PRÉFACE de l'Éditeur.

Quelle circonstance plus favorable à la publication d'un ouvrage de la nature de celui-ci , que le moment présent ! La Colonie de la Louisiane , établie par la France , ensuite abandonnée par elle , ou , plutôt , par son ancien Gouvernement , à l'Espagne , et finalement remise , par cette dernière Puissance , à la Nation dont elle avait été violemment détachée , va , sous peu , redevenir française. Ce pays fixe actuellement l'attention de la métropçle , et la sollicitude du gouvernement, Il paraît être ici l'objet-et le point-de-mire d'une foule de spéculations diverses, agricoles , commerciales , et autres.

Après une guerre longue et ruineuse , il n'est pas surprenant que tous les regards se portent , avec un vif intérêt., sur les Colonies , que , depuis si long-

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tems , l'on avait perdu de vue , et notamment sur celles qui , comme la Louisiane , ayant été à l'abri des secousses révolutionnaires , offrent , ou , du moins , semblent offrir un résultat avantageux pour toute espèce d'entreprises et de relations , et des ressources immédiates. En effet, l'impulsion a ce sujet est donnée, et chacun s'occupe essentiellement de ce qui a trait à la Louisiane , à la Martinique, et aux îles de France et de îa Réunion. La Louisiane , sur-tout, provoque , d'autant plus , sur elle , cet intérêt commun , cette tendance générale des esprits , qu'étrangère à la France depuis long-tems , elle semble être une acquisition nouvelle à tous égards , et qu'en outre elle y est bien moins connue que toute autre partie de nos possessions d'outre-mer.

C'est donc complaire à l'opinion publique , et lui rendre hommage , que de présenter , en cette circonstance , un tableau fidèle de ce pays , ( au moins , comme il était il y a huit à dix mois ) et la perspective de ce qu'il peut devenir , p?.r la

suite , en des mains industrieuses, et sous un gouvernement qui joint les lumières à l'activité. Tel est le but qu'on s'est proposé , et auquel on a tâché d'atteindre en l'ouvrage qui va paraître , et dont l'auteur , résidant , depuis environ trois années, sur les lieux qu'il décrit et au milieu des objets divers qu*il représente , a , sans doute , été à même de porter , au développement de ses observations 5 toute l'exactitude nécessaire.

Au reste , je sais bien que la convenance et l à-propos ne constituent pas davantage le mérite intrinsèque d'un écrit , que la parure et l'éclat extérieur ne font celui d'une personne. Ainsi , l'ouvrage dont il s'agit , quoique paraissant sous ces heureux auspices , n'aura de vogue et de faveur , qu'en raison de l'intérêt qui y sera répandu, et tout autant qu'instructif au fond , et attachant par la forme , il réunira , dans son ensemble , et l'agréable et l'utile.

Voilà ce à quoi il paraît que l'auteur s'est principalement appliqué , en soignant,

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avec une égale attention , ces deux parties essentielles de la littérature , ces deux branches-mères de l'arbre de la science , -l'utile et l'agréable , et les faisant rapporter l'une à l'autre autant qu'il lui a été possible. A cet effet, et pour y parvenir, il s'est occupé, d'abord , à mettre beaucoup d'ordre et de clarté dans la distribution de son ouvrage , qu'il a tâché de rendre , à - la - fois , méthodique et lumineux. Ensuite , et dans la vue de ne point fatiguer l'attention du lecteur par un continuel détail de matières abstraites , qui peuvent lui être étrangères et , qui plus est , indifférentes , il a cherché à tenir ce même lecteur en haleine , et toujours occupé néanmoins , en lui présentant , çà et là , pour !e délasser et le récréer , quelques tableaux qui pussent intéresser son imagination , son esprit , ou son cœur , en adoucissant l'aridité des matières par le coloris des images , et en adaptant , à la contexture des objets instructifs et sérieux, quelques traits saillans , quelques épisodes propres à faire sensation , mais tous pui-

ses , au surplus , dans le fond du sujet. Tels sont , par exemple , ( et pour n'en pas citer d'autres ) les traits suivans : d'abord , le narré concernant cet habitant de la Louisiane , natif du lieu , qui , à la vue des corps flottans de trois malheureux Américains noyés dans le Missis-sipi , que le courant des eaux avait entraînés dans le canal de son habitation , au lieu de les en faire promptement retirer , ou pour les rappeler à la vie , s il était possible , ou , tout au moins , pour les faire inhumer convenablement, au cas que cette première œuvre de commisération et d'humanité fût infructueuse , s'empressa , au contraire , à les faire indignement repousser dans le lit du fleuve , avec de longues perches , et par les bras de ses esclaves , instruments passifs et muets témoins de l'inhumanité de leur maître : ensuite , l'anecdote relative à la vieille Irrouba , cette négresse centenaire , née aux rives du Sénégal , esclave aux bords du Mississipi , nourrice de deux enfans de ses premiers maîtres , et manquant ab-

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solument de toutdans son extrême vieillesse , à un âge où tout est privation , tout est besoin, et , ( ce qui est à observer principalement ) sous les yeux d'un de ses maîtres» propre frère de ses nourrissons: et, pour dernier trait , le récit qui peint la noble et touchante humanité de cette jeune sauva-gesse de la nation des Chactas , qui , dans le plus fort de l'hiver , attirée, au point du jour , par les cris plaintifs , le vagissement douloureux d'un nouveau - né , délaissé , sacrifié par sa mère au cœur de bronze , et exposé , pendant la nuit , en plein champ , dans une corbeille , trouve un enfant blanc , ainsi abandonné dans cette rigoureuse saison , le prend , l'emporte , réchauffe ses membres , presque glacés , sous ses grossiers vêtemens , lui présente son sein , lui donne son lait , et finalement adopte pour fils , dans sa hutte , au bord des forêts , l'être infortuné que sa cruelle mère , femme blanche , élevée et résidente à la Nouvelle-Orléans , au milieu d'une ville habitée par des hommes policés , venait de rejetter loin délie, et de

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vouer impitoyablement à la mort , après lui avoir donné la vie. Ces trois tableaux , choisis parmi d'autres de différens genres, suffisent pour confirmer ce que j'ai observé ci-dessus , relativement à la marche que l'auteur a suivie dans le cours de son ouvrage.

Mais , quoique le mérite d'un écrit dépende , en grande partie , de ce mélange, artistement fondu , de matières graves et sérieuses , qui nourrissent la pensée , et de détails enjoués ou touchans , qui intéressent l'esprit et le cœur , de cette heureuse combinaison de traits mâles et de couleurs brillantes assorties avec goût , on doit encore y ajouter ce qui en fait un des principaux charmes et dont l'absence et la privation sont irréparables , ce qui est, ( pour me faire mieux entendre) si bien exprimé parce vers charmant:

Et la grâce , plus belle encor que la beauté.

Il ne suffit pas à l'habile peintre de nous présenter une image de la nature , où soit alliée l'exacte proportion des

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formes à leur disposition aisée , et où soient répandus les trésors d'une savante composition : il faut , de plus , qu'une élégante draperie embellisse et rehausse l'éclat de l'objet représenté , et couronne l'œuvre du talent. Il en est ainsi de l'écrivain , qui , occupé du corps de son ouvrage, n'en doit pas moins soigner la draperie, qui est le style; ornement sans lequel tout écrit , quelque solidè et intéressant qu'il puisse être , éprouve bientôt un discrédit dont il ne se relève plus. Car enfin , ce n'est pas tout que de dire et d'écrire de bonnes choses , il faut les dire et les écrire bien. Et le secret d'un bon écrivain , son mérite et son talent^particulier, ne se bornent pas a trouver les moyens de faire lire les productions de sa plume ( une première lecture est, tout au plus» un demi-succès , et , à bien dire , un avantage éphémère ) ; le point majeur auquel il vise , le grand but qu'il se propose.est de faire en sorte que ces mêmes productions soient relues. C'est là le vrai triomphe de l'art, triomphe d'autant plus flatteur, qu'il n'est pas commun,

Horace

PRÉFACE. xïij Horace a dit : Ut pictura , poens. Et je me permettrai de commenter ainsi cette belle pensée , en lui donnant un peu plus d'extension , et en disant que Fart décrire en général , est semblable à Fart de peindre. Au surplus , tous les beaux-arts ne sont-ils pas frères, se tenant tous par la main, et attestant , par les ressemblances et les divers rapports qui existent entre eux Tidentité de lenr origine ?

Mais revenons à notre sujet, Voilà bien des qualités inhérentes à la composition d'un écrit essentiellement bon. Précision , méthode , clarté , solidité , agrément , et style joint à tout cela : que de parties éminentes de Fart d'écrire exposées en ce peu de mots ! Induira-t-on, delà, que je prétende avoir trouvé ces qualités réunies dans celui que je rends aujourd'hui public ? On aurait tort : en ce que je suis bien éloigné d'établir de telles prétentions , qui outre-passent toutes celles que peut s'attribuer un éditeur ,' et-, qui plus est , même un commentateur. Il est bien différent d'atteindre au but , ou de s'efforcer

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à y parvenir : et je me suis borné à observer que Fauteur a , du moins , rempli cette dernière condition. C'est au public , impartial et éclairé , à juger du reste.

Quant à l'exactitude et à la véracité dont un Ecrivain doit se faire fort et ne jamais se départir , sous aucun prétexte quelconque , et malgré toute espèce de ménagement pusillanime et de considération déplacée , sans que ces attributs , essentiels, en lui , dégénèrent pourtant en aigreur injuste et en personnalités messéan-tes , à cet égard j'ose assurer , d'après la connaissance intime que j'ai du caractère moral de Fauteur et de sa façon de penser , qu'il n'aura point dévié de la route qu'il s'est tracée à lui-même dans le plan et dans le cours de son travail , et que la vérité , pure et simple , aura dicté , de la manière la plus convenable , ce que sa plume a écrit.

Il a été inséré , dernièrement , dans la Gazette de France , quelques extraits de ce même ouvrage , sous le titre de Lettre

dun Colon de la Louisiane , en grande partie , modifiés , quant à la marche des idées et au style. Ces extraits ont été puisés dans les premières feuilles de l'ouvrage , que j'avais confiées au rédacteur de ce journal. Je crois devoir prévenir , de cette particularité , le lecteur > qui , l'ignorant, et trouvant quelque rapport entre les extraits dont il s'agit et des passages de cet écrit , pourrait en inférer que les premiers auraient fourni matière aux derniers : ce qui est tout le contraiie.

11 me reste à remarquer, en terminant cet avertissement, que les deux cartes topographiques adaptées à cet ouvrage , ont été gravées sur les dessins que j'ai reçus de Fauteur, conjointement avec son manuscrit , dont le postcriptum a pour objet l'envoi de ces mêmes dessins , que j'ai fait exéeuter avec le plus grand soin ; ces deux cartes étant essentiellement destinées à l'ouvrage qu'elles doivent accompagner et pour qui elles ont été faites , et présentant, sinon, un tableau bien correct, une esquis-

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se, au moins, plus circonstanciée, des diverses contrées qu'elles décrivent, que tout ce qui en a été publié jusqu'à ce jour.

J\f. B. Les fautes d'impression qui existent en cet ouvrage , ont été, en grande partie , énoncées et rectifiées dans TErrata , qui se trouve à la fin , et où sont aussi comprises quelques légères omissions.