années , il était tombé en désuétude ou retiré , se sont transportes , par les terres , du nord de l'Amérique en ce pays , dans les derniers teins , nantis , au surplus, de passeports , délivrés par l'Ambassadeur de Sa Majesté Catholique près des Etats-Unis , pour venir résider ici avec leurs familles et leurs domestiques. Admis déjà tacitement par le Gouvernement espagnol, plus sensible à leurs misères que leurs ci-devant compatriotes , ils n'ont pas tardé à être dénoncés, poursuivis par la canaille louisianaise , et se sont vus enlever, de force , leurs domestiques ( des femmes et des en fans ) , qu'on a tramés dans les prisons , où ces misérables créatures ont été détenues , plus ou moins de tems , aux frais de leurs maîtres , avec réquisitions instantes et réitérées , que formait un tas d'individus sans ame et sans cœur , de les faire renvoyer du pays; jusqu'à ce que le Gouvernement espagnol s

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laissant tomber, la fermentation des esprits à ce sujet , ait pu les faire sourdement remettre à leurs propriétaires.

Cet esprit de dureté et d'inhospitalité est tel en ce pays , qu'un particulier r qui prenait quelque intérêt au sort d'une habitante de St.-Domin-gue , réfugiée ici , avec ses enfans , et dont on retenait , depuis plus d'un an , trois négresses servantes , dans les prisons de la ville , s'étant avisé de dire , dans un cercle de commères louisianaises , que cette dame , chargée d'enfans , hors de son pays , et ayant peu de moyens , était bien malheureuse de n'avoir pas , au moins , une de ses trois servantes , pour apprêter le manger et blanchir le linge de sa famille, et d'être obligée de prendre , sur ses faibles moyens, de quoi payer une cuisinière et une blanchisseuse : 55 Ah ! dit alors , d'un ton mêlé d'aigreur et d'ironie, et d'une voix traînante, une de ces charitables commères , 55 elle est bien à plaindre, ?5 cette belle dame du Cap! Si elle n'a pas de quoi 35 payer , qu'elle blanchisse son linge et fasse sa cui-55 sine elle-même 5 5: et toutes les autres, aussitôt, de l'applaudir unanimement par des éclats de rire grossiers et ricaneurs. A la fin, cependant, et malgré les bonnes dispositions , à son égard , des personnes de son sexe , elle a eu ses trois servantes , au bout de quinze mois d'arrestation , et moyennant trois cents piastres de dépenses et de frais à ce sujet , in-

dépendamment de ce qui , du reste , lui en a coûté par une privation aussi longue de ses domestiques.

En un mot , dans cette conduite indigne des Louisianais envers leurs malheureux compatriotes et leurs anciens bienfaiteurs, il n'a manqué, de leur part, pour couronner l'œuvre , que d'exiger le paiement de l'amende de quatre cents piastres par nègre introduit , au bénéfice de leur pays , conformément au Règlement publié ici et non ailleurs ; et c'est ce qu'ils n'auraient pas manqué de faire , si le Gouvernement y eût prêté la main. Et particuliers , et Cabilde , ils y auraient , en général, contribué de bon cœur. Je ne dis pas pourtant que tous fussent pareillement disposés. Mais il est de fait que , dans le petit nombre de ceux qui n'approuvaient point de tels procédés envers d'anciens compatriotes accablés de malheurs , il ne s'en est pas trouvé un seul qui ait élevé la voix contre un pareil ordre de choses , et fait sentir l'odieux de cette conduite inhospitalière , un seul qui ait plaidé la cause intéressante de quelques malheureux Colons de St.» Domingue , réfugiés ici et dépouilles de cë reste de propriétés , d'un petit nombre de domestiques, un seul enfin , qu'on ait vu s'employer , avec quel-qu énergie , pour faire cesser , partiellement , au moins, ces vexations, si honteuses pour le pays où elles* s'exerçaient ; et que c'est uniquement à des Espagnols que ce petit nombre d'infortunés étrangers a

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dû quelque amélioration dans son état , quelque adoucissement à ses peines.

Et qu'on ne dise point qu'il existât ici un danger imminent à y admettre des familles de St. - Do-mingue avec leurs domestiques, lorsque, par les faits, il était suffisamment démontré que ce danger n'avait été , ni supposé , ni réel, dans les Etats américains ou l'on compte plus de six cens mille esclaves , et qui sont, la Géorgie , les Deux Carolines , la Virginie et le Maiyland. Au fond , qu'avait-t-on à craindre d'un nombre aussi peu considérable de domestiques, qui avaient d'ailleurs fait preuve de fidélité et d'attachement à leurs maîtres , en quittant St.-Domingue, leur sol natal ou leur patrie adoptive , où tout les engageait à rester , pour suivre volontairement ces blancs, leurs maîtres , dans des contrées étrangères, et qui leur étaient inconnues ; et sur-tout , lorsque ces maîtres se rendaient responsables de la conduite de leurs domestiques ? On sent bien qu'il n'existait, en ces mesures de prohibition , ainsi qu'en la manière dont on les a mises en vigueur ici , aucune vue directe d'intérêt public , aucune crainte bien fondée à cet égard , mais plutôt une tournure d'esprit étroite et minutieuse , une dureté de cœur naturelle , une basse envie qui semblait s'indigner de la prospérité passée des Colons de St.-Domingue, s'applaudir de leurs misères actuelles , se plaire enfin à leur ôter jusqu'à une planche dans leur naufrage , et à leur en arracher les débris , et finalement s un fond d'égoïsme et d'inhospitalité dont on voit

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peu d'exemples ailleurs. Voilà quels étaient et quels sont les sentimens des Louisianais , à l'égard de leurs anciens compatriotes de St.-Domingue , sentimens pleinement confirmés par la conduite ostensible des premiers envers les derniers. Aussi , bien peu de ces derniers ont-ils été chercher un refuge sur cette terre sauvage et inhospitalière , et le petit nombre que son malheureux sort y a poussé . a-t-il eu tout sujet de s'en repentir , à la réserve de quelques rafhneurs et ouvriers , dont on avait ici besoin pour l'établissement des sucreries, et qui y ont été bien reçus , en conséquence de l'utilité dont ils pouvaient être à cet effet. Presque tous les Colons de cette Ile infortunée, errans hors de leur pays , loin de leurs propriétés , mais instruits des traverses auxquelles ils devaient s'attendre ici, ont aimé mieux tramer leur existence et leurs peines parmi les Américains , les Danois , les Hollandais , les Espagnols, les Anglais même , en guerre avec leur patrie , et qui tous , plus ou moins , les ont accueillis , que de se rendre en cette Colonie , anciennement française , et qui l'est encore par l'origine de la plupart des Colons , par les habitudes extérieures , et par le langage , mais nullement par le caractère , *qui n'a nul rapport avec cette ouverture de cœur et ce penchant à l'hospitalité , qui distinguent particulièrement le vrai Français. Il parait que , depuis trente- et quelques années que ce pays a passé sous un autre régime , le caractère

national s'y est abâtardi, si tant est même qu'il y ait jamais existé pleinement.

On peut bien s'imaginer , du reste , après ce qui vient d'être rapporté , que ces mêmes Colons de St. - Domingue , à qui on a disputé , en ces lieux , jusqu'à la faculté d'en respirer l'air et d'y vivre paisiblement avec leurs faibles ressources , n'ont pas dû y recevoir la moindre assistance , ni du Gouvernement, ni encore moins des particuliers. Et cela est ainsi. Vexés en tout, bien loin d'être protégés , insultés au lieu d'être plaints , abandonnés de tous , et entièrement isolés dans une contrée qui fut, elle-même, lors de son établissement, un lieu d'exil, et qui pourrait l'être encore à bien des égards , ces infortunés , en petit nombre heureusement , et qu'une femme du pays , en parlant d'eux et plaisantant à leur sujet , appellait ironiquement , Les échappés de' St.-Domingue , n'ont pas tardé à secouer la poussière de leurs pieds , et à fuir de cette terre encore sauvage , aussitôt que les circonstances le leur ont pu permettre ; et même quelques - uns d'entre eux se sont empressés à le faire , avant la cessation des hostitilités , et au risque d'être pris par les corsaires ennemis, qui , plus humains que les Louisianais , n'ont pas toujours dépouillé l'infortune , et l'ont, au contraire, quelquefois soulagée. Voilà quelle a été la conduite d'une peuplade , ci - devant française ? envers de -nialheureux

français

Français d'une Colonie dont elle avait toujours reçu des secours et des témoignages de bienfaisance; conduite entièrement opposée à celle de diverses nations étrangères , et notamment de l'eiat de Maryland , à l'égard de ces mêmes Français , ainsi que je l'ai déjà rapporté. Ce sont des faits notoires , et bien différens les uns des autres , qu'il est bon de consigner dans la mémoire des hommes , afin que , par le contraste frappant de la sensible humanité et du cruel égoïsme , et par les sentimens divers de plaisir et d'indignation que doit leur inspirer ce rapprochement , ils se pénètrent bien du noble devoir qui leur est imposé à tous de s'entre-aider mutuellement. Et puisse même le Louisianais, au cas que cet ouvrage parvienne jusqu'à lui, contemplant l'image de ses défauts réfléchis dans ce miroir fidèle , en rougir , et , qui plus est, faire d'utiles efforts pour s'en corriger , et pour effacer ainsi la honte qui en réjaillit sur lui !

De cette peinture des imperfections morales qui sont communes aux Louisianais , je passe volontiers aux détails de quelques bonnes qualités qu'il serait injuste de leur refuser, et qu'on sait, d'ailleurs, pouvoir s'allier, avec des vices et des défauts qui leur semblent opposés , dans le cœur de l'homme , dans cet abîme impénétrable de contradictions , qui réunit, parfois , les extrêmes , et les confond ensemble. Fidèles à leurs engagemens , bons maris, pères tendres , et fils soumis , ils sont, en outre >

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laborieux , industrieux mêmes , très - proprefc zxs% arts mécaniques , ouvriers par instinct , et imitent facilement tous les ouvrages qui dépendent et de la justesse du coup-d'œil et de l'adresse de la main. Ils ne sont point adonnés au libertinage : et même, quoique fort ignorans , ils ont , dans leur jeunesse , une certaine perspicacité naturelle et une disposition particulière à apprendre le peu qu'on leur enseigne. Il est vrai que c'est un feu de paille , qui s'éteint "bientôt, faute d'alimens et d'entretien. Peut-être il ne leur faudrait , pour développer leurs facultés intellectuelles et donner du ressort à leurs ames engourdies , que des maîtres habiles , et de bonnes institutions ; et c'est ce qui a toujours manqué , et manque au pays. Peut - être aussi , ; ( et je le crois beaucoup ) que de telles institutions ne pourront jamais prendre racine dans le lieu même, -et qu'il faudra , de toute nécessité , que la jeunesse créole (pour en tirer parti) soit dépaysée , et envoyée par-delà les mers , en Europe , ou, tout au moins , dans quelqu'un des principaux Etats du nord de l'Amérique , où il s'est formé , depuis quelques années , d'assez bons collèges , dont le nombre et le mérite s'augmenteront avec le tems.

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quelques minutes d'une conversation , où il aura mis peu de chose , et sera resté , bien souvent , sur les épines , ira > sans façon , à ses occupations agrestes , et ne reparaîtra qu'à ilheure du repas , se montrant plutôt l'agent subalterne que l'époux de la dame. Aussi les Louîsianaises , ayant plus de tête et d'intelligence que leurs maris créoles , prennent-elles sur eux un ascendant qui dérive de la supériorité d'esprit et de la trempe du caractère ; et il n'en résulte aucun abus sensible , le ménage n'en étant pas moins uni.

Mais la chance est différente , alors que ces mêmes femmes sont unies à des Européens. Cet ascendant n'existe plus de leur part ; ou. bien , si elles veulent , bongré , malgré , s'en saisir et en jouir , à l'exemple de celles d'entre elles mariées à des créolés , il résulte, de cette prétention , que leurs époux ne veulent pas reconnaître , un choc perpétuel , un conflit discordant , qui amènent des scènes scandaleuses , et finissent communément par l'abandon qu'ils font d'elles. On voit dans ce pays , et sur-tout en ville , un grand nombre de femmes qui ne sont, à bien dire, ni filles; ni femmes , ni veuves , et dont les maris , las de lutter contre elles , et renonçant à l'espoir de les assouplir , sans vouloir pourtant leur céder l'empire et se mettre au niveau des époux créoles, ont pris enfin le parti de battre en retraite et de les planter là , aban-

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donnant, nouveaux Belphégors , et leurs revêches Honestas , et le pays qu'elles habitent.

Au reste , les Louisianaises , et notamment celles nées et résidentes sur les habitations , ont diverses qualités estimables. Filles respectueuses , épouses affectionnées , tendres mères , et soigneuses maîtresses , possédant bien les détails de l'économie domestique , honnêtes , réservées, décentes à la tête près t ce sont, en général, de bien bonnes femmes. Un mari n'est-il pas encore trop heureux d'avoir la paix dans son ménage , au prix du sacrifice qu'il fait d'une partie de son autorité , quand , d'ailleurs , on lui tient compte de ce sacrifice par tout ce qui peut le lui faire oublier. Mais , c'est qu'il est des hommes qui n'entendent point raison sur ce chapitre , et qui veulent être hommes daus toute la force du terme. Eh ! qu'en arrive-t-il enfin ? Rien de bon. Des bisbiiles on en vient aux scènes , aux éclats , et delà , au divorce de fait, s'il ne l'est de droit.

C'est , peut-être , en partie , à ce caractère peu .flexible et même .alîier des Louisianaises , trop développé , trop connu maintenant , aussi bien qu'au luxe , qui s'est introduit depuis dix à douze ans dans cette Colonie , qu'il faut attribuer le petit nombre de mariages qui se font actuellement en ce pays couvert de filles nubiles et archi-nubiles , qui languissent dans le célibat et dans l'attente d'un lumen toujours en perspective , et qui semble

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tfre , pour ces Vestales infortunées , la coupe de Tantale. Il est à observer , en outre , qu'en ee pays le nombre des filles excède beaucoup celui des garçons : autre inconvénient, qui rend encore plus défavora ble la chance des premières. Aussi la naissance d'un garçon flatte-t-elle bien davantage les parens que celle d'une fille , qui ne fait qu'allonger une liste considérable , et accroître une disproportion réellement trop grande, entre les individus des deux sexes , en mettant un poids de plus dans un des plateaux de la balance qui n'est déjà que trop chargé.

Au demeurant, il me paraît inutile d'observer que tônt ce qui vi eut d'êneexposé relativement au physique et au moral des Créoles de la Louisiane , hommes et femmes , n'est que sous un point-de-vue général et qui comporte, à tous égards, bien des restrictions. Si , parmi eux , il est beaucoup d'hommes ignorans , durs , intéressés , faux , méclisans , glorieux , et hâbleurs, on en voit d'autres, en revanche , éclairés , humains , généreux , sincères, corn-plaisans , modestes, et véridiqnes , particulièrement ceux qui ont été élevés en Europe ; il est seulement dommage que le nombre de ces derniers soit très - circonscrit , et qu'on soit forcé à dire d'eux : Sunt rari riantes in gurgite vasto , ou bien , ce que Boileau disait des honnêtes femmes de Paris : Il en est jusqu'à trois , que je j)ouvrais citer. De même , s'il existe ici beaucoup de femmes altières et revêches , il en est d'autres , aussi , d'un caractère

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flexible et liant. S'il se trouve une quantité de filles ennuyées et fatiguées de leur état , il s'en voit , pareillement, qui n'y font pas attention, ou, du moins , qui le supportent avec courage , et font de patience vertu. Il n'est pas , comme on dit , de règle sans exception.

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"Kulle difficulté , et ensuite , parce qu'à l'avantage d'y être à l'abri d'un Gouvernement étranger , ils trouvaient réuni celui de n'y point quitter le langage et les habitudes qui leur étaient propres. Et, parmi les uns et les autres , il en est, soit des premiers , qui y ont fait fortune et s'y sont décrassés , soit des derniers , qui y sont pareillement devenus riches , et, qui plus est , honnêtes gens , ou en ont pris le masque ; ce qui revient au même , aux yeux de bien du monde.

Les Espagnols sont , ou des personnes occupées dans les divers emplois de la robe , de la plume , et de l'épée , faisant leurs orges à l'envi les uns des autres , aux dépens du roi , leur auguste maître , et du public , leur très-humble serviteur ( à la réserve de quelques uns d'entre eux qui, conjointement avec un petit nombrede Français, d'Anglais , et d'Américains , sont ce qu'il y a d'honnête et de bien composé , en général , parmi tous les étrangers de diverses" nations que l'on voit ici ) ou des Catalans , gens du commun , presque tous cabarétiers et petits marchands, s'aidant et se soutenant entre eux , comme larrons en foire , et courant à la fortune par toute voie imaginable , en dépit souvent de l'honneur et de la bonne foi.

Les Anglais ou Irlandais, et les Américains , sont , presque tous , commerçans en ville. Parmi eux se trouvent des personnes bien élevées et remplies d'honnêteté , comme il en est également d'autres

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aussi grossières que peu scrupuleuses :. et c*est ce qu'on peut appeler marchandise mêlée , ainsi que cela doit être ordinairement parmi des gens de toute classe que réunit le commerce. Il y a , de plus , un certain nombre d'Américains établis, comme cultivateurs où comme artisans , dans les Postes éloignés , lie et rebut de leur patrie , ainsi que certains Français dont j'ai déjà parlé , mais que la fortune n'a point décrassés ou purifiés , comme plusieurs de ces derniers , et qui , par conséquent , ne pouvant jouer méthodiquement , à leur tour , et à l'exemple de ces favoris de la fortune , le rôle de gens comme il faut ou celui d'honnêtes gens , sont demeurés in statu quo , et tels qu'ils étaient d'abord , c'est-à-dire , de pauvres hères ou des fripons fieffés.

Les Acadiens sont les restes ou les descendans de ces Colons français transportés directement du fond de l'Amérique septentrionale , leur patrie , ou de l'Europe , ici. On leur a distribué des terres , des instrumens aratoires , et on les a nourris et vêtus durant les premiers tems de leur translation et résidence, en ce pays. Mais, du reste, il n'a pas été possible au Gouvernement espagnol de changer leur naturel paresseux , de réveiller leur profonde apathie, et de leur inspirer, enfin , une activité dont les germes n'étaient pas en lui-même. Ce sont des hommes grossiers , ( honnêtes gens , au demeurant ) lents, sans ardeur pour le travail ,

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â vues étroites , à petits moyens , vivant misérablement dans leurs chétives plantations , et bornant tous leurs soins à cultiver du maïs , élever des gorets (comme ils disent ) ou pourceaux, et faire des enfans. Aussi , tout à l'entourde leurs pauvres et rustiques demeures , on ne voit que marmots déguenillés et cochons , tous pêle-mêle et aussi mai-propres les uns que les autres , et, aux portes des cabanes, de grands brins de filles aussi roides que des barres , et de gros rustres de garçons aussi sauvages qu'elles, entièrement désœuvrés la plupart du tems 9 et regardant niaisement passer les allans et les ve-nans , les uns et les autres vêtus de cette grossière cotonnade à fond et raies de couleur qui se fait chez eux, mais lentement, comme tout le reste.

Les Allemands étaient autrefois en assez grand nombre dans cette Colonie , où on les avait transférés , comme Font été depuis les Acadiens. Il ne subsiste plus de ces importés , vu l'ancienneté de leur translation. Mais il est venu ici , depuis ce tems , quelques autres individus de cette nation , qui existent encore , et qui, de même que la plupart des Créoles de race allemande , assez nombreux dans le pays , sont aisément reconnaissables , soit par leur accent , soit par un teint haut en couleur et blond, soit enfin par leur penchant à l'ivrognerie , leur inhospitalité, leur dureté de caractère, pour ainsi dire, innée, et cette brutalité farouche qui semble être affectée au commun de cette nation; du reste, honnêtes-

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'gens , cultivateurs laborieux , et artisans adroits , quoique aussi fortement attachés ( et ce ne n'est pas, peu dire ) à leur routine qu'à leurs intérêts , et peu ou presque point susceptibles de grandes vues.

îl existe , en outre , dans la classe infime des Etrangers , quelques Italiens adonnés à la pêche , des Islennes ou Canariens , occupés du jardinage et de quelques autres menus objets de consommation, et même jusqu'à des Bohèmes qu'on a réussi à y domicilier , et qui sont , presque tous, danseurs ou ménétriers.

A cet égard > j'ose dire qu'il est peu d'endroits au monde où l'on puisse voir , dans un local de pareille étendue, l'espèce humaine aussi diversifiée, en nations , en races , et en couleurs , qu'à la Nouvelle-Orléans , dans les mois de janvier, février et mars , où le concours d'individus y est plus considérable et plus varié qu'en tout autre tems.. C'est réellement un spectacle original , et qui semble réservé à ce petit coin du monde.

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fois , des scènes scandaleuses entre eux et quelque.? blancs. Mais , vu qu'il y a dans ce pays au moins six blancs contre un affranchi , cette considération , jointe à leur pusillanimité innée , est un frein à leur arrogance.

Les mulâtresses , n'ont pas tous les défauts des mulâtres. Mais elles se rapprochent d'eux , par leur propension au libertinage , leur vanité , qui est le péché mignon des uns et des autres , et (par un effet de cette même vanité) leur haîne pour la classe des blancs, en général , et pour les femmes blanches, en particulier , haîne qui est subordonnée, au reste , à leur intérêt personnel , puisqu'un grand nombre d'entre elles vit en concubinage avec ces mêmes blancs par un esprit de cupidité , bien plus que par les liens d'un sincère attachement.

Les uns et les autres sont d'une complexion forte , et d'une taille moyenne et bien proportionnée. Mais ils ont les traits durs , et une physionomie peu avenante ; et leur peau même semble être ici plus grossière et plus livide qu'ailleurs.

Les reste des gens libres a plus ou moins de rapport avec ces premiers , sans avoir pourtant le même fond d'arrogance et de vanité.

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leur esprit , leur disposition à se laisser conduire , leur incapacité morale , et , pour ainsi dire , une direction particulière , une propension innée , une tendance élastique , en eux , vers un ttat purement passif, en cela tout-à-fait différens des sauvages ou indigènes de l'Amérique , aussi ennemis de la sujétion , que les nègres y sont naturellement portés : comme on voit , parmi les animaux , certaines espèces que leur instinct dirige à l'état de domesticité , et d'autres , au contraire , qui s'en éloignent, et qu'on ne peut y soumettre en aucune façon.

Relativement au caractère opposé , à cet égard , de ces deux espèces dliommes , c'est un spectacle, philosophique et instructif, qu'on a , sous ses yeux , en cette Colonie , et dont on peut tirer les inductions suivantes. Si la nature avait départi aux nègres le même instinct qu'il a imprimé aux sauvages , il est certain qu'agi lieu de s assujétir , machinalement et gratuitement , aux travaux toujours renaissans de la culture , à la discipline d'un atelier , aux rudes punitions qui leur sont infligées en cas d'infraction de cette discipline , ils abandonneraient, d'emblée et spontanément , les habitations où ils travaillent sans cesse et sans bénéfice , et où , d'ailleurs , ils ne sont point enchaînés , pour gagner les bois voisins, s'enfoncer dans l'intérieur du pays , et là , vivre indépendans , à l'instar des sauvages , avec d'autant plus de sujet que leur paresse naturelle

turclle aurait encore de quoi s'applaudir d^une semblable résolution , et les engager à y persister.

Serait-ce l'incertitude d'une subsistance assurée , dans ce nouveau genre de vie, qui les tiendrait soumis au joug ? Mais on sait bien que leur conception ne va pas jusqu'au point de s'occuper , même à cet égard , de l'avenir : et , au surplus , l'exemple des sauvages existant de cette manière , en diverses peuplades , suffirait pour les rassurer. Serait-ce la crainte d'être poursuivis et atteints par leurs maîtres au fond de ces vastes contrées , ramenés dans leurs ateliers , et châtiés rigoureusement de leur évasion ? Tout bornés qu'ils puissent être, il ne faut point s'imaginer qu'ils le seraient assez pour concevoir une crainte aussi chimérique , en raison de la difficulté , presque insurmontable , pour une poignée de blancs , de les poursuivre et de les atteindre au centre de ces régions sauvages , et sur-tout de les en retirer ; difficulté si "grande , à tous égards , qu'à l'examen elle se transforme en impossibilité dont les nègres seraient intimement convaincus. Serait-ce aussi l'appréhension d'être arrêtés et ramenés à leurs maîtres par les sauvages, ou, tout au moins, combattus par eux ? Un pareiL motif de frayeur n'est pas plus fondé que les précédens , vu que les nègres , désertant les ateliers , partant en masse , et pénétrant dans de si vastes contrées , épouvanteraient plutôt les modiques pelotons de sauvages errant de loin en loin , dans ces déserts , qu'ils

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n'auraient sujet d'en être effrayés , et trouveraient , d'ailleurs , à se placer commodément et sans porter aucun ombrage à ces petites peuplades , en s'é-loignant des limites de la Colonie , et se fixant en des lieux solitaires , où la nature est encore maîtresse d'elle-même , et leur offrirait une retraite paisible et assurée. Au surplus , cette crainte d'être inquiétée par les naturels du pays , est si dépourvue-de réalité , que le petit nombre de nègres qui s'est réfugié parmi eux , y a presque toujours trouvé un asile , et qu'on a vu même plusieurs de ces nègres , après un laps de tems considérable , abandonner cet asile , pour retourner volontairement auprès de leurs maîtres , et rentrer dans leurs ateliers , comme le chien , échappé de son chenil, y revient de lui-même et par un instinct de servitude.

Seraient-ce enfin la comparaison que les nègres feraient de leur état à celui des sauvages , et la préférence qu'en dernière analyse , et toute balance faite , ils donneraient au leur ? Il est à présumer , en effet , que cette perspective finale peut influer sur leur conduite et leurs déterminations particulières. Mais , ce qui l'emporte ouvertement sur toute espèce de motif isolé , de cause accidentelle , ce qui constitue le mobile principal de leurs actions , et forme l'essence de leur caractère, est , comme je l'ai déjà dit , cette irrésistible propension , cet instinct machinal , qui

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les dispose et les attache à la servitude, ainsi que-le pigeon au colombier , la volaille aux basses-cours , et le bœuf au joug , état dont ils ne s'élèvent momentanément que pour se livrer à toutes sortes d'écarts , et dans leqnel ils retombent bientôt après , d'une manière ou d'une autre , et comme étourdis de cette ivresse morale et de l'égarement où elle les a plongés.

Pour mieux faire sentir ce pouvoir de Finstinct, cette force du naturel , je me bornerai à poser deux ou trois questions liées ensemble , et qui m'amèneront à la conclusion de mes principes. A-t-on jamais pu soumettre , en aucune contrée de l'Amérique , le sauvage à ce même état de servitude , et en tirer parti ? Toutes les tentatives qu'on a faites à ce sujet, n'ont elles pas été infructueuses ? A-t-on pu jamais plier leur esprit indépendant à cet état d'abjection ? Ce ressort puissant, qui est en eux, n'a-t-il pas toujours conservé sa force et son indestructible élasticité ? A-t-on pu détruire., enfin, ce mécanisme invariable, sans détruire aussi la machine , et briser le caractère , sans tuer l'individu ? N'est - ce pas , en un mot , cette impossibilité bien reconnue , bien constatée , par l'expérience et le tems , de soumettre positivement cette espèce d'hommes à l'esclavage , qui a enfin déterminé les Gouvernemens Espagnol et Portugais à décréter la liberté de ces mêmes hommes qu'on n'avait jamais pu façonner au joug de la dépendance , et qui

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ont toujours préféré la mort à la servitude ; plutôt que de prétendues maximes de justice et d'humanité 9t qui n'ont jamais été la règle de conduite et la boussole de ces Gouvernemens , dans le régime intérieur de leurs Colonies ?

Il n'en est pas de même des nègres ; et l'esclavage est , pour eux , soit dans les contrées dont ils sont originaires , soit par-tout ailleurs , un état naturel , duquel ils ne sortent qu'avec violence , et dans lequel ils rentrent , au contraire , avec souplesse , et comme un troupeau de moutons dans l'étable. Et même les grandes scènes qui ont eu lieu , depuis quelques années , dans les Colonies françaises , et notamment en l'Ile de St.-Domingne , ne servent qu'à confirmer , qu'à corroborer mes réflexions à ce sujet , et viennent à l'appui de ce que j'ai déjà dit. Il est indubitable que les nègres , en cette dernière Colonie , théâtre de tant d'événemens désastreux , n'ont jamais cessé d'être esclaves de fait jusqu'à ce jour , s'ils ne Font pas toujours été de nom , de quelques chimères qu'on les ait bercés , en quelque situation qu'ils aient pu se trouver, et sous quelque dénomination qu'on ait pu les désigner. Avant la Révolution , ils étaient esclaves de leurs maîtres légitimes ; dans les premières années de cette Révolution , ils Font été des Commissaires fiançais et des mulâtres ; et depuis 3 ils le sont devenus de leurs

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chefs , nègres comme eux , et de quelques blancs et mulâtres , adjoints à ces chefs. On a bien détruit le mot, mais la chose est restée ; parce que le mot n'est rien et que la chose est tout , parce que mon manteau , par exemple , peut bien ne pas être apellé manteau , mais servira toujours a me couvrir , ainsi que sa destination le comporte , et parce qu'enfin , pareillement , le nègre esclave , peut bien être désigné sous toute autre qualification qu'on jugera convenable , mais ne pourra jamais être employé , avec avantage , dans les Colonies, autrement qu'il ne l'a déjà été avant ces troubles , a moins qu'on ne parvienne à changer son naturel , à détruire l'instinct qui le lie à la servitude , et à le rendre aussi piopre , aussi bien disposé que le blanc à l'état de civilisation , c'est-à-dire , en d'autres termes , à moins qu'on ne réussisse à communiquer au loup les habitudes du chien , et au singe celles du mouton , à confondre ainsi les bornes de la nature , et à bouleverser l'ordre et les lois par elle-même établis. On a beau dire et argumenter contre : cela est ainsi. Et tous les raisonnemens de nos prétendus philosophes à révolution , de ces enthousiastes de la liberté générale , de ces charlatans négrophiles , échouent contre une série d'observations fondées sur l'expérience et jus-î tifiées par elle.

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vraisemblablement , de mauvais sujets de toute espèce et de toute couleur , qui , se mettant à leur tête , dans ce cahos général , les porteraient à des excès terribles et incalculables , en supposant que les circonstances y fussent alors aussi propres à ce bouleversement moral, qu'elles Font été à St.-Domingue , en ces terris désastreux ; ce qu'heureusement pour ce pays on ne peut admettre en aucune manière.

Les nègres , quoique soumis à des travaux suivis , ne sont point excédés d'ouvrage , à la réserve du tems de la roulaison dans les Sucreries , espace de deux à trois mois où réellement la masse des travaux n'est pas proportionnée à celle des travailleurs , qui s'en trouvent alors surchargés , de nuit et de jour , proportionnellement à leur nombre. On conviendra y sans doute , qu'un atelier de quarante nègres exploitant une roulai-son de cent vingt milliers de sucre , et d'autant de barriques de sirop , dans le court espace de deux mois , froids , brumeux , pluvieux , de novembre et décembre , avec toutes les difficultés et les embarras divers , résultans (Je la rigueur de la saison, de la brièveté des jours , et de la longueur des nuits , n'a guères le tems de bâiller aux corneil-lers ou de dormir , et doit bien se manier , comme on dit ici , pendant ce tems-là. Il est vrai qu'on les nourrit alors plus copieusement , et , suivant l'expression coloniale , à la main. En tout autre

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tems et dans les autres cultures , ii n'en est pas de même. Les travaux n'y sont pas excessifs : mais aussi la nourriture n'y est pas abondante

Dans un pays qui n'a point les ressources qu'ont les Antilles , et cette abondance de vivres divers presque toujours en rapport , tels que bananes , magnocs , patates , ignames , choux-caraïbes ou malangas, choux - palmistes , riz , maïs , mil, pois et fèves de tonte espèce , etc. , et où le nègre n'a d'autre nourriture assurée que le riz , le maïs, et une espèce de petites fèves brunes , la ration réglée de chaque nègre , par mois, est composée seulement de la valeur d'un baril de maïs en épis , le maïs étant le seul vivre dont les récoltes soient assez abondantes en ce pays, pour qu'on puisse en tirer la subsistance nécessaire aux esclaves de la Colonie. Le riz , les fèves , et les patates , ne suffiraient pas pour en nourrir seulement le quart , à moins qu'on n'accrût beaucoup les plantations de ces vivres au détriment des cultures principales : ce à quoi les habitans ne seraient pas disposés. Il est , quelques - uns d'entre ces habitans qui joignent à cette ration de maïs un peu de sel : et voilà tout.

Il faut que le nègre , aux heures qui lui sont réservées , s'occupe à dépouiller , égrainer , piler , bluter ou bien laver, suivant leurs diverses préparations , ce maïs , qu'il lui reste encore à faire cuire ,

avec

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avec le bois qu'il doit se procurer lui - même. Il faut pourtant qu'au point du jour , hiver comme été , il soit aux champs jusqu'à midi. Il y porte le matin , en s Y rendant , son déjeûner qu'il mange , entre huit et neuf heures , à l'endroit où ses occupations le retiennent. Le travail du maître est suspendu depuis midi jusqu'à deux heures de relevée , où il reprend , sans discontinuation t jusqu'à l'approche de la nuit , sous l'inspection ou du maître ou de l'économe , et sous la verge d'un commandeur nègre.

Le bon nègre , durant les deux heures de relâche qui lui sont accordées , ne perd pas son tems. Il ya travailler à un coin de terre où il a planté des vivres pour son benefi.ce , tandis que sa compagne , s'il en a une , est occupée à préparer quelques alimens pour lui , pour elle , et pour leurs enfans. Car , j'ai observé qu'en cette Colonie les enfans des esclaves ne sont pas nourris spécialement par les maîtres , ainsi qu'ils le sont aux Antilies , et que leurs pères et mères en restent chargés , moyennant une demi-ration de maïs pour chaque enfant , à compter seulement du jour de son sevrage , le lait de la mère , astreinte a son travail ordinaire , étant jugé suffisant pour le nourrir jusqu'alors : surcroît d'embarras et de peines poux ces malheureux êtres.

Retirés le soir dans leurs cabanes , les uns et les autres , après avoir préparé et fait un bien frugal

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;repas ( ce qui les tient éveillés encore assez tard) , se reposent, à l'exception de quelques coureurs de nuit qui, faute de trouver des femmes parmi eux, ( vu qu'en cette Colonie le nombre des négresses est dans une disproportion considérable avec celui des nègres, qui sont, pour le moins, trois hommes contre une femme ) vont chercher ailleurs de bonnes aventures , et en trouvent quelquefois de mauvaises dans là rencontre fortuite d'une patrouille des habitans voisins qui les ramasse , et les renvoie le lendemain au matin , dans leurs ateliers , après une correction plus ou moins rude , et dont néanmoins le souvenir est bientôt effacé , par un effet de leur disposition morale , et parce que le besoin de la nature est encore plus vif en eux,-que la sensation du châtiment n'est durable.

Leur nourriture ordinaire , est du maïs , ou un peu de riz et de fèves , cuit à l'eau et presque toujours sans graisse et sans sel , auquel ils ajoutent, par fois , une petite pièce de gibier sauvage qu'ils auront eu l'adresse de tuer dans la plaine ou dans le bois , et sur le choix duquel ils ne sont pas difficiles. Pour eux tout fait chair. Ils mangent volontiers du pichou, espèce de moyen loup ou grand renard , du chaouy, autre espèce d'animal sauvage plus petit , du chat et du rat des bois , de l'écureuil, et jusqu'à du crocodile , en laissant aux blancs le che-vréuil et le lapin , qu'ils leur vendent quand ils en tuent.

mais n'en mangent point , on ne font , k bien dire , qu'en goûter. C'est trop délicat ponr eux : ils aiment mieux en faire de l'argent, ainsi que de leurs œufs , pour se procurer,, soit quelque vêtement, soit tout autre objet plus à leur convenance , et sur-tout quelque petite mesure d'eau-de-vie de cannes, ou tafia, dont ils sont généralement avides , au point que , si Ton veut avoir un coup de main prompt et vigoureux de leur part , à défaut de fouet, on n'a qu'à leur promettre un filet , e'est-à-dire trois doigts de cette liqueur favorite à chacun , et on les fera voler , par ce moyen , à travers les flammes. Le tabac, fumé ou mâché , est encore un de leurs goûts particuliers.

On ne leur donne , pour unique habillement, durant toute l'année , qu'une modique couverture de laine qu'on distribue à chacun d'eux au commencement de l'hiver , et dont ils se font une espèce de manteau ou capote , qui les couvre de la tête aux bas des cuisses , en cette saison rigoureuse. Au surplus , croirait - on que leurs maîtres sont assez parcimonieux et regardans , pour retrancher une demi-heure sur leurs deux heures de relâche , à compter de la Toussaint jusqu'à Pâques , en compensation de la brièveté des jours durant cette saison ; et pour retenir et prélever , en outre , jusqu'au prix de la couverture de laine qu'ils donnent à chacun d'eux , à-peu-près comme M. Guillaume donne son drap , (article de trois piastres,

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au plus), soit sur les jours de dimanche dont les Ordonnances Coloniales assurent la disposition à ces misérables, ainsi que de leurs deuxheuresjournalières, soit sur quelque autre objet qui puisse remplacer la valeur de cet important article, et servir de remboursement d'une telle avance à ces généreuxLouisianais, au profit desquels travaillent pourtant leurs pauvres esclaves d'un bout de l'année à l'autre , sans aucun émolument , aucun bénéfice quelconque.

Leurs cabanes enfumées , sont composées de pieux et d'ais de cypre apposés les uns près des autres , et à travers lesquels pénètrent et la bise et la pluie. A ce sujet , il se présente , à ma plume , une petite anecdote , dont le fond , en lui-même , est peu de chose , il est vrai , mais, dont le détail ne peut qu'intéresser toute ame sensible , en offrant un trait nouveau de la profonde indifférence des Colons de la Louisiane envers tout ce qui tient à l'humanité. Et je vais la rapporter ainsi qu'elle s'est passée , il y a peu de tems , sous mes yeux. Diverses personnes , dont je faisais nombre , profitant d'une de ces belles journées qui embellissent , par fois , l'hiver de la Louisiane , se promenaient, au déclin du jour , dans l'intérieur d'une habita-tation. Comme on traversait ce qu'on appelle improprement , en ce pays , le camp , qui est l'endroit où sont posées les cabanes à nègres , à une petite distance les unes des autres : 55 Allons visiter la Cen-?5 tenaire , dit quelqu'un de la compagnie ; et l'on

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s'avança jusqu'à la porte d'une petite hutte , où je vis paraître, l'instant d'après , une vieille nègres? e du Sénégal , décrépite au point qu'elle était pliée en double , et obligée de s'appuyer sur les borda-ges de sa cabane , pour recevoir la compagnie assemblée à sa porte , et, en outre, presque sourde , mais ayant encore l'œil assez bon. Elle était dans le plus extrême dénuement , ainsi que le témoignait assez tout ce qui l'entourait , ayant a peine quelques haillons pour la couvrir , et quelques tisons pour la réchauffer , dans une saison dont la rigueur est si sensible pour la vieillesse , et pour la caste noire sur-tout. Nous la trouvâmes occupée à faire cuire un peu de riz à l'eau, pour son souper : car elle ne recevait de ses maîtres aucune subsistance réglée , ainsi que son grand âge et ses anciens services le requéraient. Elle était, au surplus , abandonnée à elle-même , et dans cet état de liberté que la nature , épuisée en elle , avait obligé ses maîtres à lui laisser , et dont, en conséquence , elle lui était plus redevable qu'à eux. Or , il faut apprendre au lecteur qu'indépendamment de ses longs services , cette femme , presque centenaire , avait anciennement nourri, de son lait, deux enfans blancs , parvenus à une parfaite croissance , et morts avant elle , les propres frères d'un de ses maîtres , qui se trouvait alors avec nous. La vieille Fapperçut , et l'apellant par son nom , en le tutoyant ( suivant l'usage des nègres de Guinée },

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avec un air de bonhomie et de simpîesse vraiment attendrissant : a Eh bien ! quand feras - tu , 33 lui dit-elle , réparer la couverture de ma cabane ? j> Il y pleut comme dehors 3 3. Le maître leva les yeux et les dirigea sur le toit qui était à la portée de la main, uj'y songerai, dit-il 33,—• uTu y songeras ! *5 Tu me dis toujours cela , et rien ne se fait 5;. •—cç N'as-tu pas tes enfans ? ( deux nègres de l'atelier, ses petits-fils ) ce qui pourraient bien arran-35 ger ta cabane ? N'es-tu pas leur grand - mère 33? " — 33 Et toi, n'es-tu pas leur maître , et n'es - tu 33 pas mon fils , toi-même ?.... Tiens , ajouta-t-elle, en le prenant par le bras , et l'introduisant dans sa cabane , ce entre , et vois-en , par toi-même , les 33 ouvertures. Aie donc pitié, mon fils , de la 33 vieille Irrouba , et fais , au moins , réparer le 33 dessus de son lit : c'est tout ce qu'elle te de-33 mande , et le bon Dieu te le rendra 53. Ces derniers mots furent prononcés par elle , d'un ton si expressif et si touchant , qu'en mon particulier j'en fus ému jusques au fond du cœur. Et quel était ce lit dont elle parlait , et dont elle suppliait que Ton réparât, au moins , le dessus, pour la mettre à l'abri de la pluie , aux heures du repos ? Hélas ! trois ais grossièrement joints sur deux traverses , et sur lesquels était répandue une couche dè cette espèce de plante parasite du pays, nommée Barbe espagnole. Tel était le lit de repos de cette intéressante vieille , encore gaie , au -sein de la plus extrême misère ,

( *7» )

tt dans un âge aussi avancé. Le maître , en ricanant , lui réitéra la promesse de faire arranger sa cabane , ( promesse qui , peut-être , n'a pas eu plus d'effet après qu'auparavant ) , et la compagnie se retira.

Femme infortunée ! après avoir nourri de ton lait deux de tes maîtres , après de longs et assidus services , accablée sous le poids d'un siècle et des infirmités d'un si grand âge , au bord de ta fosse % et au cœur de l'hiver , hélas ! tu n'as ni vêtemens pour te couvrir , ni feu pour te réchauffer , ni même une subsistance assurée , et le toit de ta cabane est entrouvert, et la bise et la plaie fouettent sur ta misérable couche , et ton maître voit tout cela, et il y est insensible ! Ah ! pauvre Irrouba { Je n'oublierai, de ma vie , et ta situation pitoyable , et ton humble et touchante prière , et l'apathique froideur de ton maître , du propre frère de tes nourrissons. Voilà ce que j'ai vu : et j'ai cru devoir

le rapporter fidèlement , comme un trait servant à peindre les habitudes locales , et dont les exemples

sont assez fréquens ici.

Les châtimens qu'en cette Colonie on inflige h d'ordinaire , aux nègres , sont , comme ailleurs , les fers et le fouet, suivant la nature du délit. Et, sur ce point, on ne peut pas dire qu'en bien des cas ils soient traités cruellement, ni même aveç trop de sévérité. Par exemple , un vol qui , en Europe 5 amènerait son auteur aux galères., et quel-

quefois même an gibet, par l'importance du délit ou par les circonstances qui raccompagnent / n'attire au nègre , qui Ta commis , que le châtiment du fouet et l'appareil d'un collier de fer. La désertion d'un soldat a été longtems punie de mort , et celle du nègre ne l'est encore que par le fer et le fouet. Et , quant aux corrections qui leur sont infligées relativement à l'ordre des travaux et au maintien de la discipline , tous les hommes engagés par état à l'exercice d'une profession quelconque , et notamment les soldats et les matelots , ne sont-ils pas „ dans presque tous les Etats de l'Europe , en Angleterre sur-tout ( ce pays si fier de sa constitution et de sa liberté ) soumis , à cet égard , à des châtimens aussi rigoureux, et de même nature, à-peu-près , que ceux réservés aux nègres , en pareil cas.-Le bâton, les verges , et les fers , ne sont-ils pas appliqués aux uns tout comme aux autres ? Et même , s'il existe une différence d'étendue dans la sévérité de la discipline et la rigueur des châtimens, cette différence n'est-elle pas, bien souvent, au désavantage des derniers ? Et, pour tout dire enfin , l'engagement du blanc, dans presque tout état et en tout pays , n'est-il pas, à bien des égards, l'équivalent de la servitude du nègre ; et l'un n'est-il pas, comme l'autre, astreint à la dépendance , et, par conséquent, aux diverses charges qui sonty inhérentes?Je ne parle point ici du sauvage , exempt de, cette dépendance générale, £n ce que , par sa manière de vivre, il n'est ni pauvre,

ni

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ni riche, et que , s'il ne jouit pas "des avantages qui tiennent à Fétat de civilisation , il n'en supporte point aussi les charges.

Ce n'est donc pas , à bien dire, l'esclavage et ses conséquences, directes , qui me paraissent positivement contraires à l'ordre de la société , et en blesser les lois , puisqu'à la différence du mot près , il subsiste , en effet, dans toutecontrée policée , et sous diverses formes, ainsi que je viens de l'observer. On peut donc considérer cet état , au fond , comme un mal nécessaire et qui entre dans la constitution du corps social : et, certainement , ce n'est pas là le seul état que , dans cet ordre de choses , on doive considérer sous un tel point de vue. Or , cela étant ainsi, ( convenons-en de bonne foi ) ce n'est que le mot d'esclavage qui effarouche et choque l'oreille. Eh bien , qu'on abolisse enfin ce mot déplaisant, et qu'on y en substitue un assez convenable pour en tenir lieu , celui, par exemple, de dépendance , que proposa Vaublanc , il y a quelques années , ou tout autre qui en soit l'équi-valeni : et ce grand procès Sera terminé d'emblée. Car, souvent , on bataille plus sur les mots que sur les choses , et l'on tient davantage à la forme de l'objet, qu'à l'objet même. Et quant aux abus qui, sans être absolument inhérens à cet état, l'accompagnent bien souvent, et dont tout homme sensible et humain a droit d'être révolté, leur suppression peut avoir lieu. De sorte qu'en faisant disparaître le mot ^

M m

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remplacé par une dénomination nouvelle , et en détruisant les abus par de bonnes lois bien exécutées , il serait possible, à ce que je ciois,- de donner une consistance admissible et régulière à ce même état, existant , plus ou moins, partout, et indispensable dans les Colonies. Voilà, en somme , et pour obvier à toute ambiguité , mon sentie ment, à cet égard , suffisamment exprimé.

En dernier examen , et tout bien réfléchi, le sort du nègre esclave de la Louisiane ne me parait pas , à beaucoup près, aussi doux que Tétait celui de ses semblables à St. Domingue, avant la révolution , tant par rapport au climat, dont Tâpreté , durant quatre mois de Tannée , offense le physique d'un être destiné à vivre sous la zone torride, que relativement à la nourriture, aux vêtemens , au travail, à tout ce qui le concerne enfin, et notamment à sa passion favorite, celle des femmes, qu'il ne peut satisfaire à son gré dans^un pays comme celui-ci, où il se trouve à-peu-près , quatre nègres pour une négresse , et où Ton voit beaucoup d'aieiiers composés de vingt-cinq hommes et de cinq ou six femmes, Aussi, n' apperçoit - on pas, dans les nègres de ce pays , cette même gai té innée , cette disposition à la joie , qui se développe par des chants ou des propos joyeux , dans le cours même de leurs travaux , et par des danses accompagnées de grands éclats de rire , aux heures de relâche, ou aux jours de repos, ainsi qu'on l'observait fréquemment à St.-Domingue. Ici, le nègre est concentré en lui-même , et ne sort de ce profond engourdissement r

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dans la recherche de leurs meubles, et s'y joint à la passion de la table et du jeu, dans les hommes. Un pays , pauvre en lui-même , et ne jouissant , depuis quelques années , que d'une prospérité d'emprunt qu'il doit aux secours de son Gouvernement , et aux circonstances du tems qui y ont attiré le commerce anglais et américain , ( secours et circonstances qui peuvent cesser d'un moment à l'autre ) un pays de cette nature n'est pas fait pour connaître et adopter le luxe, qui, dangereux dans une contrée riche , est un poison mortel pour les régions que la nature a condamnées à la médiocrité.

Or , quand je parle du luxe introduit depuis peu en cette Colonie , il ne faut pas s'imaginer , au reste , que ce soit un luxe extrême , et pareil à celui dont l'éclat nous frappe en tant d'autres endroits. Le luxe est , comme on le sait , un objet purement relatif > et proportionné aux ressources des lieux où il se montre : ensorte que ce qui est luxe pour tel endroit ne Test pas pour tel autre , et que ce qui , par exemple , est appellé luxe ici , ne l'eût certainement point été au Cap-Français , avant l'époque de ses malheurs. Le luxe est donc , en propres termes , une extension de ses dépenses au-delà de ses moyens : voilà , du moins , comme je l'entends.. Et , dans ce sens , je dis qu'il y a déjà du luxe en ce pays, proportionnellement à ses ressources , et quoique l'étalage de ce même luxe t en d'au-

{ ayS )

très lieux , serait bien peu de chose , on , ponr mieux dire , y serait considéré comme une dépense très-ordinaire. En outre , j'ajouterai ( et Ton m'en croira sans peine ) que le penchant au luxe est bien plus fort ici que le luxe même , sur-tout parmi les femmes de la ville , à qui toutes les dispositions propres à s'y livrer ne manquent pas , mais bien les facultés ; leurs maris ou leurs parens n'étant point d'humeur à les en croire aveuglément sur cet article intéressant, objet de leurs plus chers soucis. En cet état de choses , il est sensible qu'un relâchement dans les mœurs doit dériver de ce goût passionné pour le luxe : et l'effet le plus remarquable , ainsi que le plus touchant de ce dérèglement gangreneux en cette ville , est l'exposition de nombre d'enfans blancs, ( tristes fruits d'un désnrdre clandestin ) sacrifiés , dès leur naissance , par lïurs coupables mères , à un faux honneur, après qu'elles ont sacrifié le véritable à leur penchant effréné pour un luxe qui les perd. Une de ces malheureuses petites créatures , exposée , l'hiver dernier, pendant la nuit , hors de la ville , a été trouvée et ramassée au point du jour , par une sauvagesse qu'attirèrent ses cris , qui la porta dans sa hutte , lui donna son sein , et finalement adopta cet infortuné , repoussé du monde , et voué à la mort , par une mère barbare , une fille ou femme policée , une Louisia-naise , et accueilli, à bras ouverts , par une étrangère , une sauvagesse, une Chacta ! Quel contraste

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de cette humeur sombre , qu'en s'abreuvant de tafia qu'il boit avec délice : et même alors sa vivacité bachique dégénère plutôt en esprit de querelle qu'en saillies de gaîté»

Le langage ordinaire des nègres esclaves, ainsi que * de grand nombre d'affranchis de la Louisiane , est un patois qui dérive du Français , et qui a beaucoup de rapport avec celui qu'emploient leurs pareils aux îles françaises de l'Amérique. Une partie des affranchis , et des esclaves occupés ici au service domestique , parle aussi bien français que les maîtres : et cela ne veut pas dire que ce français-là soit trés-épuré.

Leurs maladies les plus communes sont , des fièvres légères , au printems , de plus violentes , en été , des dissenteries , en automne , et des fluxions de poitrine, en hiver. Mais, en dernier résultat, parmi eux, la liste des mortalités n'est pas bien considérable , et celle des naissancesparaît la balancer; ou, du moins, peu s'en faut. Voici ce qui le prouve. Jamais la traite n'a fourni ici beaucoup de nègres ; et depuis dix ans il n'en vient plus. Cependant les ateliers se sont ,.. à quelque légère diminution près , soutenus jusqu'à ce moment . par les naissances qui ont suppléé , en grande partie, au vide qu'ont pu occasionner les mortalités. Ce n'est pas que les ateliers ne soient, en général , trop faibles actuellement, à proportion des cultures subsistantes , et que le besoin de l'introduction des nègres brutes ne soit très-sensible ici , pc ur cette raison.

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de sentiment et de conduite , humiliant pour Tune et glorieux pour l'autre ! Et quelles conséquences , particulières et générales , à déduire d'un fait aussi certain que Test celui-ci !

La société (j'entends ici, par ce mot, la réunion des liaisons et intimités sociales ) , est peu connue à la Nouvelle-Orléans , où Ton vit assez isolément, et où Ton ne se voit qu'en parade , pour se mesurer des yeux et se déchirer ensuite à belles dents , où l'esprit d'intérêt, l'appareil de la richesse, et la manie des prétentions , confondus ensemble , opposent un obstacle insurmontable à ce qui constitue l'essence de la bonne société ; où , d'ailleurs , il ne peut y avoir un esprit public , des goûts pareils , une façon de penser et de sentir commune à chaque individu, vu le genre de population que présente cette ville. Ce n'est qu'un mélange confus , un composé difforme de gens de toutes contrées , et de toutes professions , Créoles du pays , Français , Espagnols , Anglais , Américains , Allemans, Italiens , etc., une vraie tour de Babel, où Ton s'entend à peine , et où le langage de l'intérêt personnel est le seul qui soit intelligible pour chacun de ces êtres divers : c'est la langue universelle , c'est la monnaie courante. Un galant homme doit se borner, en cette ville, à la fréquentation d'un très-petit nombre de personnes honnêtes et de bonne compagnie , et faire bande à part avec tout le reste. Il n'y perdra certainement pas.

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Le commerce n'a pour base , ici, que des détails

étroits et mercantiles, ou un sordide agiotage, Les plus riches capitalistes de la ville et de la campague, Européens et Créoles , ne rougissent point de placer leur argent à un et demi, deux pour cent par mois , et quelquefois au-delà même, avec de bonnes sûretés , et les formules d'usage qui parent et sanctionnent le tout ; et ils n'en sont que plus considères , parce qu'ils en deviennent plus riches. Or , tout pays où l'usure, loin d'être en exécration , est favorablement accueillie, ne peut être habité que par un peuple sans principes et sans moeurs. La conséquence est infaillible.

La délation est encore, ici , vue du même œil que l'usure , en ce que le bénéfice y est joint. Un créole du pays n'a-t-il pas eu le front de dire hautement que , pour deux mille piastres , il dénoncerait son père? Et cet homme est père de famille lui-même. Ah uno , disce omnia.

Le goût du mensonge et de l'exagération semble être un vice affecté au terroir, tant il y est répandu. On y ment à tout sujet,, quelquefois même à propos de botte , et pour le seul plaisir de mentir. Sur un pied de mouche, un objet de bi-bus , un rien , on va vous forger, à l'instant , les nouvelles les plus saugrenues , qu'on accompagnera de tant de circonstances positives , et qu'on débitera d'un ton si ferme et avec des protestations

si précisas , ( comme des j'ai va , j'ai entendu , etc. ) qu'en témoignant ne point y ajouter foi , il faudrait se résoudre à passer pour un incrédule , un sceptique . un vrai St. Thomas : et le lendemain , ou dès le jour même , l'édifice du mensonge est détruit -, pour faire place à un autre , qui ne tardera point à culbuter pareillement.

Cette propension générale au mensonge , unie à un grand fond d'amour-propre et de vanité , mène à la hâblerie , dont on n'est point chiche en ce pays , si on l'est d'autre chose. On se fait ici une et deux fois plus riche qu'on ne Test en réalite. La plus laide habitation est un paradis terrestre. Le nègre cultivateur rend annuellement quatre à cinq cens piastres à son maître , et l'arpent de terre , au moins deux cens. Les hommes y sont tous francs et généreux , les femmes n'y sont jamais vieilles , et les filles jamais majeures. Fiez vous à ces beaux rapports , et vous verrez , après , ce qu'il en faut retrancher.

Quant aux femmes , elles feraient bien mieux de se tenir dans l'intérieur de leur domestique t et de se livrer entièrement aux soins de leur ménage, que de se voir et de se fréquenter , la plupart du tems , pour médire des absens , et pour se décrier mutuellement , après s'être quittées. Mais c'est à quoi elles n'attachent pas grande importance. Et c'est encore une chose à observer pajEgjl

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( «* )

les créoles du pays , hommes et femmes , que cette propension qu'ils ont à se picoter , s'injurier , se satiriser cruellement , et à se raccommoder ensuite avec une facilité qui n'a d'exemple , ailleurs , que dans le bas peuple , au point d'en être à tu ■et à toi , sans la plus petite rancune , apparente , au moins , et jusqu'à nouvelle bourasque. J'ai été présent à des scènes qui , en tout autre endroit , auraient mortellement brouillé deux femmes , et eussent porté deux hommes à se couper la gorge , lesquelles n'ont produit, entre les acteurs ou actrices que des paroles et du bruit , et se sont terminées par des raccommodemens brusques et des tutoiemens familiers , dont les uns et les autres sont prodigues entre eux. Ces scènes , d'homme à homme , quand elles sont bien violentes , peuvent se terminer , au pis-aller , par une boxerie à la façon anglaise entre les contendans : et voilà tout. Les duels , proprement dits , y sont presque inconnus. Certes , bien loin que ce soit là un mal , c'est au contraire , un bien , mais sujet , ainsi que les meilleures choses , à des abus ; en ce qu'un grossier animal, fier de sa force corporelle , insultera impunément un galant homme d'une compîexion moins robuste que la sienne , et le défiera encore à sa manière , avec effronterie , et sans craindre aucunement que les balles d'un pistolet ou la pointe d'une épée mettent un terme à son impudence et à sa grossièreté.

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Au surplus , ce ton de familiarité , ce tutoiement usuel dont j'ai ci-dessus parlé , convenable à la tendre amitié ou à un sentiment encore plus vif, est le ton commun entre hommes et femmes du pays , pour peu qu'ils aient des relations entre eux , et ne supposent , à cet égard , rien de particulier , rien de significatif. Ce n'est , à bien dire , que le ton de Lucas parlant à Mathurin , ou de Babet s'entretenant avec Perrette : et c'était celui des anciens colons du pays , presque tous gens de basse extraction , qui l'ont traditionnellement communiqué à leurs descendant , ainsi que bien d'autres habitudes , à-peu-près pareilles , et que , dans le sens moral , on peut appel 1er des traits de famille , à l'instar de ces ressemblances qui , dans le physique , se soutiennent de père en fils.

J'observerai que , dans les campagnes , les mœurs sont beaucoup plus régulières qu'à la ville , le luxe bien moins répandu, les goûts , qui y tiennent, moins en vogue , et finalement la société mieux composée , quoique peu attrayante.

Les femmes Créoles , dépourvues , en général, des talens qui ornent l'éducation , manquent de goût pour la musique , le dessin, la broderie, mais, en revanche , ont une passion extrême pour la danse, et passeraient les jours et les nuits à s'y livrer. Ces premiers talens exigent de l'application et de l'étude . et c'est ce

qui ne leur convient pas : au lien que le dernier est plutôt un exercice et un amusement, qu'un travail sans contredit.

C'est durant l'hiver que cette passion est dans sa force. On danse alors en ville , on danse dans les campagnes , on danse par-tout , sinon avec' beaucoup de grâce , au moins avec beaucoup d'ardeur : et les ménétriers ont alors de quoi s'occuper* Au reste , point de variété dans ces amuse -mens : c'est l'éternelle contre-danse qu'on y figure sans cesse en y adaptant quelques formes différentes , il est vrai , mais dont le fond est toujours le même. Et cette monotonie ne laisse pas que d'ennuyer le spectateur , si elle ne lasse point les acteurs *

Les femmes créoles sont très-fécondes , et le sont de bonne heure et long-tems. Au bout de sept à huit années de mariage , elles ont la demi-douzaine d'enfans., tous bien venus > quelquefois davantage > et sont encore fraîches ^ et disposées , au reste , à compléter la douzaine. Il est assez commun de voir la mère et la fille enceintes dans le même tems % et il ne serait pas même impossible de voir, par fois , la petite-fille figurer aussi sur la scène , et former le trio. Diverses femmes étrangères , qui „ depuis long-tems , avaient cessé d^enfanter, transportées à la Louisiane , y sont devenues grosses avant la fin de l'année de leur arrivée , et notamment des femmes;

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espagnoles, qu'on sait être assez stériles, en général. Aussi dit-on , sur les lieux , par forme de plaisante-terie , que les eaux du Mississipi ont, sans doute , une vertu prolifique. Et quand on considère cette heureuse aptitude à la propagation qui semble être affectée au pays , ainsi que le grand nombre de filles créoles qui l'habitent , on ne peut voir , sans regret , ( cela soit dit sérieusement ) que tous ces moyens de population restent , pour ainsi dire , en pure perte et presque infructueux , par la rareté des mariages , qu'il faut attribuer nécessairement aux causes que nous avons déjà assignées à cet état de célibat , à cette vie monacale dont le goût s'étend ici, de plus en plus , parmi les hommes. En témoignage de ce que j'avance à ce sujet , une seule observation suffira ; la voici. Depuis deux ans et demi que je suis en cette Colonie , il ne s'est pas fait trente mariages un peu notables à la Nouvelle-Orléans , et à dix lieues à la ronde. Et dans cet arroudissement , il y a, pour le moins , six cens filles blanches , et de condition honnête , à marier , depuis quatorze , jusqu'à vingt-cinq et trente ans. Ce n'est donc t par année , à consulter cette proportion , sur cinquante mariages à faire , qu'un seul qui s'effectue ; et le reste est en spéculation , et en attente souvent frustrée.

Les femmes de la ville se parent maintenant

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avec goût ; et leur changement de mise à cet égard, dans un espace de tems peu considérable , est réellement étonnant. Il n'y a pas" encore trois ans qu'elles étaient , presque toutes , en jupes rondes et courtes , et en longs casaquins à basques prolongées , le haut de leur habillement d'une couleur r et le bas , d'une autre , et tout le reste à l'avenant , étalant force rubans et peu de bijoux , et allant par-tout, ainsi fagottées , en cours de visite , au bal , au spectacle. Aujourd'hui ce costume leur paraîtrait ( a bon titre ) une mascarade. Les mousselines brodées les plus riches, taillées dans les formes les plus nouvelles , et rehaussées par des transparens de taffetas moelleux et brillans, par de superbes garnitures de dentelles , et des broderies de paillettes en or , ajustent et embellissent actuellement les femmes et filles de mise , avec l'accompagnement de riches boucles-d'oreilles , colliers , bracelets , bagues , joyaux précieux , enfin , de tout ce qui peut avoir rapport à la parure , à cette intéressante occupation du beau sexe. Il ne leur manque plus, pour être sur le grand ton , qu'un étalage moins circonscrit de cette éclatante mise , réservée pour des occasions rares , et sur-tout l'ornement des pierreries interdit à leurs facultés , mais bien cher à leur goût.

Les femmes résidentes à la campagne et sur leurs kabitations , sont encore loin d'atteindre à ce

pompeux appareil des femmes de la ville , n'étant pas , journellement, comme ces dernières , exposées en parade , et sur le théâtre de la mode et de la galanterie. Mais , comme il n'est rien qui se propage aussi rapidement que le luxe ? il ne faut pas désespérer qu'elles parviendront bientôt à ce même point d'élégance , d'autant plus que la bonne volonté ne leur manque pas à cet égard ; quittes , au surplus , à être exposées , comme celles de la ville , aux risques imminens dont cette séduisante décoration est entourée , et aux propos des mal intentionnés.

Un usage assez général en ce pays , et qui tient encore à l'empire de la mode , ainsi qu'à la parcimonie des habitans , est celui de se faire transporter en ville , de vingt lieues de distance , aussitôt qu'on se sent malade , au lieu de se procurer , dans les campagnes , les secours qu'on peut attendre , en pareil cas , des gens de l'art , en déterminant quelques-uns d'entre eux à s'y fixer par des abonnemens , comme on le pratique aux Antilles. A la place d'un médecin instruit, ou , tout au moins , d'un habile chirurgien , on se contente d'avoir chez soi ou chez son voisin , les Œuvres de Tissot , de Buchan , et de quelques auteurs de ce genre, que l'on feuilleté et consulte , ab hoc et ab hac , et sans qu'il en-coûte rien , en rapprochant et faisant rapporter , bon gré , mal gré , les

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symptômes de telle maladie , décrite dans un de Cëâ livres , avec ceux de tdle autre maladie qu'on veut traiter , prenant , en conséquence , un mal pour un autre , échauffant, quand il faut raffraîchir , rafraîchissant, quand il faut échauffer, substituant un simple, du pays, qu'on croît bon , à tel autre indiqué et prescrit , qu'on ne peut se procurer , et j par une complication de soins et de remèdes mal appliqués , rendant grave , enfin , la plus simple indisposition , que la nature eût seule guérie en peu de tems. Et quand le mal devient sérieux , il faut se faire transporter en ville , à tout risque , et s'aller mettre entre les mains de la vénérable faculté.

Cet usage de transporter ainsi, de douze à quinze lieues , un malade, soit par la voie du fleuve , qui est la plus usitée , soit en chaise , est pernicieux en lui-même et de toute manière j tant par les conséquences fâcheuses pour le malade , qui résultent souvent de ce transport , que par l'introduction en ville , de difîérens germes de maladies qui n'y subsistaient pas ; u.sage|qu| transforme la Nouvelle-Orléans en un vaste hôpital, et qui devrait bien être aboli par des moyens convenables. Mais c'est à quoi s'opposeraient, sans doute , messieurs les chirurgiens de la Nouvelle-Orléans , qui troi ait leur compte à cette façon d'agir , et qui, sans s'éloigner de la ville , et s'aller confiner dans les campagnes ,

voyait

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voyent journellement les malades arriver, pour ainsi dire , à leurs portes , ainsi que le chalant se rend à la boutique du marchand. Aussi j'oserai dire qu'exception faite de l'office d'homme de justice et de l'état de boulanger , il n'est pas ici de profession qui mène plus promptement à la fortune que celle de chirurgien exerçant la médecine , etc. Il est en cette ville , une douzaine de chirurgiens , au plus , qui accumulent en eux , sans façon , les fonctions de médecins , chirurgiens , pharmaciens , et même celles de sages-femmes ou matrones , et qui , grâce à l'usage dont nous venons de parler, exploitent ainsi ( cela soit dit sans nulle exagération ) vingt lieues de pays , à bout-portant , et dans le cercle étroit de la ville et de ses alentours.

Il n'est pas de femmes, en outre, dans cette même étendue de pays, ou , du moins , il en est bien peu qui ne croiraient ou ne font semblant de croire qu'elles feraient les couches du monde les plus fâcheuses , si elles n'allaient , un et deux mois d'avance , résider en ville , et se préparer à y déposer , à terme , le fruit de leur fécondité , entre les mains d'un chirurgien , plutôt qu'en celles d'une personne de leur sexe , à qui , néanmoins , cet emploi délicat , dont l'exercice appartient autant à la décence personnelle qu'à la souplesse et à la légèreté des mains , est , à tous égards , plus convenable. Et aussi , avec toutes leurs précautions illusoires, ou peu-être , en partie , à cause de ces mêmes mesures,

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il est peu d'endroits où les accouchemens et leurs suites entraînent , proportion gardée , autant d'ac-cidens graves et même mortels , qu'à la Nouvelle-Orléans ; ce que j'attribuerai moins encore , pourtant , à l'impéritie des chirurgiens et à la rudesse de leurs opérations , qu^à la disposition humide du climat , ainsi qu'à la conduite imprudente des femmes , après leurs couches , et au peu de soins qu'elles apportent à l'état critique où elles se trouvent alors.

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On y estropie et défigure certains mots , tels que , bien , tu , une , etc. qu'il est ordinaire de prononcer ici de cette manière: 53 II a bai fait . . . t'as vu mon fils ?. . . C'est eunt belle femme . . . etc. 55

Or, je ne parle point ici des Acadiens et des Allemands , ni de leur progéniture , qui parlent ? tous un français çlus ou moins corrompu , mais des créoles issus d'Européens français.

En outre , il semble qu'il y ait, en ce pays , un embarras physique, une imperfectibilité dans la conformation de l'organe de la parole , qui se fait sentir principalement dans la manière dont un grand nombre de créoles des deux sexes , blancs ainsi que de couleur , y prononce YJ consonne , et la diphtongue ch , que beaucoup d'entre eux corrompent , en transformant YJ en z et le ch en ce , ainsi que je vais en donner un exemple apparent. Je suppose qu'un créole , amateur de la chasse et hâbleur ( comme il s'en trouve tant ) , pour vanter son habileté , à cet égard , veuille s'exprimer en ces termes :

55 Je ne sache point avoir jamais été chasser y 99 que je ne sois rentré chez moi avec ma charge de. 5? gibier. ?5

Sa langue , embarrassée et peu flexible , lui fera prononcer ces mots de la manière suivante :

( 2Ç,3 |

5) ^ ne sois rentré cé moi avec ma çarze de J5 zibier. 55

Et ainsi du reste.

Il n'est en ce pays d'autre institution publique appropriée à l'éducation de la jeunesse , qu'une simple Ecole entretenue par le Gouvernement , et composée d'une cinquantaine d'enfans , presque tous de familles pauvres , où l'on enseigne à lire , écrire , chiffrer , dans les deux langues française et espagnole , et la maison des Religieuses françaises qui ont quelques jeunes filles en pension , et qui tiennent une classe pour les externes. Il y a bien aussi une pension qui s'est formée pour les jeunes créoles , depuis environ quinze mois , et dirigée par un homme qui ne manque point de talens en cette partie. Mais comme il n'est rien tel dans ce pays-ci que le bon marché , et que le prix de sa pension , pour la tenue de laquelle il se proposait de s'adjoindre des maîtres particuliers , a paru trop cher à messieurs les Colons , ces braves gens , ne pouvant disputer à cet instituteur son mérite personnel, ont cherché à déprécier son exactitude et ses soins sur un petit nombre d'élèves qui lui avaient été confiés par leurs parens Européens ou élevés en Europe , pour se faire un droit de n'y pas mettre les leurs. Cette pension , ne pouvant se soutenir d'une manière convenable avec si peu de moyens , est presque tombée à vau-l'eau ; et nos gros marchands de la

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Nouvelle-Orléans , et autres , ont continué à envoyer , à raison de deux piastres par mois , leurs enfans , à de petites écoles semées çà et là , dans la ville , au moyen de quoi , ils s'en débarrassent à bon compte , une partie du jour, sans réfléchir au vide et aux abus de cette sorte d'éducation ; et nos sucriers, cotoniers , et indigotiers, dans les campagnes , se bornent à ramasser , sur le grand cheiï-in , un pauvre hère, à qui ils donnent le logement , la table, et quelques médiocres émolumens , et qui est chargé d'enseigner tout ce qu'il sait, c'est-à-dire , pas grand chose , à ses rétifs élèves, instruits que le misérable pédagogue n'a sur eux aucune autorité réelle, et s'appercevant bientôt que leur précepteur est à-peu-près regarde , par le papa et la maman, comme un valet de carreau ou comme un domestique à leurs gages. Voilà le soin qu'on porte, en ce pays ,. à cette partie essentielle de l'ordre public , l'éducation ; voilà les encouragemens qu'on v donne , les égards et les considérations qu'on y témoigne , aux personnes chargées , par état , d'un travail aussi ingrat et aussi pénible dans ses détails , que noble et intéressant dans ses vues ! Et ces mêmes gens diront ensuite , afin d'excuser le ton d'ignorance et de grossièreté qui règne parmi eux , que leur pays manque de bons instituteurs ! Eh ! mettez-y la valeur qu'on doit y mettre , sur-tout celle qu'on ne peut remplacer par des piastres , ( dont vous êtes d'ailleurs fort économes ) et qui naît

tPune estime laîsonnée et de certains égards aux* quels une ame honnête est plus sensible qu'à totiE le reste ; et vous aurez alors des instituteurs dignes de porter ce respectable nom , au lieu de vos maîtres d'école , incapables absolument de communiquer à votre jeunesse la plus faible étincelle du goût des beaux arts , et de les conduire au-del£> du seuil de la porte des sciences , fermée à jamais pour eux , ainsi que pour leurs idiots élèves. Ou plutôt, dépaysant cette jeunesse brute et à demi-sauvage , faites-lui traverser les mers , et aller chercher , en Europe , la flâme du génie et des talens , pour en éclairer , un jour , sa patrie , ainsi que Prométhée alla , jadis , au foyer du soleil , dérober le feu céleste , et le porta sur la terre , poux animer Pandore.

Il n'existe ici, ni chantier de marine , ni bourse de commerce , ni poste coloniale , ni collège , ni bibliothèque publique ou particulière. Point de librairie non plus , et pour une bonne raison ; c'est qu'un libraire y crèverait de faim au milieu de ses livres , à moins qu'ils n'enseignassent , à l'intéressé lecteur, l'art de doubler son capital, au bout de l'an. On n'y trouve enfin qu'une petite imprimerie dont j'ai déjà rapporté qu'on doit l'établissement à M. de Garondelet , ci-devant Gouverneur de cette Colonie -, et qui , dirigée par le Gouvernement, n'est employée qu'à l'impression de la gazette ) qui paraît une seule fois par semaine,

sous le titre de Moniteur de la Louisiane ) de quelques ordonnances du Gouvernement ou regle-niens de l'Administration , d'alphabets et catéchismes pour les enfans, et de formules de passeports , connaissemens , etc.

Les lumières de l'esprit et les talens d'un certain genre sont très-rares ici. On y voit peu de bons musiciens ; et il ne s'y trouve qu'un seul peintre à portrait , dont le talent est proportionné au théâtre où il le déploie. Enfin , dans une ville peuplée de dix mille âmes , ainsi que l'est la Nouvelle-Orléans , je mets en fait qu'il n'existe pas dix hommes vraiment instruits , dont l'esprit soit alimenté du suc des sciences et orné des fleurs de la littérature , et qui , après avoir solidement raisonné sur les intérêts divers des nations policées , et sur leur état présent , puissent encore apprécier le mérite d'un Descartes et d'un Newton , d'un Mallebranche et d'un Locke , d'un BufTon et d'un Linné ? et , de là passant à l'examen? des beaux arts , rendre un digne hommage à l'éloquence de Bossuet et de Massillon , aux lumières de Dagues-sau et de Servan , et aux beautés de génie , de sentiment , et de naturel, de Corneille 5 de Racine , de Fénélon , de Voltaire , ainsi que de tant d'autres grands écrivains dont notre langue s'honore. La seule connaissance un peu répandue en ce pays est celle des langues française , espagnole et anglaise , devenues

presque nécessaire ici, par la réunion dés individus auxquels ces trois langues sont propres , et qui , d'après leurs relations mutuelles , en ont un besoin réciproque.

j'ai déjà dit qu'il se donnait ici peu de fêtes qui en méritassent au moins le nom. Tout se borne à de grands repas, où règne un brouhaha étourdissant, et où il ne faut point chercher , d'ailleurs , ni ra-finement de goût dans les mets et dans les boissons , ni entente habile dans la disposition du banquet , ni encore moins les charmes du véritable esprit , alliant la saillie étincelante à la gracieuse aménité , dans l'assemblée des convives qui s'y portent confusément. Je ne puis me faire à ces grandes cohues , ainsi qu'à la vieille habitude où-les hommes sont ( dans ces galas , ou pour mieux dire , orgies ) de se mettre plus qu'en pointe de yin , au point de se souler même devant Les dames , et de se comporter ensuite comme des ivrognes , en la présence de ces belles dames , qui , loin d'en être offensées, paraissent, au contraire , s'en amuser.

La principale considération qui suit l'homme en ce pays , est celle attachée aux richesses qu'il possède , et non pas à lui ; ensuite vient celle qui se rapporte au rang qu'il occupe , au grade dont il est revêtu : quant à celle dûe aux vertus et aux talens , ce serait peine inutile que de l'y chercher.

Enfin , un mélange d'égoïsme et de fausseté

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dans le cœur , beaucoup d'ignorance et de grossièreté dans l'esprit , nulle énergie dans le caractère , voilà ce qui forme essentiellement la base des mœurs de ce pays , ainsi que des usages qui tiennent à ces mœurs , et le point central d'où Ton peut partir , pour examiner, en masse , ou pour observer , en détail , tout ce qui peut avoir rapport et à ces mœurs et à ces usages»

C'est par-là que je terminerai mes observations sur cette matière , en me référant , du reste , à ce que j'ai déjà exposé de relatif aux mêmes objets.

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a l'Est du Mississipi , divise et borne les possessions américaines et espagnoles , à la distance d'environ cent lieues de l'embouchure de-ce fleuve , en suivant son coûts, (espace contenant; à peu de chose près, tous les établissemens actuels de la Colonie) a quatre mille lieues carrées de superficie; et, dans cet espace , il ne s'en trouve qu'environ cinq cens qui puissent être habitées ou cultivées convenablement.

Elle est réellement plus onéreuse qu'utile à son prince et a sa métropole , sous le point de vue des ressources rurales , commerciales , et fiscales. Elle coûte au roi d'Espagne , quitte et net , pour le inoins , quatre à cinq cens mille piastres par année (i) ; et presque tout son commerce , dont la masse offre ua résultat de médiocre valeur , est entre les mains des étrangers.

Elle est foncièrement pauvre , et le sera toujours

( i ) Dans le tems où j'écris ceci ( au mois de Mai 1802 ) le Gouvernement espagnol doit à la Colonie , ou du moins, pour les deV penses qu'elle lui occasionne > environ un million de piastres. Les obligations de la Caisse royale, qui, en Février 1800 , ont commencé à être émises et délivrées , pour cet objet , ( à défaut d'argent, qu'on ne pouvait plus recevoir d'outre-mer que rarement et avec de grands risques, a cause de l'état de guerre où l'on se tioiiyait alors) et qui se sont multipliées graduellement depuis ce tems . perdent , aujourd'hui , jusqu'à cinquante pour cent , et ne doivent être acquitées qu'à l'arrivée des fonds destinés à les retirer, et qui sont attendus ici, de la Havane ou de Va Yera-Crux , avec une impatience d'autant plus vive , que le retard qu'on éprouve , à ce sujet, rallentit considérablement le cours général des affaires . obstrue toutes'les relations commerciales, et ne fait qu'alimenter l'agiotage et l'usure portés maintenant à un point vraiment excessif. Et quant à ce retard, on ne sait à quoi l'attribuer , vû que les communications par mer, dans le golfe du Mexique et au-delà, sont absolument libres depuis plusieurs mois.

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( à quelques exceptions près ) , proportionnellement a sa vaste étendue , et en raison de la médiocrité de ses ressources , à moins que des circonstances particulières , et qui n'auront point un rapport immédiat avec son sol, ne modifient, ou, pour mieux "dire , ne changent absolument cet état de choses : ainsi qu'il en a été de la Hollande , que la nature avait condamnée à la pauvreté, mais que des combinaisons , plus fortes encore que la nature , ont enrichie a la longue , et qui , du fond de ses marécages , a vu s'élever des fortunes prodigieuses , et naître une aisanse générale. II est vrai qu'il faudrait admettre une série de chances bien avantageuses à ce pays-ci , pour supposer qu'il pût , un jour , parvenir à ce degré d'opulence et de splendeur où l'on a vu la Hollande : et une supposition de ce. genre est dans la classe nombreuse des choses , non impossibles , mais improbables.

Dans les vues d'agrandissement futur et d'importance coloniale auxquelles se complaisent ici quelques têtes politiques, on présume que les deux Flori-des , y compris l'île de la Nouvelle-Orléans , ont été ou doivent être cédées entièrement par l'Espagne à la France ; que la Louisiane , proprement dite , restera à cette première Puissance , dont les possessions , dans l'Amérique septentrionale, auront, pour borne «nique! et invariable , le fleuve du Mississipi , depuis sa source jusqu'à son embouchure ; que les habitans de la rive droite du fleuve ,

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on Louisiane , quoique soumis à la domination espagnole , jouiront d'un commerce libre avec ceux de la rive opposée , ainsi qu'avec la France et ses colonies , indépendamment des relations qu'elles auront toujours avec l'Espagne ; et qu'enfin, dans cette nouvelle combinaison d'objets, cette Colonie, étant ainsi partagée entre deux grandes Puissances , intéressées , Tune et l'autre, à faire valoir la portion ajffectée à chacune d'elles , et se trouvant favorisée des avantages d'un triple commerce avec les Français , les Espagnols , et les Américains , tous trois riverains du fleuve , et tous trois y faisant flotter leurs pavillons en toute liberté , ne pourra que gagner à ces divers changemens , et augmenter considérablement ses cultures et son commerce.

Voilà les brilians fantômes opposés par quelques commerçans politiques aux hideuses visions que se forment certains colons trembleurs . relativement aux suites de ces mêmes changemens. C'est au tems et à l'expérience à répandre de la clarté sur ces objets couverts encore d'un épais brouillard. Mais je dirai toujours qu'il sera bien difficile , pour ne pas dire impossible , de donner jamais à ce pays une importance dont il n'est point susceptible , et une valeur qu'il ne comporte pas , et que la seule perspective légitime de l'agrandissement futur d'un point quelconque de cette contrée , est celle qui dérive de la nécessité d'un lieu servant d'entrepôt, tant aux productions destinées à être exportées

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de l'intérieur de ce vaste continent dont le f.euî* débouché est le Mississipi , qu'aux divers objets du> commerce extérieur qui seront importées et de-posées au même lieu , pour être transférés dans çe même continent. Si la Nouvelle-Orléans peut conserver l'avantage qu'elle a eu jusqu'à présent de remplir ces vues , elle deviendra , nécessairement m par la .suite des tems , une ville considérable et très-commerçante ; pourvu , cependant , que l'embout chure du Mississipi ne vienne pas à s'obstruer graduellement ,- ( comme elle Ta fait jusqu'à ce jour ) au point de devenir impraticable enfin pour le» bâtimens de long cours , et de ne pouvoir plus admettre , dans ses passes , que des barques et des-bateaux. Cette "ville , en ce cas , serait bien peu de chose. Mais , d'une manière ou d'une autre 9 le pays qui l'environne et qui compose le centre de la colonie , n'en deviendra pas meilleur , et sera toujours , quoiqu'il en puisse être , un pauvre et triste pays , considéré en masse.

Son sol , qui parait être un dépôt du fleuve , et une terre d'alluvion , est assez fertile dans les parties qui ne sont pas noyées. Mais ces lieux privilégiés n'offrent pas une bien grande étendue. Et le reste du pays , qui en forme au moins les sept huitièmes portions , n'est composé que de lacs , lagunes , prairies et cypriéres marécageu* ses , dans son intérieur , et de plages sablonneuses ou monticules arides , dans ses extrémités.

Lè ; 'climat , quoique très-humide , est plus sa-lubre qu'il ne paraîtrait devoir Fëtre. Au prin-tems et dans l'automne , la température est agréable , l'été y est fort chaud et pluvieux , et accompagné de fièvres violentes , mais rarement dangereuses , à la réserve de la fièvre jaune qui règne alors en ville , et non dans les campagnes. L'hiver s'y fait sentir , de la fin de novembre au commencement de mars , et est entremêlé de journées froides et tempérées , qu'amènent alternativement les vents du Nord et du Sud qui se succèdent en cette saison , l'un y ordinairement, sec et froid , et l'autre , pluvieux et mou.

La chaleur de l'air , ainsi que l'humidité du soi et du climat font pulluler , en ce pays , une quantité prodigieuse de reptiles et d'insectes divers qui en sont une des grandes incommodités , et deviennent un vrai fléau. L'hiver les fait disparaître en partie : mais , durant le reste de Tannée , il semblerait , par leur nombre et leur diversité , que le pays leur appartînt , et leur fût destiné plutôt qu'à l'espèce humaine.

La valeur totale de ses productions commerciales , exportées du pays durant l'année qui vient eTécheoir , n'excède pas la somme d'un million de piastres gourdes , ou d'un peu plus de cinq millions de livres tournois ; et le sucre t qui fait su-delà du quart de cette somme , s'est élevé à

uk v

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tin prix exhorbitant, et qui baissera , suivant toute apparence. L'exportation de la présente année aura probablement une valeur beaucoup plus considérable , en ce que divers riches spéculateurs avaient accumulé , depuis plusieurs années , beaucoup d'indigo que les Américains ne faisaient point valoir , et attendaient l'époque de la paix , pour envoyer alors dans les ports de France cette denrée ainsi mise en réserve. Un seul particulier de la Nouvelle-Orléans est à même d'en expédier pour sa part , environ deux cens milliers pesant, ïl est vrai qu'il en a , lui seul, entassé presqu'autant que tous les autres spéculateurs ensemble. Le revenu de cette année-ci aura donc un accroissement , dû à la circonstance de la paix , de quatre à cinq cens milliers d'indigo. Mais c'est un riche filon qui n^aura pas de suite : et, dès l'année prochaine , on en sera suffisamment convaincu. En raison de cette augmentation accidentelle de denrées , je pense que le revenu de cette année , 1802 , peut être évalué d'avance à près de quinze cens mille piastres , estimation faîte ici du prix des denrées avant leur exportation ; et c'est ainsi que je l'entends toujours. Et si la Colonie , après avoir atteint , à la longue , et avec tous les secours possibles , son plus haut degré de culture , peut réaliser enfin , de la vente de ses productions en sucre , coton , indigo , tabac , etc. , un revenu annuel de trois millions de piastres équivalant

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à un peu plus de quinze millions de livres tournois , supposé qu'elle parvienne à une récolte de vingt millions pesant de sucre brut , qui constituera la base de ses richesses ; j'estime qu'un tel revenu ( si jamais il s'effectue ) sera son plus haut période d'aisance , et le dernier terme de ses ressources locales , aidées de tous les accessoires convenables. Il est à observer , du reste , que les productions des Natchez et autres vastes possessions américaines qui ont leur débouché par le Missis-sipi , et qui s'entreposent à la Nouvelle-Orléans , ne doivent pas être confondues avec celles de la Colonie , quoiqu'en partie de la même nature , en ce que l'opulence d 1 autrui ne fait pas la nôtre.

Au surplus , il ne faut pas oublier , qu'il est peu de pays au monde où l'on soit aussi disposé qu'en celui-ci à accroître beaucoup , par des rapports exagérés , la masse des dépenses et des recettes publiques et particulières , afin de se donner à soi-même , ainsi qu'à tous ses alentours , une importance imaginaire et purement chimérique, Telle fortune , par exemple , n'est que de dix mille piastres , qu'on évalue hardiment à trente mille : telle dépense n'est que de cent piastres , au plus , qu'on élève à cinq cens. Ainsi du reste, et du petit au grand. C'est de quoi il convient de prévenir l'étranger , pour qu'il n'en soit pas la dupe.

Le commerce n'a point de base et d'importance

en ce pays. Ses principaux agens ne sont qaé des commissionnaires de quelques maisons d'Europe' et des Etats-Unis , et le reste n'est qu'un assemblage de marchands et d'obscurs agioteurs.

La population de cette Colonie est très-faible , et ne monte pas ( dans la Basse-Louisiane et la Floride occidentale , principale partie de la Colonie ) , au-dessus de soixante mille individus , blancs , mulâtres , et nègres , clair - semés dans un espace de quatre mille lieues carrées de pays , qu'on peut réduire , ainsi qu'on Fa déjà dit , à cinq cens lieues de terre habitable ; ce qui donne , par lieue carrée , un rapport d'environ quinze personnes sur toute l'étendue locale , et de cent vingt , sur le terrein seul qu'on cultive et qu'on peut encore mettre en valeur. Cette population est composée de vingt-six à vingt-sept mille blancs , créoles et étrangers , cinq à six mille affranchis noirs et de couleur , et vingt-huit mille esclaves , la plupart nègres. La population coloniale de la Haute-Louisiane , en son immense étendue T n'est que d'environ quinze mille individus.

Les Créoles de ce pays , avec beaucoup d'aptitude pour les arts mécaniques , paraissent avoir peu de disposition pour les sciences et d'application à tout ce qui peut les captiver ; ensorte que , malgré cette adresse naturelle et leur peu d'aisance , on ne voit pas se former chez eux , comme chez les Américains leurs voisins , d'habiles ouvriers ,

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tels que charrons , ébénistes , manufacturiers , encore moins de bons artistes. Il n'est , parmi les créoles , blancs et mulâtres , que des charpentiers , maçons , menuisiers , tailleurs , et cordonniers , d'un médiocre talent. S'il se trouve un bon et laborieux ouvrier , non-seulement en ville , mais dans quelqu'habitation , c'est , à coup sûr , un Européen ou un Américain : si c'est un bouzilleur , un massacre , ou un fainéant , on peut en conclure hardiment que c'est un homme du pays. Beaucoup d'indolence et point d'application , voilà ce qui réduit à peu de chose ces favorables dispositions, de leur part , aux ouvrages manuels , dispositions qui devraient, au moins , compenser le vide profond de leurs facultés intellectuelles. Ils ont presqne tous les défauts qui dérivent de l'ignorance et du manque d'éducation , et quelques autres encore qui n'en dépendent pas positivement , mais qui s'y lient. Parmi ces derniers , leur parcimonie extrême , et poussée jusqu'à l'avarice , ( en quoi ils se distinguent des créoles des Antilles , plus prodigues , en général , que ménagers) appartient , je pense, encore plus au sol qu'au reste. Toutpays pauvre est nécessairement habité par des gens intéressés , et qui courent sans cesse à l'épargne. On est forcé d'agir, par-tout, en conformité de ses moyens ; et , comme on dit , suivant le bras , la saignée. Ce spectacle de mesquinerie , offert con~ tinuellement sous les yeux , et commandé par la

nécessité , ne parait point étrange à ceux pour qui il est fait. Cette sordide avarice devient l'esprit général , le caractère dominant : et l'individu qui passe alors d'un état de gêne à un état d'aisance , n'en conserve pas moins les habitudes crasseuses qu'il a contractées dès le bas âge , et qui., par fois , se renforcent en lui dans ce changement d'état , bien loin de s'affaiblir. Voilà ce qui est à observer dans ce pays ou les créoles y même les plus riches , ont presque tous , dans le caractère et dans les manières , une dose , plus ou moins forte de basse lésinerie , dont leur ostentation naturelle est , tout au plus , le palliatif ,, et non l'antidote.

Les Créoles de la Louisiane , en général , ont, d'ailleurs , quelques bonnes qualités ; ils sont honnêtes gens , d'un abord facile , quoique peu solides , sans morgue et sans hauteur , quoique vaniteux , bons pères , fils soumis , époux complai-sans et affectionnés.

Les femmes , indépendamment de la part qui leur est propre en ces intéressantes qualités , ont, en outre , plus de pénétration dans l'esprit , et plus de liant , dans le caractère , que les hommes. La nature , à bien dire , leur est plus favorable qu'à ces derniers , et les a mieux partagées en tout. Elles sont , en général, plus aimables que les hommes , abstraction faite , au surplus , des agrémens de leur sçxe , et des charmes qui lui

( Si? )

sont propres ; et , possédant les bonnes qualités de ces derniers , elles n'ont pas tous leurs défauts , bu les ont moins saillans.

Les étrangers sont un mélange de gens de différentes contrées, portant avec eux l'empreinte na-tionnale , et reconnaissables en cela ; mélange dont il résulte un tout fort discordant , et dans lequel , au demeurant, il ne faut pas se flatter de trouver ni esprit public , ni fond de société.

Les affranchis sont adroits comme les créoles. Ils joignent, aux défauts qu'ont ces derniers, beaucoup de fainéantise , d'insolence , une forte propension à l'ivrognerie èt au libertinage , et auraient grand besoin qu'on les arrachât à leur oisiveté , source de tant de vices , et qu'on les astreignît rigoureusement au travail»

Les esclaves sont généralement paresseux , libertins , menteurs , ivrognes , et incapables de se conduire eux-mêmes. Au reste , on pourrait, sans, toucher néanmoins à ce qui constitue proprement l'essence de leur état, rectifier leur caractère , en adoucissant, à bien des égards, etréglant convenablement le sort de ces êtres absolument nécessaires au soutien des colonies.

Le gouvernement, quoique revêtu d'un grand pouvoir, est néanmoins assez doux et modéré , généralement parlant. Sons ses auspices , chacun vit tranquille chez soi , à la ville ainsi qu'à la campa-

( S»' )

gne, sans être tenu à aucune dépendance particulière, autre que celle qui naît de la soumission dûe aux lois. Point de service militaire hors de ses foyers , point de déplacement pénible, point de logement de gens de guerre , point de sujétion , du moins onéreuse , à un* pouvoir arbitraire et fantasque. En ville , les citoyens sont plutôt sous une administration civile et municipale , que sous un gouvernement militaire et ty-rannique. Dans les campagnes , c'est à-peu-près de même, l'autorité y étant exercée par des comman-dans de paroisse et des syndics d'arrondissemens , choisis parmi les habitans notables ; les premiers , à postes fixes , et les autres , annuels , et dont les fonctions ordinaires se bornent, savoir : celles des commandans , à faire arrêter , et traduire au chef-lieu , les vagabonds et gens sans aveu , veiller à l'entretien des grands chemins , levées , etc. , dresser des procès-verbaux de tout acte blessant l'ordre public et dont la poursuite est de même renvoyée au chef-lieu , ordonner quelques patrouilles pour le maintien de la police , convoquer la milice en des cas extraordinaires , et, finalement, passer les transactions communes entre les particuliers de leurs ressorts ; et celles des syndics , à inspecter et régler , chacun dans son district, en l'absence et à défaut des commandans , dont ils sont les substituts à cet égard , tout ce qui a rapport à la police et à la con^ servation du bon ordre.

Malgré cela , ( car il faut aussi montrer le revers

C 3i* )

àe la médaille ) on ne peut disconvenir que ce gouvernement , tel qu'il est établi ici, ôte à l'homme toute son importance et son énergie individuelle , en le tenant dans une triste ignorance et dans un état purement passif , en lui interdisant le libre exercice de ses facultés morales , en l'assimilant , pour ainsi dire , à la brute , et le dirigeant enfin comme un aveugle , dans les choses les plus futiles , ainsi que dans celles du plus grand poids et de la plus sérieuse considération.

L'administration fiscale est très-confuse en ce pays, et s'enveloppe d'un voile presque impénétrable. Au surplus , les impositions établies sont assez légères , et le colon n'a certainement point à se plaindre à ce sujet. Le seul désagrément que j'y trouve et qui donne lieu à des subterfuges continuels , est la défense formelle d'en exporter son bien , sa propriété , en numéraire, sous peine de confiscation. Il faut convertir cette propriété en lettres-de-change ou en denrées du pays , à quelque prix que ce soit, ou risquer de tout perdre. Cela n'est pas raisonnable : et puisque l'argent vient ici du dehors , il ne devrait point éprouver plus de gêne à en sortir qu'à y entrer. D'ailleurs , l'argent monnoyé n'est pas réellement une propriété locale et dont l'exportation puisse être légitimement prohibée ou même restreinte , une marchandise ordinaire de commerce sujette au paiement du droit d'entrée et de sortie, un objet de contrebande enfin. C'est un signe conventionnel, adopté sous différentes

formes

( 3'S)

formes et valeurs , par les nations policées , afin d'accélérer et faciliter leurs relations mutuelles , ainsi que celles d'individu à individu , et qui, jeté une fois dans la masse de la circulation, devient dès-lors un bien commun à tous , une propriété générale , un objet d'une nature particulière et privilégiée , sur lequel aucun gouvernement ne devrait exercer d'autre droit de souveraineté , que celui qui a pour but le maintien de la confiance publique , le simple droit d'inspection sur la validité dm signe , et rien de plus.

La religion catholique est la seule admise en ce pays ; l'exercice public de toute autre y est interdit. Au surplus, la pratique du culte religieux n'y est point commandée et exigée comme dans les autres possessions espagnoles; et le particulier n'est astreint à aucune gêne sur ce point. Il suffit de porter à ce culte le respect extérieur qui est dû , en toute contrée , à la. religion qu'on y professe, pour être hors d'inquiétude à cet égard. Il est bien vrai que la mo-nacaille espagnole avait voulu , dans le principe , établir , en cette colonie , le redoutable tribunal de l'Inquisition, et que le Gouvernement avait même été sommé, parle moine chargé de la mission du Saint-Office, et revêtu de ses pouvoirs , de prêter assistance et main-forte à ses fonctions. Mais la rumeur que cette nouvelle occasionna dans le pays , et la crainte des suites que pourrait avoir une telle innovation, dé ter* minèreut le Gouverneur à faire enlever prestemeni

R r

le moine inquisiteur, et à le faire partir sans délai pour l'Espagne. Et il n'a plus été question ici de cette nouvelle muselière dont la moinerie voulait pieusement brider les revêches Colons.

L'ordre judiciaire est un cahos de chicanes interminables , et un gouffre d'argent pour les malheureux plaideurs : c'est la caverne du lion , d'où rien ne sort de ce qui y est une fois entré ; et c'est assez en dire.

La police générale et particulière est fort négligée , tant à la ville qu'à la campagne : et si les désordres et les abus, qui doivent résulter de cette négligence , n'y sont pas plus considérables encore qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent, c'est grâce uniquement à la faiblesse de la population, qui écarte , en partie , de ce pays , les misères et les crimes inhérens à l'état opposé.

Les mœurs, quoiqu'elles n'aient point encore atteint le plus haut degré de corruption en ville , et qu'elles soient assez régulières dans les campagnes , ont perdu beaucoup , depuis quelques années , de leur simplicité et de leur pureté primitive, au dire même des gens du pays, qui rappellent assez souvent, dans leurs propos, la naïve candeur et la concorde aimable qui régnaient au tems passé , qui ne subsistent plus maintenant , et dont le souvenir est, pour eux , l'image évanouie des mœurs de l'âge d'or ; et cette dégéné-

( Si5 )

ration morale est due , je pense , à Tindroduction du luxe qui fait des progrès journaliers en cette colonie, et d'une foule d'étrangers de toute espèce, dont les sentimens et la conduite ont contribué à faire disparaître cette antique simplicité coloniale qui adoucissait au moins les traits de l'ignorance-et delà grossièreté commune , et à y substituer la mauvaise foi la ruse , un âpre intérêt, qn'accompagne un fond d'envie , de malice , et de causticité , comme à y répandre aussi la passion du jeu qui resserre le cœur, et le ferme à toute affection douce et sociale. Aussi, par une suite nécessaire de cet état des choses et de tout ce qui y a rapport, n'existe-t'il, à la Nouvelle-Orléans, que des individus isolés, peu de vrais citoyens , et encore moins d'amis : et la campagne marche , à grands pas , sur les traces de la ville.

Voilà , Monsieur, la tâche que je m'étais imposée , entièrement remplie. Au reste , je ne me flatte pas , et n'ai point aussi contracté l'engagement de vous présenter un tableau complet , mais une simple esquisse où les principaux traits soient marqués ; ni un ouvrage approfondi , mais un essai d'après lequel vous puissiez prendre une idée générale de tout ce qui est relatif à l'objet dont vous désiriez avoir connaissance. Je me suis appliqué à être vrai , er à représenter les personnes et les choses ainsi qu'elles se sont offertes à moi ; laissant , néanmoins , un voile abbattu sur les

( âi6 )

personnes, ( en cela plus réservé que Boileau , qui disait hautement :

J*appelé un chat, un7 chat , et Rôlet un fripon. )

généralisant tout , autant qu'il m'a été possible , admettant des exceptions en tout , et, finalement , m'étant réservé la faculté de dire , au bout du compte : t« Honni soit qui mal y pense. 55

Au surplus , le but de cet ouvrage est de donner une idée précise de ce qui est à présent , et un apperçu rationnel de ce qui sera par la suite , eu égard à ce qui existe maintenant. Car toute Colonie est un tableau mouvant, un théâtre versatile et dont les décorations changent, avec rapidité , du bien au mal et du mal au bien ; témoin celle de St.-Domingue qui , après s'être élevée à un si haut point de splendeur, est tombée si bas , dans le court espace de douze années.

Finalement , je crois devoir observer , en dernière analyse , et pour bonne raison , que ce n'est pas dans le court espace de trois ou quatre mois qu'on pourra se flatter de connaître un pays tel que celui-ci et le peuple confus et mélangé qui l'habite. L'un et l'autre demandent à être long-tems et attentivement examinés. Les premières apparences égarent et trompent un observateur qui c'y rapportent : un examen , plus long et plus approfondi , le ramène insensiblement à des lééti ,

( 3'7 )

plus précises et plus justes , des objets qui se présentent à lui. Et voilà ce qui peut et doit s'appliquer à ce pays-ci plus qu'à tout autre encore , et qui m'autorise à dire qu'il n'est guère possible d'en juger et d'en parler pertinemment, qu'après y avoir résidé , pour le moins , deux années , et en avoir suffisamment ressenti et étudié , pendant ce laps de tems , l'influence physique et morale. C'est à cette remarque essentielle que s'arrêtera le cours de mes observations.

Si quelques heures employées à la lecture de cet ouvrage , ne vous paraissent pas entièrement perdues , et vous fournissent matière à réflexion , je croirai mon travail dûment acquitté. C'est tout le prix que j'en souhaite , et le seul but où j'aspire.

Louisiane , eote des Ckapitoulas , le 10 Mai 1802.

P. S. "Ne voulant rien négliger , dans l'envoi que je vous fais , de ce qui peut contribuer à lui donner quelque prix à vos yeux , j'ai réussi à me procurer deux cartes dessinées , que je ne considère point comme absolument correctes, mais que je présume être aussi peu fautives qu'il est possible , au moins , de les avoir , quant à présent, l'une, de la Basse-Louisiane et Floride occidentale, et l'autre , de la Haute - Louisiane, ainsi que des lieux circonvoisinsj et je vous les adresse avec mon manuscrit , en vous laissant, au surplus , pleine liberté de faire , du tout, l'usage que vous croirez convenable. Il m'a paru, du reste , ( et je crois ne me pas tromper )

(3i8)

que, dans la première de ces cartes, le dessinateur-géographe n'a point suffisamment déterminé la partie topographique des lieux, et , sur-tout, assez prolongé les sinuosités du fleuve, à prendre du Détour des Anglais , inclusivement, pour remonter jusqu'à la Rivière - Rouge, dont le cours et l'embouchure me semblent, en cette carte , un peu au dessous de leur position réelle, et le lit trop spacieux. Quant à l'ensemble de la carte , il est assez bien rendu. Voilà ce que je crois devoir vous observer à ce sujet».

TAB LE ABREGEE

DES MATIÈRES,

PAR SUPPLÉMENT A CELLE DES CHAPITRES.

A.

A.CADIENS. Transférés à la Louisiane depuis la paix de 1763, page 5x. Eux et leurs enfans sont des gens simples et bons , quoique grossiers, ibid. Ils sont indolens , et, par un effet de leur inertie , assez misérables, p. 52. Ils ont, dans leurs terres et dans leurs bras, ce qu'il faut pour se procurer de l'aisance par la culture du coton ; mais ils n'en cultivent et récoltent que ce qui leur est nécessaire pour la fabrique d'une cotonnade commune , mais d'un bon tissu , qu'ils font eux-mêmes, et qu'ils teignent en bleu ou autrement , dont une partie sert à les vêtir, et la vente du surplus, à leur procurer quelque peu d'argent, 52 et 53. Us sont les restes ou les descendans de ces Colons français transportés du fond de 1*Amérique septentrionale , leur patrie, ou de l'Europe, en cette Colonie , etc. „ , . . 25o.

Acadiens ( Côte ou Paroisse des). Canton d'une assez grande étendue , sur les bords du fleuve ,

mais peu florissant , habité par les Colons de ce nom. . . .29.

Alcades. Officiers municipaux, au nombre de deux , l'un Espagnol et l'autre Français , dont l'exercice est annuel à la nouvelle-Orléans 183.

Allemands. Transférés à la Louisiane . lors de la fondation de la Colonie. Il n'en subsiste plus : mais leurs descendans, créoles du pays, y sont en assez grand nombre , et ais-ement reconnaissables par leur extérieur , leurs manières , etc. , . 2 5i.

Allemands (Côtes ouParoisses des). Il en existe deux. La première est l'endroit le mieux établi et le plus florissant de la Colonie , en raison de son étendue. La seconde est celle où se trouvent les derniers établisse-mens en sucreries , à environ vingt lieues au-dessus de la ville, en suivaut les sinuosités du fleuve, * * ' 49-

Anse-a-la-Grv*sse. ^«Nouvelle-Madrid

Apalaches ( Baie et Rivière des). Borne de la Colonie au Levant , 64. Poste militaire où sont cantonnées quelques troupes 65.

Arcs ou ArkAnsas (Poste militaire des). Sa situation , etc. , 54. et suiv.

AtACAPAs (Canton des). Sa situation, son étendue , ses abor-nemens, etc. . . 54 et suiv.

Avoyelles (Canton des). Sa situation , etc 58.

B.

Balise (La). Poste de reconnaissance et de visite desbâtimens qui entrent dans le fleuve , situé vers son embouchure , et sur sa rive droite. . . . • . 66.

BARATARiA (Lac de) , autrement dit, des Ouachas , situé à une médiocre distance du fleuve , et sur sa rive droite . . . 67.

Basse-Louisiane. Partie inférieure de la Colonie , située sur la rive doite du Mississipi , à prendre des bords du golfe du Mexique , jusqu'à la hauteur du trente-unième degré delatitude. 6.

Baton-Rouge (Côte ou Pa-roisae du ). Canton situé sur la rive gauche du fleuve , un peu plus haut que le bras du Manchac ou de la rivière d'Ibervilie , à environ quarante lieues au-desssus de la Nouvelle-Orléans. . 49.

owlfcJ-B AWLS. Aventurier anglais, qui,

2 )

! à la téte d'un petifc nombre de

Sauvages Talapousses , s'empara , au mois de décembre 1799, ^ u forr des Apalaches , et l'abandonna quelque lemsaprès. 148 et suiv.

Bayou. Nom qu'on donne , en cette Colonie , à des canaux ou bassins naturels d'eau surabondante qui s'y déeharge , et de-là se rend dans les lacs ou ailleurs. 47.

Biloxi. Canton tristement fameux par la perle considérable d'hommes qu'on y a faite aux premières années de la fondation de la Colonie 66.,

c.

Cabîlde (Le très-illustre ). Corps municipal de la Nouvelle-Ojléans, ainsi qualifié, composé de douze membres , nommés Ré-gidors ou Régisseurs , et d'un Procureur-Syndic , et présidé par le Gouverneur-général ou son Lieutenant - civil. Fonctions de ce corps , ete. . . . . 182.

Cannes-Brulées (Côte ou Paroisse des ). Sa situation, etc. 49.

Carondelet (Canal de). Il prend derrière la ville, et communique au lac de Ponchartrain , par sa jonction au bayou Saint-Jean qui se dégorge en ce lac. Utilité de ce canal, et son mauvais état actuel. . . , 29 et 66.

Chacta. Trait d'humanité d'une jeune Sauvagesse Chacta envers un enfant blanc, nouveau-né , rejeté par sa mère, et adopté par elle sjSetsuiv,

(

Chapitoulas ( Côte ou Paroisse des). Sa situation, etc. 4g.

CYPRiÈREs/Terres marécageuses çt couvertes de cyprès ou cyprès , espèce d'arbre qui se plait et croît sur ce sol aquatique. . . 47.

D.

Détour - des - Anglais (Le). Coude que forme le Mississipi, à quelques lieues au-dessous de la Nouvelle-Orle'ans , et que les bâdmens , en remontant le fleuve, ont peine à doubler. . . .22.

E.

Etrangers blancs. Français, Espagnols , Italiens , Anglais , Irlandais , Allemands , Américains , Acadiens, Canariens ou Islennes , etc. , tous faciles à distinguer par le caractère qui leur est propre , quoiqualtéré et vicié. . . 248.

F.

Fausse-RivièRK ( Canton de la). Sa situation, etc. . .49.

Floride occiDENTALE(La). Par tie inférieure de la Colonie, située sur la rive gauche du Mississipi . à prendre des bords du golfe du Mexique jusqu'à la hauteur du trente-unième degré de latitude . I . . . . . . . . .5.

Floride ORiENTALE(La). Située au Levant de la Colonie, et la bor naiit de ce côté. . , . 5.

Fourche (Bras de la). Dernier bras du fleuve, en le descendant, qui se jette à la mer â trente et

5 )

quelques lieues au-dessous. Sur ses bords est le canton de ce nom. C'est le quartier de la Colonie , le plus peuplé de blancs, en proportion de ion étendue. • . 5i.

G.

Gentilly. Lieu ainsi désigné du nom de son propriétaire, et situé sur les bords du fleuve , à environ quinze lieues au-dessous de la Nouvelle-Orléans , et là où commencent les cultures coloniales. Voyez l'Erraia, à l'article de la page . 22.

Gentilly. Canton situé derrière la ville, et où sont diverses petites plantations. . . . 29.

Golfe du Mexique (Le). Borne méridionale de la Colonie, 5. Ses bords sont généralement marécageux , dans la partie occidentale du Mississipi ou Basse-Louisiane , 47 et 48 , et sablonneux , dans la partie opposée ou Floride occidentale 65.

H.

HAUTE-LouisiANE(La). Partie su périeure de la Colonie, qui prend du trente-unième degré de latitude , sur la rive droite du Mississipi, et de-là se prolonge au N ord et à l'Ouest, jusqu'aux extrémités de cette Colonie ... .6.

I-

. Ile de la Nouvelle-Orléans (L'). Dépendante de la Floride occidentale , et formée par le golfe du Mexique, le lac Pontcharcrain» le Manchac ou la Rivière d'Iber-

( 4 )

ville , et le Mississipi. Son éten- • «"lue , et ses localités. . . 23.

Illinois (Poste militaire des). Sa situation , et sou état présent. ......... 61.

Irrouba. Négresse centenaire, iiative du Sénégal. Anecdote qui la concerne. . . 268 et suiv.

K.

Kentuckey. Position , et état florissant de cette Colonie américaine. . . .... 61 et suiv.

Lacs et Lagunes (Les). Nombreux dans la Colonie , et situés au dclàdescyprisres et des prairies marécageuses qui couvrent une grande partie de l'intérieur du pays , , . 47.

Lac-Rouge (Le) D'où le Missis-Sripi prend sa source , au quarante-sixième degré de latitude septentrionale , et à environ au quatre - vingtième degré de longitude occidentale du méridien de l'île de Fer.. . . . . 8-

LouisiANE [La), proprement dite. C'est l'espace total qui se trouve compris sur la rive droite duMis-siisipi , depuis sa source au lac Rouge jusqu'à son embouchvire au golîe du Mexique, et depuis le milieu du lit de ce-fleuve jusqu'aux frontières du Nouveau-Mexiqne et à des contrées en-cote peu connues. . . , 5.

M.

Manchac ( Bras du ) , autrement dit , Rivière d'Ibervillc. Seul bras du fleuve sur sa rive gauche , qui va se perdre dans le lac Pontcharirain. . . . ib.

Métairie (La). Petit canton situé derrière la Nouvelle - Orléans. ..... .7 29.

MoBiLE ( Baie et canton delà). Sa situation , eic . . 65.

N.

N^TCHiTOCHES (Canton des ). Fameux par son tabac d'une excellente qualité. Sa situation , etc 58

NouvEAU-MExio v T)E(Le). Situé au couchant delà Colonie, et la bornant de ce côté . . ... 5.

Nouvelle - Madrid ( Poste militaire de la ) , autrement dit, l'Anse à la graisse. Sa situation et ses établissemens. . . 60.

OHio(L'), ou la Belle-Rivière. A son embouchure dans le Mississipi 26,

Opéloussas ( Canton des ). Sa situation, ses abornemens, sou. étendue, ses localités. 54 et suiv.

OuACHAS. (Lac des). Vvjti Barata-ria.

P,

Fensacoli (Poste militaire de). | gauche du fleuve, vil - à Sa situation, et son état actuel 64. Pointe - coupée. . . . ,

Plaqjcjèmine ( Bras de ). Second bras du fleuve qui va se perdre dans des lacs, vers le bas de la Colonie et dans sa partie •ccidentalc i5.

Plaojjemine (Poste militairede). ^itué sur la rive droite du fleuve, à dix lieues an-dessus de son embouchure, ....... 66.

Pointe - Coupée ( Côte ou Paroisse de la ). CaDtonflorissant, et l'un des plus considérables de laColonie, par sa population et par ses produits. . . 49 et 5o,

Rivière - Rougk ( La ). Dernière rivière qui lombe dans le Mississipi, sur sa rire droite, en le descendant , à quatre - vingt -quinze lieues environ de son embouchure ,en suivantson cours 58.

S.

Sara (Le Bayou), autrement dit, les Écores. Canton nouvellement établi, situé sur la rive

vil U . 5o.

St.• Bernard (La baie de). Située aux extrêmiiés communes de laLouisiaue et du Nouveau-Mexique , dans l'angle Sud-ouest delà Colonie. , . . , . . . z58.

Sauvages (Les). Ceux qui habitent l'intérieur etlcs environs de Ipt Colonie, et qui sont en rclatioa avec elle. Leur phisionomic, leurs vêtemeus, leur genre de vi« t leurs habitudes, leur caractère , leurs passions , etc. 189 et suit.

T.

Tchafalata ( Bras du ). Premier bras du fleuve , sur &a rive droite , en le descendant, qui va se perdre dans des lacs vers le ba,i de la Colonie, dans sa partie occidentale. ... , . . t5.

Terre-aux-Bœufs { Le Bayou de la ). A quatre lieues au-dessous de la Nouvelle-Orléans. Ses bords sont habités par des Espagnols transférés des Ile» Canaries r et nommés Islennes, dont le travail fournitàla Ville des menus grains, du laitage , des légumes , et des volailles. . . . . . , 6».

F m de la Table des Matières»

Avis au Relieur.

7/ jaut placer la grande Carte , après la Table des Chapitres , en face du commencement de VQuvrage, autrement dit i Avant-Propos , et la petite Carte, entre les pages 62 et 63 : de manière que la grande Carte se déployé à la gauche du lecteur, et la petite à sa droite.

ERRATA ET ADDITIONS,

Page g , lig. 5 , profondeur : lisez , hauteur,

-— 10 , lig, 2-, lieues prolongées : lisez , lieues , prolongées.

1b. lig. 6 , arrêtées : lisez , arrêtés.

P. il , lig. 4 , pendantune : lisiez pendant une.

Ib. lig. 14, peut: lisez saurait.

1b. lig. 17 et 18 , peut y être: lisez , y devient.

P. i3 , lig. i3, charriant: lisez, chariant.

— i5 , lig. 7 , Plaquemine et,: lisez , Plaquemine ., et. Ib. lig. 9 , colonie , et : lisez , colonie et.

P. 16 , lig. 25 , charrie : lisez , charie.

— 19 , lig. 24 , traversicres qu'on : lisez , traversières, qu'on. ■— 20 , lig. 2 , chelans : lisez , chalans. •

— 5i , lig, 5 , d'endroits . tîo^« ; lisez , d'endroits noyés.

—- 2 2 , lig. 6 , après le mot cyprière. Ajoutez ce qui suit : Cei endroit » d'où prennent les établissemens coloniaux , s'appelle Gentilly , du nov* de son propriétaire , homme riche et qui fait un usage honorable de soit lien, par l'accueil obligeant que reçoivent de lui les étrangers de toutê nation, qui, remontant le fleuve , s'arrêtent en ce lieu, où se présent» une habitation bien tenue » et la première qui s'offre à la vue, de» puis l'embouchure du Mississipi t à la réserve des pastrs de la Balisé et de Plaquemine..~

Ib. lig. 21 , Chenal: lisez, chenal.

P. 25 , lig. 2 , carondele: lisez Carondelet.

Ib. lig. 2 s } faubourg , surtout : lisez , faubourg surtout*

P. 25 , lig. 3 , brûlées , sans : lisez , brûlées [ sans.

Ib. ligne 5 , l'épargne , de : lisez , l'épargne ( de.

Ib. lig. i5 7 face : lisez , façade.

Ib. lig. 25 et 26 , gauche ; ces rues : lisez , gauche , ces r«« a

P. 27 , lig. 10 , édifees .'lisez, édifices publics.

Ib. lig. 18 , ces : lisez , ses.

P. 29, lig. 8 , Gentilly et: lisez Gentilly, et.

— 3o , lig. 4 , pièces et opéra-comiques : lisez , pièces çomiqxes. Ib. lig. 5 et 6 , soutenue alors : lisez , soutenue , alors.

P. 33 , lig.' 19 , provînt : lisez , provint. Ib. lig. 26 , entf elles , lisez, entre elles. P. 34. , lig. 1 et. 2 , monopole, exerce : lisez , monopole &erc&,_

— 37 . lig. 23 , grâce : lisez , grâce.

—. 39 , lig. »7 , xvaux-hall : lisez , Waux^kqlly Ib. lig. 18 , grand-bal' : lise? } Grand-bel,

■— 4-r , lig. i , /i^r /-if livrer: lisez , peser , et livrer, ■ — 44, lig. 4 , a : lisez , à.

ïb. lig. 7 , </« commerce : lisez , /-/«ce commerce. /

ïbi lig. dernière ,dc la Basse-Louisiane : lisez , de la Louisiane et de la

Floride occidentale. P. 45 , lig. 4 , quieut : lisez, qui eut. ■ — 4S , lig. 7 , qnarrees : lisez , carrées.

»— 47 , lig. 6 , i3 et 16 , Cyprières , Bayoux . Bayoux : lisez , cyprières,

layoux , bayoux.

> —49 , lig. 22 , et sur la même rive. Ajoutez ce qui suit : Là est établi uu poste militaire,

— 55 , lig, 11 , pittoresques , dont : lisez , pittoresques dont. 6G , lig. 6 et 7 , seize à dix-sept : lisez , quatorze à quinte.

Ib. lig. 7 , cinq à six : lisez , quatre à cinq. P- bg , lig. 11 , Veau ; dont : lisez , Veau dont.

— 72 , lîg. 5 , situé du trente au : lisez , dont la majeure partie est sise entre le trentième et le,

ïb. lig. 14 et i5 , de trente au trente-unième degrés : lisez } du trentième

au trente-unième degré. —- 7S , lig. 17 , avoisinans : lisez . avoisinant,

80 , lig. dernière, sécrétion : ajoutez , des humeurs. 84 , lig. 4 , ( il est lien vrai ) : retranchez ces mots.

— g5 , lig. 17 , alors ' retranchez ce mot. '— 96 1 15g- 7 froid , au : lisez , froid au.

• — P, 101 , lig. 12 et 18 , Mocqueur : lisez , Moqueur.

— 102 , lig* 17 , au: lisez aux.

.— io3 , lig. 14 et i5 , savoureux que: lisez , savoureux , et que. ,— 106 , lig. 3 , creuses de: lisez , creuses , de.

— 107 , lig. j5 , mouciquère : liiez, moustiquèrt* -— ro8 , lig- 2 5 , suffira : lises , suffirait.

■ — 111, lig. 27 et dernière , environs le cypre : lisez , environs , le cypre.

— u3 , lig. ? 3 , Veau soumise: lisez , l'eau , soumise. <— n5, lig. i5 , opinon : lisez , opinion.

r — 117 , lig. 2 2 , Bernandy : lisez , Bernaudy. . — 120 , lig. 10, matrices: lisez, motrices.

— 121 , lig. 14 , juillet , et : lisez , juillet ; et.

— i3 2 , lig, 7 , production , et qui: lisez , production , ce qui.

< — i36 , lig. 21 , à la cdle février : lisez, à celle de février, ^~ Ï09, lig. 8 , douteux) ; lisez , douteux | :

' — > lig- 2 7 i tonnellerie; à quoi: lisez , tonnellerie , à fusr\ Ib. lig. dernière , pelleteries , : lisez , pelleteries ; et que.

P. ig3 , lig. 14, laton : lisez , laiton. •— 216 , lig. 2 , dé : lisez </u.

Ib. lig 17 , £tt£ ( de leur propre aveu : lisez , ( que , ^ /<ttr propre aveu.

Ib. lig. 19 , satellites , lisez , satellites ).

P. 217 , lig. 28 , le : lisez , /m.

.— 220 , lig. 28 , à l'entrée: lisez , ( à Ventrée,

— 222, lig. 3 , de Vautre : lisez , d'une autre.

•«- 232 , Hg. 19 , , et cependant : lisez , : et cependant.

.— 242 lig, tg , [pour en tirer : lisez , [pour qu'on puisse en tirer.

~— 261 , lig. 23 et 94 , nos prétendus philosophes à révolution: lisez,

nos sophistes révolutionnaires. -— 262 , lig. 4 II a etc. : alinéa.

— 264 . lig. 27 , leurs : lisez , ses.

— 272 , Hg. 27 , sont y : lisez : y sont.

— 281, lig. première , j'ai vu ,. j'ai entendu : lisez , j'ai vu, fai entendu.

* — 28j., lig. 3 , sans contredit : retranchez ces mots. «?— 3o8 , lig. 18 , d'indolence : lisez , d'insouciance. 310 , lig. 5 et 6 , nationnale : lisez , nationale.

fin de VErrata et des additions.

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