AVANT-PROPOS

Parmi les vicissiludes qu'éprouva la Louisiane pendant la seconde moitié du xviii'' siècle, l'ensemble de faits qui caractérise le plus étrangement son histoire est certainement le nombre considérable de changements de dominations qu'elle eut à subir. Un créole français, âgé de cinquante ans en 1804, après être devenu espagnol, puis s'être retrou ré pour quelques jours français, finalement se voyait américain ; s'il avait habité sur la rive gauche du Mississipi, entre temps, il aurait vécu quelques années sous le drapeau de l'Angleterre. La Louisiane pourtant, si l'on excepte la Mobile, ne fut jamais conquise par les armes : quelques traits de plume, de temps à autre, décidaient en Europe du sort de sa population et de ses immenses territoires.

Aucune puissance d'ailleurs ne se souciait alors de cette belle colonie : Choiseul, mal informé, n'en avait cure : « L'union avec l'Espagne, disait-il, est plus utile que la Louisiane et beaucoup de possessions américaines » ; l'Angleterre, en 1762, lui préféra les Florides : l'Espagne, forcée de l'accepter, laissa passer six années avant de se donner la peine d'aller occuper la Nouvelle-Orléans. Les Anglais, par suite il est vrai de la révolte des sauvages, mirent deux années après le Traité de Paris, avant de s'établir aux Illinois ; enfin les Français, pendant le Consulat, ne prirent possession de la Louisiane, qui leur était cédée depuis trois ans, qu'au moment où ils ne la possédaient plus.

On comprendra que souvent dans ces conditions les colons ne savaient plus à quelle nationalité ils pouvaient bien appartenir, d'autant que les traités de cession n'étaient jamais annoncés officiellement que longtemps après qu'ils étaient signés et connus. Cette incertitude, sur un point pourtant si essentiel, fut une des causes de la révolte des habitants de la Nouvelle-Orléans contre le pseudo-gouverneur espagnol

UUoa, soulèvement imprudent dont le résultat malheureux fut de faire couler pour la première fois le sang français en Louisiane.

Pendant la guerre de sept ans, les Anglais, malgré leurs victoires au Canada et en Florides, n'osèrent même pas attaquer la Louisiane. Elle dut cet heureux résultat aux habiles dispositions de son gouverneur le chevalier de Kerlérec.

L'histoire a oublié son nom puisqu'il faut, en temps de guerre, pour passer à la postérité, avoir vaincu ou... s'être fait battre. Pourtant Kerlérec a fait mieux que plus d'un conquérant, il a su empêcher les Anglais d'envahir une contrée quatre fois grande comme la France, dont la garnison ne dépassait pas mille hommes et dont les meilleurs soldats, anciens déserteurs, n'avaient pour mettre dans leurs fusils que de la poudre espagnole le plus souvent moisie.

Abandonné par la France, avec des magasins presque toujours vides, il sut néanmoins prendre un tel ascendant sur les sauvages, sa politique à leur égard fut toujours si habile et si loyale, ses mesures étaient si bien concertées que même après son départ et la conclusion de la paix, malgré les efforts de d'Abbadie. de Neyon, de Saint-Ange, les Anglais mirent près de trois ans pour arriver à occuper les Illinois qu'un traité leur avait abandonnés pacifiquement.

Si Aubry, commandant des troupes envoyées au secours de Niagara, ne s'était pas laissé surprendre, cette place n'aurait pas été forcée de capituler, le sort de la campagne de 1759 au Canada restait pour le moins indécis et, l'année suivante, l'entrée en ligne de la puissante nation desChérakis, que Kerlérec venait enfin d'attirer dans notre alliance et de soulever contre la Grande-Brelagne. pouvait changer la fortune de la guerre. En une saison, les Anglais ne parvinrent pas à soumettre les Chérakis abandonnés à eux-mêmes, que serait-il arrivé si ces derniers avaient été bien approvisionnés et soutenus par les Français?

Kerlérec fut une belle figure de marin breton, un peu rude parfois, mais sachant vouloir et se faire obéir. Sa devise aurait pu être : Ajjrès Bien, maître à son bord ; car du Roi il ne pouvait être question, souvent la colonie restait plus d'un an sans dépêche de France et, en 1763, les promotions d'officiers demandées en 17.52 n'étaient point encore arrivées 1

Comme tous ses prédécesseurs, comme les autres gouverneurs de colonies de cette époque, Kerlérec eut de terribles démêlés avec le pouvoir civil représenté alors à la Nouvelle-Orléans par l'intendant M. de Rochemore. Ce dernier eut certainement tort, car en temps de guerre c'est au général à commander.

AVANT-l'UOPOS m

Quant, à la légère, tous les deux s'accusent réciproquement de concussion, lorsqu'ils se jettent mutuellement à la tète leur « ménagerie » et leur « basse-cour », quand les deux chefs de la colonie arrivent à se reprocher la chandelle ([u'ils brûlent, ce spectacle est profondément triste. Les épithètes plus que soldatesques dont se sert le gouverneur pour qualifier l'ordonnateur sont, il faut le reconnaître, grandement déplacées, mais que dire aussi de ce dernier qui toujours accuse anonymement avec des : On d'il... il appardil... le peuple croil...

Que peut-on penser de ce fonctionnaire ultra-civil qui, devant le blocus des ennemis, déclare qu'il y a trop de troupes (1,000 hommes) et pas assez de milice, trouve qu'au lieu de soldats on devrait plutôt envoyer des commissaires, des lieutenants de police et des scribes et enfin opine qu'il sera toujours temps de s'occuper des fortifications de la Nouvelle-Orléans quand les ennemis arriveront... et qu'on aura reçu des ordres de Paris !

Rochemore était un homme d'intelligence médiocre, à l'esprit étroit, dont toute l'activité se concentrait à étayer l'importance de ses fonctions et à montrer qu'on ne pouvait rien faire sans son consentement. « Même si ma procédure se trouvait mauvaise, elle était irrévocable», dit-il à propos de la saisie d'un navire, qui faillit amener une véritable sédition; cette phrase peint son caractère.

En plus des entraves qu'il apporta à la bonne marche des affaires, on doit aussi lui reprocher une insigne faiblesse pour ses partisans, dont il ne voulait pas voir les tripotages et son extrême indulgence pour tous ceux qui venaient grossir son parti. Sa femme, plus active, fut plus coupable : jalouse de M™*" de Kerlérec, elle chercha à rendre la vie intenable au gouverneur pour le décidera partir et pouvoir faire nommer à sa place son beau-frère, Gaston de Rochemore. Elle voulait une cour particulière, seulement son hostilité à Kerlérec ne lui permit de réunir autour d'elle que les mécontents.

Composée de quelques braves gens sans doute, simplement aigris par la ruine de leur commerce, ou l'absence des promotions auxquelles ils avaient droit et qui n'arrivaient jamais, et d'un certain nombre de brouillons assez inotfensifs, cette coterie était malheureusement menée par une demi-douzaine d'officiers ou de fonctionnaires peu dignes des places qu'ils occupaient. Spéculateurs en farine, entrepreneurs des travaux du Roi, agioteurs sur le papier-monnaie, leur intérêt particulier passait avant tout : pour effectuer une prise fructueuse, ou vendre hors de prix le peu de grains qu'ils possédaient, ils auraient affamé la Louisiane. Il est triste d'avoir à constater que Belle-Isie, le major de la Nouvelle-Orléans, donna un malheureux exemple en désobéissant,

en temps de guerre, à des ordres formels et écrits du gouverneur. On peut juger par là quelle indiscipline régnait dans la colonie.

Kerlérec emprisonna plusieurs des meneurs et en expulsa une dizaine de la colonie; il agit certainement comme il était forcé de le faire dans les circonstances critiques où il se trouvait, seulement il déchaîna contre lui de terribles haines : Rochemore, dont il avait obtenu le rappel, les oflîciers qu'il avait renvoyés, l'accablèrent à leur arrivée en France de dénonciations calomnieuses. Alors commença à Paris cette extraordinaire A/falre de la Lomslane, information extra-judiciaire que cinq conseillers du Chàtelet parvinrent à faire traîner plus de quatre ans pour l'embrouiller et dont la partialité peut seule égaler l'injustice. Dupont, ce parlementaire si bienveillant quelques années auparavant pour le trop célèbre intendant du Canada Bigot, montre tout ce que les gens de robe pouvaient avoir alors de fiel et de jalousie contre les gouverneurs militaires.

Le parti pris inimaginable et l'exagération évidente de son Rapport furent d'ailleurs sans doute un bien pour Kerlérec, le Ministre ne voulut même pas le lire et ordonna d'en faire pour lui un court résumé. Plus heureux que l'infortuné Lally-Tollendal, l'ancien gouverneur de la Louisiane s'en tira avec simplement quelques mois d'exil à Ireulc lieues de Paris. Cette condamnation, uniquement de forme, n'en élail pas moins une profonde injusLice.

Praslin, au lieu de déclarer que « bien que le zèle et la probité de M. de Kerlérec soient sans reproches, son gouvernement a élc tyrannique », aurait mieux fait de se souvenir de cette note, probablement de la main de Choiseul, qui commente une Feuille au Roi sur les affaires de la Louisiane. « Le ijouvcrneur a bien fait, ta misère des peuples est au-dessus de toutes les règles. »

Avec quelques gouverneurs aussi énergiques que Kerlérec, la France aurait sans doule perdu moins de colonies.

Dans l'histoire de la Louisiane il y a un autre personnage qui a été souvent trop sévèrement jugé et même calomnié; il s'agit dAubry, le dernier commandant français de la colonie.

Aubry était un très brave officier mais un assez médiocre chef: droit de caractère, il était inapte aux habiletés diplomatiques et peu fait pour déjouer les intrigues. Ne fut-il pas presque le dernier à apprendre la révolution de la Nouvelle-Orléans !

De simple commandant de deux cents soldats, de major d'une place sans territoire, le hasard le fit gouA'erneur d'une ville sans nationalité, en proie à toutes les cabales. La France se désintéressait d'une colonie

ne lui uppai'lciiant plus, l'Espagne, qui ne l'avait acceplée que de peur de voir les Anglais s'y établir, ne faisait rien pour en prendre possession ; de plus habiles qu'Aubry eussent été également fort embarrassés.

En but à la malveillance de ceux qui lui reprochaient de ne pas se mettre à la tête de la révolution, mais qui le voulaient néanmoins pour chef, trahi par l'ordonnateur Foucault, il chercha toujours et avant tout à rester loyal à sa consigne et voulut qu'on ne pût pas accuser le gouvernement de la France de complicité ou de duplicité dans le soulèvement.

Quand le général espagnol O'Reilly, avec des forces imposantes, vint occuper la Nouvelle-Orléans et punir l'insulte faite au drapeau espagnol, Aubry crut certainement bien faire en désignant les coupables pour éviter aux innocents des poursuites et empêcher d'inutiles représailles contre la population paisible.

O'Heilly du reste arrivait avec des instructions aussi formelles quim-placables et tous les malheureux qui tombèrent sous les balles espagnoles étaient dêyk soigneusement et longuement dénoncés dans les rapports du haineux UUoa. Aubry ne pouvait sans doute pas faire changer grand'chose aux ordres du Roi d'Espagne, seulement il aurait dû toujours essayer de sauver ses infoilnnés compatriotes même s'il les jugeait coupables. (Jn peut lui re{)rocher de la pusillanimité, voire même quelque égoïsme, on ne doit pas le taxer de « cruauté. »

Six déportations, autant de condamnations à mort, c'était beaucoup trop pour une révolution quelque peu puérile d'enfants terribles sans éducation politique, à qui avant et depuis Kerlérec, on avait sans cesse tout permis. O'Reilly fit à la colonie une saignée cruelle et sans doute inutile, mais, malheureusement, il faut bien constater que ce fut seulement à [lartir de ce triste jour que disparut de la colonie ce fâcheux esprit de cabale et d'intrigue qui depuis plus de soixante ans déjà désolait la Louisiane.

Espérons (|ue des dissensions ou des rivalités analogues ne nuiront plus à l'avenir au développement, voire même à la conservation, de notre empire colonial. Puisse cet affligeant tableau, histoire commune, hélas ! de toutes nos i)Osscssions lointaines, servir de leçon à nos compatriotes hxés dans les pays nouveaux.

30 Novembre lUOS.

SOURCES

La seule histoire de la Louisiane écrite jusqu'à présent en français est celle de Gayarré. Publiée à la Nouvelle-Orléans en 1851, elle s'ari'ète en 1770; plus tard elle a été traduite en anglais et continuée jusqu'à nos jours. Cet ouvrage assez bien étudié, passe pourtant presque complètement sous silence le gouvernement de Kerlérec. Avant Gayarré, un créole de la Nouvelle-Orléans, le juge Martin, avait composé la première histoire de la Louisiane qui mérite ce nom.

Sans vouloir rédiger une fastidieuse bibliographie, citons parmi les auteurs où l'on peut trouver d'utiles renseignements sur notre ancienne colonie :

Hennepin, Le Mascrier, Le Page du Pratz, Dumont, Bossu, Champigny, Baudry des Lozieres, Boismare, Margry, et pour la période de la seconde occupation française, Collot, Barbé Marbois, Laussat, Perrin du Lac, Robin, Bartram, Berquin-Duvallon, etc.

Il ne faut pas omettre les écrivains de langue anglaise, Pittman, Sloddard, Brown, Mouette, Jeifrys, Winsor, Parluiian, etc.

Les sources manuscrites sont nombreuses :

Bibliothèque Nationale (Papiers de Margry).

Archives Nationales (Anciennes archives du Ministère de la Marine).

Archives du dépôt des Cartes de la Marine (Cartes et plans).

Archives du Ministère des Colonies (Correspondances des gouverneurs de la Louisiane et Ordres du Roi).

Archives du .Ministère de la Guerre (Recueils Amérique).

Archives du Ministère des Affaires étrangères (Correspondances diplomati(iues; Espagne).

Archives du département de Seine-et-Oise (Papiers delà famille Le Breton, etc.).

Archives du département du Finistère (Correspondance de Kerlérec et de sa famille\

Bibliolliè({uo de l'Arsenal (Archives de la Bastille).

Papiers de la famille de Kerlérec (États de services, etc.).

LES DERNIÈRES ANNÉES

DE

LA LOUISIANE FRANÇAISE

CHAPITRE I

Découverte du IVIississipi (1539). — Explorations de Jolie! et de La Salle. — D'Iberville fonde la colonie de Biloxi (1699). — Le privilège de Crozat. — La Wlothe-Cadillac. — Law. — La Compagnie des Indes Occidentales. — Bienville. — Fondation de la Nouvelle-Orléans (1718). — Guerres des Natchez des Chikachas et des Chaktas. — Le marquis de Vaudreuil.

Avant de raconter l'histoire du gouvernement de Kerlérec et ce qu'il advint par la suite de la Louisiane sous la domination espagnole, il est nécessaire de retracer en quelques lignes la découverte et les origines de cette belle colonie française.

La côte orientale de la Floride fut explorée par Ponce de Léon en 1512. Pendant les vingt années qui suivirent, Ortubia, Vasquez de Aillon, Narvaez et Vasquez Coronado reconnurent dilTérents points de la côte nord du golfe du Mexique, notamment Pensacola; mais l'honneur d'avoir atteint le premier la vallée méridionale du Mississipi revient sans conteste à Fernand de Soto, gouverneur de Saint Jacques de Cuba et ancien compagnon de Pizarre.

Parti d'Espagne avec onze navires, Soto atteignit la Floride au mois (le mai 1539, près de la baie de Spiritu Santo, et y débarqua avec un millier de soldats et quatre cents cavaliers.

Pendant trois années, il explora la Floride et les contrées qui devaient plus lard s'appeler la Louisiane. Suivant d'abord lu côte jusqu'à l'embouchure de l'Alabama. où les Indiens lui livrèrent de nombreux combats, il continua sa route vers le nord-ouest, atteignit

le Mississipi (1) et le traversa pn-s de rcndroit où s'élève maintenant la ville de Mempliis. Solo parcourut ensuite la vallée de l'Arkansas, franchit la rivière lloug^e, ])ui.s se dirigea vers l'ouest; mais il dut hientôt, devant le mécontentement de ses troupes, prendre le parti de revenir sur ses pas. Après trois ans de courses stériles à travers les forcis, les montagnes elles marais de ces contrées sauvages, Soto mourut de fatigue et de découragement sur les bords du grand fleuve américain, sans avoir trouvé les mines, les trésors et les pays fertiles qu'il était venu conquérir.

Sous la conduite de Muscoso de Alveredo, ses compagnons cherchèrent à gagner par terre le Mexique, mais toutes leurs tentatives échouèrent ; de retour sur les bords de la rivière Rouge, ils prirent finalement le parti de construire des navires et réussirent non sans peine à atteindre la mer. Quand ils arrivèrent au port de Panuco, sur la côte du Mexique, leur nombre se trouvait réduit au chiffre de trois cents.

La fin malheureuse de cette expédition et la certitude qu'il n'y avait point de mines d'or dans ces régions dissuadèrent les Espagnols de renouveler aucune exploration de ces contrées.

Pendant cent trente-trois ans, chose à peine croyalde, personne ne tenta la découverte de ces immenses territoires (2). Ce ne fut qu'au mois de juin 1673 que des Européens, deux Français cette fois, revirent le Mississipi. Leurs noms ne doivent pas être oubliés : l'un était le Père Marquette, moine Uécollet, l'autre un négociant du nom de Joliet. Partis du lac Supérieur, ils arrivèrent par la baie des Puants et la rivière aux Renards dans la vallée du Wisconsin et descendirent le cours du Mississipi jusqu'à son confluent avec l'Arkansas.

Sur le conseil des Metchigomias et des Arkansas, qui leur conseillèrent de ne point s'aventurer parmi les tribus guerrières de l'embouchure du fleuve et sachant, qu'à l'endroit oi^i ils se trouvaient, ils n'étaient plus d'ailleurs qu'à dix jours de la mer. Marquette et son compagnon revinrent par la rivière des Illinois et le lac Michigan à la mission de la baie des Puants où ils arrivèrent au mois d'octobre.

Dès qu'on connut à Québec, par le récit de Joliet, les résultats de ce voyage, Cavelier de la Salle (;>) résolut de se signaler par l'annexion à la France de ces vastes territoires. Possesseur du monopole du trafic des fourrures sur les grands lacs, La Salle comprit qu'il serait plus avan-

J. Souvent aussi appelé, autrefois, Meschascbé ou Micliascpi. Mississipi. dans la langue des Indiens, aurait signifié, d'après les uns, la Rivicre-aux-Poissons, d'après les autres, la Grande-Rivière, le Vieux-au-Loin ou le Père des Eaux.

2. Nicollet, pourtant, en 1639, a))rès avoir descendu le Wisconsin, aperçut le Mississipi, mais sa découverte passa ina])ercue. Il pensait du reste que ce fleuve se jetait « dans la nier qui repond au nord du Nouveau-Mexique », c'est-à-dire dans le Pacifique.

3. Robert Cavelier de la Salle était né à R(»uen en 1643 : « 11 avait, dit Joutel, un de ses compagnons d'exploration, l'esprit et le talent pour faire réussir ses entreprises : la fermeté et le courage... Malheureusement ces belles parties étaient balancées par des manières trop hautaines qui le rendaient bien souvent insupportable et i)ar la dureté

lageux de faire passer ses lourdes marchandises par le Mississipi plutôt que de continuer à les amener au Canada.

Fortement appuyé par Frontenac, gouverneur du Canada, il se rendit en France où. grâce à l'appui du prince de Conti, il obtint assez facilement l'argent, les hommes et les approvisionnements nécessaires à son entreprise. Avec un nouveau compagnon, le chevalier de Tonti (1), il ([uitta la France, au mois de juillet i678, pour retourner en Amérique.

Dès son arrivée à Québec, La Salle prépara son expédition ; mais, en homme prudent, il commença par établir une ligne de postes de ravitaillement, depuis Niagara jusqu'à la baie des Puants. Il se rendit alors sur la rivière des Illinois pour y bâtir un fort ; mais le manque de vivres et la nouvelle qu'un navire, qu'il avait envoyé porter ses pelleteries et ramener des secours, s'était perdu corps et biens sur les lacs, le força bientôt à revenir à Niagara, laissant Tonti et quelques hommes à la garde du nouveau comptoir. Avec quatre compagnons, La Salle accomplit ce voyage de plus de mille kilomètres en soixante-cinq jours seulement, malgré les difficultés de la route, le froid et les attaques continuelles des sauvages.

Passant ensuite à Montréal, le malheureux explorateur apprit que le navire qui lui apportait des marchandises de France venait de sôinlirer dans le Saint-Laurent. Sans se décourager pourtant, il parvint à réunir quelques ressources et repartit, en août 1680, pour la rivière des Illinois. En arrivant au poste qu'il avait fondé l'année précédente, La Salle eut la douloureuse surprise de le trouver abandonné, ce qui fit qu'on baptisa le fort du nom de Crèvecœur.

Sans provisions, sans cesse attaqué par les sauvages, Tonti, surmontant les plus grandes fatigues et les plus grands dangers, s'était replié sur Michilimakinac, tandis que le Père Hennepin, avec deux compagnons, avait essayé de remonter le Mississipi (mars i680\ Faits bientôt prisonniers par les Sioux, ces derniers avaient été emmenés en esclavage vers les sources du grand fleuve où, au milieu de l'automne, le traitant Du Lliut les rencontra et put heureusement les délivrer. Ce fut pendant ce voyage forcé que le Père Hennepin découvrit le Saut Saint Antoine.

La Salle, ignorant du sort de ses compagnons, fut d'autant plus inquiet que tout le pays se trouvait complètement ravagé par les Iru-quois ; il se vit forcé de retourner hiverner au fort des Miamis où,

(■iivers ceux qui lui ctait'iit soumis, qui lui attira enfin nue liaiiic implacable et qui lut la cause de sa mort ».

En 1669 il avait déjà été l'aire la reconnaissance de rOliio. Cinq ans plus tai'd il pas!«a en France, obtint dos lettres de noblesse pour ses services et le don comme seigneurie du Fort Frontenac, à charge de le rebâtir en pierre.

1. Henri de Tonti. gentilhomme italien, « plein d'esprit et de resolution », était entré en 1668 au service de la France. Amputé pendant les campagnes d'Italie, il porta toute sa vie une main en argent ; ce lut l'un des plus vaillants pionniers de la vallée du Mississipi; son influence sur les Indiens était énorme. D'après ses notes, une relation de voyage fut publiée de son sivant, mais il la désavoua.

pendant l'hiver, il sut habilement rendre courage aux tribus restées fidèles aux Français. Au printemps, il se rendit à Miehilimakinac et bientôt après à Montréal pour chercher des secours et s'entendre avec ses créanciers.

De nouveau, au mois d'août, La Salle quitta le fort Frontenac et rejoignit, le 3 novembre, Tonli au sud du lac Michigan. La troupe qui allait descendre le Mississipi comptait vingt-trois Français et dix-huit Indiens. L'état-major de La Salle comprenait Tonti, le P. Zénobe, Bois-rondet, d'Autray, le notaire La Méterie et le chirurgien Michel.

Après avoir descendu en traîneau le cours gelé de l'Illinois, l'expédition arriva sur les bords du Mississipi le 6 février et s'embarqua le 13, aussitôt après la débâcle. Le 14 mars 1682, La Salle parvenait auxArkan-sas, y plantait une croix et prenait possession de toutes ces régions au nom du Roi de France. Le procès-verbal de cette cérémonie fut soigneusement rédigé par le notaire La Méterie, « commis pour exercer la dite fonction pendant le voyage entrepris pour faire la découverte de la Louisiane, par M. de La Salle, gouverneur pour le Roi du fort Frontenac. »

Ainsi se trouva baptisé du nom de Louis XIV le beau pays de la Louisiane.

La Salle atteignit le 9 avril, sans encombre, le golfe du Mexique, puis revint aux Illinois où il construisit le fort Saint Louis dont il laissa la garde à Tonti. A son retour au Canada, le vaillant pionnier trouva sa fortune encore une fois dans un état désespéré : le gouverneur Frontenac avait été remplacé par La Barre, le fort Frontenac venait d'être saisi, le monopole de La Salle confisqué et sa relation de voyage était traitée d'imposture.

L'explorateur dut se rendre à Paris oi^i, heureusement, il put rétablir ses affaires : les confiscations furent levées et La Salle vanta si bien la richesse en forêts et en pelleteries des pays qu'il venait de découvrir que Louis XIV lui accorda quatre navires pour se rendre directement par mer à l'embouchure du Mississipi ; mais Beaujeu, qui commandait l'escadre, passa devant les bouches sans les reconnaître et débarqua l'expédition dans la baie de Saint Bernard ou de Saint Louis (janvier 1685).

Un des navires du convoi avait été pris par les Espagnols, un autre s'échoua probablement par malveillance pour La Salle, enfin Beaujeu, qui détestait La Salle, refusa de débarquer l'artillerie et l'expédition fut laissée presque sans ressources. Le plus fâcheux fut que La Salle ne s'était nullement préoccupé de la capacité ou de la moralité des compagnons qu'il avait emmenés. De terribles dissentiments s'élevèrent immédiatement parmi les nouveaux colons, tandis que La Salle en était réduit à poser lui-même la charpente des bâtiments à construire, faute de menuisiers !

Pendant deux ans, La Salle chercha vainement à retrouver les rives du Mississipi ; finalement, il fut assassiné, le 19 mars 1687, par quel-

ques-iins de ses compagnons révoltés (1). Les meurtriers bientôt se prirent entre eux de querelle. Plusieurs s'ontretuèrent, et les survivants passèrent chez les sauvages ; en 1689, les Espagnols s'emparèrent de Tunde ces derniers, Jean Larchevêque, et l'envoyèrent comme galérien au Mexique.

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L'abbé de La Salle, l'rère de l'explorateur, avec quelques hommes restés fidèles, parvint au confluent de l'Arkansas, où Tonti, l'année précédente, avait établi un fortin (2) et put regagner le fort Saint Louis des Illinois, puis Québec (1681).

1. Près de l'ondroit où se trouvo maintenant, sur 1(^ rio Rrazos. la villo de ^^'asllington (Texas).

2. A deux reprises Tonti, cliercliant vainement à rejoindre son ancien clief, parcourut dans tous les sens la vallée intérieure du Mississipi : linalenicnt il revint s'installer sur la rivière des Illinois.

(i LES DERNIÈRES ANNÉES DE L\ LOIISIAXE FRANÇAISE

Durant plusieurs années, aucune nouvello expédition ne fut entreprise et la petite garnison que La Salle avait laissée au fort Saint Bernard, sous le commandement du Père Zénobe, fut bientôt massacrée par les Indiens.

Après la paix de Ryswick seulement, un officier de la marine française, Pierre Le Moyne d'Iberville, qui s'était tout particulièrement distingué en Amérique par de nombreux succès remportés sur les Anglais, obtint du Roi le commandement d'une expédition destinée à prendre possession des bouches du Mississipi il). Il partit avec le Père Anaslase, un des anciens compagnons de La Salle, et atteignit, le 25 janvier 1G99, l'ile Sainte Rose de Pensacola. Comme ce port se trouvait occupé par les Espagnols, d'Iberville continua sa route vers l'ouest et mouilla à l'ile Dauphine, le 31 janvier. II reconnut peu après l'île aux Chats, puis les îles de la Chandeleur et, au commencement de mars 1G99, atteignit l'embouchure du Mississipi (2), l'explora, découvrit le lac Pont-chartrain et revint à la côte fonder le fort de Biloxi (12 avril 1699), ainsi appelé du nom d'une tribu sauvage qui habitait les alentours.

Un mois plus tard, d'Iberville retourna en France chercher du renfort, laissant le gouvernement de la colonie à ses deux frères, Le Moyne de Sauvolle et Le Moyne de Bienville. Ce dernier, au mois de septembre de la même année, rencontra, jjcndant une exploration des bouches du Mississipi, le capitaine anglais Bess qui, lui aussi, venait pour les occuper, mais le nouvel arrivé se retira devant les assurances de Bienville, qui lui affirma qu'elles se trouvaient plus à l'ouest. Le fort La Boulaye fut immédiatement fondé pour empêcher toute nouvelle tentative d'occupation étrangère.

Bientôt de retour à Biloxi, d'Iberville apporta à, son frère Sauvolle une nomination en règle de gouverneur, laissa quelques provisions, puis repartit pour la France en recommandant à Bienville de continuer l'occupation et l'e'xploration progressives du Mississipi.

Ce fut à partir de cette époque, que Le Sueur, Juchereau de Saint-Denis, le Père Pinet, Charleville, tous animés d'une noble émulation de découvertes, commencèrent à explorer le pays des Natchez, les Illinois, l'Arkansas et le Minnesota. Le Sueur (3) remonta le Missouri et alla même fonder jusque sur les bords de la rivière Saint Pierre (Minnesota) un fort dont l'occupation ne fut du reste pas longtemps maintenue par crainte des Sioux (4).

1. La flottille était composée de deux navires de trente canons et d'un de cinquante.

2. D'Iberville hésitait encore à reconnaître, dans les marécages du delta, les bouches du Mississipi, quand un Indien lui remit une lettre (jue Tonti avait laissée là quatorze ans auparavant à l'adresse de La Salle.

,3. Le géographe do l'Isle, avec les renseignements de Le Sueur, put établir une carte du cours du Mississipi qui est déjà remarquablement exacte.

En 1719, Diron releva encore très soigneusement tout le cours du fleuve.

4. Le Sueur revint en France en 1702. Il mourut quelques années plus tard en retournant à la Louisiane.

A l'embouchure du Mississipi, le fort do la Balise fut commencé; enfin on parvint à mettre la nouvelle colonie en communication régulière avec les établissements des Illinois : les Pères Davion et Mon-tigny furent les deux premiers visiteurs qui arrivèrent à Biloxi en descendant le fleuve.

Sauvolle mourut le 22 août 1701 ; Bienvillc prit le commandement jusqu'au retour de son frère d'Iberville, qui eut lieu au mois de décembre de la même année. Entre temps, on ne tarda pas à s'apercevoir que l'emplacement de Biloxi, entouré de sables incultes, était mal choisi et les nouveaux colons se transportèrent pour la plupart à l'île du Massacre que l'on rebaptisa ile Dauphine.

De nouveau, en mars 1702, d'Iberville quitta la colonie. Il espérait être bientôt de retour, mais il resta longtemps malade en France et mourut au mois de juillet 1706 (1), sans avoir revu la Louisiane, alors qu'il commandait à la Havane une escadre envoyée pour ravager les colonies anglaises.

La France se trouvant de nouveau en guerre avec l'Europe, les ministres ne pensèrent plus au nouvel établissement et laissèrent Bien-ville se débattre contre le manque d'approvisionnements, les menaces des Indiens et les factions qu'entretenaient contre lui l'ordonnateur La Salle et le curé La Vente.

L'infortuné gouverneur n'avait à sa disposition qu'une cinquantaine de soldats. Avec l'aide de Tonti, il parvint néanmoins^ après une première tentative infructueuse, à brûler le camp des Alibamous qui s'étaient soulevés à l'instigation de traitants anglais.

Si la colonie en peu de temps avait acquis un grand développement territorial, la population au contraire diminuait. Un navire amena bien quelques soldats, des colons, voire même des jeunes filles à marier, mais ce renfort si attendu devint un fléau pour la colonie, car il introduisit une terrible épidémie de fièvre jaune dont moururent Tonti et beaucoup d'habitants tl704 .

Le commerce n'existait toujours pas (le premier navire marchand qui aborda dans la colonie n'arriva qu'en 1707) ; aucun défrichement n'ayant été entrepris, tous les vivres venaient de Saint-Domingue, aussi suffisait-il qu'un bateau vînt à manquer pour qu'éclatât immédiatement une disette effroyable. La population de la colonie était de 279 Européens et de 60 Canadiens « presqu'autant Indiens que Français ». Le dénombrement du bétail fournit, à cette époque, les chiffres suivants : 4 taureaux, 8 bœufs, 50 vaches, 40 veaux, l.iOO cochons et 2,000 poules.

1. Il était no à 0uél)cc le 10 juillet 16G1. Son père, Charles Le Moyne de Lonfineiiil et de Chateaugué, établi au Canada, eut quatorze enfants, dont la plupart sous les noms de Longueuil, d'Iberville. do Sorigny de Bienvillc. s'illustrèrent on Aniorique. Noyan. qui commandait V Apollon dans la première expédition do d'Iberville, et dont le petit-fils périt sous les balles espagnoles en 1769 à la Nouvelle-Orléans, avait opouso une de ses filles.

La mort d'Iberville donna encore plus d'audace au parti de l'ordonnateur, et la situation était devenue tout à fait intenable dans la colonie, quand le Ministre prit le parti de rappeler Bienville et La Salle et d'envoyer pour les remplacer Muys et Diron dArtaguette.

Le nouveau gouverneur mourut à la Havane. Seul, l'ordonnateur d'Artaguette atteignit son poste (février 1708). Chargé de faire un rapport sur ce qui s'était passé dans la colonie durant les dernières années, il s'honora grandement en concluant à la complète innocence de Bienville et aux torts de son prédécesseur La Salle.

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I, E MOYiNE DIBERVILI.E

(Gravé par Laguillermie)

Diron d'Artaguette (1) administra la colonie durant cinq ans, pendant lesquels il ne reçut presque aucun secours de la Métropole. La misère augmenta et devint telle à l'île Dauphine que tous ceux qui le purent revinrent en France ou prirent le chemin des Illinois. La désertion aussi faisait rage : huit ans plus tard, quand les Français prirent Pensacola, dans ce seul poste on ne trouva pas moins de trente-six soldats déserteurs ! D'Artaguette parvint toutefois à repousser une attaque par mer des Anglais et fonda sur l'Ohio un premier poste pour surveiller les agissements menaçants des traitants de la Caroline.

1. D'Artaguette fut nommé en 1717 un des directeurs de la Compagnie d'Occident ; il était alors receveur général des finances à Auch.

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Antoine de La Mothe-Cadillac (1), ancien commandant de Michili-makinak, puis du Détroit au Canada, avait été nommé au commandement de la Louisiane dès l'année 1712, mais il ne se rendit dans la colonie qu'au mois de mai 1713.

En juin arrivèrent au Nouveau Biloxi (2j les agents de Crozat (3), grand financier auquel d'importants services pécuniaires, rendus au Roi pendant la guerre de la succession d'Espagne, avaient valu l'année précédente lo privilège exclusif du commerce de la Louisiane. « Ce privilège lut fort préjudiciable à la colonie ; un commerce sans concurrence fit renchérir toutes les marchandises venant de France, tandis que diminuaient les profits que les habitants auraient pu faire sur leurs propres exportations. » (Roux de la Rochelle.)

Les navires des colonies françaises furent empêchés de venir faire le commerce. Après un début fructueux, l'entreprise périclita vite, les mines sur lesquelles on comptait se trouvèrent rares et peu riches, et bientôt la plupart des fourrures prirent le chemin des comptoirs anglais et espagnols, où les chasseurs trouvaient à s'en défaire à meilleur prix.

Cadillac, dont le principal objectif était de trouver des mines, mécontenta bientôt les Indiens : les Natchez se soulevèrent, tuèrent deux Français et pillèrent une barque canadienne. Avec quelques soldats, seulement, Bienville. revenu dans la colonie, par son ascendant, sa douceur et son habileté, parvint à réprimer l'insurrection, mais il jugea prudent de construire le fort Rosalie (4) pour contenir la tribu des Natchez (1717).

Pendant que les traitants anglais cherchaient toujours à pénclrer dans l'ouest, les Espagnols également se rapprochaient peu à peu du Mississipi en avançant vers l'est ; ainsi la colonie se trouva menacée des deux côtés. Pour empêcher les empiétements de l'Espagne, et aussi pour chercher à placer les marchandises des comptoirs de Crozat. Cadillac envoya Saint-Denis explorer le pays des Cenis. Le caractère aventureux de ce dernier et une passion romanesque pour la fille d'un commandant espagnol le conduisirent deux fois à Mexico, la seconde fois comme prisonnier (1718), et son activité ne fut d'aucun rapport pour la nouvelle colonie.

1. (ladillac eut, au Canada, de nombreux démêlés, d'abord avec les Jésuites, ensuite avec la Compagnie du Canada, dont il trouvait les privilèges excessils. Il n'avait pas en cela tout à fait tort, car ou vit bientôt les l'ourruros prendre le chemin du Mississipi ou des comptoirs anglais.

« Il se dit gentilliomnie et avoir été capitaine d'inl'anterie. Il a de l'esprit. Il est fixé depuis peu à l'Acadie, où il a épousé une paysanne dont il a des enfants et qui lui a donné une mauvaise habitation où il espère pouvoir subsister par son industrie. » (Mémoire de M. de Menneval, 1089.) Né vers 1659, il mourut lieutenant du Roi à Castel-Sarrazin en 1730.

2. Désertant l'ile Daui)hino, un grand nombre de colons avaient été s'établir au Nouveau Biloxi, situé prés de l'ancien établissement de ce nom.

3. Antoine Crozat, né h Toulouse en 16.55, mort à Paris en 1738, grand trésorier de l'Ordre du Saint-Esprit. On lui doit la construction du canal de Picardie.

4. Ainsi appelé du nom de la comtesse de Pontchartrain, femme du chancelier de Franco.

A la même époque, La Harpe, après avoir vainement tenté de s'établir dans la baie de Saint Bernard, alla fonder le fort Saint Louis, chez les Natchinotchez ! 1717), pour surveiller le nouveau poste espagnol des Adayes. L'année suivante, Boisl)riant partit avec deux cents hommes pour remonter le Mississipi ; pris par les glaces, il dut hiverner aux Arkansas ilj, au printemps il fonda le fort de Kaskakias. En même temps Cadillac faisait construire le fort Toulouse, chez les Alibamous.

Malheureusement de fâcheux dissentiments provoqués par la rivalité et la jalousie s'étaient élevés entre le gouverneur et Bienville (2), aussi Crozat, qui soutenait ce dernier, obtint le rappel de Cadillac en octobre 1716.

Le commandement de la colonie resta entre les mains de Bienville pendant six mois, jusqu'à l'arrivée du nouveau gouverneur L'Épinay et du commis ordonnateur Hubert (mars 1717).

Cependant les aiïaires commerciales de Crozat périclitaient de jtlus en plus. Les Espagnols prohibaient complètement l'entrée des marchandises provenant de la Louisiane, et la colonie était trop pauvre pour pouvoir les acheter. Les dépenses excédant de beaucoup les recettes, le 23 août 1717 il prit le parti de faire l'abandon au Roi de son privilège.

Cette opération, dit Crozat, dans un Mémoire daté des premiers jours de janvier, lui avait coûté l,25i,()00 livres, plus les intérêts : « L'établissement d'une colonie, ajoutait-il, est pour ainsi dire un monde à bâtir, et ce n'est qu'à force de temps et de patience et avec des avances immenses que l'on peut arriver à réussir. »

Le 13 janvier, le Conseil de la Marine proclamait la nécessité de conserver la Louisiane, tout en faisant remarquer qu'il ne convenait pas au Roi de s'en charger, « à cause des détails du commerce où Sa « Majesté ne peut entrer ». Il concluait à sa concession à une Compagnie w assez forte pour soutenir l'entreprise, celle-ci étant trop consi-(> dérable pour un seul particulier ».

Pendant les cinq années qu'avait duré le privilège la population de la Louisiane ne s'était accrue que de deux cent cinquante âmes.

La retraite de Crozat se trouva coïncider avec le développement incroyable de la banque de Law. Cet aventureux financier pensait que c'étaient seulement les capitaux qui avaient manqué en Louisiane ; aussi, comme il se faisait fort d'en avoir toujours à volonté, vit-il une magnifique spéculation à faire avec les terres et les richesses de la vallée du Mississipi.

L A cetto époque tlos Canadiens arrivèrent par terre à la Mobile et prétendirent n'avoir mis qu'un mois pour venii- des Illinois; le chemin qu'ils avaient suivi ne l'ut pourtant pas étudié.

2. Cadillac en aurait, dit-on, voulu beaucoup à Bienville do n'avoir pas voulu épouser sa fille.

LES DERMÈRES ANNÉES DE LA LOUISIANE FRANÇAISE

Law (1) fonda la Compagnie d'Occident ou du Mississipi et obtint, malgré le Parlement, pour une période de vingt-cinq ans le monopole du commerce et des concessions en Louisiane.

Au mois de mai 1719, par suite d'une fusion avec la Compagnie des Indes, la Compagnie prit le titre de Banque des Indes Occidentales. La nouvelle société recevait de grands avantages pour l'exportation et limportation de ses marchandises, par contre elle s'engageait à établir sur son territoire six mille blancs et trois mille nègres.

Les premiers navires arrivèrent en février 1718 avec Boisbriant, qui apportait à Bienville, au nom de la nouvelle Compagnie, une nomi-

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PI.AN Dr NOUVEAU BILOXI (1721)

(Archives des Cartes du Ministère de la (iiierre).

nation de gouverneur. Bientôt débarquèrent les premiers colons ; le port de l'ilo Dauphine étant venu à s'ensabler, on avait tenté près de Biloxi un nouvel établissement qui devint fatal à beaucoup d'émigrants. II fallut alors chercher un autre centre de colonisation ; l'emplacement de la Nouvelle-Orléans l'emporta grâce à la ténacité de Bienville, qui eut à lutter contre Hubert et les autres membres du Conseil qui opinaient, les uns pour la baie Saint Bernard, les autres pour le pays des Natchez. Les premiers travaux du nouvel établissement furent entrepris pendant

1. Law naquit à Edimbourg on 1071. Condamne à mort pour avoir tué en duel son adversaire, il se sauva d'Angleterre et |)arcourut toute l'Europe. C'est en étudiant lorga-nisation des banques d'Amsterdam qu'il eut l'idée de son système.

l'été -de 1718, mais l'année suivante, il n'y avait encore que quatre maisons construites.

De nombreux colons, principalement des Allemands, arrivèrent à cette époque en Louisiane et cinq cents nègres y furent transportés. Malgré le peu de terres fertiles prêtes à être cultivées de suite, et bien que nombre de marchandises de première nécessité vinssent souvent à manquer, les affaires de la colonie et de la Compagnie se développèrent rapidement, Bienville étant parvenu à faire entendre que ce seraient les progrès de l'agriculture, et non la recherche de mines hypothétiques, qui conduiraient ces contrées à la richesse.

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LAW

(Gravé par Quenedey)

Law s'était fait accorder une concession au-dessous du Détour aux Anglais et une autre plus vaste le long de la rivière des Arkansas, mais les colons qui devaient la peupler sous la direction d'Elias Stul-theus attendaient encore à Biloxi, le 5 mai 1721, des moyens de transport !

Bientôt les navires devinrent plus rares, la Compagnie avait trop de soucis à Paris pour s'occuper encore de ses possessions d'Amérique. Depuis le 4 décembre 1718, la Banque générale avait été érigée en Banque royale et Law était parvenu aux fonctions de contrôleur des finances ; l'agiotage sur les actions de la Compagnie était devenu inimaginable : émises à cinq cents livres, elles en valurent vingt mille ! Des

fortunes énormes se faisaient ou se perdaient en quelques heures rue Quincampoix, où les prêts d'argent en étaient arrivés à se faire pour une heure !

Les actions de la Compagnie furent censé valoir dix milliards et la valeur des billets en circulation était environ cinq fois plus grande que la fortune monétaire de toute la France. La Compagnie créa six cent mille actions ; quant au montant des billets émis, on ne le connaît pas exactement, mais il dépassa certainement un milliard. Dès que les gens avisés se mirent à réaliser leurs bénéfices, les caisses se vidèrent, le doute se mit dans les esprits, les demandes de remboursement affluèrent et les guichets de la banque durent se fermer.

Law essaya en vain les mesures les plus absolues et les plus draconiennes, rien n'y fît, car la confiance ne se décrète pas. Il eut beau (1719-1720) interdire les paiements en espèces, défendre môme la possession de tout métal précieux, ce qui ht' passer beaucoup d'or à l'étranger, assimiler les billets aux actions de la Compagnie, ces mesures extrêmes ne firent qu'augmenter la panique ; l'émeute gronda dans Paris, le Régent eut peur, les édits contre les métaux précieux furent annulés (Décembre 1720) et l'État lui-même se mit bientôt à ne plus accepter les juillets.

Un arrêt qui réduisait leur valeur de moitié dut être également rapporté, mais le fait qu'il avait été pris fit tomber leur cours des neuf dixièmes. C'était l'clTondrement du Système, la banqueroute, la ruine de beaucoup. Law fut heureux de pouvoir se sauver de Paris sain et sauf.

Il faut dire à son honneur qu'il quitta la France aussi pauvre qu'il y était entré et qu'on lui doit nombre de sages réformes dans l'Administration des finances. Il mourut à Venise en 1720, à l'âge de cinquante-huit ans. C'était un joueur et non un administrateur, il fut plus aveugle que coupable.

Son système, qui comprenait beaucoup de vues exactes et originales, reposait malheureusement sur une erreur fondamentale. Toute circulation monétaire pour lui équivalait à une production de capital. En créant un numéraire commode, facile à transporter, dont la production sans cesse possible devait empêcher toute tentative d'accaparement, toujours à craindre à cette époque, il croyait pouvoir anéantir Tusurc et par suite développer l'industrie en supprimant la misère sociale.

« La nation entière, écrivait-il, devait devenir un corps de négociants dont la Banque était la caisse et dans lequel, par conséquent, se réunissaient tous les avantages du commerce d'argent et des marchandises. » Autre part, à ceux qui lui disaient qu'il pouvait arriver un jour qu'un souverain vint à confisquer les sommes énormes qui allaient constituer le capital de la Banque, il répondait : « Le prince ne sera pas si fou que de se ruiner lui-même en discréditant ses billets. »

Law pensait éteindre les dettes de l'Etat en lui prêtant pour 1,600 millions de ses billets qui, d'après son calcul, devaient revenir à la Compagnie sous forme de souscriptions à ses actions. Mais comme la garantie de ces actions, c'est-à-dire les terres de la Louisiane, n'avait aucune valeur intrinsèque, la confiance était leur seule garantie; or, en matière financière, de sérieuses garanties peuvent seules donner le crédit.

Il est vrai qu'il pensait que les peuples en arriveraient à ne plus vouloir de métal toujours encombrant dont, d'après lui, la valeur était aussi conventionnelle que celle de ses billets. Là fut l'erreur capitale de Law, car la possibilité de se faire rembourser quand on le voudrait en métal précieux, dont la production est toujours lente, était la seule chose qui pouvait donner une valeur durable à sa monnaie de convention. C'est l'explication même du crédit des billets des grandes banques modernes après la banqueroute des assignats, et, si la catastrophe ne fut pas immédiate, c'est qu'il était facile à cette époque de présenter la Louisiane comme un véritable Eldorado, car fort peu de personnes en étaient revenues. Ceux qui auraient pu parler préféraient se taire pour éviter le sort de Cadillac qui, pour avoir laissé échapper quelques paroles peu llatteuses sur la richesse du Mississipi. alla coucher le lendemain à la Bastille (1).

On faisait courir à Paris les bruits les plus insensés sur les richesses de la Louisiane : un jour, on annonçait gravement la découverte d'une immense roche d'émeraude qu'on ne savait comment faire pour transporter; une autre fois, que douze mille Indiennes étaient déjà occupées à recueillir des cocons de vers à soie! Enfin, on promettait solennellement aux actionnaires, en présence du Régent, un dividende de iO pour cent.

Pendant que régnait à Paris ce vent de folles spéculations, la guerre avait été déclarée à l'Espagne. Dès que cet événement fut connu en Louisiane, Bienville, Hubert, Le Gac (1) et Villardeau, directeurs de la Compagnie, décidèrent de s'emparer de la ville de Pensacola.

Cet établissement fut pris par surprise le 17 mai 1710. Les Français, manquant de vivres, renvoyèrent la garnison à la Havane, mais les Espagnols retinrent les transports français et s'en servirent pour aller reprendre leur ancienne possession ((> août). Ils allaient même également s'emparer de la Mobile et de l'île Dauphine, quand une escadre française, commandée par M. de Champmeslin, arrivée à l'improviste, les mit en fuite, puis s'empara à nouveau de Pensacola.

4. Lo dossier de Cadillac est un de ceux (lui ont le plus soufl'ci-t du pillage de la Bastille. 11 ne reste plus aux Arcliives de l'Arsenal que quelques uuirccaux d'une pièce toute maculée de boue. On peut pourtant y lire qu'Antoine Cadillac et sou lils lurent enleruiés du 27 septembre 1717 au 4 lévrier 1718 comme « suspects de discours inconsidérés contre le gouvernement de l'État et des Colonies. »

2. Le Gac organisa la culture du tabac au\ .Natclicz.

Une petite expédition espagnole, partie de Santa-Fé, tenta un coup de main sur la région des Illinois, mais fut massacrée en route par les sauvages.

En 1722, après la paix, la France rendit Pensacola aux Espagnols, la Compagnie profita de celte circonstance pour tenter encore une fois l'ouverture de débouchés commerciaux avec le Mexique par la voie de terre, mais les comptoirs espagnols demeurèrent fermés aux marchandises françaises.

Du 25 août 1718 au 17 mars 1719, aucun navire n'aborda dans la colonie, la famine régna et, à la Mobile, on dut manger les graines conservées comme semences. A partir du printemps de 1719, pendant dix-huit mois, de nombreux navires arrivèrent de France et la colonie n'eut plus à souffrir que de ses propres colons ; des soldats ivres incendièrent Biloxi et une partie de l'établissement de l'île Dau-phine.

En 1818, Brirassac de Beaumont trouve que « les habitants sont accoutumés à une indépendance demi-sauvage, toujours prêts à enfreindre les lois et les usages les plus solidement établis, reconnus et respectés sous l'imprescriptible sanction des siècles ».

Quand la nouvelle du désastre de Law arriva en Amérique, ce fut dans la colonie une consternation générale et les nouveaux colons allemands quittèrent leurs établissements pour se rembarquer; Bien-ville eut beaucoup de peine à les retenir et finalement les installa à vingt lieues au nord de la Nouvelle-Orléans, en un point qui prit le nom de village des Allemands. Très laborieux, ils se mirent à défricher la terre et bientôt devinrent pour la colonie les grands fournisseurs de céréales, de fruits et de légumes.

Ferrand, Faget et Machinet, les trois directeurs de la Compagnie des Indes nommés à la place de Law, s'étaient empressés de donner à Bienville des pouvoirs presque absolus pour ne pas conserver la lourde responsabilité de la direction d'une entreprise si lointaine; malheureusement, l'ordonnateur de la colonie, l'ennemi implacable du gouverneur, le haineux Hubert fut maintenu et la colonie continua à être en proie à des dissensions intestines.

La prospérité générale n'augmentait guère, un terrible ouragan avait détruit les récoltes, le prix des marchandises avait triplé; la piastre du Mexique, seule monnaie sonnante en circulation, valait 8 livres 10 sols au lieu de 5, et le lait coûtait -40 sols le pot !

Le siège du Gouvernement se transporta en 1722 à la Nouvelle-Orléans ; la ville alors comptait 203 habitants. La misère qui y régnait était si tristement célèbre dans la colonie, qu'une compagnie tout entière, venant de Biloxi, déserta en forçant le capitaine du navire à faire voile pour Charlestown.

Le Gode noir fut mis en vigueur en 1724 ; la même année, le 16 janvier, Bienville fut rappelé en France pour justifier sa conduite

conLre les nombreuses accusations qu'Hubert (1) avait portées contre lui. Bien à tort, Bienville était accusé d'être vendu aux Espagnols, d'avoir dilapidé les finances de la colonie à son profit, enfin d'être cause par son incapacité de la ruine du pays « le plus riche du monde ». Il se justifia aisément, toutefois les haines qu'il s'était attirées firent qu'il ne fut pas renvoyé en Louisiane et tous ses parents même en furent rappelés.

La Harpe, du Tisné, La Noue explorèrent durant cette période les bassins supérieurs du Missouri et du Mississipi et le Père Charlevoix, après avoir inutilement cherché une route vers les mers du nord-ouest.

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Plan de Pensacole!

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PLAN DE I,A RADE DE PENSACOLA vt~tll

(Dépôt des Caries de la Marine).

descendait le Mississipi et arrivait à la Nouvelle-Orléans en janvier 1722, oi^i il compta une centaine d'habitations.

En 1723, Bourgmont fonda ditTérents postes sur le Missouri, le Kansas et jusque dans le pays des Padoukas, mais le fort (rOrléans, construit sur le haut Missouri, fut, en 1725, détruit par les Indiens et aucun Français ne put échapper au massacre.

J. HLibort avait déjà autrefois dénoncé LEpiuay pondant le |)eu de temps qu'il était resté à la tétc de la colonie, notamment « parce (jue, disait-il. il veut juger seul et souverainement le civil et le criminel. » Hubert lut un homme néfaste pour la Louisiane et il donna un fâcheux exemple de mésintelligence systématique avec le gouverneur, que malheureusement presque tous ses successeurs suivirent.

Périer fut nommé gouverneur en août 1726 (1). Depuis le départ de Bienville c'était son cousin Boibriant (2) qui se trouvait à la tête de la colonie. La situation n'étaii guère enviable, un désordre incroyable régnait dans la colonie: la misère aidant, bon nombre de colons, se souvenant de leurs anciennes professions en France, redevinrent incendiaires et voleurs de grands chemins.

Drouot de Valdeterre, commandant de Tile Daupbine en 1720, se plaint que ses administrés ne respectent plus rien depuis qu'ils sont gouvernés au nom de la Compagnie. « Les plus grands crimes, dii-il. restent impunis faute de police ; quant aux troupes, elles sont aussi indisciplinées que mal équipées; il arrive même que faute de subsistances, les commandants de poste sont forcés d'envoyer leurs soldats vivre chez les Indiens ! »

Aussi ne faut-il pas s'étonner outre mesure de la promulgation d'une loi qui punissait de la peine capitale les blessures faites aux animaux domestiques, à une époque où à la Nouvelle-Orléans on se trouvait toujours sous le coup d'une révolte des nègres qui plusieurs fois avait failli éclater.

L'année 1727 fut marquée pour la Nouvelle-Orléans par deux événements heureux; l'arrivée des Ursulines qui fondèrent un hôpital et des écoles de jeunes filles et la venue des filles à la cassellc. jeunes personnes à marier ainsi nommées parce qu'elles avaient reçu du Roi, comme dot. une petite malle d'effets.

Le Mascrier raconte ainsi les précautions que l'on prit à leur débarquement.

« Dès que ces demoiselles furent débarquées, on les logea toutes dans une même maison avec une sentinelle à la porte. Il était permis de les aller voir le jour et de choisir, entre elles celles qui convenaient le mieux, mais, dès que la nuit était venue, l'entrée de leur maison était défendue à toute sorte de personnes. Elles ne tardèrent guère à être pourvues et mariées, et l'on peut dire que cette cargaison ne sutTi-sait pas pour le nombre de prétendants qui se présentèrent, puisque celle qui resta la dernière fut sur le point d'exciter une dispute fort séi'ieuse entre deux garçons qui voulaient se battre à qui l'aurait, quoique cette Hélène ne fut rien moins que belle et eut plutôt l'air d'un soldat aux gardes que d'une fille. La querelle parvint même jusqu'aux oreilles du commandant qui, pour les accorder, les fit tirer au sort...» Une seule était venu de son plein gré et on l'appelait >* la demoiselle de bonne volonté. «

En 1711) un certain numbrc de colous des deux sexes avaient déjà

1. Perler cuiiuiiaiidait le poste du lac Pépin sur le Haut Mississipi. J. VViiisor dit quo sa réputation était diabolique dans la Nouvelle-Angleterre pour les hardis coups de main qu'il avait exécutes sur les l'ronticres.

2. « M. de Boisbriant, dit en 1625 le capucin Raphaël, est un bon canadien accoutumé à la vie libre des sauvages, ennemi des affaires et si mou qu'il n'userait jamais de sttn antorltc s'il n'v était forcé en quelque sorte par d'autres. »

été envoyés dans la colonie. Biivat. dans son Journal dr la Régence, nous dit : « On fit partir trente charrettes de demoiselles qui avaient toutes la tète ornée de Ibntanges de rubans jonquilles et un pareil nombre de garçons qui avaient des cocardes de couleur pareilles à leurs chapeaux, et qui allaient à pied. Les donzelles en traversant Paris chantaient comme des gens sans soucis ».

Parmi les diverses peuplades sauvages des bords du Mississipi, les deux nations d(îs Natchez et des Chikachas, s'étaient toujours montrées les plus remuantes et les moins pacifiques. En 1729, la maladresse et la brutalité du commandant, un nommé Chopart ou Chépart occasionna un mécontentement général ])armi les Natchez et les nations environnantes ; les sauvages alors décidèrent une attaque générale de tous les postes français.

Bien que prévenu, dit-on, par une femme indienne. Cliépart dans sa fatuité et son aveuglement négligea de se tenir sur ses gardes, ce qui permit aux Natchez de surprendre les Français et d'en massacrer plus de deux cent cinquante. Une dizaine d'hommes seulement ]»ar-vinrent à s'échapper. Les Indiens emmenèrent les femmes en esclavage et ne laissèrent la vie qu'aux nègres, dont beaucoup étaient du complot, et à deux soldats dont ils pensaient avoir besoin.

Pour attaquer le fort Rosalie, le chef des Natchez, le Grand Snleil n'avait point attendu, ainsi qu'il en était convenu, ses alliés les Chikachas. Cette hâte et la perte de leur part du butin qu'ils espéraient mécontenta vivement cette nation et l'empêcha de se joindre après coup aux Natchez. Cette division fut des plus heureuses pour la colonie, car elle entraîna également la neutralité des Chaktas dont la fidélité pour la France semblait en cette circonstance devoir être plus que douteuse. Il devenait dès lors assez facile de réduire la seule nation des Natchez, tandis que les troupes dont on disposait à cette époque en Louisiane eussent été tout à fait insuffisantes pour repousser un soulèvement général.

Peu de temps après, les Yazous surprirent également et massacrèrent la garnison du fort Saint Claude dont le commandant du Coder avait été tué au fort Rosalie.

Les Natchez, voulant profiler de leurs premiers succès, passèrent le neuve et tentèrent de surprendre Juchereau de Saint-Denis, commandant du fort des Natchiuotchez, mais heureuscnient ce dernier fut prévenu à temps par les nations sauvages voisines qui l'adoraient et ce lui au contraire lui (jui surprit les envahisseurs et, avec quarante hommes seulement, parvint à leur tuer près de cent guerriers.

Le Sueur, de son c(tté, avec l'aide de ([uelques Chaktas, délit également un fort parti de Natchez et parvint à reprendre quelques prisonnières françaises, mais ce ne fût qu'après l'arrivée de France de Loubois que les Français purent venir mettre le siège devant le village fortifié oii s'étaient réfugiés les Natchez. Le siè;,;c dura idiis d un

LES DERNIÈHES ANNÉES DE LA LOUISL\NE FRANÇAISE

mois. A la fin les sauvages rendirent leurs prisonniers mais parvinrent à s'échapper pendant la nuit. Alors pendant six mois se continua une guerre incessante d'escarmouches et d'embuscades dont eurent beaucoup à soulTrir nos sincères alliés les Tonicas et où se commirent les pires atrocités.

Enfin, Périer avec son frère Périer de Salverte (1) à la tête de forces suffisantes envoyées de France remontèrent la rivière Rouge et vinrent investir au mois de janvier 1731 le dernier repaire des Nalchez. Le village fut emporté et beaucoup d'Indiens faits prisonniers furent vendus comme esclaves à Saint-Domingue. Un certain nombre parvinrent à se sauver et allèrent demander asile aux Chikachas qui avaient failli être leurs alliés. Kerlérec, qui devait plus tard être gouverneur de la Louisiane, faisait partie des troupes de débarquement de Périer de Salverte.

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I. ILE DAUPHINE

(Dépùt (les Carle> de la Marine]

Le massacre du fort Rosalie montra la faiblesse de la Nouvelle-Orléans : Périer qui, dès son arrivée, avait fait travailler activement à la digue de protection contre le fleuve, entreprit aussitôt la construction d'une enceinte.

La nouvelle en France du désastre du fort Rosalie, les dépenses qu'occasionnèrent les expéditions contre les Natchez décidèrent la Compagnie des Indes Orientales à se retirer de la Louisiane. Le 22 janvier 17.31, la Compagnie renonça à son privilège qu'elle avait du reste presque abandonné en fait durant les dernières années.

Le Gouvernement royal ne tarda pas à rappeler Périer et à réorganiser le Conseil de la colonie (1732). Bienville, de nouveau nommé gouverneur, arriva à la Nouvelle-Orléans en 1733. Tous ses soins

1. Habile et. lieuieux marin. Ses étals do services comptent vingt-sept campagnes an service de l'État.

LES DERNIÈRES ANNÉES DE L\ LOI ISIANE FRANÇAISE

21

durent bientôt se porter sur la politique à suivre avec les sauvages, car la présence des derniers Natchez chez les Chikachas nous avait rendu encore plus hostile cette nation toujours en rapports constants avec les traitants anglais.

La guerre fut résolue et Bienville entreprit de longues négociations pour amener les Chaktas à se joindre à nous. Son plan était de marcher contre les Chikachas en remontant la rivière de Tombigby, tandis que d'Artaguette, avec les garnisons de l'Illinois, viendrait attaquer les sauvages par le nord-ouest ; les deux troupes devaient faire leur jonction le 10 mai 173G.

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FOr.T DES NATCHEZ

(Cabinet des Estampes).

Malheureusement Bienville fut retardé de trois semaines tandis que d'Artaguette accélérait au contraire sa marche. Une misérable rivalité régnait entre les deux hommes : d'Artaguette, frère de l'auL-ien gouverneur, voulait avoir Ihonneur de prendre le fort; il attaqua prématurément, ses alliés sauvages s'enfuirent, lui-même fut pris tandis que ses troupes se retiraient en désordre, abandonnant aux Indiens un riche convoi de munitions de guerre. Les Chikachas firent périr dans d'horribles tortures l'imprudent capitaine. Le 20 mai, à son tour, Bienville entreprit l'attaque du fort. Commandés par des Anglais, les sauvages attendirent que les assaillants fussent au pied des palissades et en deux décharges mirent hors de combat quatre-vingts hommes ;

tous nos alliés se sauvèrent naturellement et les Français durent battre en retraite.

Bienville ne pouvait rester sur un échec si sanglant et aussi retentissant, il le comprit et se mit de suite à préparer une nouvelle expédition. Mais comme les troupes lui manquaient, il dut en demander en France et attendre leur arrivée qui n'eut lieu qu'en 1739, les négociations avec les sauvages, pour trouver parmi eux des alliés, furent interminables, enfin il eut le grand tort de préparer trop minutieusement et surtout trop longuement la campagne.

Il avait commencé par construire le fort de l'Assomption sur la rivière à Margot pour servir de bases aux opérations futures et il y emmagasina une grande quantité de provisions. Mais dès le début de l'expédition les Indiens désertèrent, les chevaux qui devaient transporter le convoi de l'armée moururent et enfin on s'aperçut que les vivres accumulés vivaient été presque entièrement consommés par les troupes rassemblées depuis des mois à l'Assomption, car aux forces de la Louisiane étaient venus se joindre Celeron avec un corps de troupe du Canada et toutes les garnisons des Illinois.

Le 4 janvier 1740, Fontaine Mcine, un des officiers de l'expédition écrit: « ... Nos troupes continuent toujours à mourir et nos compagnies de cinquante qu'elles étaient, sont réduites à vingt-cinq; de nos bombardiers, qui étaient dix, il ne reste plus que trois... il). » Il ajoute qu'on ne peut agir sur les sauvages qu'avec du vin et qu'alors ce ne sont que querelles entre Canadiens et Indiens ivres.

Dès le 20 novembre 1739, les sauvages imi)atientés voulaient retourner chez eux.

Fontaine fait le dénombrement suivant des troupes de l'expédition :

600 sauvages (Iroquois, Missouris, Chaouanons, Abénakas. Cliélima-chas, Chaktas et Chéraquis) ;

200 nègres pour conduire les chariots ;

200 Canadiens commandés par Longncuil ;

100 soldats des Illinois sous les ordres de Le Blanc ;

400 soldats de la (colonie.

50 nègres libres ; 300 soldats de la marine commandés par M. de Noailles;

60 domestiques.

Le commandement des troupes appartenait à M. de Noailles, envoyé de France tout exprès pour diriger la campagne, cette nomination fut un grand crève-cœur pour Bienville et par suite la cause de bien des mésintelligences qui retardèrent encore et entravèrent l'organisation de l'expédition.

Ces forces imposantes se trouvaient immobilisées et la difficulté de

1. (îorrospondaiice manuscrite conservcc à la nibliotlioqiio do riiis-litiit.

trouver un cliomin pour l'armée /li allait probahlemont l'aire abandonner les hoslilités, ((iiand les Ghikachas, pris depeuràlasuite d'un hanli coup de main de Ci'deron, vinrent demander la paix; Bienville jugea prudent de la leur accorder et conclut avec eux un traité au mois d'avril 1710. La paix du reste ne fut guère que nominale : en retournant au Canada, les Iroquois pillèrent les Ghikachas et les Ghaktas bientôt recommencèrent la lutte avec leurs voisins.

Gette guerre, qui se termina somme toute fort peu glorieusement, avait coûté près de deux millions de livres et son résultat équivoque ébranla fort le crédit de Bienville prés de la cour de France. En 1742 il fut rappelé, mais comme il devait attendre l'arrivée de son successeur le marquis de Vaudreuil, il conserva ses fonctions jusqu'au 10 mai 17't:{.

Bienville (2), souvent appelé le père de la Louisiane, a rendu <à celte colonie d'immenses services pendant les trente-cinq ans qu'il y passa à divers titres. Très habile et très honnête on ne peut guère lui reprocher que d'avoir souvent pris mal à propos ombrage de tous ceux que les événements mettaient trop en relief.

Il faut dire aussi que dans son dernier gouvernement il fut ])uis-samment aidé par l'ordonnateur La Ghaise qui en 172i avait remplacé du Saussoy et fut avec d'Artaguette le seul ordonnateur s'occupant des affaires de la colonie au lieu de ne penser qu'à lutter d'influence avec le gouverneur.

La Louisiane comptait en 1742 environ 4,000 blancs et 2,000 nègres.

En 1734 avait eu lieu, malgré Bienville, une émission de deux cent mille livres de monnaie de carte (3). Gréés dans le but de faciliter les transactions commerciales, ces billets devaient être dans la suite une source incessante d'abus et de difficultés pour la colonie.

Vaudreuil resta dix ans à la tête de la Louisiane. G'était un homme honnête et juste qui lit prospérer la contrée (4i autant qu'il était en son pouvoir. Malheureusement un ouragan terrible ravagea en 1746 le bassin du Mississipi et la misère devint cette année-là d'autant plus grande que la monnaie de carte, par suite d'une nouvelle émission intempestive, avait en 1745 perdu beaucoup de sa valeur ; pour la changer contre de l'argent il fallait en donner le triple.

Pas plus que ses prédécesseurs, Vaudreuil ne put s'entendre avec ses ordonnateurs, l'histoire administrative de son gouvernement n'est

1. Les Ingéiiieiii-s de la colonie avaient pourtant étudié plusieurs routes, ainsi (|Ui' le montrent les croquis conservés au Dépôt des (Partes de la .Marine.

2. Né ti \Iontr('"al en 1G80. mort à Paris le 7 mars 17G.J. A son retour en France il obtint une pension de 1.800 livres.

:3. La Compagnie des Indes Occidentales avait déjà émis en 172;î une monnaie similaire.

4. Il eut pourtant di'ux grands torts : émettre trop de papier-monnaie et trop encourager la recherche de mines aux dépens de l'agriculture. Il abusa également du principe de la traite exclusive.

LES DERXIKRES ANNÉES DE LA L01ISL\XE FRANÇAISE

remplie que de discussions stériles et de reproches injustes que portent contre lui successivement, Le Normand, Salmon et Michel de la Rouvil-lière qui jusqu'à sa mort (octobre 1752j fut un des plus acharnés (l).

Si nous nous étendons quelque peu sur ces dissentiments, c'est pour être à même de montrer plus tard à propos des conflits entre Kerlérec et Rochemore que c'était un système absolu pour les ordonnateurs de toujours chercher à contrecarrer l'action des gouverneurs.

La guerre faillit éclater avec les Chaktas. Un chef indien appelé le Soulier liouge avait su prendre sur celte tribu un ascendant énorme qu'il mit tout entier au service des Anglais; il lui était d'autant plus

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VILLAGE DES CHIKACHAS

(Cabinet des Estampes).

facile de tourner son peuple contre nous que les magasins de la colonie étaient vides et que Vaudreuil n'avait pu faire les présents d'usage. Le gouverneur tenta de le faire enlever par neuf officiers déguisés, mais la ruse échoua et ce fat au contraire à grand'peine que les faux traitants purent se sauver. La situation allait devenir critique quand quelques Chaktas restés fidèles à la cause de la France tuèrent leur chef.

« En 1746, dit Kerlérec, le successeur de Yau(h-euil (Mémoire inédit sur les nations sauvages. 1758), les Anglais déterminèrent un fameux partisan de la

1. Michel, ordonnateur de 1748 à 1752, eut aussi une grave altercation avec d'Erncvillo, qui provoqua un blâme officiel que Kerlérec était charge do lui signifier.

nation chaktas nommé Imatahatchilo, si connu sous le nom de Soulier Houge (1) à faire assommer trois Français, dont un officier, qui étaient dans la nation chaktas. Ce fameux boulevard des Anglais ne profila ])as longtemps de sa trahison et nous sommes venus à bout de lui faire casser la tête par sa propre nation le 8 juin 1747.

Il est bien vrai que cette malheureuse affaire mit la colonie à deux doigts de sa perte; Imatahatchito étant accrédité dans toute sa nation, à qui il procurait des marchandises de traite tant qu'il en voulait par le moyen des Anglais qui le comblaient de présents pour pouvoir, avec son secours, ravager nos habitations de la Mobile et de la Nouvelle-Orléans et se rendre enfin maître de ce continent. Après la mort de ce lamenx Soulier Roii(je, ceux de son parti, excités par l'Anglais,

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LE MOYNE DE BIENVILI, E

(Grave par Laguillermie).

furent au commencement d'octobre 1747 frapper sur une de nos habitations à quinze lieues de la Mobile et y tuèrent deux hommes, deux femmes et deux enfants; un autre parti fut dans le même temps aux Natchez et y tua un soldat. Le 15 avril 1748, un troisième parti de révoltés vint frapper aux Allemands, environ à dix lieues de la Nouvelle-Orléans, tua un chef df famille, leva la chevelure à sa femme et fit sa fille et un de ses nègres prisonniers. On envoya un officier à la poursuite de ces gens là avec quarante-cinq hommes, tant soldats que volontaires qui se trouvèrent les plus près, mais ils ne purent en tirer vengeance quoique supérieurs en nombre, ce qui prouve, ce que l'on n'a déjà que

1. Pendant l'expédition de Bicnville contre les Chikachas, Soulier Rouge s'était déclaré notre allié.

Irop exin'-riniciilr, qu'il n'y a pus cncoi'c flans le pays assez d'iioninifs propres à aller dans les bois y combatliT les sauva.yes.

l^e parll que Ton fut obligé de prendre dans celte fâcheuse circonstance fut d'aller à la Moliile faire les présents à ceux des villages chaktas qui nous étaient attachés et qui gémissaient de lionne foi sur le sort de leurs frères qui suivaient ainsi aveuglément le parti de l'Anglais.

... Les présents que l'on fit comme à l'ordinaire, joinis aux sages précautions ([ue l'on prit de bien munir le fort de Tombekbé et d'ordonner qu'on n'y fournit aucun secours à ceux ({ui nous élaicid opposés, eurent tout l'effet que l'on s'était proposé.

Les Chaklaslnen intenlioniiés, satisfaits de ce qu'on leur donnait leur présent, déclarèrent une guerre ouverte à ceux de leurs compatriotes qui nous étaient opposés et, quoique soutenus jiar les Anglais leurs alliés et par les Chikachas, ils perdirent beaucoup de monde dans les dillërenles escarmouches qui se firent de part et d'autre — mais conmie ces hostilités aifaiblissaienl la nation... chacun fit ses réflexions et, tous ensemble commençant à se lasser d'une guerre intestine qui leur paraissait d'autant plus cruelle que ceux qui tenaient pour nous en tuant les Chaktas, qui nous étaient opposés, se trouvaient dans le cas de détruire leurs plus proches parents, celte nation étant composée de différentes tribus qui toutes se trouvent dispersées dans tous les villages des Chaktas.

Une assemblée générale réunit les principaux de la nation... Ils proposèrent que ceux qui avaient servi les Français et leur avaient été fidèles en seraient s(>courus dans leur besoin et auraient pari à leurs |irésenls, mais que pour les villages de l'ouest, qui avaient tenu le parti du Soulier lioiifie. ils tiendraient pour l'Angiais et en seraient également secourus... Ils auraient eu par là l'Anglais et le Français en même temps chez eux et, quand l'un aurait été dépourvu de marchandises, ils auraient eu recours à l'autre. Comme le plus grand nombre des Chaktas étaient pour nous, et que l'Anglais n'aurait eu qu'une douzaine de villages, ils ne se persuadaient pas ([ue l'on ]»ut rejeter un tel accommodement, mais comme les villages qui voulaient l'Anglais sont prés de la Nouvelle-Orléans et qu'ils auraient eu avec les Chikachas, nos plus cruels ennemis, le chemin libre, on lit entendre qu'il fallait absolument qu'ils fussent tout Anglais ou tout Français... Cette alternative les embarrassa beaucoup et on se retira de part et d'autre et les bien intentionnés, pour ne pas perdre leurs présents et l'amitié des Français,recommencèrent comme de plus belle à faire la guerre aux partisans des Anglais.

Il y eut plus de six cents hommes des plus braves et des plus accrédités de la

nation de tués de part et d'antre; on lit périr tous ceux qui avaient insulté et

frappé sur les habitations françaises, on tua plusieurs Anglais qui étaient venus

dans les villages chaktas de la partie ouest apporter des secours aux révoltés et

on frappa plus vivement que jamais sur les (Ihikachas qui conduisaient les

traiteurs anglais. Celle guerre des plus sanglantes a duré près de quatre ans

avant qu'on ait pu amener les Chaktas à résipiscence et la paix ne fut conclue

qu'en novembre 1750, mais elle a été si bien cimentée que depuis ce temps cette

nation nous a donné beaucoup de satisfaction à ces deux ou trois années près (1}

que manquant de tout, elle a encore été au moment de frapper sur le Français

et de recevoir l'Anglais. »

<

1. 1756-1758.

LES DEUNTftRES ANNÉF-:S DE LV LOllSIVNE ir.VNÇUSE JT

L'inlérèL capital pour la Louisiane d'èlrc en paix avec les Chaklas el les Chikachas était, outre la grande importance de les avoir comme tampons entre nous et les Anglais, la nécessité de maintenir libre la navigation sur le Mississipi car, dès que la mer était fermée, la Nouvelle-Orléans était forcée de faire venir son blé des Illinois et ses munitions du Canada.

L'année 1731 vit encore arriver dans la colonie soixante jeunes filles qui toutes trouvèrent promptcment à se marier.

La découverte d'un nombre considérable de faux i)illels de carte avait encore déprécié leur valeur et porté un coup funeste au commerce de la Louisiane; cependant, durant le gouvernement de Vaudreuil, la colonie avait en somme prospéré : les fortifications du fort de la Balise s'achevaient, des troupes régulières étaient arrivées, enfin la Nouvelle-Orléans comptait déjà plus de quinze cents habitants. Mais les dépenses aussi avaient considérablement augmenté, le budget de la colonie pour 1752 ne s'élevait pas à moins de 920,000 livres et naturellement les recettes étaient bien loin de compenser ce chiffre.

Un des derniers actes de Vaudreuil fut de demander l'érection de la majorité du pays des Illinois en lieutenance du Roy. Il proposa comme major Macarty et comme aide-major M. de Neyon, commandant d'une compagnie détachée dans cette région ^ homme bien capable de remplir cette fonction et qui désire remplir ce poste ». Le choix était excellent, et ces deux hommes jouèrent dans la suite un rôle important dans l'histoire de la Louisiane.

En 1752 Vaudreuil fut nommé gouverneur du Canada et Kerlérec quitta la France pour venir le remplacer.

Vaudreuil, homme aimable et doux, n"a laissé en Louisiane que de bons souvenirs et entre tous les noms des gouverneurs français le sien est certainement encore maintenant le plus vénéré. Sa femme, qui adorait les fêtes, sut bien vile policer la société de la Nouvelle-Orléans et parvint à se constituer une jietite cour fort élégante qui faisait venir de France des carrosses.

« Pierre de Kigaud de Vaudreuil (Armoriai de France de d'Hozler)^ connu d'abord sous le nom de Cabanial et appelé depuis le marquis de Vaudreuil, est né à Québec le 22 novembre 1098... (larde de la Marine puis lieutenant en 1709, capitaine en 1715, major général des troupes en 1726, lieutenant des vaisseaux du Roi et chevalier de Saint-Louis en 1729, gouverneur des Trois-Rivières au Canada en 17:!2, gouverneur de la Louisiane en 1742, capitaine des vaisseaux du Roi en 1746, gouverneur de la Nouvelle-France en 1755, commandeur de l'ordre de Saint-Louis en 1757, grand-croix du môme ordre en 1758. »

Au Canada on peut reprocher à Vaudreuil un certain manque de fermeté vis-à-vis de l'intendant Bigot et quelque mauvais vouloir apporté par rivalité à seconder Montcalm. S'il ne se montra jamais grand général, il demeura toujours un honnête homme et un brave soldat.

A son retour en France, appelé plutôt comme témoin que cojnme accusé (il ne resta que quelques semaines à la Bastille) dans la procédure « dont l'objet était de discuter l'administration des finances et l'emploi des deniers du Roi au Canada », il en sortit à son avantage et le 8 mai 1764 le Roi lui accorda une pension de six mille livres. Vaudreuil mourut à Paris au mois d'août 1778.

LE CHEVALIER DE KERLÉREG

Les premières campagnes de Kerlérec. — Le combat de la >< Parfaite ». Bataille de l'Escadre de M. de l'Etenduère.

Louis Billouart de Kerlérec vit le jour à Quimiier, au mois de juin 1704.

Voici son acte de baptême, tel qu'il se trouve inscrit sur les registres de la paroisse Saint-Ronan (1). « Ce jour, vingt-sept juin mil sept cent quatre, a été baptisé Louis fils d'écuyer Guillaume Billoart, sieur de Quervaségan, conseiller secrétaire du Roy, maison et couronne de France (2), et de dame Louise de Lansullyen son épouse et ont été parein et mareine écuyer Jean-Baptiste Billoart et damoiselle Marguerite Billoart et la cérémonie a été faite par moy, soussigné recteur de la paroisse de la rue Obscure ces jour et an.

« En présence des soussignés : Jean-Baptiste Billoart, Marguerite Billoart, Marie-Joseph Billouart, Guillaume Billoart, Louis Piriou, acolite, et P. Prigent, recteur de Saint-Ronan. »

Deux jours après, le 29 juin, sa mère mourait et était inhumée dans l'église cathédrale de Quimper.

La famille Billouart ou Billoart, dont les ditîérents membres ont

1. Cette paroisse n'avait poiii- église qu'une chapelle de la cathédrale et l'tait desservie par un vicaire du chœur poitant le titre de recteur.

2. Pour rétablir sa noblesse contestée. Guillaume Billouart avait acheté, en 1701, cette charge de secrétaire du Roi, prés le Parlement de Bretagne, pour le prix de 27,800 livres. Il la revendit en 172:5 l't iibtiiit du Hoi, la mémo aimée, des lettres d'honneur. Il avait occupé auparavant, de 167!l à 1093, les fonctions de sénéchal des Reguaires de Quimper tribunal de police dé]>endant de l'évêque de Cornouailles\ puis celle de conseiller au Presidial de Quimper (iOO^V 1703'.

Guillaume Billouart se maria trois l'ois et eut quinze enfants; la mère de Louis de Kerlérec. sa deuxième femme, lui en donna onze. Son curieux Mémorial a été publié en 1899 par M. de Rosmorduc. dans le Diillclin de la Société ai'chéoloijiqiie du Finistère.

no LES DRKMkr.ES AWKES DE LA LOLISLVNE FRAXÇVISE

j)orlé successivement ou siinullanémeiil les li 1res de seigneurs de Ker-vaségan, de Penanrun, de Kerlérec,des Salles, de Trémillec, de Kereven. de Penanpral et de Kerbernez, ne semble pas de très ancienne origine. Elle ne l'ut point admise à la rélormation de 1670; peut-être, si l'on en croit le Mémorial de Guillaume Billoart, parce que son oncle Roland, à la suite dun procès en partage de succession, avait brûlé, pour nuire à ses parents, tous les papiers de la famille qu'il possédait à titre d'ainé. Les Billouart, en tout cas, figurent dans les montres de iiSl et de 15G2 pour les paroisses de Penmarch et de Plomeur, évêclié de Cor-nouailles, mais ils ne furent maintenus dans leur noblesse, par lettres patentes et arrêts du Conseil, qu'en l'année 1774. Leurs armoiries étaient : d'or à la croix alésée d'azur, surmontée de deux molettes de même (1606), aliàs de gueules (1779).

Tout ce que l'on sait sur la jeunesse de Louis de Kerlérec, c'est qu'il commença à naviguer dès l'âge de quatorze ans. « Il a fait, disent ses états de service, avant d'entrer dans la Marine, en 1718, 1719 et 1720, trois campagnes en qualité de volontaire sur les vaisseaux du Roy, avec des officiers, ses parents ; la troisième fut pour la Martinique, Saint-Domingue et la Louisiane, sur la Victoire, commandée par M. de laJaille. »

A son retour en France, reçu garde de la Marine à Rochefort le 25 mars 1721, il s'embarque sur le Dromadaire^ mais bientôt change d'idées et, à la fin de la même année obtient du Conseil de la Marine la permission de commander la frégate la Flore pour le compte de négociants qui envoyaient ce navire faire du commerce à Saint-Domingue en passant par la Guinée et la Martinique.

L'année suivante il traverse encore l'Atlantique, celte fois sur le Portefaix commandé par M. de Joyeuse, qui visite successivement Cayenne et la Martinique. A vingt ans Kerlérec était déjà passé trois fois en Amérique !

Le 9 décembre 1726, il est attaché au port de Brest et sert dans la compagnie de M. de Nogent. Peu de temps après, il tombe malade la veille du jour où il devait partir pour Cadix sur ïAimable. Dès son rétablissement on lui donne à remplir au port de Brest les fonctions de garçon major fi) pendant un an et demi. Le 16 mars 1728, il passe dans la compagnie du Pavillon avec un excellent certificat de son ancien capitaine oîi il est dit que : ^ Kerlérec s'applique avec beaucoup de succès dans tout ce qui concerne le service, auquel il est très propre pour faire utilement les fonctions d'enseigne de vaisseau ayant de la théorie et beaucoup de pratique. »

On le retrouve en il29 sur l'Amazone, commandée par M. de Bôve, inspecteur de la Marine, qui croise autour de Malte contre les pirates tripolitains, puis l'année suivante snvla. Somm<\ sous le commandement

1. .lal (Glo^isaire iiautif|uei pciisi' que ce liti-e <-.(iuivalait a celui d aide-major.

LES DERNIÈRES ANNÉES DE LA LOUISIANE FRANÇAISE :U

de M. Périer de Salverte, frère du gouverneur de la Louisiane, « en qualité d'officier des troupes de débarquement destinées pour réduire la nation des Natchez, sauvages de la Louisiane qui avaient massacré et égorgé tout le poste français de ce nom. »

« Nous brûlâmes, dit Kerlérec, le fort de ces Indiens et fimes 48i i)ri-sonniers tant guerriers que femmes et enfants après cinq jours et demi de tranchées ouvertes. Cette expédition se passa à environ deux cents lieues au-dessus de la Nouvelle-Orléans, dans le cœur de l'hiver, par beaucoup de pluies et do neige ayant par conséquent beaucoup souffert et c'est depuis ce temps que je suis tourmenté d'un rhumatisme d'en-traille dont je ne guérirai jamais sans doute (1). »

De retour à Brest, en 1731, il fut nommé enseigne de vaisseau et des compagnies de la Marine ; avancement qu'il réclamait en vain depuis plus de deux ans. Le printemps suivant le ramène dans la Méditerranée avec la Gloire qui va croiser « contre les forbans et les interlopes ».

Pour les années suivantes, voici la eo[)ie de ses états de services :

1733 el 1734. Passé un an de garnison à Oaluis, faisant fonction d'aide-major de troupes.

1734. Sur VAreiiir. commandé par M. de r,olombe. escadre de la rade de Brest.

173.J. Sur le Triton, commandé par M. de Colombe.

1737. Sur VAslrèe, rommandé par M. d'Eslournel. en croisière sur les Saliins.

Le 1""mars 1738, il épousa dan.s la chapelle du château du Bot, Marie-Josèphe-Charlotte du Bot, baptisée le 10 septembre 1716 « tille de messire Jacques-Joseph du Bot (2), écuyer et chef de nom et d'armes et de dame Jeanne-Gabrielle de La Bivière, seigneur et dame du Bot et autres lieux ».

1739. Sur VÉUmheth, commandée pur M. le marquis de Nesmond, escadre de M. le marquis d'Antin, pour Stockolin el passer par le nord de l'Ecosse el de l'Irlande.

1740. Sur la Parfaite, commandée par M. le connnandani d'Estoui'nel. escadre de M. le marquis d'Antin, pour l'Amérique, avant laquelle nous partîmes sous les ordres de M. de Nesmond; el, aux approches de la .Martinique, nous fûmes généralement démâtés de tous nos mais et au momcnl de peidition jiar un ouragan sans exemple.

Nous fûmes obligés de caréner et de remàter à la .AIartiiii(iue el M. de Kerlérec fut chargé de se transporter dans les plus hautes montagnes pour conduire la coupe el les proportions de la màlure. Celte mission dans un climat aussi mauvais et aussi chaud lui valut la maladie de sciam (3). doiil il fol à toute extrémité.

1. Etat des services de M. di; kerlérec datés de ITIm.

•J. La l'amillc du Bot, d'ancienne extraction, comptait huit gcnéralinns en 1(369; elle a fourni trois pages du Roi et de nombreux ofliciers de Marine. Ses armes étaient : d'argent à la l'ascc [aliùs à deux l'asces) de gueules.

Le château du Bot subsiste encore dnns la paroisse de Ouimeivli, canton du Faou (Finistère).

3. Fièvre jaune.

Dans la même campagne, revenant du petit Goarce à la Caye Saint Louis, aux ordres de M. d'Antin, étant sous ceux de M. le chevalier d'Épinaye, nous fûmes attaqués de nuit, sous le cap Tiburon de la côte de Saint-Domingue, par six vaisseaux anglais détachés de l'année du chevalier Hogle, dont trois de 70 canons et trois de 60. Nous nous battîmes pendant quatre heures en deux reprises et avec bien de l'inégalité de force, puisque nous n'avions que VArdent de 64 canons, le Mercure de 50, le Brillant de 46 et la Parfaite de 44.

Cette action fut vive et M. de Kerlérec y fut grièvement blessé aux reins, ce dont il se ressent dans les mauvais temps.

On n'a pas oublié tout l'honneur qui résulte de cette action pour le pavillon français ; les Anglais, démâtés en partie, après nous avoir fait des excuses sur ce qu'ils nous avaient pris pour des Espagnols, furent obligés de céder le champ de bataille sur la demande qu'en fit M. le chevalier d'Épinaye qui y resta en panne jusqu'à ce que les Anglais fussent hors de vue.

De retour au petit Goarce, après avoir été à la Caye Saint Louis, M. de Kerlérec fut encore chargé d'aller dans les montagnes, choisir et faire exploiter un mât de beaupré qui avait été emporté dans le combat, mission très dure et bien critique dans de pareils climats et qui lui occasionna une nouvelle maladie dont il a été presque toujours à l'article de la mort jusqu'à son retour en France.

1741. Il a été fait lieutenant de vaisseau et capitaine de compagnie. La même année, embarqué sur le Superbe, commandé par M. le comte de Roquefeuil, escadre de six mois en rade, pendant lesquels il a commandé la gabarre Bretonne.

1742. Sur le Superbe, escadre et campagne de la Manche pour déclarer la guerre (1), puis sous les ordres de M. de Rochambeau, il servit sur le même vaisseau en qualité d'aide-major de l'escadre établie en croisière depuis l'île d'Ouessant jusqu'à celle de Belleisle, pour protéger la rentrée des vaisseaux de l'Inde.

1744. Sur le Superbe, commandé par M. de Rochambeau, puis par le commandeur d'Estournel, commandant l'escadre destinée à croiser dans le golfe, depuis le cap Saint-Vincent jusqu'au détroit, à la rencontre des vaisseaux des Indes.

1745. Sur le Mars, en qualité de major de l'escadi'e, commandée par M. Périer de Salverte, pour aller au secours de Louisbourg (2), qui se trouva pris avant notre arrivée.

1746. Premier lieutenant de détail sur le Neptune, commandé par M. de Vil-leneuve-Frémont, escadre de convoi d'une flotte de deux cent soixante voiles, commandée par M. de Conflans.

A vue du mole Saint Nicolas, côte de Saint-Domingue, M. de Conflans, commandant le Terrible de 74 canons avec le Neptune de 68, combattit l'escadre anglaise de l'amiral Michel, composée d'un vaisseau de 80 canons, de deux de 70 et de deux autres de 66. Nous battîmes les ennemis qui furent obligés de prendre chasse; nous restâmes hors d'état de les poursuivre, étant désemparés de nos manœuvres au point de n'en pouvoir faire courir aucune, ayant d'ailleurs une flotte très considérable à convoyer et à conserver.

1. Guerre do la succession d'Autiiche qui entraîna, en 1743, inio rupture avec l'Angleterre.

2. Louisbourg, capitale de l'île Royale ou cap Breton. Elle venait d'être prise, après une vigoureuse défense de cinquante jours, par une expédition de quatre mille hommes armés par les négociants de la Nouvelle-Angleterre.

A la fin de la même campagne, sons le premior méridien et à peu de distance du cap Finistère, nous prîmes le vaisseau anglais le Severn de 56 canons et manquâmes IM/Vy/c de 60 qui prit chasse et marchait mieux que nous. Nous ravag-eàmes et dispersâmes la riche flotte que les deu\ vaisseaux de

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M'"'^ DE KF.nLKr.EC

(Col!eciion du Vt» de Villiers du Terraçcl.

guerre convoyaient, venant d'Antigoa, dont jious prîmes quelques hâllmentP, tout le reste, au nombre de trente-sept ou de quarante, fut pris par les corsaires de Bayonne et par ceux de Nantes.

La même année Kerlérec reçut la croix de Sainl-Louis.

IT'iT. Sur le Nepltme, commandé par .Al. le chevalier de Fromenlière, en

qualité (le pi'eniifi' lieutenant de détail, escadi'e de M. de l'Élenduère. pour convoyer en Amérique une tlotle de trois cent soixante voiles.

Ce fut pendant cette campagne qu'eut lieu le mémorable combat connu généralement sous le nom de bataille de M. de l'Étenduère (1).

La flotte française ne se composait que de sept vaisseaux de ligne et du Seoern de 66 canons, tandis que celle des Anglais, commandée par l'amiral Ilawke, comptait quinze vaisseaux de ligne, dont deux de 80 canons et six de 70, deux frégates et deux brûlots.

A la suite de cette bataille, dont on verra plus loin les détails, Kcr-lérec fut « considérablement blessé à la cheville du pied droit, et si fortement qu'on fut à la veille de le lui couper; il resta sourd aussi pendant près de deux mois et de manière à ne rien entendre du tout. »

Cet état fut sans doute cause que le ra]»port qu'il envoya trois semaines après de sa prison de Spithead au département de la Marine laisse énormément à désirer sous le rapport de la clarté et de la rédaction ; malgré un grand respect pour les textes originaux, il nous a fallu pour le rendre compréhensible en retoucher quelque peu la forme.

Pour raconter le combat du 25 octobre 1747, nous y puiserons beaucoup tout en y ajoutant d'autres détails, donnés [lar les contemporains.

La flotte française, qui escortait un nombreux convoi de navires marchands, avait quitté La Rochelle le 17 octobre; aucun incident ne vint marquer les premiers jours de la traversée. Ce ne fut (jue le 25 à l'aube que les vigies signalèrent en même temps à l'avant et à l'arrière, un grand nombre de bâtiments : les premiers étaient des navires qui pendant la nuit avaient mal interprété les signaux de l'Amiral et furent bientôt ralliés.

u ... Après être resté quelque temps en panne, écrit Kerlérec, les vaisseaux, dont on avait eu connaissance le matin, approchèrent et nous en comptâmes dix-neuf. Nous crûmes pendant quelque temps que ce pouvait être un fragment de notre flotte qui, ayant négligé de faire de la voile pendant la nuit, pouvait se trouver en arrière, mais, comme ils nous chassaient à toute voile, nous fûmes bientôt en état de les reconnaître pour ce qu'ils étaient. »

Le Nepiime, navire d'arrière-garde, venait du reste de signaler une flotte anglaise au commandant de l'escadre qui donna de suite l'ordre à ses navires de se mettre en bataille sur une seule ligne; il se plaça lui-même au centre puis flt le signal à la flotte « de forcer de voiles et de prendre son parti, ce qu'elle a fait tranquillement gouvernant au sud-ouest prenant de l'ouest. «

L'avis de Kerlérec était que la ligne aurait été bien plus défensive si chacun avait serré de plus près son chef de flle, toutefois il faut reconnaître qu'il fallait bien, au moins au début de l'action, laisser aux navires de commerce la place de passer sous le vent.

1. Il se déi-f)iila |)ai- 47" 27' de latitude iKird et G" 20' de longitude est, niéi-ldieii d(j l'île de Fer, Noit à envii'oii 530 k:iliimétres de Brest, ouest quelques degr's nord.

1

Le Nepluiie se trouvait fort exposé par sa position, ce lïit lui qui le l)rcniier reçut tous les ieux.

(( A une lieue et demie, dil, Kerlérec, la floUc ennemie nous chassait siu-un front, mais, en nous rapprochant davantage, elle s'est formée insensiblement sur une ligne dont le premier vaisseau nous' a dépassé sans tirer, mais quand il se trouva à Ui hauteur du Sevcni, il engagea le combat avec ce dernier tandis que le second de la li.nnc ennemie, (jui se li'ouvail par noire travers, à petite ])ortée de pistolet et sous le vent, nous envoya ses volées de canons et ses bordées de mousqueterie, répétées jusqu'à ce qu'il nous eût (lé|)assé. Nous lui ren-dùues feu pour feu pour le moins, mais nous fûmes fort désem[iarés, comme lui d'ailieui's. Ainsi en ont usé douze autres vaisseaux successivement dont nous avons essuyé les premiers feux avec toute la vivacité que peuvent fournil'des vaisseaux frais et qui ont toutes leurs batteries chargées.

Par la violence de ce feu continuel et sans interru[»li()n. pLiis(pie dès que le bâtiment qui se trouvait à notre travers commençait à nous dépasser, celui qui le suivait recommençait dès notre hanche, nous eûmes toutes nos voiles criblées, toutes nos manœuvres coupées et hors d'état d'en faire courir une seule. A ce dégréement succéda celui de nos mâts, à commencer pai' l'artimon, le beaupré tout ras cl le mât de misaine. Il ne nous resta plus (jur le grand m.'il tout percé de coups de canons et grandement incliné qui fut à siui tour abattu par tiois vaisseaux qui ne nous quiltèronl plus. »

M. de Longueval, capitaine en second, avait été tué par la première bordée, le commandant, M. de Fromentière, lut. à trois heures de l'après-midi, mis hors de combat par un boulet qui lui enleva une jambe et on dut le transporter dans la cale. Kerlérec prit alors le commandement du navire. « La mort du commandant, dit Richer dans ses Fastes de la Marine, aurait peut-être jeté la consternation dans l'équipage, si M. de Kerlérec qui était lieutenant en pied et avait remplacé M. de Longueval capitaine en second, ne se fût trouvé le premier officier du Neptune. Il en prit aussitôt le commandement et s'adressant à ce qui restait d'officiers, s'écria : — « Mettez-moi par votre valeur dans le cas de travailler pour mon compte puisque le malheur de notre brave capitaine me donne le commandement du Neptune ; \a vous prie, ainsi que tous les vaillants hommes qui nous restent de m'aider à nous signaler, forçons les Anglais à se retirer. » — Les ofliciers, les soldats et les matelots crièrent d'une voix unanime : Vive le Royl Aussitôt M. de Kerlérec lit tirer les batteries cl continua le combat contre les trois vaisseaux qui s'étaient attachés au N'plune. »

La lutte n'était pas aisée, car le grand inàt avec tout son gréement venait de s'abattre en long sur le navire et engageait une partie de la seconde batterie et tout le gaillard d'avant. Un lieutenant, M. de Lorge-ril, malgré d'inimaginables elïbrts ne'put arriver à dégager que quelques canons. Kerlérec aussitôt envoya les canonniers servir une autre batterie, (Les Anglais, du reste, furent plus tard obligés pour se débarrasser du màt de le scier par tronçons.)

Tour comble de malheur, le feu j)ril aux voiles (jui élaient encore

allachécs aux mâts tombés et gagna la poupe près de laquelle se trouvait la Sainte-Barbe. L'équipage parvint à l'éteindre, mais cette opération coûta la vie aux lieutenants d'Argenlré et de Conllans qui s'étaient trop découverts.

Ce fut à ce moment que le neveu du nouveau commandant, Guillaume Billouart des Salles, garde de la Marine, âgé de vingt-trois ans, eut le bras emporté. « Les chirurgiens s'étant hâtés de le panser, il leur échappa et, tout sanglant, sans habit, s'élança sur le pont voulant encore sacrifier à la nation le bras qui lui restait, mais il tomba mort aux pieds de Kerlérec « (1).

« Le vaisseau, poursuit Kerlérec, quoique criblé pouvait encore compter sur ses batteries qui étaient servies avec activité, à proportion du reste des hommes. Le sieur de Lorgeril qui en commandait une. la fit servir pendant tout le combat avec une vivacité qu'on ne peut exprimer et le sieur de La Mauvignière, aide-major, qui se portail iiarloul en qualité de son état, s'est comporté pendant toute l'action avec toute Tattention et le sang-froid inséparable de la valeur même.

Environ deux heures après, le maître calfat et son second vinrent me rendre compte que nous avions beaucoup de coups de canons à la flottaison, près de huit pieds d'eau dans la cale, deux de nos jiompes crevées par les boulets et que nous étions sur le point de couler bas.

Je crus devoir réfléchir sérieusement sur une situation si décidée, pour ne pas noyer un reste de braves gens auxquels il ne restait pas la moindre des ressources, étant abandonné et sous le feu de trois vaisseaux qui nous écrasaient deux par le travers, tandis que le troisième nous prenait par enQlade.

Cette réflexion faite, j'ordonnais au sieur de La Mauvignière de voir jiar lui-même l'eau que nous faisions, ne devant pas m'en rapporter au rapport de gens de celte espèce. Il m'en rendit compte conformément à ce que m'avaient avancé les calfals, je pris donc le parti de me rendre, mais comme nous n'avions plus de pavillons en ayant eu quatre d'emportés, je montai sur les batayoles 2 et je criai de la voix que nous étions rendus pendant que je faisais retirer un drap de lit que j'avais fait placer sur le côté du vaisseau, en signe équivalent à la reddition. En même temps, j'ordonnais à M. de Janvry d'envoyer les canons qui se trouvaient chargés dans leurs batteries et de laisser ensuite tomber les mantelets. C'étaient les seuls signaux que nous puissions faire pour convenir de noire défaite. Le sieur de Janvry fut aussi très recommandable par toutes les preuves de v.ileur qu'il a données pendant tout le combat.

Ayant été dans dilTèrenls postes, toujours occupé de mon devoir, il m'a été impossil)le, aveuglé par la fumée continuelle du canon et de la mousqueterie de faire grande attention au sort des autres vaisseaux rendus, mais, comme il m'est revenu depuis que le commandant nous avait fait des signaux pour serrer la ligne, bien que ce fait ne me regarde en aucune façon, puis ce que j'étais en ce temps à la première batterie que je commandais, je crois devoir justifier lu mémoire de feu M. de l'romentière.

Les vents étaient variables de l'est-sud-est au sud-est seulement et nous

i. Riclior, ouvrage cite.

2. Pièces de bois carrées, hautes de trois pieds, disposées à i)lonib en dedans des b.icalas, que l'on clouait sur la couverture de la poupe du navire.

LES DERMftP.KS AWÉES DE LA LOIISIANE FRANCVISE

37

faisaient valoir la route rouest quelques degrés noi-d. Si bien (|ue la flamme hollandaise qui devait être, s'il m'en souvient bien, ù la vergue de misaine pour notre signal, ne pouvait que prolonger le vaisseau et se faire voir difficilement, sans compter que la fumée et les trois vaisseaux placés entre le commandant et nous devaient aussi nous la cacher. Si la frégate le Cartier avait eu ordre de se tenir au vent de Fescadre pour répéter les signaux du commandant, on n'eut pas été dans le cas d'aucune méprise pour l'exécution de ses ordres. J'ajouterai que je ne pris le commandement dnSeptune que quand quatre de nos vaisseaux s'étaient déjà rendus, quoique nous eussions été les premiers à combattre.

Nous avons eu au moins cent soixante hommes de tués raides et cent quatre-vingts de blessés et hors de combat, du nombre des uns et des autres étaient, à l'exception de notre premier maître, nos principaux officiers mariniers et l'élile

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COMBAT DE 1. ESCADRE DE M. DI' 1. KTEN DUERE

(Musée de Versailles).

de notre équipage. Le combat commencé à dix heures du matin ne s'est terminé qu'après six heures du soir, sans un seul instant de relâche. »

Le To)inaiil, sur lequel était embarqué M. de rKl(MKluèr(\ se trouvait égalemeut dans une position très critique, quand M. de Vaudreuil, qui commandait Vlnlrépidc et était placé en tète de la ligne, passa par une manœuvre habile à travers la flotte ennemie et vint se ranger près du navire amiral. En se soutenant, les deux navires purent repousser toutes les attaques des Anglais, rentrer à Brest et préserver le convoi (1). La belle défense du Ncpluno qui immobilisait encore à

1. « 'trop naltraité pour continuel-la poursuite, Ilawke dctat'lia on toute liàtc un sloop do guoi'ro aux IndosOccidoutalos pour annoncer raiTivéc du convoi; cette niesv.rc amena la capture d'une partie dos navires français. » Maiian.

six heures du soir trois des navires anglais les moins éprouvés ne fui sans doute pas indiilérente à ce résultat (1). M. Troude, 'dans ses Batailles navales de la France, observe que « la flotte française défendit son convoi, comme on défend à terre une position quand on veut sauver un corps d'armée ou assurer un mouvement : elle se fit écraser. »

L'état-major du Nepluno comptait dix-sept officiers : dix moururent pendant l'action, cinq autres furent blessés, dont trois, MM. de ]>lois, de la Mauvinière et de Coiirsolas, ne survécurent que peu de temps. Lo Neptune perdit ainsi dans ce combat, les quatre cinquièmes de ses officiers, proportion énorme, .surtout si l'on remarque que le Tonnant n'eut que vingt-quatre hommes tués pendant toute l'aclion. Kerléroc fut blessé au pied au moment de la reddition, ce qui lui permit de dire : « MM. de Janvry, de Chalmazel et de Yillers furent les seuls heureux. »

Les trois vaisseaux anglais qui s'étaient attachés au Neptune i^e nommaient le Yarmouth, le Glocester (2) et laDé/iaure. Ce fut sur ce dernier navire commandé par M. de Bentley, que fut transporté, avec Kerlérec M. de Fromentière qui mourut le lendemain matin.

Pendant sa captivité à Spithead, Kerlérec n'eut à se plaindre ni de la conduite de l'amiral Ilawke, ni de celle des Anglais qui le traitèrent avec beaucoup d'égards. A son retour en France, on lui donna, en 1750, le commandement de la Favorite de 40 canons, destiné à croiser autour de Saint-Domingue pour surveiller « les interlopes et les forbans >). Pendant cette campagne, qui dura quinze mois, Kerlérec fut atteint d'une grave maladie, dont il ne fut complètement rétabli que vers la fin de 1751. L'année suivante, le Roi, en récompense de ses services, lui donna le gouvernement de la Louisiane.

1. L'amirauté anglaise accusa 150 tues et 558 blessés.

2. Riclier dit le Lion et ajoute que c'était ce navire (jui prenail le Xiplunc d'entikulc.

CHAPITRE m

LES DEBUTS DE KERLEREG

(1753-1754)

Arrivée de Kerlérec à la Nouvelle-Orléans. — Ccnférence avec les Chaktas à la Mobile. — Dissensions dans la colonie. — Le pays des Illinois et la vallée de l'Ohio. — IVlort de Jumonville. — Capitulation de G. Washington. — Deuxième voyage du gouverneur à la Mobile.

La nomination de Kerlérec au poste de gouverneur de la Louisiane fut résolue au mois de février 1752. Appelé par le Ministre de la Marine Rouillé il) pour recevoir ses dernières instructions, il séjourna à Paris jusqu'à la lin d'avril, puis retourna à Brest, attendre le moment de son départ. C'est de cette période que datent les premières lettres de sa volumineuse correspondance conservée actuellement aux Archives du Ministère des Colonies.

Kerlérec s'occupa tout d'abord de recruter de bons ouvriers de métiers et entreprit de décider quelques particuliers à s'intéresser dans des entreprises commerciales avec la Louisiane. Il recommande notamment au Ministre « le sieur de Kerbiquet, un fort honnête homme, entendu et bon marin, ayant beaucoup servi sur les vaisseaux de la Compagnie, qui, sans privilège exclusif, demande à introduire des nègres dans la colonie. »

Une autre fois, il signale que MM. Ilocquart, trésorier général do l'artillerie et des Salles projettent un établissement à la Louisiane : <( Ces Messieurs, écrit-il, m'ont fort sollicité d'y prendre un intérêt... Ils viennent même de m'écrire que mon refus ou mon acceptation feront

L Rouillé, comto do Jouy (1089-1701), successivement conseillor au Parlement, directeur de la librairie, commissaire à la ('.ompaj;nie dos Indes ;174i).

Il remplaça Maurepas à la Marine le 20 avril 1749 ot tenta la rôorsanisation de notre puissance maritime. Ministre des AiTairos étran2:èrcs on 175'i, il mourut grand maître de Postes, fonction rju'il occu|Kiit dojiuis 17Ô7.

manquer ou réussir le projet, mais je n'acccplerai jamais sans votre avis et votre consentement. » Billouart des Salles, dont il est ici question, était un neveu de Kerlércc, qu'il emmenait avec lui comme « chargé de l'artillerie de la colonie ».

Le G novembre le nouveau gouverneur accuse réception de l'envoi de ses pouvoirs dans des termes qui montrent bien qu'il désirait plutôt la conciliation avec les ordonnateurs que les mesures extrêmes qu'il fut plus tard forcé de prendre vis-à-vis de M. de Kochemore.

« ... Je sais, dil-il, Monseigneur, qu'indépendammenl de mes fonctions particulières, il en est qui me sont communes avec l'ordonnateur, tout comme il en a aussi qui sont absolument séparées des miennes. Cette distinction, Monseig-neur, me sera dans tous les temps fort recommandable et d'autant plus qu'elle doit faire le but de la bonne administration dans la colonie. Je vous promets, Monseigneur, de ne pas outrepasser les bornes décidées que je me prescris moi-même à cet égard et c'est par là que je compte affermir le bon ordre et la règle aussi convenable que nécessaire dans toutes les parties du bon service. Je conçois bien aisément qu'au défaut de bonne harmonie entre nous, la colonie serait sans doute exposée à des mouvements qui ne peuvent concourir qu'à son détriment.

... Par les correspondances que vous m'avez fait la grâce de me communiquer, il est vrai que j'ai vu des altercations répétées... au reste je me flatte et j'espère que M. Micliel concourra de son côté au même but par tous les moyens possibles.

Je ne manquerai pas de prévenir M. de Vaudreuil que le Roy désire qu'il fasse quelque séjour avec moi à la Louisiane pour que j'en puisse prendre tous les éclaircissements qui me sont nécessaires sur les principaux objets du gouvernement et particulièrement sur celui des sauvages... Je prendrai comme vous me l'avez ordonné, à mon arrivée, le commandement sans attendre le départ de M. de Vaudreuil et je lui notifierai que le Roy veut bien s'en rapiiorler à ce que nous réglerons ensemble sur le séjour qu'il aura à y faire... »

Dès le 14 mai, Kerlércc commence à se plaindre de rinsuffisance de ses appointements de gouverneur qui n'étaient en clTet que de douze mille livres :

« ... Dans les premiers entreliens dont vous m'avez honoré à ce sujet, écrit-il au Ministre, j'eus l'honneur do vous représenter que la finance de cet emploi était bien modique..., je n'insistai point et ne vous en ai plus parlé, mais aujourd'hui, Monseigneur, qu'il est question de constater mon sort et le sort d'un officier honoré de votre protection, ne puis-je pas vous représenter, sans vous dé})hiire, qu'au moyen des appointements ordinaires, je ne puis joindie les deux bouts de l'année sans cesser de vivre d'une façon à gagner les cœurs et la confiance d'une nombreuse garnison, augmentée de vingt-quatre compagnies? Ne puis-je pas, Monseigneur, vous dire combien j'ai été pénétré d'entendre dire ce matin, dans une conversation générale tenue par M. de la Morlière à qui, par plusieurs lettres reçues de différents officiers de cette colonie, on mandait qu'ils étaient dans la plus grande misère et que la vie y était d'une chèrelé étonnante et réduits enfin à vivre chacun dans leur chambre, et sans avoir à peine le mot de nécessaire '? Considérez donc. Monseigneur, mon état de gouverneur dans cette circonstance et combien il m'en coûterait de ne pas les aider...

Je ne dois pas vous laisser ignorer que je ne puis envisager qu'avec beaucoup

LES DERMKRF.S AWKES DE LA LOUISIANE FRANÇAISE

41

de désagréments le moment de pailir avec des dettes puisque la mise dehors de mes préparatifs excédera au moins de douze mille livres la somme que Sa Majesté a bien voulu m'accorder et puis-je me flatter d'y satisfaire sans quelques petites épargnes annuelles?...

Quand on se sépare de la sorle de sa patrie ce doit être au moins dans la vue d'un sort plus heureux et qui n'entraîne pas de regrets.... Vous me direz peut-être que les finances du Roy sont dérangées, mais je pais aussi vous répondre qu'elles le sont malheureusement aussi pour moi... »

Le bàlimenl sur lequel devait passer Kerlerec, ainsi que sa femme et sa belle-sœur, M"" du Bot s'appelait le Chariol-Rcninl et était commandé par M. du Bot de Brunolo, beau-frère du nouveau gouverneur.

5.^ià^RVE DES EMBOr

MISSISSIP

Jtô- /rj MniuucrtlT lin DcfCt Jtj Cu

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EMBOLCIUnES DL MISSISSIPI

Le navire arrivé à Brest le 24 octobre ne mit à la voile que le 17 novembre. Le 24 janvier 1753, après soixante-huit jours de traversée, le Chariot-Royal se trouva en vue de la Balise (1).

« Nous sommes restés, écrit Kerlerec, jusqu'au 27 du même mois à l'ouverture

de la Balise sans pouvoir donner dans la passe faute d'eau, mais, les vents du

large ayant élé de bon lapport, nous l'avons franchie en peu d'instants sans le

moindre échec et même sans en avoir .senti le fond. Le Chariot-lioijal fort allégé

tirait 13 pieds 14 pouces et la passe en fournissait au moins 14 1,2.... Un navire

venant de Saint-Domingue nous ayant signalé la présence le long de la côte de

VUnion de la Rochelle et d'un brigantin, on tira le canon pendant la nuit pour les

empêcher de se i)erdi'e par la brume.

1. Établisseinent situé à l'emboiicliuie ihi Mississipi comme poste de défense et de pilotage.

Les vents ayant continué du sud-est nous montâmes jusqu'à trois lieues en dedans de la passe où le calme nous oblig-ea de mouiller, je détachai alors le grand canot que m'avait envoyé M. de Vaudreuil avec un officier pour lui porter les dépèches de la Cour.

Kerlôroc préféra rosier sur le navire pour étudier le fleuve et se rendre compte par lui-même de l'emplacement des nouvelles concessions dont il apportait les titres.

« Ayant cependant été obligé, conlinue-t-il.de mouiller le 3 février après avoir doublé les forts du Détour à l'Anglais et ne me trouvant qu'à trois lieues de la ville je crus ne pouvoir me dispenser de m'y rendre le même soir à 5 heures.

Je trouvais en mettant pied à terre, 3DI. de Vaudreuil et Dauberville accompagnés des difTérents Etats de la colonie qui s'étaient rendus au bord du fleuve pour nous recevoir, j'essuyai leurs reproches d'avoir tant diiréré à m'y rendre, avec la satisfaction que me donna le plaisir de répondre à M. de Vaudreuil que je savais que l'on ne devait pas être pressé de changer de gouverneur. J'ose me flatter. Monseigneur, d'être assez connu de vous pour qu'il ne soit pas nécessaire de vous faire un détail plus circonstancié de la façon dont j'ai répondu aux politesses des uns et des autres.

Le 8 du même mois, j'exigeai de M. de Vaudreuil de faire assembler les troupes pour qu'il fit lui-même reconnaître les officiers compris dans le remplacement chacun relativement à son état; nous nous rendîmes à cette occasion un combat de politesse et j'eu le plaisir de le vaincre...

Le 9, ayant été fixé pour ma réception, les troupes furent assemblées à cet efîet; je m'y rendis avec le cortège ordinaire, accompagné de MM. de Vaudreuil et Dauberville, j'observai dans toutes les occurrences de donner la droite à ce premier. Après avoir passé devant les troupes, nous nous rendîmes à la porte de l'église où je trouvai le clergé qui m'y reçut avec les formalités ordinaires. Le supérieur curé primitif m'adressa un discours aussi flatteur que bien arrangé et je lui répondis (L. Cette cérémonie achevée, nous fûmes au Conseil pour faire enregistrer mes provisions ; le sieur Raguet faisant fonction de procureur général par la vacance du sieur Fleuriau, me fit aussi un compliment auquel je crus devoir répondre ainsi :

« Jaloux comme je dois l'être, [Messieurs, de justifier le choix que le Roy a bien voulu faire de moi pour gouverner cette colonie, je vous assure aujourd'hui avec grand plaisir que je ne prétends parvenir à cette même justification qu'en conciliant avec le bien de son service le désir que j'ai de rendre aux difTérents Etats qui ia composent, particulièrement au vôtre, Messieurs, tous les bons offices qui dépendront de moi.

« La douceur, la sincérité et la fermeté dans tous les cas seront toujours la base de toutes mes démarches. Je me flatte que de pareils sentiments me mériteront de votre part. Messieurs, l'attachement et toute la confiance que je désire et que je vous demande.

« Je sens, comme je le dois, toute la position critique dans laquelle je me trouve en succédant à un gouverneur aussi sage que vertueux, aussi zélé pour le

i. Cette liaranpiue comnionco ainsi : « Cnmmc il est cortain, ninn très révérend Poro, que te règne do Dieu est le plus solide principe du iiouvernement des Etats, vous devez attendre une application toute particulière de mon zèle, de mon respect pour la religion et de mon exactitude pour le siM-vice et le maintien de cet objet si important... »

LES DERXIÈHES ANNÉES DE LA LOLJSLWK FIîAMUISE 43

service du Roy qu'animé du bien de ses peuples. Je ne puis donc espérer d'adoucir les regrets que vous avez de vous en séparer qu'en marchant exactement sur ses traces. C'est même dans cet esprit que Sa .Majesté décida qu'il flt avec moi quelque séjour dans cette colonie pour me communiquer par ses lumières les principes d'une administration aussi sage que la sienne et dont elle es! on ne peut pas plus satisfaite, d'ailleurs lié comme je le dois ou comme je désire l'être avec 3L l'Ordonnateur général de la colonie, animé à son exemple d'une scrupuleuse et inviolable exactitude pour tous mes devoirs personnels, secondé dans tous les cas par vous, Messieurs, je me flatte de remplir ma carrière d'une façon à mériter de plus en plus les bontés du Roy, l'amitié et la confiance (II- .M. l'Ordonnateur, de pareils sentiments de votre part et de celle de la colonie. »

Le 12 et le 13 ont été employés à rendre aux différents Etats de la colonie les jiolitesses qu'ils m'avaient fait en corps.

Le 15, j'ai descendu le fleuve avec .M.^L de Yaudreuil, Dauberville, de Vergés, ingénieur en chef et des Salles, chargé de l'artillerie pour faire la visite des deux forts du Détour-à-l'Angiais, en examiner les forces et les fortifications qui m'ont l»aru en bon état, excepté l'artillerie qui est en grande partie fort défectueuse et en trop petite quantité... .Alon intention était aussi de voir par moi-même la situation des nouveaux habitants auxquels j'avais fait donner l'ordre de se rendre aux dits forts ù jour nommé pour écouter leurs plaintes, les consoler et les encourager. La plus grande partie s'y était rendu, j'y ai passé un jour entier à entendre des représentations de toutes espèces, tant sur l'impossibilité de tirer jamais parti de leur terrain et sur le refus de secours ordonnés et convenus que leur avait fait M. Michel, que sur le manquement absolu et décidé de vivres où ils étaient, ayant pour la plupart été inondés. Leur désespoir et leurs différentes plaintes m'engagèrent à vérifier par moi-même leur état et en conséquence je me transportai sur plusieurs de ces espèces d'établissements où je fus convaincu avec amertume de la justice de leurs pressantes représentations et, persuadé des intentions de la Cour, pour les consoler et ranimer leur courage, je leur promis, de concert et sur l'avis de M.M. de Yaudreuil et d'Auberville, de les aider incessamment, ce que ces Messieurs trouvèrent comme moi indisjtensable ; mais, pour y procéder avec une plus grande connaissance de cause, j'ordonnai au sieur de Vilmonl, capitaine commandant les forts et au garde-magasin de prendre une note, la |)lus exacte des plus soutirants et en même temps des plus méritants pour leur faire quelques gratifications en vivres proportionnées à leurs pressants besoins.

A mon retour de cette expédition, je trouvai ici sept chefs considérés de la nation des Chaktas et dc^ villages de la partie de l'ouest, du nombre desquels était un des chefs qui nous avait été ci-devant des plus contraire; ils m'ont apporté neuf chevelures de Chikachas que j'ai payées au taux et à la manière accoutumée. Après deux jours de harangues aussi longues que mauvaises, je leur ai exjtressémenl défendu de prendre pour habitude de venir à la Nouvelle-Orléans en les assurant que je ne manquerai point de me rendre tous les ans à la Mobile, au temps marqué et désigné à l'avance, où je rendrais à chacun la justice qui lui est due.

Je travaille continuellement avec M. de Yaudreuil qui sera en état de partir sur le Chariot-R(>!j(il, le 15 du mois prochain, il serait même parti |tlus tôt sans If tem])s qu'il donne aux instructions dont j'ai besoin et qui est pris sur celui qui lui est nécessaire pour faire ses alï'aires...

Le commerce, Monseigneur, fait par les commissionnaires :\r la Nouvelle-

LES DERXIKRES ANNÉES DE LA LOIISEWE FRAXCAISE

Orléans est devenu bien suspect aux né.qocianis de France et de Saint-Domingue. Je puis même vous dire, par toutes les informations que j'en prends et tout ce qui m'en est revenu, qu'ils sont très infidèles, mais je vous proteste que j'y mettrai bon ordre; feu M. :\Iichel par le peu d'attention qu'il a porté sur cette partie est la seule cause de la mauvaise foi qui peut régner ici dans les commerçants... »

Vaiidreuil n'était pas encore parti que Kerlérec se trouvait déjà aux prises avec mille difficultés.

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Jl.VROLlS DE V.UDr.KUlL

C'est d'abord la maison du gouvernement qui est prête à s'écrouler : « Pendant trois semaines, écrit-il, que j'y ai logé avec M""' de Kerlérec, nous avons passé plusieurs nuits sur pied pendant les coups de vent, pour être plus prêts à prendre notre parti sur le moindre avertissement. Je me suis logé dans la maison qu'occupait feu M. Michel, elle était à peine suffisante pour un ménage de garçon et par conséquent Iroj) resserrée pour le mien...»

Les casernes sont à démolir, l'hôpital également est insuffisant, « il faudrait le doubler et construire une salle de dix lits pour les officiers

LES DEliMÈRES ANNÉES J)E LA LOLISLVNL IRANÇUSE 45

que l'on a vu périr de misère chez eux, dans le cas de maladie, dépourvus de tout secours; ce qu'il est aisé de croire, quand on réfléchit sur la médiocrilé des appointements des subalternes, dans un pays 011 en même temps que tout est très cher, on ne trouve pas les trois quarts du temps en hiver, et quasi jamais l'ôlé, un morceau de bœuf pour faire un bouillon. « Les magasins du Iloi sont vides, Ker-lérec voudrait remédier à ce déplorable état de chose, mais l'ordonnateur d'Auberville cherche à établir que l'état des marchandises de traite le regarde seul.

Le curé aussi empiète sur les prérogatives du gouverneur : Kerlérec en réfère au Ministre à propos d'un Te Deinn de réjouissance célébré le 30 avril, à l'occasion de la nouvelle de la convalescence du Dauphin. « Quoique M. de Vaudreuil m'ait assuré avoir toujours pratiqué la cérémonie d'allumer le feu sans le curé ofliciant. je l'y ai admis pour

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CASEF.NES DE LA .\0l. \ ELLE-Or.LEANS

(Plan de Boulin, 173-2}.

cette fois, en vertu du règlement de 173i qui, par l'arlicle 7, dit qu'il sera présenté une torche au prêtre oniciant pour allumer le feu, bien que M. de Vaudreuil m'ait assuré que cela se passait seulement ainsi pour celui de Saint-Jean et que c'est ainsi qu'on en use au Canada pour telles cérémonies militaires, oi^i l'évêquc n'est pas seulement admis, j'ai cédé en celte occasion aux sollicitudes pressantes du Père Georges et j'attendrai votre décision pour l'avenir. »

Ce jour-là eut lieu chez le nouveau gouverneur une grande fêle oi!i se réunirent cent treize dames et deux cents cavaliers: deux fontaines de vin coulèrent toute la soirée, l'une pour les soldats, l'autre pour les habitants de la ville. « J'ai cru devoir, dit Kerlérec, en user ainsi pour la dignité du sujet et pour rapprocher bien des familles éloignées depuis longtemps les unes des autres, et je vous apprends même avec plaisir que dans cette fêle, j'ai contribué à plus d'une réconciliation... »

Pour donner une idée de ce que iiouvail être une fêle à celte époque

à la Nouvelle-Orléans, nous transcrivons un récit anonyme public récemment (1).

« M. de Kerlérec régala deux cents personnes à un souper magnifique, où l'on voyait des tables couvertes d'une infinité de mets (et ornées de tout ce qui se trouve capable de hausser les magnificences d'un repas), rangées entre les colonnes de deux galeries, qui furent ornées de feuillages entrelacés de roses et autres fleurs en façon de guirlandes, ou de vignes qui rampaient autour des échelons, dans un goût exquis.

« Plus de cent dames richomenl habillées, dont rassemblée aurait fait l'honneur à des villes les [jIus policées et les plus opulentes de l'Europe, ajouta encore un nouveau lustre à ce repas.

« Après avoir bu à la santé du Roi et de Monseigneur le Dauphin et de plusieurs autres, à la décharge des canons sur la place, vers les onze heures du soir, l'assemblée se rendit au feu d'artifice, la marquise de Yaudreuil et M"'- de Kerlérec l'allumèrent par les deux l)0uts en même temps, par le moyen de deux pigeons qui y portèrent le feu à plus de cent pas, après que deux lézards ou salamandres en eurent fait sortir plus de mille serpenteaux et autres artifices préparés à ce dessein.

« L'artifice une fois allumé continua par des fusées volantes, pots à feu, caisses d'artifices et soleils et autres artifices divers, l'espace dune heure, à la grande satisfaction de tous les assistants.

« Ces exemples et plusieurs autres que je pourrais citer, font bien voir que le bon goût, la politesse et Topulencc rognent bien mieux dans la colonie, que dans les villes de l'intérieur du royaume tant soit peu éloignées de Paris, les colonies sont proprement les rejetons de Paris et tout s'y rapporte à l'imitation de la capitale. »

D'après le môme auteur, tous les habitants aisés po:v>UMlaient une chaise h deux chevaux ; il y avait même dans la ville des berlines et des carrosses à quatre chevaux. La première voiture était venue à la X<)uvelle-Ork\ans de la Havane en 1730, la seconde avait été apportée par Bienville, en 1733.

M. et -M"'" de Vaudreuil quittèrent la Nouvelle-Orléans le 8 mai. le Cli'ifi(il-Ii(ii/(il ne sortit pas aussi facilement du Mississipi qu'il y était entré, et restafaute d'eau à la Balise, du 11 mai au 10 juin ! Son commandant i\l. de Brunolo mourut le P' juillet d'un accès de fièvre jaune, dans le voisinage des Bermudes.

Les bouches du fleuve étaient, comme on le voit, à ccrlaines époques absolument infranchissables pour les navires de quel({ue tonnage, Kerlérec écrit dépêches sur dépêches à ce sujet.

« Le commerce souiTre à la Balise des relards considèiables parle dcfaul d'une voiture ^2)bien conditionnée et bien armée de nègres pour le pilote pratiipie cpù

1. Ailiciiéc Loiiisiunais, 1<='' j.anvier 1900.

2. Co qu'on appelait voiture en Loni^iano était une 'grande b;irquo à fond plat et avant-cari-c qui ser\ail a naviguer sur le IMississipi,

y n'-siiic. Celte voiture, taul bonne que mauvaise, au eontraii-e, n'est menre rjuc |iar (les soldats incapables, volontaires et coquins, qui depuis lon,i;lenips sont dans l'usage de mettre tous les vaisseaux marchands à contribution indiscrète de vivres et de boissons, indépendamment d'une piastre qu'ils se font chacun payer par voyage. 11 est bien aisé alors de juger de leur facilité à former des prétextes sur l'entrée ou la sortie desdils bâtiments, afin de multiplier lesdils voyages pour la rétribution qu'ils en tirent.

Si on relève lesdits soldats, on ne peut (jue leur en substituer d'autres (]ui ne valent pas mieux et qui travaillent sur les mêmes errements et qui. en outre, n'étant point fait au maniement de l'aviron, retardent le service, comme cela est arrivé fréquemment. Le pilote pratique a même été souvent au moment de périr par le peu de capacité de ces sortes de gens el leur insubordination en [lareille circonstance.

Le navire Sainte-Anne vient de se trouver obligé de rester en dedans de la passe pendant trente jours par défaut de pilotage, occasionné sans doute par la cupidité de ces soldats qui ont par là de plus fréquentes occasions de boire. »

Le 20 septembre il revient sur la même quesliou et ajoute :

« ... L'inutilité du poste actuel de la Balise est décidément reconnue... Il est de toute nécessité que le poste destiné à défendre en partie l'enti'ée du lleuve cl à servir de dépôt pour les secours de la navigation, soit lloltant, pour pouvoir suivre les ca[)rice3 du fleuve. Il faudrait donc un gros navire, avec une batterie de huit au premier pont, une de douze au second et une autre de di.x-huit à l'arrière, comme canons de retraite. L'équipage devrait se composer de vingt-cinq bons marins français ou de quinze avec dix jeunes nègres de la Cnte d'Or... 11 faudrait l'envoyer de suite, pendant que nous sommes en paix, sinon tout serait intercepté... en attendant, j'ai établi une chaloupe armée de huit matelots à la Balise...

Le fleuve roule avec lui une prodigieuse ([uantilé de bois et déterres détrempées qui, arrêtés par les ciups de vent et marées, se déposent à ses embouchures, élèvent les terres qui les environnent, forment des bancs et des îles au large qui, par la succession des temps, se joignent au continent et éloignent, ou changent les passes. De vingt-cinq passes ou embouchures, il n'y en a jamais (ju'une de navigable pour les grands vaisseaux, encore les fonds varient-ils tous les jours et l'embouchure du fleuve a tellement changé depuis vingt ans qu'elle n'est plus reconnaissable. L'île de la Balise, qui était à une lieue au large, est aujourd'hui à une lieue et demie en arrière, jointe au continent el éloignée des vaisseaux qui arrivent du large d'une bonne heure et demie, et encore ce trajet est-il souvent impraticable par les mauvais temps, jjour des chaloupes et encore plus pour des pirogues, qui sont les voitures ordinaires de ce poste. La poudrière de la Balise est noyée de deux pieds par les marées : ([uand on l'a cons-liuile. elle se trouvait cinq pieds au-dessus des plus fortes. »

Au commencement de rannée, quelques familles lorraines élaient arrivées par la Concorde et avaient été établies dans le voisinage de la Côte de:> Allemands; au mois <le juillet, Kerlércc leur accord.-i un secours de quatre cents livres [lar ménage cl en même temps fait d'eux le plus grand éloge.

«... Au mois de lévrier, nous avons vu ces nouveaux colons travail-

LES DKUMÈRES AN.NKES DE LA LOUISL\NE FRANÇAISE

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lant avec courage et ambilion à se loger et à prci)arcr leurs terres pour les semences et nous avons journellement la satisfaction de les voir Iburnir des secours de volailles, œufs et légumes à la ville, au moyen de quoi ils se procurent facilement les petits secours dont ils peuvent avoir besoin. Ce sont ces sortes de familles qui conviendraient pour former de bons habitants : accoutumés dans leur pays au travail de la terre, à la fatigue et à une vie dure, ils s'adonneraient volontiers aux peines et aux soins qu'exigent ici les travaux de la terre, assurés d'ailleurs que le revenu leur appartiendrait en entier, nélant point chargés d'impôls comme en Europe... Pour pousser la culture du tabac avantageusement, il faudrait leur avancer à chacun un nègre et une négresse, qu'ils seraient bientôt en état de payer par le moyen du tabac. »

Sous le gouvernement de Vaudreuil, les Chak-tas avaient ramené au poste de la Mobile sept déserteurs, dont trois Français et quatre Suisses, sous condition expresse qu'ils ne seraient pas inquiétés. Leur grâce avait été demandée en France, mais, aucune réponse n'étant arrivée, depuis de longs mois les sept hommes se trouvaient toujours en prison ; au mois d'avril, les sauvages commencèrent à s'impatienter, réclamant avec insistance leur mise en liberté. Devant la menace de ne plus jamais arrêter à l'avenir de déserteur, Kerlérec se rendit à la Mobile (où il constate qu'il ne sait comment se loger), et réunit le 11 juin 1753, un conseil de guerre extraordinaire, pour ordonner la libération immédiate des prisonniers. Quelques jours après les Yazous vinrent lui remettre un pavillon anglais qu'ils conservaient depuis plusieurs années.

Pendant son séjour à la Mobile, Kerlérec tint une srrande conférence avec les chefs chaktas.

« Colle nation, dit-il, qui ne coniple pas moins de cinquante et un villages, est ilans de bonnes dispositions à l'égard des Français, elle tient sa parole, mais léclame en échange qu'on tienne la sienne ; beaucoup lie ménagement et d'adresse sont avec elle nécessaires.

Ce sont des hommes rétléchis et qui ont plus de justesse et de précision qu'on ne pense dans leurs raison-

nemenls. Quand nous ne leur avons pas donné toutes les marchandises promises, ils disent que c'est nous qui avons tous les torts, puisque nous sommes les premiers Européens qu'ils ont connus et qui les aient assujettis aux difFérents besoins dont aujourd'hui ils ne peuvent plus se passer ; ils ajoutent que nous ne sommes pas plus attentifs, ni même au moins autant que l'Anglais, à leur procurer abondamment tout ce qui leur est devenu nécessaire pour la traite, ajoutant encore que si nous avons un article pour la traite, nous manquons de plusieurs autres qu'ils trouveraient chez les Anglais et conformes à leur goût (ce que nous

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ROSE DURAND DE BEALVAI., MARQUISE DE VAUDRELIL (1)

n'avons jamais étudié comme eux avec la mémo attention) et qu'au surplus leur cœur était à nous, mais que leur nécessité les obligeait à traiter avec une nation à laquelle ils renonceraient pour toujours, s'ils pouvaient trouver chez nous les mêmes ressources qu'elle leur procure...

Voild, Monseigneur, où noUs en sommes aujourd'hui avec les Chakla.s, nation très puissante, qui se soutient bien pour le nombre, qui s'aguerrit de plus en plus, et de laquelle nous aurons besoin encore longtemps. Il est donc indis-

1. Le portrait de la marquise do Vaudreiiil appartient à ^I™'' la comtesse Brunecl, «ce Clcrmont-TonnciTO, arrière-pctitc-tîUc do Vaudrcuil.

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m LES DERNIÈRES ANMÉESDE LA LOUISL\.\E FRANÇAISE

pensablemenl nécessaire de prendre au vis-ù-vis d'elle un ])arli décidé, qui serait-selon moi de lui couper loute communication avec l'Anglais; et c'est à (juoi je (irois pouvoir répondre que nous parviendrons très facilement, si les marchandises de traite qu'ils demandent nous passent assez abondamment pour les satisfaire; et si, en même temps, les fournisseurs observent^ par vos ordres, de àe conformer à certains échantillons dont j"ai eu l'honneur de vous parler dans mes précédentes lettres et que M. de Vaudreuil vous a adressés depuis longlemps.

Ce dernier parti est d'autant plus .nécessaire à prendre que. si on Veut mûrement réfléchir sur le passé, on verra bien aisément que les guerres dont cette colonie a été affligée en diU'érents temps, n'ont été suscitées que par l'intrigue et les menées secrètes des Anglais, dont on n'a jamais assez éclairé la conduite ; on n'a trouvé dans ces derniers temps d'obstacle à la paix, telle qu'on la voulait faire, que de la part des chefs qui tenaient pour eu.v et qui ont eu bien de la peine à s'en détacher ; peut-être même qu'une partie de ceux qui nous tendent aujourd'hui la main ont encore le cœur anglais.

Parlons donc de ce principe, Monseigneur, et par comparaison des millions de dépense qu'ont occasionné ces mêmes guerres, il nous sera très facile de concevoir que depuis trente ans, il eût été plu-s sage et plus profitable pour la France, d'avoir ici des magasins de traite bien amplement fournis, qui au surplus uQ deviennent jamais onéreux pour le Roy, puisque Sa Majesté est exactement remboursée des avances qu'elle fait et qu'elle ferait concernant cel objet.

D'ailleurs, combien n'est-il pas essentiel de prévenir le temps de guerre, où les magasins seraient vides et les vaisseaux sujets à être interceptés par l'ennemi, auquel cas je suis moralement persuadé que sous trois ans, les Anglais se seraient emparés de toutes les nations et la perte totale de la colonie ne pourrait manquer d'en résulter.

... Les sauvages ne pouvant pas prononcer mon nom, l'R n'étant point admis dans leur langage, m'ont appelé Youlaklimataha, ce qui veut dire, le [)lus grand de la première race... »

Ailleurs, Kerlérec fait encore remarquer que « nos rapports avec la nation Chaktas, seront longtemps la clef de cette colonie et sera l'arbitre de son accroissement ou de son état languissant. »

En même temps, il renouvela une alliance avec les chefs Arkansas « qui n'ont de sauvage que le nom et la couleur», afin qu'ils défendent les convois français le long du fleuve, contre les Chérakis, les Ghikachas et les Chaouanons. Pour le prix de deux cents livres pesant de peaux de cluevreuils, il obtient des Ghikachas la mise en liberté de deux Français et d'une jeune fille de douze ans « qui a du reste été traitée avec plus de décence qu'on n'en aurait observée dans notre nation. »

Ensuite, les préoccupations du nouveau gouverneur se portèrent sur l'utilité d'établir des rapports avec les Ganécis et leurs voisins, par le poste des Natchinotchez et il insiste sur la nécessité d'empêcher les Espagnols d'avancer vers le Mississipi. Son rapport sur ce sujet, donne de très curieux détails sur tous les établissements espagnols et les peuplades de la région du Texas, il est malheureusement beaucoup trop _l€ng pour pouvoir être j)ublié ici.

L'accord, continuait toujours à ne pas régner dans la colonie.

« M. Daubcrville, écrit Kerlérec, prétend que je n"ai aucun droit sur les bâtiments qui sont en dedans des fortifications, comme logements d'officiers, poudrières, corps de garde et autres bâtiments à l'usage des postes, mais seulement sur les pieux qui en font l'enceinte. Ma surprise a été grande, car je ne pensais pas qu'il fallut un gouverneur pour inspecter des pieux I »

L'indiscipline est effrayante parmi les troupes, dont presque tous les soldats sont d'anciens déserteurs graciés en France. Un sergent est pendu pour avoir tué un caporal qui ne voulait pas se sauver avec lui, et il ne se passe guère de mois, sans qu'il y ait au moins une exécution capitale. Le mauvais exemple du reste vient souvent des officiers, notamment de M. de Membrede, dont Kerlérec réclame sans cesse le rappel, et du chevalier de Sabran, « qui heureusement se décide à demander à aller à Saint-Domingue, j'ai lieu de compter, ajoute le gouverneur, que le climat de cette colonie nous en débarrassera. »

Cet état de choses était assez naturel, si l'on réfléchit que tous les mauvais sujets de France, dont leurs familles voulaient se débarrasser, étaient envoyés sans un sou, comme cadets à l'aiguillette il), dans les colonies, où ils ne tardaient pas à se faire réformer; or les officiers qui n'avaient pour subsister que leur pension de retraite, ne pouvaient vivre que de la charité.

« Le chevalier de Longueval, muni d'un ordre de service de cadet à l'aiguillette, qui vient d'arriver, a une femme enceinte de quatre mois, ils manquent de tout et même du nécessaire le plus indispensable, et pour ne rien vous cacher sur leur compte, ils sont à la charité; sa place lui donne douze livres dix sols par mois, vous pouvez donc juger: pourtant il a été blessé deux fois, a enlevé un drapeau aux ennemis et m'assure avoir l'honneur d'appartenir à M™" d'Argenson et à MM.d'Har-court et de la Rochefoucault. Plusieurs caporaux de cette garnison, qui ont servi dans son ancien régiment et quelques-uns dans la compagnie dont il était lieutenant, sont aujourd'hui dans le cas de le poser en faction et de lui donner la consigne. »

Le gouverneur, tout le premier, continno du reste à :o plaindre de l'état de ses finances, il écrit de nouveau au mois de septembre 1754. « Je suis. Monseigneur, plus pressé que jamais sur les arrangements qu'il vous plaira de faire, concernant les finances de mon état ». Il ajoute en même temps qu'il ne reçoit aucune réponse à ses dépêches et que l'elfcctif des troupes se trouve réduit de 1,850 hommes à 1,270.

Tout en demandant des soldats, il insiste sans cesse, tout particulièrement, pour qu'on envoie au moins trois cents Suisses, « car l'on craint trop les autres troupes. »

1. Les cadets à raigiiillctto ou cadets gontilslicnimes étaient de jeunes volontaires servant sans paye, sans être enrôlés, portant renseigne de la conii)agnie et restant toujours libres de renoncer au sorvice. lis faisaient le service des soldats saut les corvées et passaient par tous les grades de sous-officiers.

Kerlérec envoie un long rapport sur les raisons qui l'ont fait relever de son commandement M. de Pontalba, commandant de la Pointe-Coupée. Il n'a rien à lui reprocher, dit-il, mais a dû le changer, parce que tous les habitants, ligués contre lui, l'accusaient de malversation et prétendaient que les gouverneurs le couvraient, moyennant une annuité de douze mille livres ! Ce fait en dit long sur l'état des esprits dans la colonie. On accusait bien Kerlérec d'avoir acheté et monopolisé une cargaison venant de la Rochelle, alors qu'il n'avait fait cette opération que par ordre du Ministre, pour n'avoir pas à racheter de seconde main toute une pacotille nécessaire au gouverneur de Saint-Domingue.

Le chevalier d'Orgon écrit par contre, en mai 1753 : «M. de Kerlérec se fait aimer et respecter ici de tous les ordres, par son accueil noble et gracieux, sa justice, sa fermeté, son amour de l'ordre et son zèle pour le bien public. » D'Auberville lui-même, entre deux chicanes, se laisse aller à dire: « M. de Kerlérec a gagné les cœurs des États qui composent la colonie, par la façon gracieuse avec laquelle il a débuté vis-à-vis d'eux... pour moi, j'ai été bien charmé du choix que Sa Majesté a faite, ayant été fort lié avec lui à Brest, oi^i nous avons servi ensemble près de quinze ans ».

Kerlérec ne lui en voulait du reste pas outre mesure de ses réclamations incessantes, puisqu'il écrit une fois « que ses politesses sont aussi exactes que soutenues» et appuie sa demaodc de nomination comme commissaire général, fonction qu'il ne remplissait que par intérim, en ajoutant il est vrai, «on devrait la lui promettre, mais ne la lui donner que plus tard, comme récompense. » Le 20 juin 1754, le gouverneur reconnaît à d'Aul)erville « de plus en plus (quant au travail), les talents propres à remplir cette place ».

La curieuse lettre suivante, montre combien Kerlérec s'occupait du moral de ses officiers.

18 décembre ITô'i. Monseigneur,

J"ay ou rhonneui- de vous informer qu'à mon arrivée icy, j'avois trouvé un pharaon établi et que, par des ménagements particuliers, je l'avols laissé subsister jusqu'à la fin du carnaval.

Je l'ay interdit depuis cette époque, et eu égard au dérangement arrivé alors parmi quelques officiers et négocians, j'ay porté mon attention jusqu'à défendre tout autre jeu de liazard, mais je vous i)réviens aujourd'liuy, iMonseigneur, que ma vigilance a déplu généralement, même aux personnes (jue je ne me serois jamais avisé de soupçonner avoir un interest personnel à tolérer ces sortes de jeux, je vous préviens aussi avec peine que mes soins à ce sujet n'ont contribué qu'à multiplier dans la ville des tripots où Ton joue tous les jours un jeu outré, et où il se passe des abus très contraires à la bonne jiolice.

J'ay fait tout au monde jusqu'à piésenl pour éventer et découvrir ces sortes d'assemblées, mais comme je suis le seul ù les condamner et que les acteurs ne jouent jamais deux jours dans le même endroit, il ne m'a pas été possible d'y parvenir. C'est pour obvier à de tels abus, Monseigneur, que j'ay crû pouvoir

prendre sui' moy de permettre à l'InMel du gouvernement, un pharaon qui sera donné par des officiers sages et prudens, depuis les Roys jusqu'au dernier jour du Carnaval.

Cette démarche de ma pai't m'a paru d'autant plus nécessaire, que je viens d'être informé qu'un négociant avoit perdu ces jours passés, onze mille livres dans une nuit sans que j'aye pu scavoir chez qui. D'ailleurs, je pense que les armateurs de France, qui correspondent avec cette colonie, me scauront gré de cet arrangement forcé, s'ils n'ont pas oublié que le sieur Girodeau de La Rochelle perdit en 1753 trente mille livres, ainsi que bien d'autres des sommes moins fortes dans les tripots dont je viens de parler.

Plusieurs officiers n'ont pas laissé aussi de s'y déranger ce qui n'arrivera pas chez moy, puis qu'il n'y sera question que d'un fonds de jeu qui pourra amuser. Enfin, Monseigneur, j'ay cru pouvoir en pareil cas prendre sur moy (en vous rendant compte) de me prêter à un petit mal dans la vue d'en éviter de plus grands en bien des genres et de rompre toute assemblée clandestine qui ne peut produire que beaucoup de désordre, même parmi l'artisan qui n'ayant en pareil cas, nul accès chez moy ne perdra pas dans une nuit, le fruit de ses travaux de la semaine et ne laissera pas sa famille sans pain... »

Le départ pour la France de M. de Membrede et celui du Père Jean-François pour la Mobile, ramènent quelque calme. «Ce misérable conseil de discorde me paraît très dissipé», écrit Kerlérec le 28 mai 1754.

Le 29 novembre de la même année arrive le Caméléon avec le premier courrier arrivé depuis le Chariot-Boi/al. Dans ses dépêches, le Ministre demandait avant tout «l'économie la plus étroite ». Kerlérec répond assez justement que si l'argent a été gaspillé dans les constructions, les gouverneurs n'y peuvent rien, n'ayant aucun contrôle effectif sur les ordonnateurs.

On avait, il est vrai, bien fait des folies^: la prison et les latrines des casernes étaient paraît-il de splendides constructions et « le corps de garde, qui coûtera 250,000 livres, sera le plus beau de l'Europe [sic). » Par contre, les forts des Natchez et de Tombekbé, tombaient en ruines, « seul le fort des Arkansas a pu cire reconstruit en 1752, les travaux en sont même payés, mais les fonds n'en sont pas encore ordonnancés ». Quant au poste des Illinois, qui était en construction, l'ingénieur de Vergés, après une visite des lieux, en ramena le devis de 270 à 230,000 livres.