LETTRE
C^ l'Orient, ce !•-. do Février lyjy.
M
ON CHER PERE,
J'ai reçu toutes les Lettres que vous m avez fait rhonneur de m^écrire, vous me demandez un détail éxaa de tout ce qui f'eft paffé dans nôtre route, c'eft un effet de vôtre bonté de vous interreOer à ce qui nous regarde. Il eft jufte de contenter vos defirs pour vous fatiffaire : Voici un efpéce de Journal de nôtre marche depuis Rouen jufqu'àfOrient, Ville Maritime de Balle Bretagne proche le Port-Louis.
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point ncce/Taire de vous répéter toutes les marques d amitié que j'ai reçues des Dames Religieulbs lîrfulines de Roiien, & en particulier des Dames de Vigneral & de Lamberville, qui font à la tête de cette aimable 8: illuftre Communauté, il me luffit de vous afTurer que je n'en perdrai jamais le fouvenir, ici va commencer notre Journal, li je ne vous dis rien capable de piquer la curiofité j'aurai du moins le mérite de robéïflance ' vous voulez du détail, je tacherai de ne rien omettre.
Le Jeudi vingt-quatre Octobre 1726. je partis de Roiien dans le CarolFe de Paris, j'avois pour com-pagne ou plutôt pour condudrices deux Dames Religieules Urfulines, qui dévoient faire une partie de la nouvelle Communauté, Tune étoit la Mère de Saint François Xavier Religieufe Urlliline du Havre, l'autre étoit Madame Cavelier de Rouen Religieufe Urfuline d'Elbeuf, toutes deux d'un caradére affez différent, cependant toutes deux d'un aimable commerce, nous dinàmes à Fleury, & nous fûmes coucher à Saint Clair nous y arrivâmes très-tard, les chemins étoient ti mauvais que nous fûmes contraints de faire plus de deux lieues de nuit, je vous avouerai que
j'eus grande peur de marcher û long-tems au milieu des plus épaifles ténèbres.
Le lendemain vingt-cinq nous paflamcs par Magny, Monlieur le ConfefTeur des Dames Urfu-lines de cette Ville nous arrêta de la part de Madame la Supérieure, nous montâmes au parloir pour la faluer, nous y trouvâmes un déjeuner bien aprêtc, nous reçûmes de ces Dames mille honnè-tetez, elles font toutes gratieufes, notre Mère Supérieure, Madame Tranchepain, 8c Madame Jude ont demeuré dans cette Maifon plulieurs années, elles y font fort eflimées, c'efl fans doute en leur confidération quon nous a fait tant d'amitiez, le loir nous couchâmes à Pontoile , nous logeâmes chez les Dames Urfulines de cette Ville, elles nous reçurent 8c régalèrent très-bien.
Nous pafrûmes le vingt-fix par Saint Denis, 8i nous arrivâmes à quatre heures à Paris à l'en-droit où farrète le Caroffe, nous y trouvâmes la Touriere des Dames Urfulines de Saint Jacques qui nous y attendoit depuis neuf heures du matin, avec ordre de Madame la Supérieure de louer un caroffe, mais nous avions déjà retenu un fiacre, qui nous porta chez lefdites Dames Urfulines de Saint Jacques, où nous fumes reçues on ne peut
pas mieux, Ion nous donna ii cli.icuii Lin aparte-mcnt, Madame la Supérieure eut la bonté de nous y conduire elle-même.
Nous efi^érions ne relier à l"*ans que Irés-peu de jours, mais le Kévérend l\'re d'Avangour, Procu-reur de la Million du Canada ^ de la Louilienne, nous dit que noLis y relierions plus d'un mois, que notre embarquement étant déligné à l'Orient, et le liàtiment qui nous devoit porter à la Loui-lienne n'étant pas encore en état, il étoit plus à l^ropos de relier à Paris qu'à l'Orient, où nous aurions le tems de nous ennuyer^, ce retardement me lit une vraye peine, je ne penfois nuit & jour qu'à notre Million, cependant il fallut prendre p.itience, les bonnes manières de toutes les Dames Irllilines a\ec lelquelles javois l'honneur d'être, adoucirent mes douleurs pendant notre féjour à Paris.
Llles ont eu mille 8c mille boutez pour nous. Madame de Saint Amand la Supérieure, Dame d'un mérite infini, nous a fait prêtent de livres qui feront nécelfaires à notre Communauté, 8c elle a eu la bonté de vouK)ir bien fe charger de nos commif-fions, quand nous aurons befoin de faire venir à la Louilienne quek]ue choie de France : .le vous
airurc, mon cher l>erc, que j ai reçu de la part de toutes ces Dames les marques de la plus fincére amitié, je ne vous dirai point que dans ce Paradis Terrertre j'ai été tentée Si que la tentation a été des plus délicates, mais le Seigneur ma foutenuë, fortifiée de fa grâce, j'ai préféré le fejour de la Nou-velle Orléans à celui de Paris; je vous avouerai feulement qu'au moment de la féparation il y a eu de part & d autres bien des larmes répandues, j'ai éprouvé que j'étois déjà attachée, 8c que fans peine je me ferois accoutumée dans cette agréa-ble maifon; mais, mon cher Père, quand Dieu parle il faut obéïr, ceci doit être fecret, je me reconnois tout-à-fait indigne de Thonneur que ces Dames vouloient me procurer en me recevant dans leur illuftre maifon.
Il étoit incertain Vy partant de Paris nous irions par Orléans & enfuite fur la Loire pour nous rendre ici, lieu de notre embarquement, ou fi nous irions par la Bretagne, mais il fut à la fin conclu que ce feroit par la Bretagne.
Nous partîmes de Paris avec le Révérend Père Doutrelo & le Frère Crucy Jefuites, qui dévoient venir avec nous à la Louifienne, le huit Décembre à cinq heures du matin, après avoir entendu la fainte
xMellc, récite les l'rieres des voyageurs 8c déjeuné, le Carofle de Bretagne vint nous prendre à la porte du Convent, il nous en coûta quarante livres par chaque perfonnepour nous porter jufquïi Rennes, fans compter la nourriture.
De Paris nous fumes dîner à Verfailles, on nous fit voir le magnifique Palais du Roi, il y a dequoi fatiffaire la curiofité, jeus fouvent la penfée de fermer les yeux pour me mortifier, ce genre de mortification ne laille pas de coûter, le foir nous couchâmes à un Village appelle la queue ; le len-demain neuf de Décembre nous dînâmes à Dreux, petite Ville affez peuplée, & fort jolie, le foir nous couchâmes à Brefolles."
Le dix nous dînâmes à Hodan, là nous trou-vâmes un Cavalier de bonne mine qui fuivoit nôtre même route, il voulut en payant quelque chofe au cocher remplir la huitième place de nôtre Carofle, pour difoit-il, pafTer le temps plus agréa-blement avec une H aimable compagnie, nous ne le reçûmes pas des mieux, le Révérend Père Dou-trelo, pour le dégoûter de fon defrein,lui fit entendre que nous avions trois heures de filence à garder matin & foir, le Cavalier répliqua que fi nous ne voulions pas parler, il Tentretiendroit avec le Frère
Crucv, mais quand il fe fut fait connoître nous vîmes bien que nous aurions befoin de lui, qu'il falloit le ménager, qu'étant le Préfident de Mayenne où nosCailTes^Valife & paquets dévoient être vitltez, il pourroit nous fauver cette vifite, qui caule toujours du retardement & de Tem-baras, nous le reçûmes dont, il en ufa avec nous avec beaucoup de politelTe.
Le Révérend Père Doutrelo le pria d'ufer de l'on autorité dans fa Ville, pour empêcher l'ouver-ture de nos Balots , il nous le promit & nous tint parole, il eut l'honnêteté de fe rendre au Bureau de la Douane, 8c rien ne fut vifité, nous couchâ-mes à Mortagne, après avoir pafle un endroit allez dangereux où le Carolfe de Caën à Paris avoit été volé il y avoit huit jours, les chemins commencoient à être très mauvais.
Le onze nous dinàmes au Mefle & nous cou-châmes à AUençon, je ne puis rien dire de cette Ville, nous y arrivâmes de nuit & nous en par-tîmes le lendemain douzième avant le jour, il n'étoit pas encor trois heures du matin que nous étions déjà en route, les chemins étoient \\ peu praticables qu'à peine avions nous fait une demie lieue, qu'il fallut mettre pied à terre, nôtre
B
(^aroiTe embourbe parfaitement, les chartiers joignirent aux douze chevaux qui nous mcnoient vingt-deux bœufs pour tirer notre équipage d'un mauvais pas, nous ne l'attendions point, nous continuâmes nôtre chemin ^ finies environ une lieuë à pied, nous avions très froid, 8c nous ne trouvions pas de mailbns où nous retirer, nous fûmes obligez de nous afleoir fur la terre, le Révérend Père Doutrelo fe mit lur une petite hauteur dans un bois voifm, là comme un autre vSaint Jean-Baptiite, nous exhortoit à la péni-tence, dans le fond nous avions bcfoin de patience, après nous être un peu rcpofez, nous reprîmes notre route, 8: à la fin nous eûmes le bonheur de trouver une petite Chaumière, dans laquelle il n'y avoit qu'une pauvre femme couchée, ce ne fut qu'après bien des fupplications 8c des pro-melïes qu'elle nous fit la grâce de nous ouvrir fa porte, elle n'avoit ny bois ny chandelle, il nous fallut faire du feu avec du genêt, à la lumière duquel le Révérend Père dit Ion Bréviaire en attendant le jour, nous ne manquâmes pas de récompenfer la charité de la bonne femme.
Notre Carolle ne vint nous rejoindre qu'à plus de dix heures, nous ne pûmes faire ce jour-là que
quatre lieues, prefquc toutes à pied, malgré la fatigue nous ne laillions pas de rire fouvent, il arrivoit de temps en temps de petites avantures qui nous divertiiïbient, nous étions tous crotez jufqu'aux oreilles, les Voiles de nos deux Mères étoient mouchetez de terre demi-blanche, cela faifoit un elfet des plus drôles, nous arrivâmes le loir à Majenne, iMonfieur notre Préfident en nous quittant nous prefUi fort de venir loger chez lui, nous ne crûmes pas devoir accepter les olfres toutes gratieufes qu'elles étoient, nous fumes à TAuberge où nous ne relMmes pas long-tems lans nous coucher, car nous étions trés-lalFes, j oublie à vous dire que pendant la route nous ne gardâmes pas fcrupuleufement nos fix heures de lilence, annoncée par le Révérend Père Dou-trelo.
Le treize nous fumes coucher à Laval, c'ert une Ville fort jolie, il y aune Communauté d'Urfulines, mais nous ny lûmes pas loger, il étoit trop tard ^ il ne convenoit pas de déranger une Commu-nauté à heures indue, de plus nous devions partir le lendemain de grand matin, cY^toit un Diman-che, le Père Doutrelo nous dit la Melfe à la Paroilîe qui efl vis à-vis TAuberge où nous étions
logez, nous primes enlliite une tafFe de Chocola pour nôtre déjeuner avant que de partir, toute la Ville étoit à la porte de nôtre Auberge pour nous voir monter en Carofle, quoi-qu'il tombât fortement de la pluye, cela n'empêcha pas le peuple d'être dans la rue depuis cinq heures du matin jusqu'à huit à nous attendre, je remarqué en cette occafion que les Habitans de cette Ville, font aufli curieux qu on Tell à Rouen pour ne rien voir de rare.
Nous allâmes ce jour-là dîner à Vitrel, le Frère Crucy fut député pour nous faire aprêter à manger à TAuberge, pendant que nous irions faluer Madame la Supérieure des Urfulines de cette Ville, elle prit le Père Doutrelo pour un Prêtre de rOratoire, nous la laiflames dans cette penfée, fon erreur nous a bien diverti ; en voyage, mon cher Père, on rit de tout, après une heure de converfation avec cette Dame Supérieure, nous fumes dîner à TAuberge & montâmes en-fuite en CarolTe^ toute la Ville étoit encor en mouvement pour nous voir, vous ne croyez peut-être pas que votre fille dût un jour ainfi piquer la curiofité des Villes entières.
Ce jour-là quinze Décembre nous couchâmes
en un petit Village, où nous trouvàiiicsà l'Auberge deux Pères Capucins qui cherchoicnt à loger, notre Révérend Père les invita à Touper avec nous, on avoit envie de les bien régaler, mais on ne put avoir qu'une loupe au lait a\ec une ome-lette & quelque bagatelle pour Jcd'crt, li nous ne dépenlames pas beaucoup nous rîmes bien en récompenle, nous avons toujours été de très bonne humeur.
Enfin le Mardi leize nous arri\-âmes à Rennes Ville Capitale de la Bretagne, les Dames Urlli-lines eurent la bonté d'envoier leur 1 ourriere un quart de lieue au devant de nous, cette bonne Ibeur nous fit entrer chez un des principaux de la Ville pour nous chauffer, car il failbit trés-froid, le maître de la maifon nous reçut parfaitement bien, & nous vint conduire jufques dans un CarofTe qui nous attendoit à la porte pour nous mener aux Urfulines.
Je ne puis vous dire toutes les honnétetez que nous avons reçues de cette aimable Communauté, il étoit dix heures du matin quand nous y arri-vâmes, & nous y reflàmes jufqu'au lendemain matin huit heures, pendant tout ce temps il n'eft point d'attentions, de gracieufetez 6c d'amitiez
»4
dont Ton nu nous ait accablez de Ki part de ces Dames, le Père Doutrelo lit Ta réMldence au Collège des Jéiuites.
Plulieurs Révérends Percs de ce Collège nous lirent l'honneur de nous rendre vilite au Parloir, ?v nous engagèrent à venir voir leur mailbn 8: leur Kglilc, le (^)llége de Pennes elt mille ibis plus beau que celui de Rouen, les Hàtimens en Ibnt magniliques 8c trés-commodes, quoique TEglilè Ibit très-belle, je trouve cependant dans rKglile du Collège de Rouen quelque choie de plus frapant ^ de plus augulte, je donnerois aulli la préférence au jardin du Collège de notre bonne Ville, pendant que nous vilitions le Collège, ^ que nous recevions bien des honnètetez de la part des Révérends Pères qui le compolent, le Frère Crucy ètoit occupé à faire mettre en état les deux Chailes qu'il avoit arrêtées pour continuer notre route, il vint nous prendre en CarolFe & nous conduifit à la Meffagerie le prix de ces Chailes ètoit de vingt livres par tête pour nous porter en un jour de Rennes à Hennebon.
Nous fumes diner à Hors 8: coucher à Hen-nebon, le Révérend Père Doutrelo avoit envoyé devant Ton valet à cheval, pour nous annoncer à
Madame Tranchcpain, notre cliérc Suptricurc de la LoLiifiennc, elle demeuroit depuis quelque tems chez les Dames Urllilines de Mennebon, où elle nous attendoit, comme il éloitta-d, celte lage Mère nous fit dire de coucher à rAubet\uc pour ne pas déranger la (lommunauté où elle n'éto't pas maîtreOe, ^ quelle enxoycroit le len-demain une 'loLirriere qui nous conduiroit au MonalK're, nous obéîmes fans peine à des ordres fi railbnnables.
Le lendemain huit heures nous arrivâmes aux Urlulines, nôtre chère Supérieure nous reçut à bras ouverts, ^ nous fit mille (\ mille amitié/, la Supérieure de la mailbn^ Dame d'un vrav mé ite, nous reçut pareillement bien, elle ih donner une Chambre au-dehors au Père Doutrelo, un jour après notre arri\ée je vis venir deux Religieiiles Urlùlines de Plehermel conduite par le Ré\é-rend Père Tartarin Jefuite, MifTionnaire de la Louifienne, nous en avons enc;)re une de Hen-nebon, ainfi notre Communauté efl compolée de huit Religieufes ProfelTe, ra\-oir Madame Tranchepain Supérieure, mes Dames Jude & Boulenger de la maifon de Rouen, de Madame de Saint François Xavier, de la mailcjn du Ha^Te,
de Madame Cavelier, de la mailbii d'Elbcuf, de deux Dames de la mailbn de Plehermel^ 8c d'une Dame de la mailbn de Hennebon, il y a deux portulanles^ ma Sœur le iMafTif venue de Tours ^ moi; ^ une Converfe qui eÛ la Sœur Fran-çoile, en tout nous Ibmmes onze, fans compter deux Servantes, il y a bien des Communautez en France, qui ne Ibnt pas fi nombrcules, mais je doute fort quil y en ait dont tous les membres Ibient plus unis 8c plus contents de leur fort.
J'oublie à vous dire, mon cher Père, que fur toute la route depuis Paris jufquïi Hennebon, nous avons été prefque toujours en guerre le Frère Crucy 8c moi, le Révérend Père Davangour nVavoit chargée d'être fa Directrice, 8: Madame de faint Amand, Supérieure de faint Jacques, favoit chargé d'être mon Directeur, nous nous Ibmmes acquitez de notre commilTion à mer-veille, de temps en temps nous nous difions avec franchife nos véritez, le tout fe faifoit gayement, de mon naturel je ne fuis pas mélancolique, le bon cher Frère ne feft pas non plus, de fois à autre on rioit à nos dépens, mais étant les plus jeunes il nous convenoit de défrayer la Com-pagnie.
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Lcis Révcrcnds Percs Tartarin ^c Doutrelo, qui doivent faire le voyage avec nous, rembarquè-rent le lendemain pour TOrient afin de prefler la charge du VailTeau qui doit nous porter à la l.ouilienne^ i ,'s fumes témoins de rembarque-ment, il le fit . A porte du Monallére que la Mer arrofe, nous vîmes les deux Pères monter dans une jolie petite barque, & nous leur Ibuhaitàmes un bon voyage.
Nos Révérendes Mères avant de partir de Rouen m avoient accordé deux grâces. Premiè-rement, que mon Noviciat commcnceroit du jour de mon départ de Rouen pour Paris. Seconde-ment, que je prendrois le Saint Habit de Religion à Hennebon, ayant reçu mon extrait Baptiftaire que vous avez eu la bonté de m'envoyer, je fis reflbuvenir Madame Tranchepain de fa pro-melTe, elle m'écouta volontiers, & me la tenue fidellement, le Révérend Père Doutrelo fe donna la peine d'aller à Vennes demander la permilTion à Monfeigneur TEvêque, ce Prélat l'accorda fans difficulté, la Cérémonie de ma Prife d'Habit fe fit le dix-neuf de Janvier 1727. avec beaucoup de tblemnité, j'ai pris le nom de Saint Stanillas, Madame Tranchepain nôtre Supérieure régala
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toute la Communauté d'Henncbon, le lendemain de ma Véture, Ton me donna le voile noir, que je conlerverai pendant tout le voyage.
D'Hennebon nous nous embarquâmes dans un Carofle d'eau fur la mer, dans lequel Monfieur Morin, riche Marchand de l'Orient, eut la bonté de venir avec nos Révérends Pères pour nous prendre & nous amener ici, nous ne fumes nulle-ment incommodez des deux lieues que nous fîmes fur mer, nous avons toujours logé chez ledit Sieur Morin, ceû un homme d'une grande politelfe ^ d'un vrai mérite, nous lui avons bien des obli-gations, nous fommes chez lui prefque aufïï commodément que dans une Communauté, nous y avons une Chambre qui nousfert de Chœur, une autre de Refec%ire,&plufieurs autres de Dortoirs.
Nos Révérends Pères mènent avec eux un Menuifier, un Serrurier, & plufieurs autres ouvriers, pour nous mon cher Père, n'en foyez pas fcandalifé c'eft la mode du païs, nous menons un Morre pour nous fervir, nous menons aulïi un fort joli petit chat, qui a voulu être de notre Communauté, fuppofant apparemment qu'il y a à la Louifienne comme en France, des fouris, & des rats.
Je ne fuis nullement fâchée des bruits que Ton tait courir dans Rouen, llir mon fujet, on pré-tend que je ncn fuis point partie, & qu'on m'y voit Ibuvcnt, cela m'elt glorieux d'être en même tems dans deux Villes fi éloignées fune de l'autre, je me fouviens d'avoir lu dans la Vie de Saint François Xavier, que ce grand Apôtre des Indes ^ du Japon fe trou voit fou vent tout à la fois en divers lieux, ce qui eu regardé comme un très-grand prodige, je ne fuis pas mon cher Père, une cMfez grande Sainte pour opérer de pareils mira-cles, je fuis certainement, non à Rouen, mais a 1 Orient, & j'y fuis toujours trés-gaye 8: trés-contente dans ma vocation, bien réfolue d'en remplir les devoirs le mieux qu'il me fera pof-fible. ^
II partit d'ici le deux de ce mois un vaifleau pour Pontichery, il porte trois Révérends Pères Jéfuites Miffionnaires, avant leur départ ils nous ont fait fhonneur de nous venir voir 6c de dîner avec nous plufieurs fois, ils voulurent débaucher la moitié de notre Communauté pour établir un Convent d'Urfulines à Pontichery, mais le Révé-rend Père Tartarin n'en a voulu donner aucune, nous avons la confolation d'être tranfportées
dans un vaiireau, dont tous les principauxOfficicrs, nous paroidcnt de trés-honnètes gens.
Nos Révérends Pères ne veulent point que nous dirions nôtre, comme vous Içavez que Ton dit dans les Convents, parce que, dilent-ils, au premier moment nous entendrions les Matelots Ten mocquer, 8; diroient notre loupe, notre bonnet, ainfi du rerte, ^ il Ib trouve que depuis qu'ils nous lont dellendu, je ne fçaurois m"em-pècher de le dire, 8: même julques à dire notre nez, 8:1e Père Tartarin me dit Ibuvent, ma Sceur levez notre tète, 8c le tout pour rire 8; nous didraire de nos fatigues.
Le Révérend Père TartiM'in dit, qu'il fe mo-quera bien de nous û nous nous trouvons indif-polées l'ur la mer nprés notre embarquement 8. nottamment de celle qui commencera, je Ibu-haite être la première pour en être plutôt quitte, 8: avoir le plailir de rire des autres à mon tour.
L'on embarque dans notre vailTeau une quan-tité de Moutons 8: cinq cens Poulies, on n a pas envie, comme vous le voyez, que nous mourions de faim fur la route.
Enfin, mon cher Pere, eft arrivé ce jour, ce grand jour, ce jour tant défiré, pour notre départ, le
vent fest rendu favorable, ^ I on nous avertit pre-lentement, qu'il faut nous embarquer dans une heure, je ne puis vous exprimer la joye de toute notre Communauté, pour la mienne elle leroii fans pareille, fi elle n'étoit tempérée par la douleur que je reffens en m'éloigni'nt de vous, 8c de ma chère Mère pour qui j'aurai toute ma vie la plus vive reconnoiflance, lors que je me rapelle toutes les bontez que vous avez eues pour moi, je ne puis que je ne m'attendrifle, il n"y a que Dieu ieul dont j'entens 8c je lliis la voix qui puiire me léparer de parens, dont j'ai mille fois éprouvé la tendrelîe 8c que j'embrallé maintenant de tout cœur.
Nous allons tout prelentement nous embarquer quoi que les pacquets de Madame Cavelier 8c les miens, qu'on avoit envoyez par le Ha^■^e pour être transportez ici, ne Ibient pas encore arri\ez, peut-être que le bon Dieu les ayant jugez lliper-flus, aura permis qu'ils Ibient coulez au fond de la mer, que la lainte volonté foit faite, fils vien-nent à bon port, on nous les envoyera dans un autre bâtiment.
Monlleur Morin à la bonté de venir avec un aflez grand nombre des principaux Habitans
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do la Ville^ nous conduire jalquà la première dîiiée trois licuës fur mer, 8c ils reviendront ce loir dans une barque.
Je luis embarafTée comment nous allons pou-voir monter dans notre Vailleau, car il cft très-haut de bf)rd, le Révérend Père Tartarin dit qu'il nous fera mettre deux à deux dans une pouche, 8c qu'on nous guindera avec une poulie, comme Ion fait un ballot, mais notre Capitaine quoi que peu expérimenté dans la charge d'une telle Mar-chandile, nous afTure qu'il nous fera monter plus commodément, à Içavoir alfifes dans un fauteuil l'une après l'autre.
Adieu mon très-cher Père, je vous lupplie de me donner fouvent de vos chères nouvelles, je n'ai rien au monde de plus cher, que vous & ma chère Mère, foyez perfuadez quil ne falloit pas moins, pour me féparer de vos chères perlbnnes, que la gloire d'un Dieu, & le falut de fes pauvres Sauvages, mais je vous alTure que je ne ferai féparèe de vous que de corps, je vous ferai tou-jours unie d'efprit & de cœur, mais comme je ne puis rien de moi-même, je m'adrelfe à celui qui peut feul vous combler de bénédictions je le prie chaque jour, pour la confervation de vos fantez,
^: la lanâiiication de vos âmes, je vous demande en grâce de ne pas oublier une fille, qui fera toute la vie, avec le plus profond refped ^ la plus parfaite reconnoillance,
MON TRES-CHKR PERE,
Vôtre trcs-humblc lSc trcs-obcïlTantc Fille & fcrvante Hachard de Saint Stanillas.
qapproba rioN.
t'ai lu par l'Ordre de Monfieur le Lieutenant J Général de Police, la Première Lettre d'une Dame Urfuline : je n'y ai rien trouvé qui puilfe en empêcher Timpreffion, à Rouen le lo. Juin 1728.
1-E Gros.
Vu rApprobation du Sieur le Gros, permis d'imprimer à Roiien, ce jo. Juin 1-28.
DE HOLPPEVILLE.
^*«^#####^i^«^«^^®-
LETTRE
A LA NOUVELLE ORLÉANS, Ce vingt Jeptiémc OÛobre 1727-
M
ON CHER PERE,
J ai reçu Thonneur de la vôtre dattée du fix Avril dernier, je Tai reçue le vingt de ce mois veuille de Sainte Urfulle fortant de retraite, jugez mon très-cher Père, quelle fut ma joye d'apprendre de vos chères nouvelles, de celles de ma chère Mère, 8c de toutes mes fœurs, vous avez dû recevoir deux de mes Lettres, Tune écrite la veuille de nôtre Embarquement à TOrient Ville de baffe Bretagne, & l'autre à la Caille Saint Louis, un des Ports de Tlfle Saint Domingue, dans la première du vingt-deux Février 1727. Je vous marquois tout ce qui f'étoit paffé fur notre route depuis Rouen julqu'à nôtre Embarquement
D
\ dans la lecondc du quatorze May notre arrivée en cette Ille, vous voyez, mon cher Père, que je ne perds pas une feule occafion pour vous témoi-gner la reconnoilfance parfaite que j'ai de toutes les bontez que vous avez eu pour moi, mais par-ticulièrement de fheureux confentement que vous avez donné à mon départ, contre lavis de tant de perfonnes qui f'oppofoient aux delïeins de Dieu, de toutes les obligations que je vous ai, je regarde cette dernière, comme la plus grande, ^ la plus agréable à Dieu, comme ma reconnoif fance quelque parfaite quelle foit, efl toujours j^eu de chofe, je m'adrefle tous les jours à Notre-Seigneur, & le prie qu'il foit vôtre récompenfe, 8i qu'il vous conferve une parfaite fanté.
Ceux qui vous ont dit que nous avions été en péril pendant quinze jours à la Rade de l'Orient, ce font bien trompez, il eft vrai que nous fûmes viron un heure en péril, après quoi nous fecoua-mes les oreilles comme font les Ecolieres, & nous nous remimes en route, il n'y parut plus, finon que nôtre vaiffeau faifoit un peu d'eau, & qu'on étoit obligé de pomper toutes les deux heures, 8c quelquefois plus fouvent, il fe peut faire que les habitans de l'Orient nous ayent crûs perdus, mais
quand bien même, cela auroit été, nous n'aurions ctc perdus avec la grâce de Dieu, que pour le monde, mais non, Nùtre-Seigncur ne l"ell point contenté de notre bonne volonté, il veut encore ici en voir retfet.
Vous m'aprenez que ma fœur Louilbn polUile au Val-de-Grace, je Ibuhaite de tout mon cœur, quelle Ibit Religieufe dans cette fainte Mailbn, elle aura Tavantage d'y vivre avec une perlbnne dont j'honore fingulierement le mérite 8: Ja vertu, c'ell Madame de Que vre ville, le Seigneur lui a voit donné comme à moi, vocation pour nôtre établil-lement de la Louifienne, je comptois bien faire ce voyage avec une fi aimable compagnie, mais des raifons de famille l'ont retenue en France, f'y ma Ibeur m'en croît elle luivra exadement les avis du Révérend Père Houppeville mon ancien Directeur & à prefent le fien, je délire qu'ils lui l'oient aufTi falutaires qu'à moi.
J'aurai bien de la joye, fi ma fœur Elifabeth continue à refter à Saint François, quel bonheur pour elle f'y elle pouvoit y être Religieufe avec ma fœur Aînée, je me flate que vous m'inftruirez des progrès que mon cher frère fera dans les fciences, le plus ardent defir de mon cœur ell
qu'il foit un jour, ou un bon faint Prêtre, ou un tervant Miflionnaire Jefuite, le frère d'une de nos Mères, eft Miffionnaire à cinq ou fix cens lieues d'ici c'eft le Révérend Père Boullanger Jefuite, je fuis cependant un peu fâchée contre mon frère de ce qu'il ne m'a point écrit, f'y c'eft une plume qui lui manque qu'il me le dife confidament, & je lui en envoyerai une, où fi ceft qu'il ait oublié à écrire c'efl une autre affaire je le prie de raprendre, & de me donner par la première occa-fion, de fes nouvelles, j'attens aulïi la même grâce de ma fœur Dorothée que j'embrafTe de tout mon cœur.
Pour mon frère le Religieux, il ne m'a pas fait l'honneur de m'écrire, leroit-il fâché contre moi, ou me croît-il fâchée contre lui, il eft vrai que pour me détourner de mon deflein, il me dit avant mon départ bien des chofes qui ne dévoient pas me faire plaifir, mais jai regardé tout cela comme une épreuves & même comme une marque de fon amitié, mon cher Père, quand on eft afluré de faire la volonté de Dieu, on compte pour rien les dilbours des hommes, bien des gens ont traité nôtre entreprife de folie, mais ce qui ert folie aux yeux du monde, eu lagefTe aux yeux du Seigneur,
fy ce cher frère ert encore fâché contre moi de ce que je n'ai pas déféré aveuglement à les avis, je vous luplie de faire ma paix avec lui, f'y je ne lui écris pas, c'ell que naturellement timide je n oie prendre cette liberté qu'il ne nVen ait donné auparavant la permiOion, je crois cepen-dant quil ne m'a pas oublié pendant nôtre Navigation. Il me lemble même avoir reflenti Teffet de fes fervantes prières dans plufieurs ren-contres, ou je vous aflure que nous devions périr, chacun difoit dans notre Vaiffeau nommé la Gironde, que de dix Vailleaux qui auroient autant de fecouffes que le notre, il n'y en auroit pas un de rechapé, qu'il falloit qu'il y eut de bonnes âmes qui priaient pour nous, à la tète de fes bonnes âmes je mettois toujours ce cher frère, je vous prie de l'afifurer que je conlerve toujours pour lui l'attachement le plus fmcere
Quoi que je ne connoilTe pas encore parfaite-ment le Pais de la Louifienne je vais cependant, mon cher Père, vous en faire un petit détail, & je puis vous affurer qu'il ne me femble pas être à Miflicipy, il y a autant de magnificence & de politefïe qu'en France, les Etoffes dor & de Velours y font communes, quoi que trois
fois plus chères qu'à Rouen, le Pain y coûte dix fols la livre, il eft fait de farine de Bled d'Inde autrement Bled de Turquie, les œufs quarante-cinq & cinquante fols la douzaine, le lait quatorze fols le pot, moitié mefure de France, nous y mangons de la viande, du Poilfon, des Poix & des Fèves Sauvages, & plufieurs fruits & Légumes, comme des Ananas qui eft le plus excellent de tous les fruits, des Melons d'eau, des Patates, des Sabotines, qui font à peu prés comme des Pommes de Rai-nette grife en France, des Figues Banales, des Pacanes, des Noix d'Arcajous que fi-tôt qu'on en mangent prennent à la gorge, des Girmons, qui font comme des efpeces de Citrouilles, & mille autres fruits qui ne font pas encore venus à ma connoiflance.
Enfin nous vivons de Bœufs Sauvages, de Chevreuils, de Signes, d'Oirs & Dindes Sau-vages, de Lièvres, Poulies, Canards, Serceiles, Faifants, Perdrix, Cailles & autres Volailles & Gibier de différentes efpeces, les Rivières y font fécondes en poifTons monftrueux, nottament des Barbues, qui eft un excellent Poiflbn, des Rais, des Carpes, des Salmandes, & une infinité d'au-
très Polirons qu'on ne connoît point en France, Ton fait beaucoup d'ufage ici de Chocolat au lait & de Caffé, une Dame de ce Pais nous en a donné bonne proviflion^ nous en prenons tous les jours Ton fait trois jours gras chaque femaine en Carême, & le cours de Tannée le Samedi gras comme aux Ifles Saint Domingue, nous nous accoutumons à merveilles aux vivre Sauvages de ce Pais, nous mangeons du Pain moitié ris & moitié farine, il y a ici du Raifin Sauvage, plus gros que le Raifin François, mais il neft point en grape, on le fert dans un plat comme des Prunes, ce que Ion mange davan-tage & qui eft plus commun eft du Rit au laiî, & de la fagamité que Ton fait avec du Bled dinde broyé dans un mortier, puis l'on fait bouillir la farine dans de Teau avec du Beurre ou de la graifïe, le peuple de toute la Louificnne trouve ce manger trés-bon.
J'ai été curieufe de m'informer de Tétat du terrain de ce Pays, afin, mon cher Père, de pou-voir vous en donner quelque petite idée, vous apellez ce lieu-ci tantôt la Louifienne & tantôt Mifiifipi, mais ce doit être la Louificnne, c'eft le nom que lui donna Monfieur Robert Cavelier
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Sieur de la Salles natif de Roiien, quand il y vint avec le Sieur Jouftel & plufieurs autres perfonnes de la môme Ville , faire la première découverte en 1676. & en i685. En confideration du Régne de Louis le Grand, & ce nom de la Loui-fienne lui ert refté^ mais le nom de Miflifipi c'eft le fleuve qui f appelloit ainfi, auquel ledit Sieur de la Salle donna le nom de fleuve Colbert, parce que Monfieur Colbert étoit lors Miniftre d'Etat, mais ce nom de Colbert ne lui a pas reflé, Ton a continué de le nommer le fleuve de Miinfipi, & plufieurs le nomment à prelent le fleuve Saint Louis, c'efl le plus grand fleuve qu'il y ait dans toute TAmérique excepté celui de Saint Laurent, il fe joint à ce fleuve de iMiflifipi une infinité de Rivières, il a lept à huit cens lieues depuis la fource julqu'au Golfe du Mexique dans lequel il le décharge, mais il n'eft pas Navigable il n'y peut monter & defcendre aucuns Bâti-mens mais feulement des petites Chaloupes qui peuvent porter douze ou quinze perfonnes, d'au-tant que ce fleuve étant borné par des Forêts de hauts Arbres, la rapidité de fes eaux cave & creufe la terre du Rivage, de façon que les Arbres y tombent, & il fen joint à certains lieux
une quantité qui ferment le paflage de la Rivière, ce feroit un travail infini & des dépenfes immenfes, fi Ion vouloit débaraffer tous ces Arbres pour rendre ce fleuve Navigable Si en état d y faire monter 8c defcendre des Bateaux, à joindre qu'il y a des bancs de fable par diftance, & qu'il y faudroit faire un Talut.
Nous Ibmmes ici plus prés du SoJeil qu a Rouen, fans cependant y avoir de très-grandes chaleurs, FHiver y eft affez modéré, il dure pendant viron trois mois, mais ce ne font que des petites gelées blanche ; l'on nous a alTuré que le pais de la Louifienne eft quatre fois plus grand que la France, les terres font trés-fertilles, «c raportent plufieurs récoltes chaque année,' non pas le long du Fleuve & des Rivières, car ce ne font en la plupart que des Forêts de Chênes, & autres arbres de hauteur & de groffeur prodigieufe, des Rozeaux & des Cannes qui croilfent de dix quinze & vingt pieds de hauteur, mais à quelques fieûes de là ce font des prairies,' des pleines, & des campagnes, où il croit une quantité d'arbres nommez des Cottonniers, quoi qu'ils ne raportent point de Cotton; des Chico-mores, Meuriers, Châtaigniers, Figuiers, Aman-
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diers, Noyers, Citronniers, Orangers, Grenadiers, ^ autres qui font la beauté des Campagnes, fi le terrain étoit cultivé il n'en feroit pas de meil-leur au monde, mais pour cela il faudroit qu'il tût autrement peuplé, & qu'il y vint de France des ouvriers de tous métiers, un Homme y tra-vaillant feulement deux jours à bêcher la terre, & y en femenfer du bled, en recueillira plus que fuffisament pour fe nourir pendant toute Tannée, mais la plupart des Peuples y vivent dans Toifiveté, & ne f'apliquent prefque qu'à la Chafle & à la Pêcher la Compagnie fait beau-coup de Commerce de Pelletrie, Caflors, & autres Marchandifes avec les Sauvages, qui font gens dont la plupart font trés-fofiable. Voilà tout ce que j'ai pu aprendre de l'état de ce païs, je vous en informerai plus emplement par la fuite, quand j'en ferai plus inftruite.
Vous me marquez, mon cher Père, avoir acheté deux grandes Cartes de l'état du Miflifipi» & que vous n'y trouvez pas la Nouvelle Orléans, il faut aparament que ces Cartes foient anciennes, car l'on n'auroit pas dû y obmettre cette Ville Capitalle du païs; je fuis fâchée qu'il vous aye coûté cent-dix fols pour n'y pas trouver le lieu
de notre refidence ; Ton va je croi faire de nouvelles Cartes où notre établifTement fera marqué.
Nous avons fait huit jours de Retraite avant la Sainte Urfule, le Révérend Père de Beaubois nous faifoit tous les jours trois Conférences, notre poftulante Demoifelle de Tours a pris l'Habit le jour de Sainte Urfule, & ma Sœur Françoife le va prendre le jour de la Touffains, nous fommes ici autant bien logez que l'on peut fouhaiter, en attendant que notre Couvent foit achevé de bâtir; il n'y a point de Maifon Reli-gieufe qui aye fi bien été dans leur commence-ment; en arrivant ici le Révérend Père de Beaubois nous aprit qu'il venoit de perdre neuf Nègres qui avoient péri d'un feul coup de vent de Nord, c'eft une perte de neuf mille livres, la Compagnie des Indes nous en a donné huit il y a quinze jours, dont deux fe font enfuits apara-ment dans les bois ou ailleurs, il fen eft aufli évadé quatorze ou quinze à la Compagnie le même jour, nous en avons gardé une belle pour nous fervir, & le refte nous les avons envoiyés à notre habitation pour cultiver nos terres, cette habitation n'eft qu'à une lietie d'ici, nous y avons
Lin Econome K: la Fcmmu qui ont loin de con-lerver nos intérêts.
Nous gardons ici la clôture avec autant de régularité que les Convents de France-, li nous avions le malheur que le Révérend Père de Beaubois tut malade, & qu'il ne put pas nous venir dire la MeH'e, nous la perdrions le jour de Pâques, 8c même pendant lix mois plutôt que de Ibrtir de notre Couvent pour l'aller chercher à la Paroille.
Les Révérends Pères Tartarin & Doutrelo, lont partis d'ici il y a fix l'emaines pour trouver leur polie vers les Illinois, notre Révérend Père Supérieur eil maintenant Teul ici avec le Frère Paril'el.
Je ne vous parlerai point, mon cher Père, des mœurs des léculiers de ce Pays ne les connoif-lant pas ^ n'ayant nulle envie de les connoître, mais l'on dit, que ce font des mœurs bien cor-rompus & bien médilans, il y a aulli un très-grand nombre d'honnètes-gens, il ne f'y voit aucunes de Tes filles qu'on difoit y avoir été envoyées par force, il n'en eft parvenu aucunes jufques ici, vous dites, mon cher Père, que le Révérend Père de Houppeville fait toutes fes
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dévotes Keligieull's, nous aurions bcfoin ici de ce Révérend I^Te, non pas pour y l'aire des Keligieulés, mais des dévotes, car un Kévérend Pere Capucin nous allura l'autre jour qu'il n'y en avoit pas une dans tout le païs, ny aux en-virons.
'loutes nos Mères font en parfaite lanté. excepté notre Kévérende Mère Supérieure, que nous avons eu le chagrin de voir prelque tou-jours malade depuis que nous Ibmmes ici, elle ell cependant un peu mieux qu'elle n'a été, elle vous lalué, ainli que toute notre Communauté.
Je vous all'ùre, mon cher Père, qu'elles ont toujours mille & mille bonté/ pour moi, prin-cipalement nôtre aimable Mère Supérieure, plus je luis Tous fa conduite, plus je l'aime, je reçois tous les jours de nouvelles marques de fa ten-drefl'e, ce qui me fait peine ert que je ne le mérite pas, je fuis contente on ne le peut davantage, enfin autant qu on le peut être en ce monde, & qui ne le feroit me trouvant dans une fociété de faintes filles. Ton voit bien que c'eft le bon Dieu qui a lui-même choifi fes fujcts, car il n'y a pas une de fes Mères qui n'aye un mérite infini, & une dévotion des plus parfaites, nota-
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ment notre Révérende Mère Supérieure, & la Mère de S. François Xavier maîtrerte des Novices, qui étoit aux Urfulines du Havre, & avec laquelle je partis de Rouen, nous ne ferions pas furprifes de leur voir faire des miracles, c'eft à moi de marcher fur leurs traces, fuivre leurs exemples, Ik les imiter en tout ce que je pourrai.
Je fupofe que ma fœur Aînée fe porte bien, je fuis furprife qu'elle ne m'aye pas écrit, je rembralfc de tout mon cœur & me recommande à fes faintes prières.
J'oublie à vous dire, mon cher Père, que dans le péril où nous avons été dans la Gironde, je promis aux âmes du Purgatoire ïïx Mefles, à condition que vous voudriez bien avoir la bonté de les faire dire, étant perfuadé de votre bon cœur, & que vous ne me les refuferez pas. Ce paquet va partir dans le Prince de Conty, qui vient de nous aporter des Naigres de la Guinée, la Gironde part d'icy au même-temps, ainfi que le Dromadaire, mais jefpére que le Prince de Conty, eft le meilleur voillier & qu'il arrivera le premier en France, & mettra à l'inf-tant ce paquet à la porte de l'Orient pour vous être tenu.
Je vous alfùre^ mon cher Père, que mon éloignement ne diminue en rien reftime 8c le refped que j'ai toujours eu pour vous, fi je n'étois aufli contente dans ma vocation que je le fuis, Téloignement de vos chères perfonnes feroit pour moi un chagrin très-grand.
Je me porte parfaitement bien grâces au Sei-gneur, je fouhaite que votre fanté foit aulTi bonne, je n'ai été nullement incommodée de la mer, quoi que notre traverfe aye été très-longue, 8c très-difficile, caufée par les vents qui nous ont été prefque toujours contraires, je vous envoyé une Relation de tout notre voyage, elle vous fera fans doute plaifir, je finis crainte de vous ennuyer, adieu mon très-cher Père, je vous embrafle mille fois, mais non je ne puis vous êtes trop loin, je prie donc mon cher Frère de f'acquitter pour moi de cette aimable commiflion, je fuis de tout mon cœur, dans un profond refped 8c une parfaite reconnoiifance,
MON CHER PERE,
Vôtre trés-humble & trés-obcïfTantc Fille & Servante HaCHARD de Saint StaniHas.
40 ^APPROBATION.
J
'ai Iû par l'Ordre de Monfieur le Lieutenant Général de Police, la féconde Lettre d'une Dame Urfuline , je ny ai rien trouvé qui puirte en empêcher rimprelTion. A Rouen le lo. Juin 1728.
LE Gros.
Vu l'Approbation du Sieur le Gros, permis d'imprimer à Rouen, ce 10. Juin 1728.
DE HOUPPEVILLE.
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RELATION.
A LA NOUVELLE ORLÉANS
Ce vingt-feptième Oâobre 1^27.
VOus m'avez témoigné, mon cher Père, Ibu-haiter d'avoir une Relation de notre Voyage, c'eft un effet de votre bon cœur, de prendre in-térêt à ce qui nous regarde, s'en eft un de ma reconnoiflance de vous contenter en tout ce que je pourrai, voici une confeflion généralle de tout ce qui s'eft paffé depuis mon départ de France, voyez combien je fuis fidèle à vous rendre mes comptes.
Nous nous Embarquâmes le vingt-deuxième Février 1727. dans le Vaiffeau de la Gironde com-mandée par Monfieur de Vauberci, le fécond
Capitaine ctoit Monfieur Gucret, ce dernier a eu pour nous des égards & des attentions s'y grandes que nous ne pourons jamais lui en marquer afrez de reconnoirt'ance, avant que de nous Embarquer nous fumes prendre congé de Monfieur Dufaillet Commandant de TOrient, \' Directeur de la Compagnie des Indes, auquel nous avons aulîi beaucoup d'obligation , de-là nous nous rendîmes au VaiU'eau accompagné de Monfieur & de Madame Morin & de plulieurs de nos amis qui voulurent bien prélîder à notre E^mbarquement, Meilleurs nos Capitaines nous reçurent à bord ou ils nous attendoient, mais le vent ayant changé il tut rclblu que nous ne mettrions à la voille que le lendemain, ce retaidement nous donna le temps de nous arranger dans notre chambre, c'étoit une clouailbn que Ion avoit laite pour nous dans Tentrepont de dix-huit pieds de long & de fept ou huit de large, nous étions de notre bande dans cet endroit, fix lits chaque coté, trois l'un fur l'autre de forte que nous n'avions pas la commodité d'être affiles fur nos lits fans fentir le plancher, pour moi je puis vous alfurer que j'y ai été fou-vent attrapée puifque j'étois une de celles qui couchoient en haut, parce qu'on y avoit mis les
plus légères, une de nos (œurs qui faifoit la treizième couchoit en bas au paiFage.
Dans cet endroit il y avoit pour toute fenêtre deux fabots grands comme deux fois la main, en-core bien Ibuvent ne pouvoit-on les ouvrir à caule des lames d'eau qui venoient nous arroler jufques dans nos lits, nous étions obligez de nous lever & coucher, les unes après les autres, ne pouvans être dans notre chambre plus de deux ou trois à la fois, malgré les extrêmes chaleurs que nous avons eflbyez dans cette étuve, le Seigneur nous a toujours conlervez en parfaite fanté, nous avions la confolalion d'être feules dans notre chambre, tous les autres palFagers étoient enfemble dans la Sainte Barbe, nos Révérends Pères étoient encor plus mal que nous, ils n'avoient qu'un méchant petit trou qui n'avoit aucun jour, ils furent obligez de le quitter ne pouvant y relkr dans les grandes chaleurs, ils prirent le parti de coucher fur la du-nette au gré du vent & de la pluye, la tête enfermée dans un panier à laifTive, pour recevoir la pluye quand il en venoit.
L'on mit donc à la voille le lendemain vingt-troifiéme Février à deux heures après midi le temps étoit beau, nous étions montez bonne com-
pagnie lur la dunette, quand à demie lieue de rOricnt, notre vaifleau toucha deux fois contre un Rocher, le choc fut trés-rude & caufa Talarme dans le Vaifleau, Ton haufla en môme temps les voilles, cela ayant été remarqué au Port de TOrient, Ton ne manqua pas d'avertir Monfieur Dufaillet que notre VailTeau étoit échoué, ce Monfieur & encore plufieurs autres vinrent à notre fecours, il nous dit qu'il auroit été trifte que nous euffions fait naufrage au Port, il nous r'aflura de la crainte que nous avions eue, »k fit travailler avec tant de vigueur que nous nous trouvâmes délivrez de cette première frayeur, & en état de continuer notre route, notre Vaifleau ne reçut aucun dom-mage de ce coup û terrible, ce fut alors que chacun commença à payer le tribut à la mer, pas une n'en échapa, mais celles qui ont été les moins malades, ce fut la Mère le Boullanger &
moi qui en fumes quittes pour quelques maux de cœur.
Les vents changèrent & nous devinrent tout à fait contraires, le Vaifleau étoit dans une agitation continuelle, & faifoit des bonds qui nous ren-verfoient les uns fur les autres, la fouppe n'étoit pas plutôt mife fur la table qu'elle étoit renverfée
lur la nappe, à moins qu'on eut la précaution de la bien tenir à deux mains encore falloit-il que ce fut un Marin, car nous autres nous avions afl'ez que de nous tenir nous-mêmes, cela contribuoit quelquefois à nous faire rire malgré le mal de mer qui eft une maladie très violente & qui réduit à une elpece d'extrémité, mais quand une fois on la connoît Ton ne s'en inquiète point parce qu'on n'en meurt pas^ notre Révérende Mère Supérieure a été celle qui s'en eft reffentie plus long-temps, mais cela n'a rien diminué de Ion zélé & de Ion courage pour la gloire de Dieu, il luffilbit de la regarder pour nous animer non-feulement à Ibuffrir avec patience, mais encore avec joye, nous avons eu la confolation de voir que malgré le mal de mer & les autres épreuves que nous avons eues, caulez par les tempêtes la longueur de la Navigation & la rencontre des Corlaires, aucune ne s'eft repentie du facrifice qu'elle a fait d'elle même à Dieu, ni même qui ait paru s'in-quietter des rifques ou nous avons plusieurs fois cru être à caufe des mauvais temps.
Ce fut dans cette fçituation que notre Révérende Mère Supérieure fit un Vœu en fon nom & celui de la Communauté à la Sainte Vierge & à Saint
François Xavier alîn de mcriter leur protedion, la tempête étoit fi forte & la mer fi orageufe quelle cauHi la mort à quarante-neuf moutons, vScà une quanfitédcpoulles qu'onavoit embarquez dans notre VaiiTeau pour notre nouriture & celle de rp:quipage, on les trouva étouffez k on les jetta à la mer, de ce qui diminua beaucoup nos vivres vSc nous rcduifit à manger du rit à Teau, du bœuf fallé & du lard fi mauvais que nous n'en pouvions manger, & des Fèves accommodez avec du faindoux n'ayant point de beurre, mais toute cette mauvaife nourriture n'a point affoibli nos fantez. Enfin le vent étant contraire notre Vaiffeau Il avanfoit gucres, en quinze jours nous ne fîmes pas le chemin de trois, cela diminuoit aufli notre eau enibrte que nous fumes réduits ainfi que l'équipage à demi pinte d'eau par jour encore étoit elle trés-mauvaife, fi nos Capitaines avoient trouvé le vent favorable ils auroient relâché aux Canaries pour y taire de l'eau, mais le vent n'étoit favorable que pour retourner au Port Loiiis, ce qui obligea nôtre Capitaine de relâcher à l'Ifle de Madère le douze Mars à trois cens lieues de rOrient.
Cette Ifle apartient au Roy de Portugal, elle
t{\ diviléc en trois Villes, la principalle elt Epil-copalle & c'ert celle ou nous fumes en rade, aulTi-tôt qu'on nous aperçut on envoya un Canot au devant de nous pour Içavoir ce que nous voulions, les envoyez furent latisfaits aulTi-tôt, notre Capi-taine falua la Ville par lept coups de canon, la Ville lui répondit par cinq autres, enlliite nous jetâmes TAncre, ceux qui étoient venus nous voir ayant raporté qu'il y avoit dans le Vaiffeau un Convent de Religieufes & plufieurs Jeluites Mif-fionnaires, cette nouvelle picqua la curiofité & nous attira bien des vifites, les Pères de la Com-pagnie de Jellis qui ont dans cette Ville un fameux Collège furent des premiers à le rendre à notre bord, ils ne donnèrent pas le temps à nos Pères de les prévenir.
L'on ne peut être plus gratieux que Ibnt l'es Pères, il ni en avoit qu'un qui parla FrançoivS, mais il nous dit mille chofes obligeantes au nom de tous, ils nous préfèrent d'aller à terre, & de prendre notre logement chez eux^ mais nous les remerciâmes, nos Révérends Pères furent le lendemain dîner chez eux, on les reçut avec poli-tefTe, on les traita avec magnificence & pour prefent on leur donna un Bellier.
Nous eûmes aufTi part à la générofité de fes Itères, il nous aporterent eux-mêmes de grands pannicrs pleins de toutes fortes de rafraîchifle-mens, comme Citrons en abondance, Salades, Confitures & autres, pendant trois jours que nous demeurâmes en rade, ces généreux & gratieux Pères nous firent plufieurs vifites, paroiflans prendre un grand plaifir à nous voir, louant fort le zélé qui nous a fait entreprendre un fi long & pénible voyage, la plus grande peine qu'ils difoient avoir, étoit de ne pouvoir nous faire plus de bien, eflimans ce qu'ils faifoient pour nous comme rien en comparailbn de leur bonne volonté, il y avoit plufieurs de ces Pères qui avoient de grandes lu-nettes fur le nez à la mode de Portugal, & j'en remarqué un jeune qui les ôta pour lire quelque chofe, ce qui nous parut fort extraordinaires, du refte leurs manières font à peu prés comme celles de nos Pères de France, excepté qu'ils portent leurs cheveux plus cours.
Nous vîmes plufieurs autres Meflîeurs des plus confiderables de cette Ville, entr'autres Monfieur l'Intendant du lieu qui vinrent nous rendre vifite, tous habillez de noir portant chacun un reliquiere & chapelet à leur col, l'inquifition étant dans cette
111c comme en Portugal & en Efpagne, les Ecoliers des Jeluites eurent aulli la curiofité & la per-milTion de nous venir voir, nous en fumes accablez, ils portent tous un chapelet à la main qui leur lert de contenance, mais Ton dit qu'ils n'en font pas plus dévots, nos Révérends Pères trouvent TEglile de les Pères Jeluites trés-magnifique, la Contretable & le devant d'Autel en efl d'argent maflif & les murailles de porcelaine, il n'eft point d'Eglile en France li riche en ornemens, les arbres de cette Ille étoient chargez de fruits en maturité au mois de Mars, nous ne vîmes point de femmes elles ni font pas vifibles, on ne les voit qu'à travers les grilles, elles ne fortent que pour aller à la Mefle vV toutes à la même heure, enforte qu'elles forment une efpece de Procefïïon, elles marchent cou-vertes de grands voilles & en filence s'y ce n'ell quelles difent leur chapelet.
Il y a dans cette Ifle deux Convents dont le principal efl de Tordre de Sainte Claire, l'Abefle efl une Princefle Portugaife, comme elles font plus libres que les Séculières, le bruit de nôtre arrivée parvint bien-tôt jufqu'à elles, cette Abefïe écrivit une lettre toute gratieufe à notre Révérende Mère
Supérieure pour la convier & toute fa Commu-nauté d'aller chez elle, elle nous donnoit à toutes de grandes louanges, fon flile étoit trés-tendre, du moins nos Officiers nous Téxpliquérent de cette manière; car la lettre étoit écrite en Portugais notre Révérende Mère Supérieure lui répondit en François, & elle reçût la lettre de notre aimable Mère avec toutes fortes de marques d'edimes ^' d'amitié, quoiqu'elle ni dût rien connoître, à moins qu'elle ne fe la fit expliquer par quelque perfonne qui entendit le François & le Portugais, le lendemain une jeune femme du bord lui ayant été rendre vifite de la part de notre Communauté, elle fut comblée d'honetetez & de prefens, les Religieufes de ce Monaflere qui font au nombre de plus de trois cens, voulurent Tembrafler à la porte conventuelle lui réitérant leurs inftances pour nous engager à aller chez elles, mais ne jugeans pas devoir le faire ayans l'eau dons nous avions befoin, nous crûmes devoir édifier le pu-blic en demeurant attachez à notre clôture de la Gironde plutôt que de paroître dans une Ville ou les femmes féculieres même ne fe montrent pas, enfin nous remerciâmes la Ville par un coup de canon, & nous primes le larges pour continuer
notre route, je croi que II nous eulïions relié plus long-temps en rade, les Religieufes moins attachez d leur clôture que nous à la notre auroient quitté leur Couvent pour nous venir voir, on leur avoit parlé de la modeflie de notre habilement qu'elles trou voient bien dilierend du leur, elles en furent charmées aulfi bien que les Révérends Pères Jeiuites.
Le vent ne nous fut favorable que pendant deux jours & enluite il le changea contre nous, enlbrte que nous fumes long-temps à faire deux cens lieues au bout defqucls nous découvrimes un Corlaire Forban, ou Saltin, du moins donna-t-il lieu de le juger tel par la contenance, aulfi-tôt Ton longea à faire tous les préparatifs nécellaires pour le combat, chacun s'arma, les canons furent chargés & tous prirent leurs polies, il fut rélblu que pendant le combat nous ferions renferme/ dans l'entrepont, les femmesleculieres s'abillerent en hommes, elles n'étoient que trois c'étoit tou-jours pour augmenter le nombre de l'Equipage, cependant elles difoient adieu à leurs maris, Mademoilelle de la Ghaille qui le rangeoit tou-jours avec nous pleuroit amèrement de la crainte quelle avoit de perdre Monfieur fon frère dans le
combat, il étoit Enl'cignc de notre Vaiflfeau, l'on porte lUr le Pont, celui du premier Capitaine étoit lUr la dunette & le Père Tartarin s'étoit rangé avec lui, le porte du fécond Capitaine étoit fur le Gaillard du devant, le Père Doutrelot s "étoit rangé avec lui, & le frère Cruci fur le Pont à fournir des Gargouccs à tous ces guerriers tous armez jusques aux dents &, d'un courage admi-rable, nous autres nous avions pour toutes armes notre chapelet à la main , nous n'étions point trilles grâces au Seigneur, perfonne de notre compagnie ne fît paroître aucune foiblelfe, nous étions charmés de voir le courage de nos Officiers & palfagers qui fembloient aller abatre lennemi du premier coup, tous ces aprêts furent inutils, le Vailïeau ennemi après avoir fait plufieurs tours ic retours nous voyant en état de deffences & fe croyant aparament le moins fort fe retira & nous lailla en liberté.
Mais c'étoit une trille liberté pour des Reli-gieufes que d'être fur un Vaifïeau où il eft impof fible d'avoir un moment à foi, nous n'avons pas lailîé de prendre du moins le temps de nos Exer-cices Spirituels, mais c'étoit au milieu de la diffîpation qui fe trouve parmi un nombre de
gens qui ne penlent qu'à le divertir pour palier le temps, voila ce qui failbit notre plus grande peine.
Enfin nous arrivâmes fous le Tropique le Ven-dredi Saint, c'eft-à-dire, fous la ligne du Soleil, la Sainteté du jour empêcha qu'on ne fît la céré-monie du Bàtéme dont vous avez lans doute oui parler, elle fut remile au Samedi Taprés dîné, je ne vous ferai point le détail de cette cérémonie qui n'elt qu'un divertilfement pour les Matelots, d'autant plus grand qu'on ne peut s'en exempter qu'avec de l'argent, comme nous étions plus de vingt de notre compagnie y comprenant les do-mertiques des Révérends Pères ainfi que les nôtres^ ils eurent plus de deux piftoles de notre part, ceux des paiïagers qui ne voulurent rien donner eurent plulieurs fceaux d'eau llir le corps, mais le grand chaud qu'il faifoit leur rendoit ce bain agréable.
Quelques jours après nous eûmes une féconde allarme, par la rencontre d'un pareil Vaifleau ennemi, qui nous pourfuivit de trés-prés, on fe mit fur la detfenfive, & lors qu'on fe vit tout proche nous fumes nous enfermer dans le lieu qui nous avoit été indiqué; l'on étoit prêt de tirer fur
lenncmi, mais il le retira, ce qui nous ralFura pour quelques heures ^^ nous donna le temps de Couper, \- comme Ton remarqua qu'il le rapro-choit, »Sc le retiroit de temps en temps, on garda toute la nuit, nous fumes nouscoucher en atendant toujours que Ion nous vint avertir de nous lever, mais Ton n'eut point cette peine, le VailCeau le retira.
Si nous avons eu quelque conlblation c'ell par l'avantage que nous aAions de participer au Saint Sacrilice de la Melie, on la célébroit tous les jours, tS: allez Ibuvent nous avions le bonheur de nous fortifier du lacré Corps de Jesus-Christ, nous eûmes quelques Sermons par Monlieur l'Au-monier du VailTeau »:!c par nos Révérends Pères, l'on failbit la Prière quatre fois par )our à quatre & à huit heures du matin, à cinq 6c huit du loir, l'on chantoit la grande Melïe ,Sc les Vêpres tous les Dimanches wS: Fêtes, l'on fit le Vendredi-Saint l'Adoration de la Croix après la Paillon d'une manière allez dévote, nous fumes des premiers adorer la Croix nud pieds, enfuite les Révérends Pères, les Officiers, les Palîligers & l'Equipage tous d'une manière allez respedueule ; l'on fit aulli au temps du Saint Sacrement la Procelllon
au tour du CnpcOran, enfin il lliffit dans un Vail-feau que les Officiers donnent l'exemple pour que tout l'Equipage Ibit en dévotion^ Ton ne manque point de fonner vV dire YAngchis quatre fois le jour, revenons à notre route.
Après avoir perdu de vue le Vaifleau ennemi, la mer continua le lendemain à fe faire craindre, elleétoit quelquefois li furieule qu'il étoit impol-fible de nous tenir dans nos lits, il falloit des cordes pour nous empêcher de tomber, nous nous trouvions fans dilcontinuer tantôt d'un coté tantôt de l'autre, \ toujours obligez de nous ac-crocher quelque part, mais nous Ibuflrions encore davantage de la longueur du Voyage, afpirant de plus en plus après cette terre promife \' li ardem-ment défirée, de jour en jour nous redoublions nos vœux & nos prières pour obtenir un temps plus favorable, le Seigneur nous en accordoit par intervalles quelques heures, à l'aide de ce lecours nous arrivâmes à la Caille Saint Louis qui ell un Port de rifle Saint Domingue où nous avons mouillé, & c'eft là où nous commentâmes à co-noître Meflleurs les Maringouins ce font de petits animaux que je puis comparer à ce qu'on apelle en France des bibets ou confins, excepté que leurs
picures font beaucoup plus venimeules & plus douloureules, elles caufent des empoulles & des demangefFons violentes, on s'emporte la peau cV il y vient des uUeres quand on le grate, les ani-maux piquent d'une fi grande fureur que nous avions le vilage èc les mains couvertes de leurs marques, mais heureul'ement que ces bètes ne paroilîent que le loir après le Soleil couché, julques au lendemain au lever du Soleil,
Comme il n y a point de maifon Religieufe ni
perfonnedeconnoiflance,6:quil falloit delcendre
pourvciller à notre linge que nous voulions faire
blanchir, dès le foir même que nous eûmes jette
l'Ancre, les MelTieurs de la Compagnie vinrent
nous faire vifite & nous ofirirent le Magafin de la
Compagnie, nous n'avions garde de refufer une
offre fi gratieufe puifque c'étoit une neceffité pour
nous de delcendre, notre Révérende Mère leur
promit que dès le lendemain elle auroit l'honneur
avec toute la Communauté de les faluer à terre,
ces deux Meffieurs font d'un vrai mérite d'une
probité reconnue & d'une grande politeffe, le
premier fe nomme Cirou, il efl encore garçon,
c'eft un homme tout plain d'efprit & qui paffe
pour être trés-integre, il a une converfation
tout à fait agréable malgré Ion application conti-nuelle aux affaires, le lecond s'apclle Girard de qui le mérite n'éclate pas moins, nous avons mangé chez eux avec une jeune Dame Creolle du Païs, de qui l'on ne feroit aucune différence d'avec une Parilienne & des mieux élevées, au refle on ne peut rien ajouter à toutes les gratieufetez que ces deux Meflieurs ont eus pour nous, ils nous ont traitez une fois magnifiquement bien, & le refte du temps que nous avons demeuré chez eux, c'eft-à-dire, prés de quinze jours nous avons été régalez avec propreté & abondance.
Deux jours après notre arrivée Monlieur le Gouverneur envoya fçavoir Tétat de nôtre fanté, wNl vint lui-même Taprés-dîner nous faire vifite, il s'appelle Monfieur de Brache, homme de qualité & riche comme un Créfu, il nous parla d'un trem-blement de terre qui étoit arrivé le matin, il n y eut que moi de toute notre Communauté qui s'en étoit apperçuë, fans fçavoir ce que s étoit, j'avois regardé ce remuëment-là, comme une imagination que j'avois d'être toujours dans la Gironde, ce Gouverneur nous donna deux fois à manger chez lui avec une magnificence Françoife, on efi agréablement chez lui, & l'on y jouît d'une en-
H
tiére liberté, nous y fîmes nos exercices Ipirituels avec plus de commodité que dans le Vailleau, il nous marqua avoir beaucoup d'envie d'avoir un établiOement d'Urlulines dans ce pais, perlbnne n'y pourroit mieux contribuer que lui, il n a point d'enfant w^ il jouît de cinquante mille livres de rente, les Meflieurs Cirou & Girard ont le même defir pour Téducation des jeunes Creolles qui ont communément d'heureufes dilpolitions, & qu'on eft obligé d'envoyer en France pour les faire ins-truire dans les Communautez, ainli il y a lieu d'elpérer que nous aurons quelque jour encore une Mailbn de notre Ordre dans ce pays, ils s'infor-mèrent de la manière qu'il talloit s'y prendre à la Cour de France pour obtenir cette permiflion, nous leur donnâmes une courte inftrudion par écrit, s'ils obtiennent cette grâce du Roy je ne doute pas qu'il ne le trouve une infinité de Saintes Religieules, qui remplies de zélé pour le lalut des âmes,n'aillent volontiersembrazer toutes fes con-trés du feu lacré de l'amour Divin, 11 l'onfçavoit le plaifir qu'il y a de brûler d'un tel feu, on défire-roit avec ardeur d'en être confiamé, ce qui doit exciter davantage le zelle en faveur de ce pays, eft le peu de Religion qu'il y a, les plus dévots
font ceux qui ne mènent pas publiquement une vie fcandaleule, dans tout ce pays il n'y a qu\in ll'ul Prêtre qui cft obligé de dire deux fois la Meffe, tous les Dimanches & Fêtes, fçavoir la Grande MelFe à la Paroifïe dont il elt Curé, ^c une teconde MelTe au Fort Saint Louis, qui eu placé au milieu de la mer où il y a un grand nombre d'Officiers & Soldats qui en font la garde, Mon-lieur de Brache en eft le Capitaine, mais comme il n'y va pas fouvent c'eft l'Officier xMajor qui préiide en fa place, & le Curé demeure dans cet endroit, Monfieur le Gouverneur Ibuhaita & nous engagea d'aller voir ce Fort, qui elf félon les con-noiiïeurs une choie très-rare en ce genre, nous y trouvâmes trois compagnies de belles troupes, qui étoient rangez en ordre fous les armes pour nous y recevoir au fon des tambours pour nous faire plus d'honneur, & avant que de fortir on nous prefenta quelques rafraîchilTemens.
Knfin nous nous rembarquâmes le dix-neuf May, comblez d'honnètetez & de prefens de la part de Meffieurs Cirou & Girard, ils nous don-nèrent entrautre chofe un baril de Sucre pefant trois cens livres & autant à nos Révérends Pères pour nous adoucir fans doute le rerte du chemin,
qui étoit cncor au moins de cinq cens lieues, le vent nous fut d'abord aiïez favorable, mais ce fut pour peu de temps, nous eûmes beaucoup de calme & de vents contraires qui nous retardèrent, nous rencontrâmes enfuite trois VailFeaux For-bans, dont deux nous caul'érent Tallarme, ils tournèrent pendant deux jours autour du notre, n'ofant cependant nous attaquer, nous en avons toujours été quitte pour la peine de le mettre en dellénfe , ils defcendirent un nombre de gens de trés-mauvail'e mine, qui le difoient être Ani^lois de Nation , dans leur Chaloupe, ^: vinrent à notre bord, feif^nant de nous demander du vin à acheter, nos (Capitaines s'apperçurent qu'ils ve-noient uniquement pour reconnoitre Tétat de notre Vailléau \: de Téquipage, peu ne s'en fallut qu'on ne les retint prilbnniers, ou qu'on ne tira le canon fur leur Chaloupe pour les envoyer boire au fond de la mer, mais on leur lit grâce, & on le contenta de leur commander de fe retirer promptement, ils obéirent & s'éloignèrent à l'inf-tant lans demander leur relie.
Nous elpérions malgré tous l'es contre-temps que nous arriverions vers la fête du Saint Sacre-ment-, mais Nôtre-Seigneur qui avoit relervé la
plus grande épreuve pour la fin, nous envoya des vents fort contraires, ces vents conjointement avec lescourans qui le trouvent dans le Golfe du Mexique nous poulTérent malgré nous vers Tille qu on appelle Blanche, comme nous délirions avec impatience de voir les premières terres du Millilipi, nous relléntîmes beaucoup de j(\ve à Taproche de cette îlle, mais bon Dieu que ce lut une courte joye, \ quelle nous l'ut chèrement vendue, lors que nous y penlions le moins \' ou après le diner nous étions à palier le tems llir la dunette, notre Vailléau lé trouva tout d'un coup arrêté par la terre, ce qui lui fit l'aire tant de rudes lecoullés, que nous nous crûmes dès ce moment perdus l'ans rell'ource , nous prîmes notre Cha-pelet & dîmes notre /// manus penl'ant que s'en étoit fait, «Se que nous ferions-là notre ètablillé-ment de Religieulés, nos Capitaines quittèrent leur diner, car ils dînoient après nous à midi, \ les Révérends Pères vsc nous à onze heures, de même nous loupions le Ibir à cinq heures & nos Officiers à fix, tout Téquipage fut en un infiant en mouvement, Ton haulla les voiles, «Se Ton fit divers manœuvres, pour nous tirer de ce mauvais pas, le tout fut inutile, & Ton remarqua par la
li)iidc qu'il talloit que notre vailleau fut enfoncé de plus de cinq pieds dans le fable, en ettet il y avoit déjà tait Ion lit , wSc n'avoit aucun mouve-ment que par le gouvernail, qui de temps en temps laifoitdes lauts qui failbient trembler, ce qui dé-termina enfin notre Capitaine à décharger le N'ailfcau, Ton commença par les Canons que Ton accommoda fur deux pièces de bois, enforte qu'ils ne pullént couler à fonds, on les conduitit au loin & on les abandonna à la Mer, enfuite on vuida le lailte qui étoit compolé de cailloux, de plomb cV de feraille, le tout fut jette à la mer, tout cela ne llifiifant pas pour alléger le Vailleau on délibéra aulli de jetter les cortVes des PafTagers qui étoient en grand nombre dans Tentrepont, les nôtres étoient des premiers, auIli étoit-ce à nous à faire le premier lacrifice, nous ne fumes pas long-temps à nous y rélbudre, & nous confentimes de tous nos cœurs à nous voir dénuez de tout aiin d'éprouver la plus grande pauvreté, l'on nous atruroit qu'il n'y avoit rien à craindre pour notre vie étant fort proche de la terre, mais nous ni de-^'ions defcendre que dans une extrême necelîité, à caule que cette Ille n'eft habitée que par des Sauvages, qu'on nous dit être trés-cruels, non-
feulement ils mangent les lîlancs, mais ils leur font IbulFrir auparavant des tourmens mille fois plusrudesque la mort, quelquefois ils font boire aux Blancs leur propre fang, enfin ils leur font foutirir les martyres les plus cruels, il cft vrai que fi nous eullions été dans la trilte nécellité de quitter le Vailfeau, nous étions en comptant féquipage 6c les Palfagers une vraye petite armée, qui munie d'Armes que les Sauvages craignent beaucoup, eut été à couvert de toute infulte vV même redoutable, mais nous aurions toujours été en rifque de m.ourir de faim.
Enfin dans le temps que nous croïons voir jetter nos coffres en mer, Monficur le Capitaine changea d avis, & fit jetter tous les Sucres, dont il y avoit une bonne quantité dans le Vailfeau, cela fut exécuté, nos Révérends Pères \ nous y perdimes les deux Barils pelant chacun trois cens livres dont Meilleurs (]irou & Girard nous avoient fait prélent en partant de la Caille, cela ne failant pas encore afïi^z d'effet, fon voulut encore en venir aux coffres, mais par la permillion de Dieu & la protedion de la Sainte Vierge, que nous reclamions pendant tout ce temps à chaque fois qu'on alloit prendre nos coffres, le Capitaine chan-
gcoit d'avis \' tail'oit prcMidre autre choie on jetta encore l'oixanle-un barils d"P^au-de-Vie vS: quantité de lailtc 6: de feraille que Ton trouva encore, cette trille exécution le fit pendant la nuit, nous étions llir la dunette à regarder avec pitié tout ce pauvre ménage, c'étoit la délblation de la délbla-tion même, de voir les pauvres Paflagers qui trembloient pour leurs cotîVes cV regrettoient leurs lucres, car julqu'aux Matelots ils avoient leur petit baril, pas un n'en fut exemté, pas même les Officiers qui en avoient aulli, tout le lucre fut jette en mer fans choilir à qui il étoit, TEau-de-Vie appartenoit à la Compagnie ainfi qu'un nombre infini de ballots qui furent aulfi jettez, après cela Ton fit de nouveaux etfors pour retirer le Vaif-feau, & Ton en vint à bout, ce qui nous remplit tous de joye, ce premier péril dura viron depuis midi jufqu'au lendemain dix à onze heures du matin, perlbnne ne coucha cette nuit, cependant Ton jetta TEncre, on réfolut de ne partir qu'avec la marée qui arriva fort peu d'heures après, alors on remit à la voile.
Nous ne fimes pas un quart de lieuë & nous n'étions pas encore revenus de la peur que notre VailFeau toucha pour la féconde fois, mais ce fut
avec une telle roidcur \ avec des lecoulles ii fréquentes qu'il ne nous rcfta plus d'elpérance que dans la toute puilTance de Dieu, nos Capi-taines même étoient furpris que le Vailleau put réliUcr, ils dilbient que de dix il y en auroit eu neuf qui auraient été fracallez wV brilez dés la première lecouire, & qu'enfin il falloit qu il fut de fer, Ton ne parloit plus d'aller à terre, alors Ton ne la voyoit plus que de très loing, tous les Ma-telots étoient concernez & étoient dans la Cha-loupe, & le Canot avec des ancres pour trouver ou tirer le Vailleau par derrière, on ne leur donnoit guère de temps de refléchir au péril où ils étoient, car on les failbit travailler lans
relâche.
Je vous avoue, mon cher Père, que je n'ai ja-mais crû ny vu la mort de fi prêt^ bien que j'ef-pérafTe toujours dans le fecours de la lainte Vierge, la crainte qui étoit peinte fur tous les vifages jufques dans les cœurs les plus atlurez, toutes d'un commun accord nous fimes un vœu, chacun en notre particulier, car nous étions dans un état de trouble 6c d'allarme à ne pouvoir con-venir du Saint auquel on le recommanderoit, cependant chacun dilUmuloit fa crainte & ne
s'occupoit que de la dernière fin, au premier en-droit venu on le mettoit en prière, le plus Ibuvent aux pieds de notre aimable Supérieure, qui nous reprefentoit que nous devions avoir moins de peines que les autres à Ibuffrir la mort, puifque nous avions fait avant que de nous embarquer un Sacrifice entier & parfait de notre vie au Seigneur, je ne vous rapporterai pas tout ce qu'elle nous difoit pour nous animer, j'ajouterai feulement que les paroles nous encourageoienl infiniment, l'on feul exemple donnoit un courage tranquille à la vue de la mort, elle s'entretenoit en Ion efprit de Sacrifice avec une liberté furprenante, mais le Seigneur le contenta encore pour lors de notre bonne volonté, il donna fa Benedidion aux foins de nos Capitaines, & au travail de nos Matelots & Paflagers, qui ne s'épargnèrent pas, parmi lefquels nos Révérends Pères le fignalerent aulfi bien que le Frère Cruci, notre Vailfeau fut donc encore une fois retiré, & ce qu'il y avoit de plus étonnant, fans être beaucoup endomagé, au moins félon les aparences, il faut après Dieu en avoir l'obligation à Monlîeur du Fuyet, Diredeur général de la Compagnie & Commandant à l'Orient, qui avoit donné toutes fes attentions pour mettre ce Vailfeau
en bon état avant que d'entreprendre notre Voyage.
Après cet accident le Canot marcha toujours devant nous, la fonde d'un Officier en main, jufqucs à ce que nous fulÏÏons au large, ce qui nous éloigna de plus de quinze lieues de notre route, ce retardement nous fit d'autant plus de peine que nous manquions d'eau, & qu'il y avoit déjà quelques jours que nous étions réduites à une pointe d'eau par jour, on en étoit de même à l'égard du vin, les chaleurs étoient très-grandes, & la mellire plus petite que celle de Rouen, ainli nousfoulîrions beaucoup delà foif, ce qui nous failbit échanger notre vin pour de l'eau, l'on ne nous donnoit cependant que bouteille pour bou-teille, encore nous trouvions nous heureufes d'en avoir à ce prix, cela dura plus de quinze jours parce que le vent continuoit à nous être contraire & les courents nous emportoient, nous étions contrains d'être prefque toujours à l'ancre qu'on levoit & remétoit plufieurs fois le jour.
Nous arrivâmes à la fin à la vûë de la terre, mais comme elle étoit inconnue, il n'y eut que la ne-ceffité où nous étions d'avoir de l'eau, qui nous détermina à en aprocher, on envoya le Canot
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t.u bri »lf viiMMiv lu o»^ nou'^ i'Iumi^. v\ pins iumis ;i|M-.v hions )>his nous étions pnl'navKv »ini' i flic \\\c noion 1i;\bnro qnr \\\\ y\c<~ '>,\\\\ M\r<, ^ c q\\\ wons Ir l.nÙMt v roni' ;inHi, clK|n('nous \ \o\ons prnvl^ni \a nmi vlr izi.nuis Umi\ ;\llnnuv. h'IhmuImiK \\ n"\ A\o\\ |Ms |>lns vif vicn\ Iumuts qnr K- Cmuoi (•\yM\ ]\\\\\. qno loNi-nt >,]o\nil bon. notro j^rrum'i (\i]>n.iuuMU' inui'.nu p.is ;^ propos ilr jUMilri' crue o>.\ .il'u>n vV.n.uuvM- «.luMiini. lit moi nn vtuip ilc l'.inon jNMir awMln' le ('.anoi vlo nous \onir ivionulro, v\ lit imi menu- loms lo\cr rinieio pour ivMitu-iniM wCmvc r*Mitc'. elpoiMni y]\w W ( "..mot .t\ nnt cMit.Muin K^ imn.tl W hàtoroit Ac \c\c\\\\\ ni;\is ow W \\■^y^•^^\\^. ear \c loeonvl r,.t)Mt.iino axant )mis ec v-onpdo eanvMi ]>onr nn litnp (\c tonnoiiv . coti-tmna l'a i\muo \ors la \cvvc étant loin ^lo nous k\c plus de trois luMios. v\ lo vent axant bien toi quitté nous reniimesà l'enere )>our attendre notre (lanot que nvMis ibuhaitions lort de rexoir. il nous eaula uu;^ loncue impatienee. le vent lui éloil entieiv me;i. evMiîraire. vV la nier dans une at;itation extraordinaire, il v avviit tout ùijet de efaindiv jx^ur lui. nous n"ùnies la joie de le i-exoir que le lendemain matin . vV bon femit en même icms la
( ;l);il(»ll|H' cil liHl l'Miii .illci (;iiic (le I f.'iil !i (Clic lllc (|iic iKMis c Miyoïis cil c I lllc (le Sic l(n/c.
Nous tell; unes la li ois (tii (|iiali c jours ;i I cik te Mllciuliiiit iiii vciil lavdiiil'lc, iV l'ciidaiil tctcm|.s iKtlrc lc((iiiil (iai'ilaiiic (|iii (.'l'»!! parti dans la riialdiip", iiayaiil ('ii ti(Hi\ci(rcaii doiKc dans t elle I Ile. (il (, leiilci lin li'iii Imi !' I'f»id de la mer, (III il (loiiva de I eau d'»iK c dont il lit emi'lii i|iiel ^1 lies bai ils (|il'on apporta dans iKtlie VaiKcan, ce c|Mi fions lit l'icn plailir lai nous c fiiiiiiieiuions d'en maii(|Mer ciitiei einent ; le vent c liaiif.ea «.V devint liivorable, on leva reiu re \ nous remîmes à la voille »,\ eonlinnàmes iiolie ronte, (|iicl(|iies jonrs ajMcs avoir repris le larf;e nous (.léconvrîmes rille Danpliine, v\ en même temps \\\\ l'.ri^aiifin qui vcnoil à lions, comme nous n'attcndionsde lu c|iie des amis, celte vue nous canla benLicoLi[> de joie, elperanl apreiidre |iar ce moyen des non vcilesdela Nouvelle Orléans, notre elperancc ne lui pas vaine, nous eûmes le plailir de voir aborder ce l*>^i^anlin, dont le (Capitaine étoit ami des nôtres, il demanda, à nous (aluer, vV ce fut de lui que nous aprimes des premières nouvelles du Kévérend l'ère de P.eaubois qui nous attendoit avec impatience, tjue notre lofj;emeiit étoit tout
dirpofé pour nous recevoir, en attendant que notre Monaftére fut achevé de bâtir, je vous afFure, mon cher Père, que ce fut là la première joie extérieure que nous ayons goûtée depuis notre embarquement, elle nous fut fi fenfible qu'elle nous fit oublier toutes les fatigues pafTées.
Nous continuâmes accompagnée du Brigantin vers rifle Dauphine où nous mouillâmes dans l'intention d'y faire encore de l'eau, mais le vent étant devenu favorable, on remit à la voille & reprîmes notre chemin vers la Balifïe où nous arrivâmes à la Rade, le vingt-trois Juillet, cinq mois jour pour jour depuis notre embarquement, éloignez de Rouen de viron deux mille quatre cens lieues, c'eft un Port qui eft à l'entrée du Fleuve du Miflifipi, du côté du Soleil couchant ; Monfieur Duvergé y eft Commandant pour la Compagnie, il vint aufll-tôt à bord pour nous voir, & nous offrir fa Maifon en attendant que nous puiflions avoir des voitures de la Nouvelle Or-léans pour monter ce Fleuve ; nous acceptâmes ce parti qui nous étoit offert de fi bonne grâce, & le vingt-fix Fête de Sainte Anne, décendîmes dans la Chaloupe avec une partie de notre bagage le
plus néceflaire, Monfieur Duvergé étoit venu nous prendre pour nous y conduire, & bien nous en prit car le temps étoit alors fort mauvais, le vent contraire, 6c notre Chaloupe trop chargée, & qui pis eft nos Matelots trés-jures & prefque fans raifon, nous nous trouvâmes dans un péril mani-fefte, & dont nous n'aurions jamais pu nous tirer û Monfieur Duvergé ne les eût obligez de relâcher dans une petite Ifle nommée Tlfle aux Canons, fituée à l'embouchure du Fleuve du MilTilipi, & peu avancée dans la Rivière : cette Ifle ne contient au plus que demie acre, mais elle commande à toute Tembouchure du Fleuve, nous eûmes beau-coup de peines à y aborder, car nous ne cellions de nous enbourber, nous n'avions jamais à la vie entendu fi bien jurer que failbient alors nos Matelots, & nous courûmes rilque de palier la nuit dans cette Ifle où il y a viron une douzaine d'Ouvriers de la Compagnie qui font ocupez à conftruire une efpece de Fort, fous la conduite dudit Sieur Duvergé, qui envoya fes Ouvriers pour nous chercher des Pirogues à la Balifle, & fit mettre un Pavillon pour avertir à ia Baliife qu'il étoit là & qu'il vouloit des Voitures, ces Pirogues font des arbres creufez, & qui font quelque fois
aliez grandes pour contenir leize perlonnes, les trois qu'on nous amena étoient moindres, nous fumes obligés de nous feparer en deux bandes, la troifiéme Pirogue fut ocupée par Monfieur Du-vergé & le Père Doutrelo.
Ce fut de cette mcaniere que nous arrivâmes à la BalilTe chez led. Sieur Duvergé, il nous traita tout le mieux qu'il lui fut pofllble, ce Monfieur eft très gracieux, & quoi que jeune & fans Femme, il mène une vie réglée & des plus folitaires, étant apliqué fans relâche aux affaires qui lui font con-fiées, nous fommes perfuadez que la Compagnie a peu d'employez aulTi dignes que ce Monfieur, il y a lieu de croire, ou qu il a des ennemis, (la vraye vertu étant toujours perfecutée) ou qu'il n'eft pas connu des Mrs de la Compagnie, car fi il en étoit connu, il feroit fans doute plus avancé, ces Mef-lieurs fe faifarit un plaifir & un devoir de récom-penfer le vrai mérite, celui du Sieur Duvergé nous a paru digne des emplois les plus importans.
Nous reflàmes chez lui jufques au vingt-neuf du même mois, attendant des nouvelles de la Nouvelle Orléans^ le Révérend Père Tartarin nous avoit devanfés étant parti de la (jironde quelques jours avant nous pour nous aller annon-
cer au Révérend Père de Beaubois qu'il Ibrprit agréablement par Ion arrivée, notre longue navi-f;ation avoit allarmé tout le païs, & plufieurs nous croyoienl perdus, le Révérend Père de Beaubois ne tarda pas à nous envoyer une Chaloupe & des Pirogues pour nous prendre, fortant de maladie il n'étoit pas en état de venir lui-même audevant de nous, il chargea de cette commiflion xMonfieur MalTy, Frerc de notre poflulante, ce Monlieur mit es mains de notre Révérende Mère Supérieure une lettre de Monfieur Pcrier, Gouverneur ^ (Chevalier de Saint Louis, ^ une de Monlieur de la Chaife, Diredeur général de la Compagnie, ces deux Melfieurs lui marquoient une obligeante impatience de nous voir.
I.a Chaloupe le trouva trop petite pour contenir notre Compagnie, il follut le leparer, notre Révé-rende Mère Supérieure choifit de fe mettre dans la Pirogue avec les plus jeunes de l'es filles, ainli j'en étois du nombre, accompagnez du Révérend Père Doutrelot 8c du frère Crucy , le relie de nos Mères Remirent dans la Chaloupe avec Monlieur Malîi & nos deux lervantes, il y avoit encore une petite Pirogue pour les domeftiques & ouvriers des Révérends Pères, il faut avouer que toutes
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les fatigues de la Gironde n'avoient rien de com-parable à celles que nous eûmes dans cette petite traverle, qui n'eft que de trente lieues de Rivière à monter depuis la Baliffe jufqu'à la Nouvelle Orléans que Ton ne fait ordinairement qu'en lix jours, nous y avons été lept ayant voulu aller de compagnie avec la Chaloupe, mais comme elle alloit trop doucement, nous prîmes le devant & nous arrivâmes un jour plutôt que les autres, nous étions partis de la Balifl'e le jour de Saint Ignace & la Chaloupe n'arriva ici que le jour de rOclave : ce qui rend cette traverfe lî fatiguante, eft qu'il faut Cabaner toutes les nuits, & on le fait une heure avant le Soleil couché, afin d'avoir le temps de faire des berres 6c de fouper, parce qu'aufli-tôt le Soleil couché il vient des Marin-gouins dont on eft alfailli, pareils à ceux que nous avions commencé de voir à la Caille Saint Louis, leurs camarades que l'on apelle des Frapes d'abord, ne font pas moins redoutables, on les aperçoit plus facilement parce qu'ils font plus gros, quelquefois ils font en fi grand nombre qu on les couperoit au couteau, mais ils ne font pas plus pitoyables que les Maringouins, les uns & les autres piquent fans mifericorde 8: leurs pi-
queures font trés-mauvailes, le long du fleuve il n'y a point de terre cultivées ce ne font que de grands Bois Sauvages uniquement habités par des bêtes de toutes couleurs, Serpans, Couleuvres, Scorpions, Crocodiles, Vipères, Tacqs, Crapeaux & autres qui ne nous faifoient aucun mal, quoi qu'ils nous ayent aprochez de trés-prés, nous en avons vu de toutes les fortes & en grand nombre, les herbes font fi hautes en ce lieu là, qu'on n'y peut cabanner que fur les bords de la Rivière, nos-Matelots pour faire nos berres fichoient des Canes en terre en forme de berceau autour d'un Matelas, & nous enfermoient deux à deux dans nos berres où nous couchions tous habilez, puis couvroient le berceau d'une grande toille, de façon que les Maringouins & les Frapes d'abord, ne pulfent trouver aucun petit paffage pour nous venir viliter.
Nous couchâmes deux fois au milieu de la boue & des eaux, qui tomboient du Ciel en abondance & qui nous pénétrèrent aulfi-bien que nos Matelats qui nageoint prefque dans l'eau, le tonnerre ^ forage ayant donné vers le milieu de la nuit, le lendemain la Pirogue ne pouvoit avancer étant elle-même aufli-bien que nos habits 8: nos Ma-
telats pénétrée d'eau, dans cette occafion plu-fieurs de nos Mères furent fort incommodées, les unes gagnèrent des rhumes 6c des fluxions, aux autres le vifage & les jambes enflèrent, un autre en eut une maladie plus conlldérable, pour moi quoi que j'eulTe également été baignée d'eau, je n'en fus nullement indifpolee, nous avions encore rincommodité dans la Pirogue, de ne pouvoir être alTis, debout, ni à genoux &: encore fans pouvoir branler, caria Pirogue auroit lait capot & nous aurions fervi de nourriture aux Poilfons, tout notre Equipage de Matelats & cottres rcmplil-Ibient, il nous falloit être par-delllis tout cela en un petit toupin, 6c quand la Pirogue s'arrêtoit nous changions de iituation, nous mangions du bilcuit & de la viande lai!ce venant de la Gironde, que notre Maître de la Pirogue nous failbit cuire les loirs dans la marmite ; toutes ces petites peines fatiguent dans le temps, mais on elt bien récom-penlê dans la fuite par le plaifir qu'on trouve à le raconter chacun les petites avantures & l'on elt lurpris quand on confidere la force & le courage, que Dieu donne dans ces rencontres, ce qui prouve bien qu'il ne manque jamais à perlbnne & quil ne permet pas que nous foyons tentez au-delfus de
nos forces, nous donnant des grâces proportionnées aux épreuves qui nous arrivent, il eii vrai que le defir ardent que nous avions d'arriver à cette terre promife, nous failbit tout endurer avec joye.
Lors que nous fumes à huit ou dix lieues de la Nouvelle Orléans, nous commençâmes à rencon-trer des Habitans, c'étoit à qui nous pouvoit ar-rêter pour entrer chez eux, nous étions par tout reçus avec des acclamations de joyes, au de-là de notre attente nous trouvâmes là quantité d'hon-nêtes gens qui font venus de France wV du Canada s'établir dans ce Païs, on nous y promit par tout des Peniionnaires «Se plufieurs vouloient déjà nous les livrer, notre dernier coucher fut dans l'habita-tion de Monlieur Mafli frère de notre poltulante, où nous nous trouvâmes aulli-bien que chez nous, nous contions de nous y delaffer quelques jours, mais le Révérend Père l'artarin étant venu nous y joindre avec Monfieur de la Chaife le Fils, il nous dit que le Révérend Père de Beaubois nous attendoit le lendemain de grand matin, ainfi nous nous rembarquâmes dès trois heures du matin ^sc nous arrivâmes à cinq heures à la Nouvelle Orléans.
11 Icroit trop lont; .V même inutile de vous ex-primer, mon cher Pcre, notre joye à la vue d'une terre après laquelle nous afpirions depuis un fi long temps & combien notre conlblation fut j,Tande en mettant pied à terre, nous trouvâmes peu de monde fur ce Port à caule de Theure mati-nalle, ainfi nous nous acheminâmes fans embarras vers la mailbn du R. P. de Beaubois, nous le ren-contrâmes bien-tôt venant au-devant de nous avec une joye non pareille, parce que le retarde-ment de notre arrivée lui avoit caufé beaucoup d'inquiétude, il apréhendoit que nous ne fulfions péris tur la route, d'autant que le voyage le fait ordinairement en trois mois, quand on a le vent un peu favorable & que nous y avons été cinq à caufe des vents contraires, il nous conduifit chez lui, où après nous être un peu repofez & entre-tenu avec lui, il nous fit fervir un très-beau dé-jeuner qui fut interrompu par un grand nombre de fes amis, qui nous vinrent faluër & de compa-gnie nous amenèrent chez nous fur les dix à onze heures du matin.
C'efl une maifon que la Compagnie loue quinze cens livres par an, pour nous loger en attendant que notre Monaftere foit achevé de bâtir, elle eft
diredement au bout de la Ville 6c la Maifon qu'on nous bâtit à Tautrc bout. Nous ne contons prendre poUcIIion de notre xMonaftere & de l'Hô-pital que dans un an ou peut-être plus : car les Ouvriers ne (ont pas ici û communs qu'en France, d'autant plus que Ton veut nous bâtir à demeure 6c que notre Mailbn l'oit toute de bricques; en at-tendant on nous bâtit aduellement un petit loge-ment dans notre réiidence pour y inûruire les externes 6c y loger des Penlionnaires, le Praprié-taire de la Mail'on fournit le bois 6: nous les Ou-vriers, il y a déjà plus de trente Penlionnaires qui demandent avec inlkince à y être reçues tant d'ici que de la Balille \ des environs, les Pères 6: Mères font tranl'portez de joye de nous voir, dilant qu'ils ne fe Ibucient plus de retourner en France, puii'qu'ils ont ici dequoi procurer l'éducation à leurs filles, cette bonne dirpolition des Habitans les rend attentifs à ne nous laifTer manquer de rien, 6c c'efl à qui nous envoira le plus, ce qui nous charge d'obligations prelque envers tout le monde.
Nous avons fur tout pour nous Monfieur Paris Commandant 6c Madame Ion Epoufe, qui font des perfonnes plaines de mérite 6c d'une aimable
Ibcictc, ce MonficLir sV'lt acquis en trois mois rcilime de tout le Pais, aulTi ne peut-on trouver à reprendre tlir fa conduite, ne s'apliquant qua rendre jultice .V portant les intérêts de la Com-pagnie d^me manière û douce \ fi inlinuante qu'il a prelque appaifé les troubles \ la déllinion qui étoit dans cette Ville, il a établi par tout une Police bien réglée, il déclare la guerre au vice, il fait chairer tous ceux qui mènent une vie Icanda-leule, il y a punition corporelle pour les filles de mauvaile vie, les Procès s'y terminent en trois ou quatre jours, on y pend \' roue pour le moindre vol, le Conleil elt Souverain. Il n'y a point d'Apel, Ton V amené des Illinois de quatre cens lieues loing, cela n'empêche pas qu'il y ait dans ces lieux des julVices, mais on en apelle à celle-ci.
Nous rece 'ons audi beaucoup de gracieufeté vV' de pré\enance de la part de Monlieur de la Chaifc, Diredeur général de la Compagnie, il ne nous a encore rien refuie de ce que nous lui avons
demandé.
Nous avons tout lieu d'cfperer que notre éta-blilîement procurera la gloire de Dieu, & qu'avec le temps il produira de grands biens pour le Salut des Ames, tel a été notre principal but, Il ron
It^avoit coinbien il est doux de Ibullrir pour .Iksus-Christ, dans refpcrance de lui gaf;ner dos Ames qu'il a rachetées au prix de l'on Sang, je ne doute nullement qu'un grand nombre de laintes Filles Religieul'es ne Tuivillent notre exemple, ^ ne s'offrill'ent à l'établiUement du Convent de notre Ordre qu'on poura faire comme je Pai marqué à la Caille Saint Louis, ou du moins ne viennent volontiers nous joindre li par la l'uite nous avons encore belbin de quelques Religieufes pour nous aider à inltruire & convertir ces pauvres Sauvages, que la longueur 8c les fa-tigues du voyage ne dégoûte perl'onne, li Ton Icavoit combien le Seigneur récompenle magnifi-quement ce que Ton fait pour lui, Ton conteroit tout cela pour rien ou pour trés-peu de chofe, je fcai par ma propre expérience que le Seigneur le plaît à faire éclater la force de Ion bras dans les fujets les plus foibles.
Depuis le lendemain de notre arrivée nous avons la MefTe ici tous les jours par le Révérend Père de Beaubois, & il y eut hier vingt-lix Oétobre trois femaines que nous avons le Saint Sacrement dans le Tabernacle que nous avons fait faire ici ; qu'il Ibit adoré, aimé, glorifié, 8c relpedé par
K
toute la terre, & nous donne à tous l'a Sainte Bé-nédiclion.
J'ai l'honneur d'être avec tout le relped pol-lible.
MON CHER PERE,
Vôtre trc's-humblc «S: trés-obcillantc Fille & letvante , MaR1E-Ma-DKLAINK H A C H A R n , «.le Saint Stanillas.
qAPPROBA tion.
J'm lu par rOrdre de Monfieur le Lieutenant Général de Police, la Relation du Voyage des Dames Urfulines de Rouen, à la Nouvelle Or-léans : je n'y ai rien trouvé qui puiiTe en empêcher limprelTion, à Rouen le lo. Juin 1728.
LE Gros.
Vu lApprobation du Sieur le Gros, permis d'imprimer à Roiien, ce 10. Juin i-j-jS.
DE houpp:ville.
LETTRE
A LA NOUVELLE OKLEANS
Ce premier Janvier i~j8.
M
ON CHER PERH
Je viens d'apprendre que le Wiilleau nommé les deux Frères va partir pour aller en France, je profite de cette occalion pour vous l'ouhaiter. ainli qu'à ma chère Mère, Frères, ^ Sœurs, une bonne 8c heureule année^ je prie chaque jour le Seigneur qu'il vous conlerve en parfaite l'anté.
V^^us devez a\'oir reçu un pacquet de mes Lettres, avec une Relation de tout notre Vovage, que je vous envoyai le vingt Tept Octobre dernier
par le VaiflTeau nommé le Prince de Conty, vous me recommandez dans toutes les vôtres de ne laiffer échaper aucune occafion fans vous écrire c'ert mon devoir, je vous obéis, j'aurai foin d'y fa-tisfaire exadement.
Toute notre Communauté ei\ en parfaite fanté, nous avons à prefent neuf penllonnaires, il nous en va venir encore autant après les Rois, & nous inftruifons un nombre d'externes.
L'on travaille fortement à notre maifon, Mon-lieur Perier, notre Commandant, toujours affec-tionné à tout ce qui peut nous procurer de la fatisfadion, nous promet de nous y loger avant un an, l'ingénieur vint hier nous en montrer le plan, nous ne defirons rien tant que de nous voir en cette maifon, afin d'être aulfi occupée à l'Hô-pital à fervir les malades, car nous aprenons tous les jours que c'eft la plus grande pitié du monde de voir le mauvais arrangement qu'il y a, que la plus grande partie des malades meurent faute de fecours.
L'intention de Monlieur le Commandant & des principaux Habitans de cette Ville^ ell que nous prenions auffi les Filles & les Femmes de mau-vaife conduite, cela n'eft point encore déterminé
de nôtre côté, mais Ton nous fait entendre que ce feroit un grand bien pour la Collonic, & pour cela on fe propofe de nous faire bâtir un appartement exprés au bout de nôtre enclos pour y renfermer lès gens-là.
Nous tenons auffi une claire pour inÛruire les Filles & Femmes Nègres 8: Sauvages, elles vien-nent tous les jours depuis une heure après-midi jufques à deux & demie, vous voyez, mon cher Père, que nous ne tommes pas inutiles en ce pays, je vous alTure que tous nos momens font contez & que nous n'en avons pas un à nous, nous nous fommes chargez depuis peu d'une petite orpheline qui étoit à fervir dans une maifon où elle n'avoit pas de très-bons exemples, cei\ encore Tintention du Révérend Père de Beaubois que nous nous chargions des petites orphelines par chanté, & il nous dit pour nous y engager qu'il fe charge lui 8. Monfieur Perier de tous les orphelins.
Enfin nous fommes déterminez à ne nous épargner en rien à tout ce qui pourra être pour la plus grande gloire de Dieu, je fuis quelquefois employée aux externes, je ne puis vous exprimer le plaifir que je trouve à inllruire fes petites âmes & leur aprendre à connoître 8^ aimer Dieu, je prie
le Seigneur qu'il me face la grâce d'y bien
réûlîir.
Dans quelques années nous pourrons avoir belbin quil nous vienne encore quelques filles de France, fupole qu^il ne nous Ibit pas poflible de l'ubvenir à tout, quand nous en aurons abfolument neceiïlté nous en demanderons.
Nôtre Révérende Mère Supérieure a toujours pour moi mille bontez, elle vous laluë ainfi que la Mère Saint François Xavier que vous avez vue à Rouen.
Toute nôtre Communauté eil dun contente-ment qu'on ne peut exprimer, nous allons fuivre toute à la fois les fondions de quatre différentes Communauté/, celle des Urfulines, c'eft nôtre premier & principal Ordre, celle dHofpitaliere, celle de Saint Jofeph 8c celle du Refuge, nous tâ-cherons de nous en acquiter le plus fidellement qu'il nous fera poflible.
Je vous lupplie de me croire avec un trés-fm-cere & trés-relpedueux attachement, MON CHER PERE,
Vôtre trcs-humblc & trcs-obcïlîantc Fille & fcrvantc HaCHARD de Saint Staniflas.
sieeiii^^e^e^
LETTRE
A LA NOUVELLE ORLEANS
r.V vingt-quatrième Avril ij'-jS.
M
ON TRÈS-CHER PERE,
J
ai reçu avec bien du plailir les deux Lettres, que Vous avez eu la bonté de nVécrire, dattées des douze 8c :vingt Aoull 1727. vous me deman-dez une explication de Tétat du Pays, la fituation de nôtre Ville, 8; enfin tout ce qu'on peut ap-prendre de ces lieux; mais j'elpcre avoir luflfila-ment prévu à votre intention, par la Relation exade des petites avantures de tout notre Voyage 8c de notre arrivée ici, que je \ous ai envoyé au
moisd'Oaobre 1727. 8c par plufieurs Lettres que j ay eu Thonneur de vous écrire.
Je croi vous avoir marqué que notre Ville nom-mée la Nouvelle Orléans, Capitale de toute la Louifienne, ert fituée fur le bord du Fleuve nom-mé le MilÏÏfipy du côté de TOrient, il eft en cet endroit plus large que n'eft la Rivière de Seine à Kouen, de notre côté de ce Fleuve il y a un talut bien conditionné, pour empêcher le débordement du Fleuve dans la Ville, & le long de ce talut du côté de la Ville, eft un grand fofTé pour écouler les eaux qui y defcendent, avec des paliflades de charpente pour la fermer.
Et de Tautrecôté de ce Fleuve, ce font des bois Hiuvages dans lefquels il y a quelques petites Cavernes où logent les efclaves de la Compagnie des Indes; vous voyez par-là que la Carte de l'état de la Loufienne, dont vous me marquez avoir fait achapt, dans laquelle la Ville de la nouvelle Or-léans y eft repréfentée être fituée fur le bord d'un lac nommé Pontchartrain, éloignéede fix lieues du Fleuve du MifTifipy, n'eft pas exadle, car notre Ville n'eft certainement pas fituée fur le bord d'un lac ; mais bien fur le bord du Fleuve même du Miflifipy, il eft vray que toute la force de ce Fleuve
ne pafTe pas par ici, car audefïus de notre Ville, il fe l'épare8c forme trois bras de Rivière qui fe rejoignent audeflbus, & fe vont décharger avec rapidité dans le Golfe du Mexique.
Notre Ville eft fort belle, bien conftruite, & ré-gulièrement bâtie, autant que je m y peux con-noître, 8c que jen ai vu le jour de notre arrivée en ce pays, car depuis ce jour-là, nous avons toujours refté dans notre Clôture, quoi quavant notre arrivée Ton nous en avoit donné une trés-mauvaile idée, il eu vrai que ceux qui nous parloient ainfi n'y étoient pas venus depuis quelques années, qu'on a travaillé & qu'on travaille encor aduelle-ment à la perfedionner.
Les rues y font tres-larges & tirées au cordeau, la grande rue a prés d'une Jieuë de longueur, les Maifons fort bien bâties en CoIIombage & mortier blanchies en chaud, lambriffées & percées toutes à jour, les deffus des Maifons font couvertes de bor-deaux, qui font de petites planches taillées en forme d'ardoife, il faut le fçavoir pour le croire, car cette couverture a toute l'aparence & la beauté de l'ardoife, il fuffit de vous dire qu'il fe chante ici publiquement une chanfon, dans laquelle il y a que cette Ville a autant d'appa-
L
rence que la Ville de Paris, ainfi c'eft tout vous dire.
En effet elle eft tr^\s-belle, mais outre que je n'ai pas aflez d'éloquencepour pouvoir vous perluader toute la beauté qu'en dit la chanfon, c'eft que je trouve de la diflerencc entre cette Ville & celle de Paris, elle pouroit perluader gens qui n auroient jamais vu cette Capitale de France, mais je Tai vue & la chanlbn ne me pcrfuadera pas du contraire de ce quej^enpenle, il eft vrai qu'elle s'agrandit jour-nellement, ^ pourra devenir par la fuite aum belle & grande, que les principales Villes de France, fiil y vient encor des ouvriers, 8c qu'elle devienne peuplée à proportion de la grandeur.
Les Femmes ignorentes pour leur falut, ne le font pas pour la vanité, le luxe qu'il y a dans cette Ville fait qu'on n'y dirtingue perfonne, tout eft dune égale magnificence; la plufpart font réduites à ne vivre avec leur famille que de Saganité, qui eft une efpèce de bouillie & font vétuës d'étoffes de velours ou de damas remplies de rubans, nonob-ftant la charte, car les étoffes fe vendent régulière-ment en ce pays trois fois plus qu'en France, les femmes portent icy, comme ailleurs, du blanc & du rouge pour cacher les rides de leur vifage, avec
des mouches; enfin le démon pofTede icy un grand empire; mais cela ne nous relire pas Telpérance de le détruire, Dieu aimant, comme il en eft une infinité d'exemples, à faire paroître fa force dans notre foiblefTe, plusTennemi efi puifFant, plus nous fommes encouragées à le combatre, ce qui nous fait plaifir efi la docilité des enfans que Ton tourne comme Ton veut, les Naigres font audi faciles à inftruire, quand une fois ils fçavent parler Fran-çois, il n'en efi pas de môme des Sauvages, qu'on ne Bâtise qu'en tremblant à caufe du penchant qu'ils ont au péché, fur tout les femmes, qui fous un air modefie cachent des palfions de bète.
Nôtre réfidence depuis notre arrivée ici, efl dans la plus belle maifon de la Ville, elle efi à deux éta-ges 8c audeffus une menfarde, 'nous y avons tous les appartemens neceffaires, fix portes pour entrer aux appartemens de bas, il y a partout de grandes croifées, cependant il ny a pas de vitres, mais les chalTis font tendus de toilles fines & claires, qui donnent autant de jours que du verre.
Elle ertfituée à un bout de la Ville, nous y avons une baffe cour & un jardin, qui font bornez & fe joignent d'un côté & d'un bout a de grands Arbres fauvages, d'une hauteur & groffeur prodigieufe, ce
qui nous procure dès premiers la vifite d'un nom-bre infini de Maringouins, de Frappes-d'abord, ^ d'une autre elpéce de Mouches ou Bibcts avec les-quels je n'ay pas encor fait connoilïancc, & ne les connois par nom ny par furnom, mais l'eulement de vue, il y en a dans ce moment plufieursqui vol-tigent autour de moy & voudroient m'allafiner.
Ces méchans animaux piquent fans miféri-cordc, nous en fommes affaillis les nuits, & heu-reusement qu'elles ne paroifFent que le loir après le Soleil couché, jufques au lendemain au lever du Soleil qu'elles le retirent dans les bois, ce qui nous oblige les nuits de bien clore nos portes & fenêtres, autrement elles ne manqueroient pas de nous venir viliter dans nos lits, & quelque précaution que nous prenions nous ne pouvons nous exempter de porter leurs marques.
La Mailbn que l'on nous bâtit elt fituée à l'autre extrémité de la Ville, le Révérend Père de Beaubois & l'ingénieur de la Compagnie qui en conduifent le deflein, luivant l'idée que nous leur en avons donnée, nous en font fouvent voir le plan, elle fera toute de brique & fufïifante pour y loger une grande Communauté, il y aura tous les apartemens que nous pourons fouhaiter, trés-régulierement
bàlie, bien lambriiTce, avec Je grandes croilees wV des vitres auxchaflls; mais elle iVavance guère, Monfieur Perier, notre Gouverneur^ Comman-dant, nous avoit fait elpérer qu'elle feroit prête à la fin de cette année-, mais les ouvriers étant très-rares, nous ferons heureules d'y pouvoir loger & prendre polleffion de notre Hôpital à Pâques 1729. il nous faudra alors de nouveaux fecours, je prie le Seigneur qu'il nous envoyé de bons fujets.
Monfieur Perier & Madame fon Epoufe, qui efl trés-aimable& d'une grande pieté, nous font l'hon-neur de nous venir voir fouvent, le Lieutenant de Roy efl aulTi un parfait honnetc-homme 6c ancien Officier, tous nous comblent de toutes lortes de prelens, Ton nous a donné deux vaches avec leurs veaux, une truye & fes petits, des poulies et des canards mufquez, tout cela commence notre bafTe-court, nous y avons aulTi des dindes & des oirs, les Habitans voyant que nous ne voulions pas prendre d'argent pour inflruire nos Externes, font pénétrez de reconnoiffance & nous aident de tout ce qu'ils peuvent, les marques de protedion que nous recevons des principaux du pays nous font refpeder de tout le monde, tout cela ne fubfifteroit
pas, fi nous ne foutcnions par nos allions, la grande idée que Ton a de nous.
Pendant le Carême nous avons fait gras quatre jours par lemaine permis par l'Eglife, 8: hors le temps de Carême, on ne fait maigre que les Ven-dredis, nous buvons de la Bière, notre nourriture la plus ordinaire eÛ du Ris au lait, des petites Fèves fauvages, de la viande & du poilFon-, mais en Eté nous mangeons peu de viande, Ton n'en tue que deux fois la lemaine, elle n'elt pas facile à conferver, la chade dure tout THyver, qui com-mence au mois d'Odobre, elle fc fait à dix lieues de notre Ville, Ton y prend des bœufs Sauvages en grand nombre qu on amené ici & aux environs, nous Tachetons trois fols la livre comme le che-vreuil, cette viande eft meilleure que le bœuf & mouton que vous mangez à Rouen.
Les canards fauvages y font à trés-bon marché, les Cercelles, Poules-d'eau, les Oirs, & autres Vo-lailles & Gibier y font aufli très-communs, nous n'en achetons guère, car nous ne voulons pas nous délicater, enfin c'efl un pays charmant tout THy-ver, & en Eté le poiffon y eft commun & trés-bon, il y a des huîtres & des carpes d'une grandeur pro-digieufe qui font délicieufes, à Tégard des autres
poifl'ons, ii n'en c(l point en Friincc de cette façon, ce l'ont de grands poiflbns monftrueux qui font afl'ez bons, nous mangeons aufii des melons d'eau & des melons françois, des patates qui font de groOes racines que Ton met cuire dans les cendres comme des marons, cela en a le goût, mais plus fucré, fort moilleux 8c trés-bon, tout ceci, mon cher Père, eft comme je vous le raporte, je ne vous dis rien dont je n'ayc fait rexpériencc, il s y mange encor beaucoup de viande, poiffons 8c légumes dont je n'ay point encor goutc, & ne puis vous marquer leur bonté.
A regard des fruits du pays, il en efl beaucoup que nous ne trouvons pas trés-cxcellcns, excepté les pèches & les figues qui y font en abondance, on nous en envoyé des Habitations une fi grande quantité, que nous en faifons des confitures & de la gelée de Mure qui eft très-bonne, le Révérend Père de Beaubois a un jardin le plus beau de la Ville, il eft plein d'Orangers qui portent d'aulTi douces & belles Oranges qu'au Cap François, il nous en a donné trois cens aigres que nous avons confites. Dieu mercy nous n'avons encor manqué de rien, notre Révérend Père a foin de pourvoir à nous faire fournir notre nouriture, nous fommes
bien mieux que nous n avions crû Têtre, mais ce n'eftpas la notre fouhait ni l'intention de notre en-treprife, notre principal but eft d'attirer des âmes au Seigneur, cV il nous accorde les grâces d'y par-venir, notre Révérend Père nous aide bien en cela, il nous dit tous les jours la Sainte Meffe & nous fait des conférences publiques, û nous avions le malheur de le perdre, foit par maladie ou au-trement, nous ferions bien atriftées & bien à plaindre.
Ce Révérend Père nous a fait la femaine Sainte une retraite & à nos Penfionnaires, plufieurs Dames de la Ville s'y font rendues affiduës, elles fe font trouvées quelquefois aux Exhortations & Confé-rences jufqu'à prés de deux cens, nous avons eu les Leçons de Ténèbres en mufique & un Miferere chaque jour accompagné d'inflrumens, notre Mère afTiftante, qui eft madame le Boulenger, s'eft figna-lée en cette occafion, le jour de Pâques à la Meffe & au Salut nous y chantâmes des Motets à quatre parties, & la dernière des Fêtes de Pâques nous chantâmes la Meffe entière en mufique, les Con-vents de France, avec tout leur brillant, n'en font pas tant.
1>.ut cela fait un alfez bon ctiet, & aide beaucoup
à iittircr le Public, les uns par un commencement de dévotion, & les autres par curiofité, & toujours !l s'enluit un Sermon à la fin, car notre Révérend Père eft d\in zélé admirable, il femble qu'il ait en-trepris .Se qu'il loit certain de convertir tout le monde; mais je vous allbre, mon cher Père, qu'il a encore beau travailler pour y parvenir, car non-feulement la débauche, la mauvailë Iby .^c enfin tous les autres vices régnent ici plus qu'ailleurs, maisencor avec abondance démefurée; pour ce qui eft des filles de mauvaife conduite, quoi qu'on les obfervedc prés .Se qu'on les puniûe sévèrement en les mettant llir un cheval de bois, & les t^ifant fouetter de tous les Soldats du Régiment qui tait la garde en notre Ville, il ne lailTe pas d'y en avoir plusquil n'en laudroit pour remplir un refuge; l'on fait le Procez à un voleur en deux jours, il eft pendu ou roué, foit Blanc, Sauvage ou Nègre il n'y a point de diftinclion, ni de miféricorde.
Notre petite Communauté s'accroit de jour en jour, nous avons vingt Penfionnaires, dont huit ont fait aujourd'hui leur première Communion, trois Dames aufti Penfionnaires, & trois Orphelines que nous prenons par charité, nous avons autfi lept Efclaves Penfionnaires à inftruire pour le
M
Batême wV la première Communion, avec cela un grand nombre d'Externes, & desNcgrelïes & Sau-vagefles qui viennent deux heure^^ par jour pour être inflruites , Tufage eft de marier ici les filles à lage de douze & quatorze ans, avant nôtre arrivée Ton en avoit marié une quantité fans qu'elles fçulfent combien il y avoit de Dieux, jugez du refle; mais depuis que nous y fonnnes. Ton n'en marie aucunes qu'elles ne foient venues à nos inftruc-tions.
Nous fommes accoutumées à voir des gens tous noirs, on nous a donné depuis peu deux Pen-fionnaires Nègrefles, âgées de fix ans & l'une de dix-fept, pour les inftruire à notre Religion, & elles relieront à nous fervir ; fi c'étoit la mode ici que les Négreflbs portaffent des mouches au vifage, il faudroit leur en donner de blanches, ce qui feroit un effet aifez drôle.
Vous voyez, mon cher Père, que voilà dequoi exercer notre zélé, je ne puis vous exprimer le plaifir que nous trouvons à inftruire toutes ces jeunefles, il nous fuflfit de confidérer le befoin qu'elles en ont, des Penfionnaires de douze & quinze ans qui n'avoient jamais été en confelfe, ni même à la Meffe, élevées dans leur habitation,
éloignées de cinq \; fix lieues de cette Ville & par conféquent fans aucun fecours fpirituel, enfin elles navoient jamais entendu parler de Dieu: quand nous leur difons des chofes les plus communes, ce font pour elles des oracles qui fortent de nos bou-ches ; nous avons laconfolation de trouver en elles beaucoup de docilité & de grandes ardeurs d'être inftruites, 6c toutes voudroient être Religieufes, ce qui n'elt pas du goût du Révérend Père de Beau-bois, notre trés-digne Supérieur, il trouve plus à propos qu'elles deviennent des mères Chrétiennes, afin d'établir dans le pays la Religion par leurs bons exemples.
Je fuis toujours trés-contente d'être en ce pays & dans ma vocation, vV ce qui redouble ma joye ert de voir approcher le temps de ma Profelîion, je ne puis vous exprimer le plaifir que j'aurai de pro-noncer mes Vœux dans une terre Etrangère, où le Ghriftianifme eft prefque inconnu ; il efl: vrai qu'il y a bien d'honnêtes gens félon le monde, mais il n'y a pas la moindre apparence de dévotion, ni même de Chriflianifme ; que nous ferions heu-reufes û nous pouvions l'y établir, avec faide que nous avons de notre Révérend Père Supérieur & de quelques Religieux Capucins qui s'y employent
pareillement, 8c y font de leur côté aulfi tout leur polïihle, je vous afllire que nous n'y épargnons rien.
Je ne puis me difpenfer de vous faire part de la trifte avanture arrivée à nos deux Révérends Pères Tartarin & Doutrelo, nos dignes conducteurs de voyage, nous venons d'aprendre, par leurs Lettres, qu'à vingt lieues des Illinois, le Canot dans lequel étoit le Révérend Père Doutrelo palllmt une Ri-vière a péri, il fe fauva en chemife à la nage, il a perdu toute fa Chapelle, les habits & tout Ion Equipage, il avoit fait cinq cens lieues allez heu-reulement, pour faire ainfi naufrage au Port, il n'arriva rien au Révérend Père Tartarin, qui étoit dans un autre Canot, & qui ufa de charité, ayant deux Soutanes, il lui en donna une, ainfi du refte.
Puifque inlenfiblement me voila conduite jul-ques aux Illinois, je vous dirai, mon cher Père, que le Révérend Père Boullenger, qui y ell, demande des Religieufes pour y faire un établifTement, il en a écrit pour cela à la Mère Boullenger fa Sœur, qui lui a répondu n'avoir point encor aflez de vo-cation, pour s'éloigner plus loin que la Nouvelle Orléans, & que cela lui pourra venir dans quelques années-, mais quoi quelle feroi* i-.is-zélée à vouloir
lOI
aprendre le Chriflianilme à les pauvres lauvages Illinois, dont la plupart comme ceux-ci n'ont ja-mais entendu parler de Dieu, j'elpére qu'elle ne nous quittera pas, ayant ici ailez dequoi exercer la charité, nous ne fommes pas trop, & je vous allure que nous Ibmmes toutes occupées depuis le matin julques au loir, nousn'avonspysunmoment à nous, celui de vous écrire, je le prens lur mon repos de la nuit.
Monlieur Krier, notre Commandant, nous a fait faire ici il y a quelques jours une prilbn, pour y placer une Dame de nos Penfionnaires, qu'il nous avoit lui-même donnée étant féparée d'avec Ion mary ; mais comme cette Dame commençoit à s'ennuyer au Convent & à vouloir avoir un com-merce lecretavec un féculier, il la fait emprilbnner avec le confentement de fon mary, en attendant qu'on puilTe la renvoyer en France; voilà de la manière qu'on en ule icy.
Je vous ay marqué par une de mes précédentes Lettres, que Monfieur Robert Cavelier Sieur de la Salle, natif de Rouen, étoit venu en 1676. & i685. par ordre du Roy Louis quatorze, en ce pays de la Louifienne, en qualité de Vice-Roy du Milïi-fipy, avec nombre de perlbnnes de la même Ville
de RoLïen, pour en faire la première découverte ; voilà tout ce que j'en fçavois alors, mais depuis j'en ai apris d'autres circondances qui vous feront plaifir.
Le Roy informé de cette première découverte faite par iMonlieur de la Salle, des Terres du Mifrjfipy en Tannée 1676. de l'eftime qu'il s'étoit acquis des Sauvages, qu'il étoit aimé des Illinois, des Hurons ^ de la plupart des autres Nations du Miflifipy, Sa qu'il avoit trouvé le moyen de fe faire craindre ^ relpederdes Irroquois, Nation la plus cruelle & la plus barbare de toute l'Amérique, puifqu'ils mangent les Blancs, le nomma en 1684. Vice-Roy de la Louilienne, lui permit de lever des troupes, iuy donna quatre Vailleaux commandez par le Ca-pitaine Beaujeu, & l'embarquement fe fit à la Rochelle vers le mois de Juillet de ladite année 1684.
iMonfieur de la Salle mena quand Iuy des ou-vriers de tous métiers pour faire un établilTement, lix Milïïonnaires Apoftoliques ; fçavoir trois Ec-clefiaftiques & trois Religieux Recolets, les Eccle-liaftiquesétoientMonfieur Jean Cavelierfon Frère, Monfieur François de Chefdeville Ion Parent, qui Ibrtoit de Saint Sulpice à Paris, & Monlieur d'Ai-
manville, qui Ibrtoit aulll de Saint Suîpice; les trois Religieux étoicnt les Pères 7enoh!e, Anallafc 8: Maxime, 8c un grand nombre de Volontaires qui sY'toient prefentez pour venir avec lui, tous jeunes gens choifis, enlans de Famille natifs de Roiien, qui étoicnt entr'autres les Sieurs Cavclier 8c Cre-vel du Moranger, fes Neveux, Henry de Chefde-ville, Frère de rEccleliaflique, 8c Defloges, fes Pa-rents, Oris, Bihorel, de Clcre, Planterose, le Car-pentier, Thibault, Tefller, le Gras, Minet, de Ville Perdry, Davault, Hurié, Talion, Gayen, le Noir, FArchevèque, Liotot, de Marie, Hians, Munier, Jouftel, Duhault Frères, des I.iettes, le Clerc, Du-mefnil, Saget 8: beaucoup d'autres au nombre de viron deux cens cinquante, y compris cent foldats & leurs Officiers, dont Monfieurde la Sablonniere étoit le Lieutenant, le Sieur Henry de Chefdeville, âgé de dix-huit ans, mourut de maladie dans le VailTeau, après trois mois de Navigation,
îl avoit projeté d'aborder par Tembouchure du Fleuve du Miffifipy ; mais quelque méfintelligence, qui arriva fur la route entre Monfieur de la Salle 8^ le Sieur de Beaujeu, Capitaine du VailTeau du Roy, occafionna qu'ils ne purent trouver cette em-bouchure, 8c Monfieur de la Salle fe trouva forcé
Je débarquer avec fa troupe à viron cent cin-quante lieues plus bas du ente deTOccident, entre ce fleuve ^ la Nouvelle Elpagne, territoire de TA-mérique, occupée par les Efpagnols, dans lequel il y a plulieurs mines d or & d'argent, qui produi-lent au Roy d^Elpagne tous les ans un profit trés-considérable, le Sieur de Beaujeu abandonna en cet endroit Monfieur de la Salle, 8c retourna en France avec fon Vailfeau.
Monfieur de la Salle 8c fa troupe montèrent en-fuite fort avant dans le pais, vV après avoir tra-verfé nombre de Kivieres, Forêts & Campagnes, ils le trouvèrent prés le fort des Illinois, lieu que Ton nomme aujourd'hui le petit Rocher, fans approcher de notre canton; il eft vray qu'en ce temps-là il n'y avoit point ici de Ville de la Nou-velle Orléans, c étoit un lieu defert & champêtre, jufques au temps de la Régence de Monfieur le Duc d'Orléans, qu'on a jette les premiers fonde-mens de cette Ville, & c'efî à ce fujet qu'on la nommée la Nouvelle Orléans, 8c n'a eu appa-rence de Ville que depuis l'année 1723. qu'on y a travaillé autant qu'on a pu trouver des
ouvriers.
Revenons à Monfieur de la Salle, comme ce
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brave Capitaine fçavoit fe faire craindre, & eftimer des Sauvages, il fembioit que tout favorifoit aflez Ion entreprife-, mais au mois de Mars 1687. un jour qu'il fe difpofoit à envoyer Monfuur Cavelier Prêtre fon Frère en France, pour informer le Roy de Tétat de fon entreprife, il fut affalïiné par le complot funeflc de cinq de fes gens, par une efpèce de jaloufie, le crime de Duhault, qui lui donna le cruel coup de mort, ne demeura pas impuny, car peu de temps après, Hians lui reprochant fa perfi-die, le tua, & les quatre autres complices font de-puis morts malhcureufement dans ce pays, n'ayant ofé repaffer en France.
Après que cette troupe eut perdu ce brave Ca-pitaine, qui avoit feul la connoitfance du pays, elle fe trouva également déforientée & défolée, & fe difperfai, Montieur Cavelier Prêtre, le Sieur Cave-lier fon Neveu, âgé de feize ans, le Père Anaftafe, Recolet, & les Sieurs Joulkl & Teflier, réiblurent de retourner en France, & paflanl au Village des Accanas, ils y trouvèrent une Habitation dans la-quelle étoient les nommez Couture, charpentier, & Delaunay, cuifinier, tous deux natifs de Roiien, que Monfieur Tonty, Commandant alors le Fort de Saint Louis chez les Illinois, avoit laiifez dans
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ce porte pour le garder, & ils prirent enfuite la route du Canadp, palFerent par le Fort-Louis, Mont-Real, & Québec, où ils s'embarquèrent pour re-tourner en France.
Les Sieurs Defloges, Oris, Thibault, le Gras, Liotot \; le Carpentier, furent tuez par les Sau-vages, ^ le relie de la troupe le retira aulïi chacun de leur côté, excepté Monfieur de Chet'deville, Prêtre Millionnaire, qui refta au même lieu du Rocher, jufques au mois d'Avril 1688. qu'il avança du côté des Illinois, vers les Irroquois, où il bàtifa & convertit grand nombre d'ames à Dieu, puis il eft décédé dans un Village en odeur de Sainteté, pour être couronné dans le Ciel en récompenfe du zélé ardent qu'il a fait paroître pour le lalut des âmes de fes pauvres Sauvages, ayant été un des premiers qui a eu la confolation douvrir le Ciel aux premiers Chrétiens & Saints de cette Nation. C'eft ainfi que la noble & glorieufe entreprile de Monfieur de la Salle a échoué, & fans cette per-fidie, il auroit découvert dès ce temps-là tout le pays du Miflifipy, auquel il avoit donné le nom de la Loûifienne, & il auroit eu une infinité de Fa-milles qui feroient venus de France & du Canada s'y établir & y planter la Foy , un de ceux qui étoit
de la Compagnie de Monfieur de la Salle au Ro-cher, nommé Dcllicttes, qui refta au md'me lieu du Kochcr, wV, qui n'y clt mort que depuis deux ans, a rapporté cecy de la manière que j'ai l'honneur de vous le marquer, voilà tout ce que j'en ai pu a prendre.
Votre Ville de Rouen ne te glorifie-t'elle point, moucher Père, de l'honneur qu'elle a que c'a été Monfieur de la Salle ^c la Compagnie, prelque tous gens natifs de cette Ville, qui ont fait la première découverte du iMilUfipy, Monfieur de Chefdeville, Prêtre MiOionnaire, qui a planté des premiers la Foy, ^ enfin aujourd'hui des Heligieux et Reli-gieufes Urllilines de la même Ville, qui travaillent de tout leur polfible à l'inftrudion & falut des âmes de fes pauvres Sauvages; voilà dequoy exalter vos Citoyens, & les engager d'aller encor à la décou-verte des autres Terres inconnues, & d'y porter le Chriftianilme, je ne l'çay 11 c'eflà cette occafion ou autrement que les Sauvages de la Louifienne font tant d'eftime des Normands, ils confidérent cette Province plus qu'aucune des autres, & les recon-noiffent capables de réudir dans toutes leurs en-treprifes; fi on leur parloit des ConquêtesdesDucs de Normandie, les bravoures des Normands à la
Terre Sainte lors des Croifades, leurs Conquêtes du Koyaume d'Angleterre & autres, ils en Teroient encor bien autrement convaincus; mais nous ne Ibmmes pas icy pour cela, fi ils les veulent Içavoir qu'ils s'en informent à d'autres, où lifent les Hirtoires.
Je lerois curieule de fçavoir, & je vous prie de vouloir bien vous informer de quelle famille étoit ce Monlieur François de Chefdeville, Prêtre Mil-fionnaire, j'cTy entendu dire plulleurs fois à mon Grand-l\'re 8.:à notre Coulin Autin, Capucin, que nous étions parens de Monlieur Cherdevillc, Mar-chand à Kouen, lequel avoit, je croy, deux fils Re-ligieux Capucins 6c une fille lleligieufe à Saint François, je croi que c'efi elle que j'ai l'honneur deconnoitre, elle étoit la Mère Vicaire quand j"ay party de Rouen, nous pourrions élre de la même famille, il vous elt facile de le Içavoir du Révérend Père Autin, Prieur des Religieux de Saint Antoine, fi il efi encor vivant, où confi.ilter la Généalogie que vous avez de notre famille, fi nous Ibmmes alliez, ce doit être du côté de Monfieur Autin, ou de Monfieur Dumontier, vivant Maîtres des Comptes, & fi cela efi comme je le penfe, d'avoir la boiité de me le mander par la première de vos
Lettres, car i fouhaitcrois bien être allié de ce Saint Miiïîoh iirc, étant obligé de faire du bien plutôt à fes parens qu a autres, j'espérerois avoir plus de part aux Saintes Prières qu'il fait au Seigneur dans le Ciel.
Vous trouverez cy-joint une Lettre que notre trés-Révérende 8c aimable Mcre Supérieure vous écrit, je vous afTure, mon cher Père, qu'elle a tou-jours, ainfi que toutes nos Mères, mille ^ mille bontez pour moy, il ne nVcft pas polïible de vous les exprimer, je ne puis me lafFer de vous dire que plus je vais en avant, plus je me trouve heureule d'avoir écouté la voix du Seigneur, lorfqu'il m'ap-peloit à une fi fainte Vocation, je fouhaiterois que toutes mes Sœurs priflent le même party; je fuis réjouie d'apprendre que ma Sœur Elilabeth con-tinué de refier à Saint François avec ma Sœur la Religieufe, plus elle y reliera mieux elle sy trou-vera; car dans la Religion, il femble quelle ne re-prefente à nos yeux que des épines, mais après en avoir fait l'expérience, ces épines fe trouvent chan-gées en rofes^ à l'égard de ma Sœur Louifon, je prie chaque jour le Seigneur de me faire la grâce d'apprendre par votre première Lettre fa Pro-
leffion au Val de Grâce, ce lera pour moy une vraye joye.
J'avois écrit cette Lettre jufques à cet endroit, ;îfin, mon cher Père, qu elle fut prête à vous l'en-voyer dans le premier Bâtiment qui partiroit pour France ; mais n'en étant point parti, & ccjourd'hui 8, May 1728. apprenant qu'il y en a un prêt à mettre à la Voille je Tacheve prélentement ; je n'ai rien de nouveau à vous marquer, finon que j'ai eu depuis plufieurs jours quelques accès de fièvre, je pris hier, pou? m'en guérir, de Témétique, c'efl la médecine ordinaire de ce pays.
Notre Révérende Mère 8: chère Supérieure eft toujours indifpofée, & nos autres Mères fe portent parfaitement bien, elles m'ont toutes chargée de vous afTurer de leurs civilitez.
Nous fommes debaralTées de la Dame dont je vous parle cy-defTus être prifonniere chez nous, un Confeiller de ce pays s'étant échapé de dire qi.'il la vouloit bien prendre chez lui, Monfieur Perier, notre Commandant, la fait conduire en fa maifon, & la chargé de cette garde.
Je prie tous les jours le Seigneur 'il vous conlerve tous en parfaite fanté, 6c fu- .u plus profond de mon c(ieur trés-refpectueufement,
MON CHER PERE,
Vôlrc trcs-humblc & trcs-obcïnantc Fille «& Servante HaCHARD, de Saint Stanilhis.
Permis d'Imprimer à %oiwn ce i». dVâobrc 172S.
DE HOUPEVILLE.
NOTES.
oMjiv.oire concernant ienlise de la Louisiane . i j-j-j-1 j -jH }y
du j I novembre lyjH.
Par orJnnnancc tk' .Messieurs les (commissaires du Conseil Jii iT) Mai \~ii. rcnJiic sur le consentement Je M. l'Kvêque Je Québec, la province de la Louisiane fut divisée en trois ju-ridictions spirituelles.
I,a première devoit comi)rendre tout le pavs qui se trouve en remontant le lleme Sr Louis ilepuis la mer jusques à la i-auteur de l'entrée de la rivière d'Ouahachc dans le Meuve .■^t Louis: lu toute Kl partie de l'ouest de ce fleuve dans ladite étendue de l^tys. i.,es es^lises et les missions de cette juridiction d.'voient être desservies par les capucins et leur supérieur de-\()it toujours être i^rand vicaire de .\L rtLvêque de (Québec dans ce département et résider à la Nouvelle Orléans
La seconde juridiction devoit s'étendre sur tout le pavs qui se trouve dans le haut de la province depuis la rivière d'Oua-!>ache. et devoit appartenir aux Jésuites dont le supérieur résidant aux Illinois devoit toujours être aussi grand \icaire de M. ri'A'êque de Québec dans cette partie.
La troisième devoit s'étendre sur tout le pivs qui se trouve à l'est du fleuve depuis la mer jusques ;\ Ouabache et devoit être donnée aux Carmes dont le supéi-ieur seroit également grand vicaire et se tiendrait ordinairement à la Mobile.
l)i,iib ia nicmt anncc 1722, les Capucin> prirent possession de leur district.
Les Jésuites etoient déjà établis depuis lonfçtemps di.ns le leur.
Les Carmes étoient à la Mobile, mais M. Ti-^èque de (^)uei)ec peu satisfait de leur conduite, réunit leur juridiction à celle d.s (Capucins par ordonnance du n» décembre 1722, et ils repassèrent en France.
\u mois de décembre 1723, la Compagnie jugeant ejue les (Capucins ne pouvoient fournir assez de religieux puur remplir toutes les cures et toutes les missions dans une partie aussi vaste e]ue celle qui venoit de leur être donnée, lit borner leur juridiction aux Natchez; leur laissant tout le pays depuis ce poste en descendant le tlcuve, tant à l'ouest qu'à l'est; et don-nant le surplus aux .Jésuites, qui, dans ce département, avoient pour coopcrateurs deux prêtres des missions étrangères.
Celte disposition ellVaya les Capucins, ils demandèrent surcte pour ce qui leur restoit ; quoique ce qui leur restoit comiMit une tr»^s grande étendue de pays et le plus peuplé. La Compagnie pour les tranquilliser expédia, le 2? Juin 1725, une ordonnance portant que toutes les cures et missions établies et à établir dans le pays réservé en dernier lieu aux Capucins se-roient par eux remplies sans qu'il put y être placé aucuns autres religieux ni prêtres, si ce n'étoit de leur consentement. Ce qui fut selon leur désir contirmé par un brevet du Roi du 25 Juillet 1725.
Mais les Capucins avoient plus de zèle qu'ils ne pouvoient fournir de monde. La paroisse de Champagne d'où viennent ceux de la Louisiane est petite et stérile en sujets. La Com-pagnie donc voyant qu'ils ne donnoient pas autant de religieux qa il ctoit nécessaire pour remplir les postes ecclésiastiques de k'ur district, et sachant d'ailleurs qu'ils etoicnt peu propres aux
missions chez les sauvaf,'cs, juL^ca qu'il tlilloit aiisoiumcnt établir un nouveau partaL;c', qui convenant au caractère et aux talents particuliers Jes deux ordres, rendit désormais invariable leur état. lOlie prit le parti de iixer dans tous les postes françois les (Capucins, et de charger les Jésuites de la conduite spirituelle des sauvai^es, sous le bon plaisir de Tévéque de (.)uebcc, qui a tort approuvé cet arrangement par ses lettres.
Kn conséquence elle passa un traite, le 20 lévrier ijati, avec les Pères Jésuites, par lequel ils s'engagèrent de fournir des missionnaires, non seulement dans tous les lieux de leur district, mais encore chez les nations sauvages, où il scroit de l'interéc de la religion et de l'i^tat de les établir dans l'étendue auparavant attribuée aux Capucins.
On ne put se dispenser d'accorder par ce traité au supérieur des missions jésuites un hospice à la Nouvelle Orlcins. 11 ne scauroit recevoir que kl ce qui vient de France pour ses mi^i->ions. Ce n'est que cette résidence là non plus qui le mette a portée de rendre compte au commandant gênerai et au Con-seil de ce que ces missionnaires lui apprennent touchant les dispositions des sauvages, dont l'amitié fait notre sûreté. Mais la Compagnie n'accorda cet hospice au supérieur des Jésuites qu'it condition qu'il n'y feroit aucunes fonctions ecclésiastiques sans le consentement des Capucins.
Au mois de décembre ijiG, il partit de France le nombre do Jésuites nécessaire pour remplir les missions qu'ils étoicnt convenus d'établir. Leur arrivée à la Nouvelle Orléans «ît la publication de leur traité causèrent d'abord aux Capucins beaucoup de jalousie; mais C(jmme cette jalousie ctoit mal fondée, on leur lit bien entendre raison et tout auroit été tran-quille si le P.de lîeauhois, supérieur des missions jésuites, eut été ponctuel à tenir ses engagements. Il étoit convenu en dres-sant les articles du traité avec !» f-ompa^nic de !ii condition
CAi-.i^.se ciuit ne ferait a la .Wnivciie Orlcaiis antunc funa.'.n ecclcsiastiquo^auslc amscntcmcut des Capucins. 11 luoit sif;nc avec s.-s supérieurs le même traite portant . ette condition. 11 avoit promis à M. de Mornai. alors coadjutenr et auiourd'i.ui eve.juede Québec, de s'y conformer fidèlement. U avoit cn.ui c:ru au 1'. Kiiphaël supérieur des Capucins, qui! alloit iMcntosi se r.!;dre à la Nouvelle Orléans, pour v vivre en simple parti-eidier: Et cependant, pendant tout ce lemps-la, il laisoit a.^ir à (^iel)ec auprès de lévèque pour se faire accorder la qualité et i\iutorité de son -rand vicaire, même pour la Nouvelle
Orléans.
Arrivé dans cette \ iUe avec la rcpo .se de l\;veqae. e|Ui rfetoit tout au plus qu'un simple acquiLScem.nt à sa demande, il pré-tendit que cet acquiescement éloit un ordr.> absolu, un com-mandement de maître, il déposa sur ce pied là au .;relle public la lettre du prélat: il se porta hautement pour j;rand v.caire: en e--erca les fonctions ; se lit supérieur de la communauté des L'rsulmes et s'y empara de toute l'autorité, i.a Compagnie à la pivuve de tous ces faits et du scandale qui en résulta; Kt ce. preuves sont telles que les supérieurs du P. de Ueaunois fon déposé et révoqué tout simplement après les avoir lues.
Celle revocation étoit d'autant plus nécessaire que les capu-cins demandoient sérieusement do repasser tous en France, si le \\ de Heaubois restoit; (^le M. de Mornai à qui Monseigneur de Québec avoit conféré toute son autorite sur l'cglise de la Louisiane exigeoit de la Compagnicla sortie de ce perc; Kt que M. de la Chaise, avec qui il etoit excessivement brouillé, ne le pouvoit plus souifrir. Suivant les dernières lettres de M. delà Chaise et celles du P. Raphaël il y avoit tout lieu d'espcrer une bonne intclligenoc entre les deux ordres. Le P. Petit qui suc-cède au P. de Beaubois. ctantàcc qu'on assure, d'un caractère trts moUeré et très circonspect.
"7
On croil djvoir nicUrv.' ici la liste ucs rnis^ionnairLS cl ck"-lieux où ils travaillent.
CAPUCINS :
l.c P. Kaphaëi. Vicaire généfal de M. l'evèque Je Québec
et curé de la ville. ... i
Le P. Hyacinthe, \'iciiire ... ' à la Nouvelle Orléans
Le P. Cécile, Maitre à école . . J
Lj p. Théodore au\ Chapitoulas
Le P. Philippe au Villai^e Allemand
Le P. Gaspard à la Hali/e
Le 1', Mathias à la Mobile
Le 1'. Ahtximiii aux Natchitoches
Le P. Philbert aux Natchez
Le P. Victorin, recollet, uni aux capucins aux Apalaclie.s.
JLSUITES :
Le P. Petit, supérieur .... à la Nouvelle Orléans
Le P. Poisson aux Akansas
I-e P. Doutreleau îl Ouabache
Pc P. Tartarin / ,• ■ i •
[ . . . . aux Kaskakias Le P. Le Bouleni^er l
Le P. Guimoneau aux Metchigamias
Le P. Souël aux Yasous
Le P. Beaudouin ..... aux Chicachas
Le P. Guienne aux .\libamous.
Le P. Petit était aux Chactas. 11 y aura un nouvt-au mis-sionnaire aux Caïouïtas. Messieurs Taumar et Mercier prêtres des Missions étrani^éres sont avec les Jésuites aux Kaoluas cl 'J'amarois.
ns
M. Pcricr s'ovprime ninsi sur les Jésuites Je la Louisiane J.ins sa dernière lettre du 14 août 172S. 'lout le monde se loue des Jésuites des poste, ou ils sont. Je doi^ xous dire qu'ils y font heaucoupde bien. Les postes qui étoicnt les plus débordes, comme les Alihamous et les Vasous sont tout à lait chanf^cs, l.a Compaj^nie ne s'etoit pas bornée à assurer les secours l>:rituels aux tVaiiçois et à procurer la conversion des sauvages, elle avoit encore en vue de mettre en ré-le l'hôpital de la •Nouvelle Orléans Mt d'en charger des personnes capables de travailler elTicacement au soulagement des malades. Klle cher-cha donc pendant longtemps des -,(furs grises, mais les diffi-cultés qu'elle rencontra à en obtenir, la détermina à accepter les proposition-, que lui lit le 1>. de lieaubois de lui donner des llrsulries, qui se chargeroient du soin des intirmes.
I.e !3 septembre 172b, la Compagnie signa un traité pour l'établissement de six religieuses de cet ordre dans cet ho-(iitalii). LUe leur laissa en même temps la liberté de tra-wnllerà l'éducation de la jeunesse de leur sève, mais à condition que le service des malades qui étoit le principal objet de leur mission ne seroit jamais négligé.
Ces religienses arrivèrent it la Louisiane au mois de juillet 17^7; •<-■ logement de l'hôpital ne se trouvant pas en état de les recevoir, on leur donna une maison particulière, où elles com-mencèrent à instruire déjeunes filles avec un succe/. qui causa beaucoup de satisfaction à la colonie.
Si les ordres de la Compagnie ont été exécutés leur logement doit être Hni à présent. » (Arch. du Min. de la Mar.)
(1) lin ryjn. une huile du Pape dispensa les Ursulines du service d'/iospimlières. Le roi dEspa-;nc accorda à deux de ces reliirieuses, à la même époque, une subvention de lùpis-loîespar mois (fin francs).
11.
F^v- l cwcniso de Messieurs Perier et Sahnnn
Le Pcrc dAvnn,ou,- ,vp,vscnt. ,uc l'ctal,lisscmcnt de.
«cl.,.euscs Llrsul.ncs lonn. a la Nouvelle Orléans en .
estime (L'uvredes pi is iri',.. nr.uri . • ^""^'<-" ^7^,-
,.ll„.^ • '•"''''"" P"^"^'' ^-"'"nie,..il estant arrivée.
iIc.ouvn,-entuneea.Ie,H.h!i,ue pour les „.nes Hllcs, oui e
I mus Ml... pn,,nt ,,,,, .^. ,.,,,,i,„^„^„^^.^_ ^^
eUcs se chargèrent des orphdines ,ui se tn.uveren, à la >;;,:
^elle Orléans et auwnvi,ons.,u-dlee retirèrent et eievei^t archar.te r.a Con.pa.nie voulut yentrer dan, la suite eo
donna ,u'on rendit eha.ue année au. rel^.uses , . v"'
'-J,et de cet etahlissen^ent a ete d^.oir dans ia colonie
dj^jcl,,.euses pour élever la jeunesse, ,aire les .onction, d-ho pitahercs et avoir soin de l'hôpital.
f^a C^ompaunie fixe "i >;iv ,t . ^ i- ■ nar-in-. -Iv, ^^'^ '-^'i'.^'^-uses six cents livres
Pa. an a .ha.une, outre une .ratification de looo livres .un leur lut aecu:dee pour les frais de leur vova-e
Quoique la Compagnie n.n payât oue ^i., elles part,,-.., -plus grand nombre, et n ont pas ete moins de hit
e projet de U-tal.l,s,sement d'une maison de force a lieu. U Compagnie devoit envoyer cinq ou six autres cett ■
ncnauRo.,ladem. année des six religieuses qui va echo.r
su usant pour les irais de leur voyage, la RocMlecTr embarquement.
Supplie (.r.i)0!it..'r mille livres par an aux trni-; mille six rciv. .jui leur sont accordées, alin que cette communauté puisse subsister et ne point impf)rluiier d.ms la -.uite; moyennant liKiuclle somme elles sei'ont fihlii^ées (.l'entiflenir iloLize i"eli-.;ieuses.
Outre cette aui;nientation qui sera telle que Monseit^neur L' jugera l^ j-iropos, elles ne Jemandenl que le passat;e de leur-, religieuses: soit celles qui seront envoyées à la Louisiane, soit ^elles (jui seront obligées de quitter la colonie, et le Iret d'u'i tonneau par an.
l'',lles espèrent par une protection particulière la confirmation en franc aieu de la terre qui leur a été concédée à la Nouvcll' Orléans et d'être maintenues dans les droits et privilei;es Jj leur institut, comme elles en jouissent en brance.
Arch. du .Min. de la .Mar.
m.
L'oiHcier oue .^;adeL•ine Ilachard appJle Duvergcr se nom-mait Dcverf^ès. (\'., aux Arch. du Min. de la .Mar., un procès-verlial du i3 avril 17J1 sur le fo:t et les accroissjmcnts de la
Balise.)
IV.
I.e P. Doutreleau, que xMadeleine Hachard appelle Doutrelo, tut envové en mission aux Illinois. Kn ij'io, il profita de la .saison des chasses pour venir réi^ler quelques ali'aircs à la Nouvelle-Orléans. Le i''' janvier 1730, au moment où il disait la messe à l'enirée de la rivière des Yasous, il fut traîtreuse-niiint attaqué pai- les Sauvages. Un de ses serviteurs tomba
mon j SCS côtes, un autre eut la jambe fracassée par une halle, lui-même fut blessé. Il prit son calice, sa patène et, couvert de -es habits sacerdotaux, se sau\a dans une pirogue ou se trou-vaient dé),\ deux de ses compagnons. Il atteignit sans autre lecident sa destination, mais non sans avoir été longtemps poursuivi, d'abord parles Vasous, puis par les Natche/.
Gela se passait au moment du massacre des lM-an(;ais par les Natchez Ce drame fut provot^ué par l'avidité et la dureté du commandant Chepar.
<]harlevoix, Hist. et descript. fréu. de la Nouvelle France, t. IV, pp. 442 et seq., éd. in-ri de 1744. Hossu, Nouveaux Voyages aux Indes Occidentales. \" paît., pp. 54 et seq. Paris, i-GH.