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IMPAIMERIE OE A. HENRY, RaeGil-le-C(Bar,8.

PRÉFACE.

Jeté sur la terre d'exil par des circonstances inattendues, oppressé du poids d'une irrémédiable tristesse, craignant de voir s'éteindre ma vie loin des bords de ce Michasippi que tout créole de la Louisiane aime d'un amour filial, vers qui tout enfant voyageur se sent entraîné

par un irrésistible instinct, j'éprouve le besoin de laisser à mes concitoyens, à ma famille, à mes amis, ces faibles essais poétiques comme un souvenir.

J'ai voulu aussi inspirer aux jeunes poètes de la France le désir de visiter les forêts vierges de la Louisiane. Que ces âmes souffrantes, que

Ces cœurs lassés de tout, même de Tespérance,

viennent rêver à l'ombre de nos mélèzes harmonieux, sur les rives inhabitées de quelque bayou solitaire, au murmure des ruisseaux sans nom du désert, au chant plaintif et monotone du will poorwill! C'est là qu'ils trouveront des trésors inconnus ailleurs : la paix de l'âme et l'oubli de tout!

Poétiques enfans de la France, que ne comprenez-vous l'idiome harmonieux et musical de la tribu Chactas, cette langue

aimée de notre enfance, mais que notre jeunesse oublie l Ah ! c'est dans cette langue dont chaque syllabe emprunte sa sauvage harmonie de quelque voix mystérieuse de la solitude, c'est dans ce dialecte inculte et coloré des fils du désert, que nous vous parlerions avec éloquence des vierges forêts , des ondoyantes et vastes savanes, des mille bayous tribu* tairas du plus grand des fleuves américains!....

Fille de la France, la Louisiane, comme sa mère, aura un jour ses poètes. Du sein de notre belle et bouillonnante jeunesse, il surgira, n'en doutons pas, quelques uns de ces hommes prédestinés qui, selon l'expression de Victor Hugo :

Marchent un pied dans Tavenir !

Oui, notre Louisiane est une terre de tristesse et de poésie! Gomme la vieille

Galédonie , c'est une austère et sauvage contrée, stem andwildy c^est une grande et inculte nature qui sera féconde en poëtes.

Puisse, un jour, quelque barde immortel de nos savanes américaines prendre pour épigraphes à ses chants futurs quelques uns de mes vers , et sauver mon nom de l'oubli!....

Paris, 20 octobre iS3&

EXIL ET PATRIE.

« Qui n'a tourné les yeux, dans ces momens où la patrie » fatigue, vers la république de Washington? Qui ne 8>s^ » assis f dans la pensée, à Tombre des forêts et des lois de » rAmérique ? »

( L*abbé Henri Lacordaire. )

« J'irai errant dans mes solitudes; pas un seul battement » de mon cœur ne sera comprimé; pas une seule de mes pen-» sées ne sera enchaînée ; je serai libre comme la nature ; » je ne reconnaîtrai de souverain que celui qui allunia la » flamme des soleils et qui, d'un seul coup de sa mais, fit » rouler tous les mondes. »

( Chateaubriand. )

« Terre de Washington, j'ai souvent dans mes veilles » Rêvé de m'enfoncer en tes riches déserts, » Rêvé de saluer tes lointaines merveilles, » Las des a&tres vieillis de ce vieil univers. »

( A. de Latour. )

A M. MIEN R..

BZZI. ST PATBZB.

Que mHmporte le champ où la Bastille fut, La fenêtre où tirait Charles neupn'affùt, L'immense Panthéon, son fronton et son dôme, Et le grave Empereur sur la place Vendôme, Et le maigre gazon du bourbeux Champ-de-Mars, Et le palais du prêtre assassin de Cinq-Mars, Et Notre-Dame, où Toeil extasié se plonge, Et sa duplexe tour qui vers les cieux s^allonge ,

-«^^ 8 ^m»-

AntiquiB monament, débris djygj^euple Goth, Qui surgit tout entier de la tête d Hugo ?... Moi, dont le corps faiblit,tî5nl"r9inie est en tristesse. Que me font les plaisirs de la molle Lutèce? Est-ce pour consoler mon cœur de deuil saisi Que Taglioni danse et que chante Grisi? Pour me verser Toubli des savanes connues. Que l'Opéra vomit ses femmes demi-nues? Est-ce pour dissiper mon long mal du pays Ton sourire si doux, gracieuse Anaïs? 0 brune Léontine, Andalouse française, Est-ce pour que mon cœur palpite plus à Taise, Est-ce pour Texilé des pins de Bonfouca Que s'embrasent ainsi tes yeux de Rebecca?... Non !.. pour moi, paria, la chambre solitaire, Pourmoi,privéd'amour,pourmoi,rétudeaustére, La Cité-Thébaïde et son brouillard de plomb.... Oh ! que ne puis-je entendre, insoucieux colon, Les arbustes semés en lignes inégales, Dans ma tiède forêt résonner de cigales !...

Qu^un autre, ingrat'enfant, vieux fleuve, te blasphème,. Moi, je te chanterai, Michasippi...]e t'aime' ! Je chanterai toujours, lorsque Ton te maudit, Tes savanes, tes bois où le bison bondit.

A toute àme aspirant aux émotions neuves, Je dirai : <c Venez voirie plus grand de nos fleuves i Ce vieux Nil jiea déserts où Chateaubriand but', Et les mille affluens qui lui portent tribut, L'Arkansa, le Wabash, TOhio, tous ceux que nomme Si poétiquement le sauvage idiome î»

Loin du boueux Paris, viens poëte avec nous! Viens t'enivrer du chant de nos colins-foroux^, Etdecesjnille voix qugjajbrôt b^^^ La nuit ; dans nbs bayous, viens,plongeant la pagaie ^

*'Avèc Te nègre ardent rivaliser d'efforts ; Viens chasser le chevreuil caché dans nos6ots-/br(s ^, Européen blasé, viens te faire sauvage : Ah ! loin de cette foule, au pesant esclavage, Loin d*un monde égoïste où tu maudis le sort , Dans nos calmes déserts, viens voir comme Ton dort ! Viens voir les Indiens, dans nos^iniéres vertes, En cercle,insoucieux, couchés sur leurs couvertes^; Viens voir le nègre heureux péchant au bord de Teau.:

"TEsclave, il voit un père' où tu vois un bourreau. Sous la hutte de pin, oh I viens, comme Pavie ^ Retrouver dans nos bois Tindépendante vie ,

1.

Et chanter, tour à tour, dans ta mâle fierté , Dieu, la grande nature, avec la liberté !

Paris, Cité , le 2 janvier 1836.

A M. ANATOLE L

Oh ! choisir une femme et créer autour d'elle Tout un monde enchanté.

Et vouloir seulement , pour la faire immortelle, Une immortalité !

( À. de Latour. )

Oh ! puisque pour toujours, enfin, j*ai renoncè^ A ce rêve d*amour qui m*a longtemps bercé, A cet ange divin, ma créole inconnue. Que sous les tièdes pins je pressais demi-nue,

Quanddans mon sein mon cœur battait avec effort. Lorsque je me couchais triste prés d'un bois-fort. Et que, raorne fantôme, à l'ombre de l'yeuse, J'inclinais, en pleurant, ma tête soucieuse; Oh ! puisque pour toujours, enfin, j'ai renoncé A ce rêve d'amour qui m'a longtemps bercé. Ce rêve d'avenir et d'illusions folles, Fusion de deux cœurs, de deux âmes créoles, Etreintes sur un lit de mousse et de plantain, Quand le silence plane au bois, après le bain, Quand la forêt se tait, que, muets, on s^écoute, Et^que le bonheur est si grand que l'on en doute ; Oh! désormaisTje puis vivre content de peu. Et plus sage aujourd'hui, je ne forme qu'un vœu : C'est de m'ensevelir dans une solitude, De me bâtir, là-bas, un abri pour l'étude, C'est, renonçant enfin aux songes de René, De vivre insoucieux, d'auteurs environné. Oh ! non, Paris n'est point, ma souffrance l'atteste, L'enivrante oasis où pour toujours on reste ! 0 ma sainte piniëre, ô mes bayous sans nom, A vous toujours me lie un mystique chaînon ! Je suis , je suis toujours l'enfant de la savane y. Le sauvage banni qui reveut sa cabane. Sous un nouveau soleiîTîen n'a pu me changer : Oh 1 quand verrai-je encor les bois de l'Oranger,

-3^^ 13 ^m^

Les Rigolets connus et puis la Grande-Pointe , Les chênes du Lacombe et le château d'Alpolnte^« La cime des grands pins, le sable blanc, les joncs Surgir à mes regards aux lointains horizons !

Paris, 1836.

L*horizon , cette patrie des Ames inquiètes! (G. S AND.)

Ai glons a ventureux, dans l'espace égarés, Nous irons grayitant vers les climats sacrés, Abattant notre yol de Tabîme des nues : Nous les visiterons ces terres inconnues, De notre cri sauvage éveillant tout écho : Nous verrons a le Jourdain dormant sous Jér icho9,»

Le morne Golgotha, le Cédron, le Calvaire, La ville des Hébreux que le chrétien révère, La terre où le passé nous répond en tout lieu. Et |ejrtdeJombeau, débris de THomme-Dieu!... Oui, dans un jour lointain, un avenir à naître. Nous la satisferons, cette soif de connaître, '

Ce désir qui toujours aux jeunes âmes point, Qui grandit avec nous êTqlirnelSiblirpoint. £t d'où vient donc que Thomme, insoluble problème. Abandonne, inquiet, le sol natal qu'il aime? Pourquoi son cœur poussé vers tout lointain climat Se gonfle avec la voile et trefnble avec le mât? C'est que de l'Océan la sauvage harmonie ^Seule peut assoupir une âme en agonie. C'est que, pour apaiser la fièvre du cerveau, Il faut les grandes mers, l'air d'un monde nouveau ! Pourquoi, Chateaubriand, viens-tu, loin de la France, Sous l'arbre américain promener ta souffrance ? Oh ! c'est qu'avec sa voix, le vieux Michasippi fiefce, comme i^n enfant, le poëte assoupi! Oui, tu la ressentais la puissance inconnue D'une vierge forêt, d'une savane nue ! Oh ! c'est que le désert, le sauvage bison, Les Indiens groupés, le soir, près du tison, Tout émeut un cœur jeune et l'enivre et l'inspire; Oh ! c'est que là le bruit des passions expire »

C'est qoe dans nos déserts, aux grandioses naits, An vieux 5^a*JÏ6t«Iou seul on conte ses ennuis ■''!

Comme toutjeunecœur,quandledouteroppresse, Exhalant devant Dieu ma pieuse tristesse, Poète, aux mille voix grondant dans la forêt, , Aussi moi je demande un mot du grand secret, Toujours interrogeant et les cieux et la terre. Toujours enveloppé d*un éternel mystère. L'Indien étonné me dit : « Omongovia " , Pourquoi Yaché-ninak te trouve toujours là ? Et pourquoi donc toujours, ô fils de la peau blanche^ Contre un magnolia ton jeune front se penche ? » Et je réponds : a Enfant de la rouge tribu, DansTeau dafleuvevieux que n*ai-je toujours bu? Chactas insoucieux, pourquoi donc le grand-être" Sous rindien tchouka ne m*a-t-il point fait naître? Comme un dé vousberçant mon hamac de roseaux, Ma vie aurait coulé comme ces grandes eaux ! » Bonfoaca ( Louisiane ), 1837.

A lADANE )

qui reprochait a son fils

d'avoir renoncé a la carrière du barreau

POUR vivre dan$ la solitude.

« I love not man the less but nature more ! »

(Btron.)

Oh ! non, vous vous trompez, la solitude est sainte! Votfe-fils est heureux sous Tarbre de l'enceinte, Quand il entend le chant de nos rouges moqueurs. Harmonie enivrante et faite pour nos cœurs,

Oh ! ne répétez point ces amërçs paroles : Vous ne connaissez point nos savanes créoles. Si votre enfant aimé vit comme ^obin^son, Oh ! c'est qu'il est poëte et que son cœur est bon. Oh ! c'est qu'il a compris que là, la vie est douce, C 'est qu'un instinct puissant vers la forêt nous pousse. Que nous avons besoin , nous poëtes jumeaux, De la voix des grands pins pour endormir nos maux Lorsque nous savourons, sur la natte créole, Le far nienle de Naple et la sieste espagnole , Que nous avons besoin tous deux, comme René, D'y reposer un cœur du ciel abandonné, D'y confier la nuit nos secrets aux vieux chênes. D'y vivre et mourir loin des affaires humaines! Nouvelle-Orléans, janvier 1837.

Fortunate seticx ! (Virgile.) Dives opum variarum. ( Virgile. )

0 fortuné vieillard ton sort me fait envie *^ !

Que ne puis-je, imitant ta solitaire vie,

Comme toi voir couler, créole Robinson,

Mes jours comme un ruisseau dans un désert sans nom !

Quel est donc ton secret? et quoi! tu vis tranquille, Content, insoucieux, près du Bayou-de-VIle ? Homme prédestiné I pour toi jamais d'ennuis ! Le far niente des jours et le calme des nuits , Tout pour toi! L'on dirait à te voir, vieux Soulangc Que Dieu mit ton bonheur sous la garde de Tange. Âhl tu n'as points enfant, loin de l'arbre natal, Entraîné comme nous au ciel oriental, Gomme nous, tu n'as point, fils de la solitude, Connu ce miel-poison que l'on nomme l'étude ! Et que te fbnt, dis-înoi, dans ton obscurité « Ces grands problèmes : Dieu, Vie, Immortalité ? A toi qu'importe hélas! et ce triple mystère, Et le secret des cieux qu'en vain cherche la terre? Point de rêvés pour toi, vaine aspiration : Tu vis comme un oiseau de la création. Sous tes copalmes frais, à l'harmonieux cône. Aux brises de la nuit, quand la forêt frissonne, Pour toi, d'enivremens et de spasmes saisi, L'île semble un Éden , et Claire une Grisi '4 f

Bonfouca ( Louisiane ), février 1837.

r<)

A N. DRDINOND, NAimAUSTEMfiLUS,

QUI s'Était épris d'amour pour une jeune

FILLE DES BOIS.

Oh ! lorsque le matin paraît la jeune fille, A travers les buissons, sous sa rouge mantille, Qaand sa voix retentit au delà du vieux pont, D'où vient donc qu'en ton cœur un écho lui répond? Oh! d'où vient2£s1rce amour ou bien amitié sainte? Pourquoi toujours tes pas dirigés vers l'enceinte? Réponds-moi ! d'où te vient ce besoin de la voir, Cette vierge créole, Andalouse à l'œil noir?

Qaand vers le boid voisin la pirogue remporte, Oh ! comme, avec amour, muet, devant la porte, Drummond, d'un long regard tu la suis à travers Les arbustes lointains et les lataniers verts, Etpuis, àpas tremblans, Rapprochant de récore, Haletant, incliné, tu l'écoutés encore!

Bonfouca (Louisiane), février 1837.

A M. ADRIEN R..

Wheerer Iroam, whatever realms lo see, My heart untravelled foudly turns to thee.

(GOLDSMITH )

O frère, que de fois, perdu dans le silence, Un mystique ^invisible aimant vers toi me lance ! Assis, à mes côtés, Adrien, je fé vois Et je presse ta main et j'écoute ta voix.

L'imaginaire accent de cette voix oute ^

Calme, berce, un instant, nion âme épanouie.

Je me rappelle alors notre dernier adieu.

Et Je tombe à genoux et je demande à Dieu,

 cet être inconnu, providence étemelle,

De prendre Fexilé sous Fombre de son aile,

De son souffle puissant d'entraîner le vaisseau

Qui le porte endormi vers son lointain berceau ,

D'animer et refaire une mourante vie

D'un reste de chaleur à tout mon sang ravie.

Car, ô mon Dieu, vois-tu, c'est l'enfant de mon choix,

C'est le cœur et c'est l'âme en qui seule Je crois ,

Le sympathique écho de ma mélancolie

Qui souffre d'un passé que Jamais Je n'oublie,

C'est le seul, quand ma vie aura fui comme l'eau,

Qui, recueilli, viendra pleurer sur mon tombeau !

Bonfouca ( Louisiane ), mars 1837.

LOUISE.

Une mère, vois-tu, c'est là Tunique femme

Qu'il faille aimer toujours , A qui le ciel ait rais assez d'amour dans l'&me

Pour chacun de nos jours.

(A. deLATOUR.)

AMiSŒllR,AN£SMES.

I.01JX8E.

Quand elle reposa, sous un tertre sans nom. Celle à qui nous liait le filial chaînon, Et que, sur ce gazon oùràrSùsté'^s'incline, Pleuraient ses fils enfans et sa fille orpheline, Moi, qu'alors enfermait la zone d'orient, Enfant insoucieux et prisonnier riant,

J'attendais, du vaisseau parti de la Balise, Un mot, un souvenir, un baiser de Louise. Le vaisseau vint.... alors, enfant désordonné, Mon Dieu, je t'ai maudit et tu m*as pardonné ! Oh ! c'est que ton amour, c*estque ta pitié tendre, Être mystérieux, avait su me comprendre I Oh ! c'est que le blasphème et les mortels défis \ S'excusent, échappés à la douleur d'un fils ! j Au livre du péché l'ange inclinant sa face, I

Pleure, et puis de sa main pieuse les efface. C'est alors, qu'une nuit (toujours je m'en souviens], Comme une voix d'en haut semblait me dire : a Yiej » Viens, je sais endormir une tristesse amére, » Viens, enfant, je serai ton adoptive mère, » Viens, repose, orphelin, sous mon aile abrité : n Ce qui meurt dans le temps vit dans l'éternité ! »

(Juin 1837.)

MIDI.

Résonant arbusta cicadis

( VlRGAB. )

MIDI.

C'est Fheure solennelle où toat se tait, c'estrheure Où la création en silence demeare. Le chant du moqueur rouge, en un dernier effort^ Retentit et s'éteint dans l'écho du bois-fort. Le pesant carrion-croxjo de l'abtme des nues ^^ Regagne haletant ses retraites connues ;

Et le caïman seul, aurayonDant zénith, Etend un dos cuivré que la vase brunit, Et, sur un bois flottant, de sa gueule embrasée » Aspire la lumière ainsi qu'une rosée.

><-

LA NUIT.

Le soir ramène le silence.

Je suis, dans le vague des airs. Le char de la nuit qui s'avance.

( Lamartine. )

LA NUIT.

La lune du Lacombe argenté les deux rives : Pas un bruit de roseaux ni de feuilles plaintives. Au camp muet s*éteint le cri du négrillon ; Dans le foyer bruit Tin visible grillon. Oh! c'est l'heure pieuse où l'âme recueillie S'enivre de silence et de mélancolie, L'heure où le will-iMor-will, tendre et plaintif oiseau, Sous le magnolia qui s'incline sur Teau,

Sous le saule qui pleure ou Tyeuse isolée, Comme une âme souffrante, une ombre inconsolée, Jette aux brises des nuits ce triste et lent accord Qui meurt dans le lointain et qu'on écoute encor... Sur le bayou, tenant une pagaie oisive, Calme, je laisse errer ma pirogue en dérive, Et je rêve, et je prie, et jusqu'au point du jour. Je me berce enivré de doux songes d'amour.

Juin 1837.

A M. ADRim R.,

l)'autres fois, je poursuis ma ligne accoutumée, En aspirant du tube une longue ftimée » Et de mes maux passés le souvenir amer Fuit avec la vapeur de Técume de mer.

( BARTHiLEMT. )

Famer, c'est le bonheur 1 au yent de la savane J'aime à Jeter les blancs flocons du pur Havane 1 Oui, frère, )'aime à voir, flâneur insoucieux, Chaque spirale poindre et tendre vers les cieux I

Hi9^ 40 '•m^

Fomer, c'est le bonheur ! quand la grande nature, Au printemps, donne uneliimêirtoiïïé créature, Quand m^arriye affaibli, pour m*assoupir le cœur, Un chant de cardinal ou de rouge moqueur; Fumer, c'est le bonheur I quand le tiède mélèze M'offre une ombelle verte où je respire à l'aise. Quand, sous le pacanier, sybarite colon, Je déguste, Tété, ma tranche de melon ; Fumer, c'estlebonheur! quand la brumeuse automne Soupire dans les pins sa plainte monotone ; Quand la sarcelle arrive et que les tanampos '^ De nos mille bois-forts troublent le long repos : Fumer, c'est le bonheur,quand le coup de nord gronde, Quand passe le zinzin sifflant comme la fronde *^ Quand l'orgue de nos bois rend de lugubres sons, Quand tous, au coin du feu, nous nous réunissons. Et qu'en nos souvenirs de joie ou de tristesse, Comme une ombre apparaît la lointaine Lutèce, Centre de l'univers, oasis du cerveau, Ville qui nous dota, frère, d'un sens nouveau, Panorama vivant, qui toujours se déroule. Char immense, éternel, à mille essieux, qui roulé... Fumer, c'est le bonheur ! en voyage surtout, ^ur le Steam-Boat errant, dont la fournaise bout. Dans l'indien pini qui sur le lac oscille '^; Sur le vaisseau grondant qui déferle et qui sille,

Quand le marin (Tun chant joyeux frappe Técho Des rivages de Cube ou des rocs d'Abacco, Qaand le soc de la quille, enfoncé sous la lame, Se relève, bondit, sur les bancs de Bahame ; Fomer, c'est le bonheur! prés du Guadalquivir, Qaand une bouche rose et sculptée à ravir, Qai convie aux baisers, sur qui notre œil s'arrête, Aspire, à flots légers, la jaune cigarette, Qaand chaque passion, dans le ciel d'un œil noir, \ èe reflète et se peint ainsi qu'en un miroir ; Famer, c'est le bonheur ! pour toute Àme en tristesse, C'est avoir Léontine ou Grisi pour maîtresse, C'est presser haletant, sur son cœur attendri, L'égyptienne Aimé, la mystique houri ; Famer, c'est le bonheur ! de la zone d'Asie, C'est comprendre, Adrien, '.toute la poésie ; D'an nuage couvert, c*est se rêver sultan D'Alep ou de Stamboul, de Smyrne ou d'Ispahan ; C'est peupler le désert ; sous la hutte créole, C'est d'une gorge en feu titiller l'aréole. C'est s'enivrer d'amour; oh! c'est vivre et jouir... Oh ! dans Tair agité mollement, c'est ouKr D'harmonieux soupirs et des plaintes de femme, Dans un monde idéal c'est faire nager l'âme!!...

Juin 1837.

AUX H0M9IES D'ARGENT.

Flumina amem silvasque inglorius !

(ViBGILE. )

AUX HOMMES D'ARGENT.

Oui, je suisun rêveur ! j'aime comme Virgile

A vivre inglorieux, Prés d*un ruisseau sans nom qui reflète tranquille

Le vif azur des cieux ;

Oui, je suis un rêyeur ! ainsi que Lamartine, Sur Teau d'un lac mouvant,

J*aime à voir, au lointain, la voile qui s'incline Sous Thaleine du vent;

Oui, je suis un rêveur ! au branle de la rame,

Au bruit de Taviron, En des songes sans fin J'aime à bercer mon âme

Comme Gœtbe et Byron ;

Oui, je suis un rêveur ! Cahne, Tâme attendrie,

Dans ma forêt priant, J*aime le chant lointain des cailles de prairie

Comme Chateaubriand ;

J'aime, au désert, ces nuits d'Amérique si belles» ~~' " Quand paisible, Tété, Sous les magnolias arrondis en ombelles Je m'endors abrité ;

Comme le pèlerin d'Amérique et d'Asie,

L'Homère de nos jours, Ce roi de la Nature et de la Poésie,

Oh ! j'aimerai toujours

Ces tableaux des déserts d'une grande nature

Que sa prose a dépeints. Le soleil embrasant la longue chevelure

Des granitiques pins;

Dans l'obscure savane, une yeuse isolée Au feuillage tremblant.

Qui semble un Doir fantôme, au seuil d*un mausolée, Traînant un voile blanc.

J'aime quand mon cœur souffre,et fléchit,et succombe

Sous le poids de l'ennui, A suivre l'Indien aux sources du Lacombe,

Et, calme comme lui,

Sous les verts lataniers, étendu sur la terre,

A Tombre d'un bouleau, D'un œil inattentîf, créole solitaire,

Regarder couler Teau.

Oui, je suis un rêveur ! Vous que l'or inquiète,

De ce stupide écho, Sans cesse vous venez assourdir le poëte,

Hommes de l'agio !

Oui, je suis un rêveur! Égaré dans des routes

Vierges de pas humains. J'ignore hélas ! comment l'argent des banqueroutes

Se cueille à pleines mains !

Je n'ai jamais jeté, sur votre table verte,

L'honneur comme un enjeu : Non !.. à vous l'or! à moi, dans ma forêt déserte ^

La solitude et Dieu !....

Juin 1837.

A. H.

Assument pennas, sicut aquils, volabunt, f$t non déficient.

(I8AIB,40.)

Oai, nous ToiroDS un Jour la sombre Nécropole ! Nous irons, voyageant de Tun à Tautre pôle. Comme l'erran t Humboldt et Victor Jacquemont, Au crew^detôuTvoican, au sommet de tout mont»

Nous oserons monter et nous voudrons descendre:

Des vieilles nations nous foulerons la cendre.

(Xi ! nous retrouverons, au lointain Orient,

Les pas de Lamartine et de Chateaubriand.

Nous verrons la cité, Médine impérissable,

Le grand désert, vêtu de son manteau de sable,

Et le Calvaire saint que Klopstock a chanté,

Et le Jourdain tari comme un ruisseau d*été.

Oui, quand vibre ta voix, chaude de poésie,

Mon âme te répond, d*émotion saisie ,

Et je me dis : « C'est bien 9 le poëte a raison ! x>

Mon cœur tressaille encor de ta comparaison :

a Peuple, lève les yeux, le couple d*aigles passe :

» Il va de monde en monde et d*espace en espace! »

Paisibles habitans, restez, restez ici :

A nous, Gènes, Venise, Ischia, Portici I

Silence! vieux colons, plus rien ne nous arrête;

A vous un coin de terre et le monde au poëte !

Silence ! c'est Tinstinct qui Fentratue sans frein ,

C*est son bonheur à lai qu'une quille d'airain

Sur Tabtme houleux jetant un blanc siUage :

Oh ! Messieurs, il est beau qu'un jeune homme voyage !

Non, ne l'arrêtez pas ; laissez, laissez partir ;

Il vous rapportera quelque grand souvenir :

Prés du pin embrasé, quand le coup de nord gronde.

Il vous racontera les choses du vieux monde ;

Oui, fler, il vous dira, d'un accent imprévu, Tout ce qu'il ressentait et tout ce qu'il a vu. Laissez, laissez ; je veux réaliser mon rêve : Un invisible bras m'emporte et me soulève; Il faut pour alléger le poids de mes ennuis La zone italienne aux amoureuses nuits !.. Adieu tout ce qu'on aime et tout ce qu'on regrette ! Est-ce ma faute, à moi, si l'instinct m'inquiète, Si Lutèce toigours m'apprête un repentir? A peine débarqué, si je veux repartir? Est-ce ma faute, dis, homme insensible et sage, Répondis, si je ne suis qu'un oiseau de passage, A mon aile sHl faut, à chaque nouvel an, Un nouveau point du globe où tende son élan !..

Juin 1837.

AU

Once more upon the waters, yes once more ! ( Btron. )

Oui, frère, il faut partir ! mon ftme'inassouvie Veut, sous une autre zone, une nouvelle vie. Loin des bayous aimés de la terre des pins, Oh! je yeux, suspendu sur les sommets alpins,

Solitaire, évoquer d'un hymne de poëte , L'ombre d'Alfieri, de Byron, de Goethe. Be la sphère créole, audacieux aiglon, De mon aile effleurant les roches du Simplon , Je veux, fier, saluer de ma voix inconnue Tout aigle voyageur rencontré dans la nue. Oh ! comme Humboldt, condor dont Taile balaya Les neiges du Caucase et de IHymalaya, Qui, haletant, baigna dans Teau des Amazones Son front brûlé du feu des tropicales zones, Que ne puis-je, Adrien, à tout ciel, sur tout sol, A tout pôle égarer mon poétique vol ! Mais partir seul ! pousser mon écumante quille Loin du rivage sombre où tu souffres tranquille ! Bans le port où tu vis, à Tabri de tout flot, Sans pitié, te jeter un cri de matelot ! T'abandonner ainsi, mourante sensitive, Au sol qui te refuse une guutte d*eau vive ! Cher Adrien, Jamais ! Si pour voir Portici, Naple, Ischia, je pars. ... tu dois partir aussi ! Sur rOcéan frappé d'une quille jumelle, Qu'à mon sillage enfin ton sillage se mêle !

Juillet 1837.

LA NOUVELLE ÂTÂLA.

Q Dieu ! si tu m'avais donné une femme selon mes désirs; si, comme à notre premier père , tu m'eusses amené par la main une Eve tirée de moi-même !

( Ghatbaubriand.)

A H. ÉUi R..

Il A VOWSUJB ATAJLA.

Je médisais : La vie est triste et monotone!

Et qaoi ! toujours, toujours, Souffrir, pleurer! ainsi que des feuilles d*automne,

Voir tomber ses beaux jours ! «..

A mes yeux apparut une vierge créole, Céleste vision,

Et voilà que déjà mon âme se console Et que rillusion,

Llllusion dorée, aux heures d'insomnie,

S'incline à mon chevet. Et me dit, d'un accent de suave harmonie :

Ce que ton cœur rêvait,

Le cœur selon ton cœur, Tidéal de ton rêve,

La nouvelle Atala, Celle que par la main, Dieu t'amène... ton Ève..«

C'est elle... la voilà!

Août 1637.

"Ci

Al. ADRIEN L

Moi , l'espéraDce amie est bien loin de mon cœur ; Tout se couvre à mes yeux d*un voile de langueur; Des jours amers, des nuits plus amères encore. Chaque instant est trempé du fiel qui me dévore. ( André Ch^nibr. )

Quand tu me dis : « Partons, à la nouvelle automne ! ) Oh! mon doute t'émeut, monjpcwW^rct'étonne. Ton regard pénétrant, fixe, sur moi jeté, Interroge mon front d'un nuage attristé.

Pour ton cœur fraternel ce doute est un mystère. Hé bien ! apprends-le donc,car je ne puis le taire. Apprends-le; j'ai souffert pendant de longues nuits : L'étude est impuissante à bercer mes ennuis, Et, dans ses mille voix, la nature créole N*a pas un seul accent, un bruit qui me console ! La lointaine chanson d'un invisible oiseau, Les soupirs des grands pins, les plaintes du roseau, L'assoupissant écho de Fécumeuse rame, Rien ne parle à mon cœur, rien ne m'allège l'âme ! Oh ! c'est que deux instincts contraires mais poissans, D'importuns aiguillons me harcèlent les sens ; C'est qu'aujourd'hui je rèye à la terre du Dante, J'étreins d'un bras fiévreux l'italienne ardente, Sur la lagune bleue, au flot tiède et mouvant, J'écoute un chant du Tasse emporté parle vent; Je tiens sur mes genoux une brune maîtresse, De ses longs cheveux noirs dénouant une tresse. Et de bonheur ému, je sens , comme Byron, A chaque coup donné de rame ou d'aviron , Mon poumon rafraîchi qui se dilate à l'aise*.. Demain... je pleurerai, triste sous le mélèze. Quand l'autre instinct s'éveille et bouillonne vainqueur Et revient m'arracher.tous ces rêves du cœur. Adieu Fheureux départ! adieu le long voyage ! Adieu sur l'Océan notre double sillage !

Adiea les rayons purs du ciel italien !... Je me sens retenu par Tamoureux lien. Hélas ! je porte en moi ce poison qui corrode, Cet amour qu'a chanté Vharmonieux rapsode, Ce maladif amour que le poëte André Sublime nous dépeint dans son rhythme inspiré! Ami, contre le cœur impuissante est la tête. Je veux partir... hélas ! un seul regard m'arrête. Un souris de mon ange, un-seul mot recueilli, Et tous nos grands projets sont livrés à Toubli, Et dans Tenceinte errant, tout honteux de moi-même, Tout honteux de faillir à ce frère que j'aime, Voyageur renégat, transfuge du vaisseau, Je semble d'un maudit au front porter le sceau; Muet esclave aux pieds d*une vierge créole. Du biarde indépendant j'ai perdu l'auréole. Mais ne la maudis pas, ma voix te le défend : Est-ce sa faute si je l'aime.... pauvre enfant! Si, cet hiver, lassé des ennuis de l'étude, Enseveli vivant dans une solitude,

J'ai senti le besoin d'être moins seul devoir

Sous des sourcils soyeux rayonner un œil noir. Si, pensif, écoutant la bûche en feu qui pleure.

Assis, à son côté, je rêvais toute une heure?

Mais non... soyons toujours les jumeaux Siamois : Je veux triompher d'elle. Oh ! partons dans deux mois :

4

Adieu, piniëre aimée, ô solitude sainte ! Adieu, chênes connus de la tranquille enceinte ! Adieu, lac Pontchartrain ! adieu ma vieille tour! Adieu !... Je pars... hélas ! peut-être sans retour !

Loin des copalmes verts, au balsamique arôme, J'irai m'asseoir, pensif, sur les débris de Rome. Oh ! si le Tibre, mieux que le Michasippi Me berçait mollement sur son onde assoupi ! Oh ! si la cité veuve et qui de tout console Rendait la paix de Tâme au poëte créole! Sur ton passé pleurant, ô vieille Niobé, Oh ! si comme Ryron, un fils de Hfastabé ^9 , Loin des pins résineux de l'inconnu Lacombe, Trouvait l'oubli de tout, prés de ta grande tombe!

2 septembre 1837.

A NADENOISEUI

^^'f

Près d'une femme, en proie à l'amoureux délire,

Le poëte est muet, il se tait et soupire.

De mille émotions à la fois oppressé,

Il veut poursuivre en vain un rhythme commencé ;

Pour calmer de son cœur Tardente frénésie,

L*ange de sa jeunesse et de ses plus beaux jours Semble s'être envolé, l'avoir fui pour toujours... Oh ! pour chanter l'amour sur la lyre inspirée, Pour peindre le regard d'une vierge adorée, Pour que les vers, à flots, débordent... que faut-il? Il faut la solitude, ou l'absence, ou l'exil!

Décembre 1837.

AI.ANATOLH..

There is a pleasure in tbe patbless woods.

( Btbon. )

Et puis touB deux assis, quel bonheur de lui dire De ces mots qu'on invente et qu'on ne peut écrire^ Ces mots mystérieux qui font trembler la voix, Prononcés, dans les pins, pour la première foisi

(MÉBY.)

Oui, je pars ; il me faut la solitude immense t-Quand je vois ma forêt, alors je recommence A revivre, à rêver sous mes pins toujours verts ^ A mVgarer pensif, à composer des vers.

QueUe estdonc, réponds-moi,Upuissance secrète» !

0 solitade sainte, ô mère da poëte?

Oh ! comme tous ces bruits qui tombent des rameaux i

Versentau cœursouffrantroubli de tous les maux!

Comme à ces miUe voix dont Tftme se pénètre,

Attendri Ton se ;ent rajeunir et renaître !

Il semble alors (}a'au monde on ait dit son adieu,

Qu*on soit seul ici-bas et qu*on vive avec Dieu!

Et dans Tillusion, le charme de ce rêve,

On lui dit : a 0 mon Dieu, mais où donc est mon Èye?

J*ai déjà de mes mains bâti mes ajoupas ;

Oh! monÈve! MonDieu,ne ramenez-youspas?..»

C'est ce que je disais autrefois, le cceur vide,

D'amour, d'émotions, toujours , toujours avide,

£t sans cesse jetant, d'une plaintive voix,

Un nom imaginaire à l'écho des grands bois.

Mais, heureux aujourd'hui

J'ai trouvé ce qu'à Dieu tout jeune homme demande ; Sur les bords du grand fleuve enfin je Tai trouvé L'ange que tant de fois mon âme avait rêvé !

Février 1838.

0 patrie ! ô doux nom que Yexil fait comprendre î (G.Delayigne)

Le rivage natal est un si doux lien ! Pourquoi si tout ici surpasse notre envie De relais en relais tourmenter une vie ? Pourquoi changer quand on est bien?

(MÉRT.)

Un jour tu reviendras, soucieux exilé, Par le soleil des mers encore tout hâlé, Portant du voyageur le sceau sur ton visage : Oh ! quand tu reverras, après un long voyage ^

Comme un point obscurci se détacbant des eaux» Ta Louisiane aimée et ses mouvans roseaux, Quand des objets connus de la natale rive, Un Jonc de la savane , un vieux bois de dérive, Un carrion-croto pesant égaré dans les cieux, Pour la première fois, viendront frapper tes yeux ; Oh ! surtout quand, au loin, comme un arbre qui flotte,. Apparaîtra soudain la barque du pilote, Quand cet homme attendu, ce rude Américain Sur les bords du navire apposera sa main, Et de sa forte voix, de son accent sauvage, Debout, commandera de suite à Téquipage... Oh ! que de souvenirs feront vibrer ton cœur, Créole vagabond, nomade voyageur I Sur la dunette assis, pensif et solitaire, Comme d'un long regard tu saisiras la terre t Comme tu salûras d*un hymne de retour, D*un chant improvisé de filial amour, Notre grand fleuve saint, aux sources inconnues ^ Et ses vierges forêts, et ses savanes nues ! Oh! c'estque nous t'aimons, ôvieuxNU des déserts! Ton nom seul prononcé fait déborder nos vers ! C*est que si nous souffrons, si notre âme oppressée Partout cherche l'oubli d*une fixe pensée, Si notre front s'abat sous le poids des ennuis, I^ous te contons nos maux dans le calme des nuits,

Et comme un père aimant, ô vieux fleuve cxèole,

Tu semblés écouter et ta voix nous console

Hélas ! naguère encor, sur ta rive, attristé, Tu me vis seul, errant, pleurant ma liberté, Pleurant mes jours heureux, l'indépendante vie Du jeune homme qui court où le pousse Tenvle, L'impérieux besoin, Tinstinct capricieux De voyager, devoir toujours de nouveauxcieux, Pleurant mes jours passés et mes heures d'étude, De doux recueillement, de sainte solitude, £t maudissant l'amour, ce corrosif poison. Et rœil vers l'Orient, fixé sur l'horizon, Loin de ce grand Paris que mon cœur redemande,

Comme un aigle enchaîné ^ •..

Toi seul me consolais, vieux fleuve ; à mes sanglots Tristement répondaient tes sympathiques flots. Ta paternelle voix endormait ma tristesse. Et Je disais alors : Souvenirs deLutèce, Loin demoi! loin de moi! Pourquoi courir lesmers? Se préparer encor tant de regrets amers? Non !... la raison me dit qu'il est temps d'être sage. Serai-je donc toujours un oiseau de passage? Comme Falguedes mers qu'entratne au loin lèvent, Dois-je sans cesse errer sur l'abtme mouvant? Me verra-t-on toujours, loin de ma Louisiane, Flotter sur l'Océan, voyageuse liane?

Non !... à mes pins aimés, à mes bayous sans nom\ A Bonfouca me lie un éternel chaînon ! C'est là qu*est le bonheur, là que la vie est douce, Sous nos beaux chênes verts vêtus de blanche mousse, Là,Jetant aux vains bruits du monde unlong adieu, L'homme dans le désert se rapproche de Dieu! Ami, c'est au désert où l'instinct me rappelle, C'est là que Je voudrais vivre seul avec elle ! C'est là que Je voudrais, loin de tout pas humain, Bâtir un ajoupa, pour nous deux» de ma main, Et sans craindre Jamais qu'elle me soit ravie, Epuiser dans ses bras ma Jeunesse et ma vie !

Sur ma tombe, où m'attend l'oubli de tous les maux, Que l'arbre du désert incline ses rameaux ! Que le plaintif poor-iotïl, la nuit, y fasse entendre Le monotone écho de son chant triste et tendre ! Que, sur ce tertre nu, sans funéraire croix, Le chasseur indien se repose parfois, Et, sans respect aucun pour ma cendre qu'il foule» Sommeille, insoucieux de l'heure qui s'écoule !

15 mai 1838.

AN.

Oh Eome, my country ! city of the soûl, The oiphaii5 of the heart mast turn to thee, Lone mother ofdead empires

(Btrox. )

Rien ne m*allait au cœur comme ces murs pendans, Ces terrains sillonnés de mâles accidens, Et la mélancolie, empreinte en cette terre, Qui ne saurait trouver son égale en misère l

(Barbier.)

Oh ! pour mon cœur souffrant, pour ma tète affaiblie, Anatole, il foudÀit les brises d'Italie ! "" Sur la lagune bleue, au bruit de Taviron, J'aimerais assoupi, comme Gœthe et Byron,

Nonchalamment couché dans l'agile gondole.

Entendre un chantlointain qui berce et qui console,

Un chant de gondolier, une voix du midi,

Qui meurt et qui renaît sur le flot attiédi!

Je souffre ; il me faudrait, pendanttoute une année.

Tes brises, tes parfums, ô Méditerranée !

Le colon pèlerin va reprendre son vol.

Poëte, visitons le poétique sol !

Oh! partons! Je veux voir la ville aux sept collines,

Rome, cité du cœur, des âmes orphelines ;

Je veux fouler du pied, toucher avec la main

Les fragmens abattus d'un chapiteau romain ;

Je veux voir, à travers les murs du Colysée,

Du soleil qui s'éteint, la lumière brisée ;

Sur des débris croulans, pensif, je veux m'asseoir,

A l'heure du repos, du silence, le soir ;

Je veux, fils vagabond des forêts du grand fleuve,

Pleurer, sur son tombeau, la métropole veuve.

Et demander à Dieu, dans le calme des nuits,

L'oubli des maux passés et de mes longs ennuis !

Puis, labourant les flots de mon dernier sillage. Ami, je reviendrai de ce lointain voyage. Dans sa vierge forêt, le nomade indien. Bruni par le soleil du ciel italien,

Suivant, à pas pressés, le sentier de Fenceinte,

Secoûra de ses pieds une poussière sainte.

Au seuil de ta maison, le cœur tout en émoi,

Il crîra haletant : <x Ouvrez, ouvrez ! c'est moi l »

Et vous écouterez, d'une oreille ravie.

Le pèlerin contant sa poétique vie,

Ces Jours où, voyageur, libre de tout lien,

Il cheminait, foulant le sol italien,

Et, le cœur renaissant à la belle espérance,

Visitant tour à tour Maples, Pise, Florence,

Loin des calmes bayous et des pins toujours verts,

Heureux, il s'enivrait d'amour et de beaux vers.

Oh! laissez-moi partir!Qu*on parle, que m'importe?

Un invisible bras me soulève et m'emporte.

Ami, j'éprouve encor l'impérieux besoin

De voir de nouveaux cieux, de m'égarer au loin !..

Après de longs efforts, on espérait, peut-être. Bans un moule nouveau repètrir tout mon être! D'une main sacrilège, on essatrait en vain D^efibcer de mon front le sceau du doigt divin, D'extirper de mon cœur la poétique fibre ! Le poëte rugit, s'indigne s'il n'est libre. Au jour inattendu de la rébellion,

Il arrache da joug sa tête de lion, Et le poète saint, à Tâme inasservie, Retrouve dans les bois Tindépendante vie, Et chante, tour à tour, dans sa mâle fierté, Dieu, la belle nature avec la liberté.... Et puis, si tout & coup, un grand aigle qui passe De ses sauyages cris fait retentir Tespace, Frappant d'un pied fiévreux la poudre des déserts, L'œil fixé sur l'oiseau qui sillonne les airs, Le poète s'émeut, il tressaille et s'écrie : «Vole vers l'Orient... aigle de la patrie! » Yole vers l'Orient... trace-moi le chemin ; D J'ai des ailes aussi... Je te suivrai demain! d

Bonfouca, 28 mai 1898.

r 7 s

L'£X1LÉ.

n s*en allait errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé !

(Lambnicais.)

Aimer I parole triste, insultante ironie,

Pour qui vit un matin ; Mot fatal et qui n*a d*écho, dans cette vie,

Qu*amertume et dédain 1

( A. de Latoub. )

L'EXILÉ.

Je pars..^ nul écho sar lative, Pas un murmure dans les bois; Pas un bruit de feuille plaintive : Le t€t/I-j)oor-ict7l même est sans yoix^

La Nature semble endormie, Le front d*un nuage voilé ; Nul sou£Ele sur Tonde assoupie : Dieu guide le pauvre exilé!

Je pars... adieu, piniére sainte ! Adieu, mes deux cyprès jumeaux! Adieu, vieux chênes de Tenceinte, Mélèzes verts, aux frais rameaux ! Caché sous vos voiles de mousse, Je ne goûterai plus, Tété, L*ombre et la sieste si douce : Dieu guide le pauvre exilé!

Je pars... et pour toujours peut-être,. Sans espérance de retour; Loin des bayous qui m*ont vu nattre, Je ibis, le coeur brisé d^amour. Des pins la sauvage harmonie Hélas ! ne m*a point consolé ; Ilmefàutlecieldltalie! Dieu gmde le pauvre exilé 1

Oui, je veux respirer Tarome Des mélèzes de Tivoli : J'irai, sur les débris de Rome « Chercher le silence et Toubli. Tu verses, 6 ville éternelle, Le calme à tout coeur désolé ; Que je m'endorme sous ton aile ! Dieu guide le pauvre exilé !

BoDfoaca, 21 mai 1838.

LE VAILLANT.

Though Ihe straîned mast should quiver as a reed, Ând the rent canyass fluttering strewthe gale, Stillmustl on. ..

(Btroh.)

AU CAPITAINE FAYRE.

Z.B VAIUiANT.

Oui, le Vaillant a bien accompli son voyage ! Il a franchi le gplfe en cinq Jours de sillage, Le Vaillant faithonnear au chantier de Bordeaux : AiHSi que Talcyon il glisse sur les eaux. Oh! comme avec amour, par une nuit tranquille, J'écoutais son doux bruit d'harmonieuse quille,

Ce bruit qui iàit rêver, assoupissant écho , Soit qu'il cinglât vainqueur en face d'Abaco » En de moins tièdes flots baignant ses flancs arides » Soit qu'il bondît, doublant le long cap des Florides! Et puis, quand vers le nord dans sa course emporté Mon vaisseau fut soudain par Touragan heurté De front, à 4a hauteur des bancs de Terre-Neuve... Oh ! comme, avec vigueur, il subit cette épreuve î A la cape, trois Jours, sur la vague affermi, Comme un oiseau des mers, il semblait endormi. Sur le pont ruisselant, debout, calme poëte, J'aimais ce souffle aigu, ces cris de la tempête. A mon cœur épuisé, triste, chargé d'ennuis » Océan, il fallait tes orageuses nuits ! Lorsque ta grande voiï s'élève solitaire. Tu nous verses la paix et loubli de la terre I...

Mais l'orage a cessé.,. Chantez, gais matelots l Poursuis, poursuis, YaillarUM course sur les flots; Vogue avec msgesté sur les vagues sonores. Courage, mon vaisseau ! nous touchons aux Açores; Courage ! Il ne faut plus qu'un vigoureux élan... Terre ! terre î Je vois la tour de Cordouau

Se dressant dans les deux, immobile colonne. Étreins, avec amour, ta mère la Garonne! Dans ses bras assoupi, tu peux, ainsi qu'un Dieu, Rentrer dans ton repos. Adieu, Vaillant y adieu!

Bordeaux, SjuiUetlSSS.

AIADANE

*¥¥

Je me voyais enfant, heureux comme autrefois, Et malgré moi des pleurs étouffèrent ma voix.

(V. HUGO.)

Monsieur !.. Et c*est ainsi qu'on accueille, Madame,

Un ami du passé I Monsieur !.. Oh! ce mot-là brise, contriste Tftme,

Le cœur en est glacé.

iHNi> 88 ^m^-

J'attendais mieux de yous; oui, j*espérais qu'Adèle

,Se souviendrait encor Des jours où Je lisais, assis à côté d'elle,

EnDmt, dans Tftge d'or.

Maisle passé n'estplus hélaslqu'une ombre vaine;

Mais l'oubli, je le vois, Des jours évanouis efface chaque scène,

Etouffe toute voix.

L^oubli, de votre cœur, a dissipé sans peine,

Après quelques saisons, Cette sainte amitié qui, d'une douce chaîne,

Liait nos deux maisons.

Paris, juiUetl838.

ç^

AMAZILIE.

#

Oh 1 that the désert were my dwelling place With one fair spirit for my minister, That I raight ail forget the human race, And hating no one, loye but only her !

( Byron. )

Que vous ai-je donc fiiit, ô mes jeunes années, Pour m'ayoir fui si vite et tous être éloignées,

Me croyant satisfait ? Hélas ! pour reyenir m'apparattre si belles, Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes.

Que vous ai-je donc fait ?

(V.Hugo.)

A N. EUPnËNOH L.

AMAZILIX.

Ami, la nuit, souvent, aux heures dUnsomnie,

Quand je rêve attristé, Des lointains souvenirs le mystique génie

S'assied à mon côté.

Des savanes, des pins, des ondes du vieux fleuve

J^entends la grande voix, £t mon âme renaît à la vie et s'abreuve

Aux sources d'autrefois,

A ce passé lointain de la belle jeunesse

Qui ne laisse, après lui, Que désenchantement, amertume, tristesse,

Immense et morne ennui.

A mes yeux éblouis mille beautés créoles

Apparaissent en chœur: L'imaginaire écho de leurs douces paroles

Fait tressaillir mon cœur.

Une surtout... Hélas ! ami, qu'elle était belle

Quand je la vis, un soir I Quels doux rayons tombaient de la vive prunelle

De son limpide œil noir !

H me disais: C'est là ma créole inconnue,

La femme de mes vœux ! Dans mes songes d*amour je t'avais entrevue,.

0 vierge aux noirs cheveux !

Oh 1 que ne puis-je vivre avec toi, solitaire y Prés d'un bayou sans nom,

Et là » réaliser, une fois sur la terre , Le rêve de Byron !

Que ne puis-je... Le Temps a fait un pas... Sa vie

A coulé comme Teau. Sous le saule qui pleure, on lit : «Amazilie^ »

Au marbre d'un tombeau.

. Paris Juillet 1838.

\

A MADIIOISEIIE N. D., DE Wm.

Frêle oiseau qu'emportait, au hasard, la tempête,

Loin des tièdes climats, Lorsque mon aile était à faiblir toute prête,

J'aperçus un trois-mftts.

D'un vigoureux effort, je m'élance, je vole

Aux vergues du vaisseau, Et j'y dors, comme si de la forêt créole

C'était un arbrisseau.

Le navire grondant en trente jours arrive,

M'emportant endormi : Je m'éveille... ô bonheur ! c'est le ciel, c'est la rive.

Le port d'un peuple ami !

Et tout émerveillé de ce lointain voyage,

Abreuvé d'un air pur. D'une aile indépendante, au-dessus du nuage.

Je me perds dans l'azur ;

Dans l'espace sans fin, comme dans mon domaine.

Libre d*un long repos, De l'un à l'autre bout du ciel je me promène

Et plane sur les flots ;

Et puis je redescends de Fabîme des nues,

Sur de rians coteaux, Mêlant un cri sauvage à des voix inconnues

D'harmonieux oiseaux ;

Et de bonheur ému, sur la rive étrangère.

Oublieux exilé, Loin des bayous aimés de ma belle pinière,

Je semblais consolé ;

Et tout me souriait... je me sentais à l'aise,

Hôte d'un nouveau sol, Quand soudain, à mes yeux apparaît d'un mélèze

Le lointain parasol...

Je tressaille... et tendant mes deux ailes rapides,

D'extase transporté, Je vole au dôme yert de Farbre des Florides,

Du Bayou-Liberté !

Et j*aspire, enivré, son parfum de résine,.

Haletant, éperdu, Â son feuillage aimé qui mollement s'incline

Je reste suspendu !

Il me semble revoir ma belle Louisiane !

Bercé d'un songe vain, Je crois dormir encor sur la verte liane,

 l'ombre du ravin...

Et puis... mon front retombe, avec mélancolie, Comme un roseau mouvant.

Comme une fleur des bois qui se penche, qui plie Sous l'haleine du vent.

6

Et je rêre attristé!... plus rien ne me console.

Mëlanccdique oiseau, Je semble, aux pieds de Farbre, où mourant je m*isoIe

Implorer un tombeau.

Paris JuUlet 183».

Rëpèt&-moi qu6 ton affection m*a suivi partout, et qu'aux heures de découragement où je me croyais seul dans TuniVers, il y avait un coeur qui priait pour moi.

(G. Sand )

Merci, frère, merci, fils des forêts créoleç ! L'h.'>riponieux écho de tes douces paroles, Comme un rhythme divin, un chant des cieux tombé, Berce, assoupit le cœur d'un frère en Mastabé.

Merci!.. Ta voix, frappant mon oreille raYie»

Calme, apaise mon ftme et me rend à la vie.

Oh! viens, ami de cœur, ami dès le berceau,,

De ta pieuse main, émonder Tarbrisseau

Qu'au sol de Tètranger a Jeté la tempête :

Viens, poète jumeau, consoler le poète;

Viens vite, je t'attends; viens rendre la gatté

A ce front d'un nuage éternel attristé.

Oh ! viens ; calmes, assis aux fraîches Tuileries,

Dans la riante allée, aux pelouses fleuries,

Nous chanterons, tous deux, ces bois que nous aimons ^

Cette brise des pins qui manque à nos poumons,

Les bords du Bonfouca, les rives du Lacombe...

Oh 1 qu'en ces lieux aimés Dieu nous garde une tombe.

Un tertre nu, sans nom, sous quelque ombreux abri

Des pins de Dubuisson, de Paul ou de Loubri !

Que près d'une ravine, une yeuse Isolée

De ses voiles pendans couvre mon mausolée !

Que tous les habitans, armés de tanampo^.

M'accompagnent, pensifs, vers le champ du repos.

Et des salves d'adieu frappent le coin de terre

Où, pour toujours, je dois sommeiller solitaire!..

Ah ! s'il fallait mourir sous les cieux de l'exil,

Loin des calmes bayous où chanté lepoor-mU,

Loin du magnolia, du résineux mélèze,

Ne m'abandonnez pas au vieux Père-Lachaise !:

— I

-4B|»t> 101 <MflE-

Non^.. créoles pieux , religieux amis, Par pitié ! recueillez mes restes endormis. Au centre d'un navire, amis, faites descendre Comme mi surcroît de lest, ma poétique cendre : Qu'au murmure sans fin de Torchestre des flots , Qu'aux longs soupirs des vents, qu'au chant des matelots,. Qu'au bruit harmonieux de l'enivrant sillage, Même au cercueil encor le poëte voyage !

Paris Juillet 1838.

AN.Â1!ÂmEC.,

L'espoir que des aipis pleureront notre sort €banne Tinstant suprême et console la mort. Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques Quelque bord fréquenté des pénates rustiques, Des regards d*un beau ciel doucement am'mé , Des fleurs et de l'ombrage et tout ce que j'aimai.

( André GHiHiBR. )

Ob! quand pourrai-je encor, pensif et recueilli, Sous tes tiédes chêneaux, couché sur rétabli, Sybarite colon, dans ma pinière aimée, D'un cigare de Cube aspirer la fumée ?

Qaand poarrai-je, avec toi, famant le trabucco'^^ Du rhythme alexandrin faire vibrer l'écho. Ayant en main un livre où notre ftme s'abreuve , D'Hugo, de Lamartine ou bien de Sainte-Beuve? . Voyageur fatigué, quand pourrai-je?.. Mais non! Je ne dois plus revoir nos savanes sans nom. Dans la plaine de Paul je ne dois plus descendre. Loin du lac Pontchartrain reposera ma cendre. Au sol de l'étranger, sous quelque tertre nu. Le créole exilé va dorieâr inconnu : Nul ne viendra pleurer à genoux sur sa tombe.... 0 pins de Bonfouca, vieux cèdres du Lacombe, Silencieux déserts où rftmf écoute Dieu, Cyprès, ravins, bois-forts, nature sainte, adieu I Adieu, frères jumeaux, Adrien, Anatole ! Votre doux souvenir, en mourant, me console. Oh I tous les deux, assis sous les copalmes verts. Répétez, en pleurant, quelques uns de mes vers I Tous les deux abrités à l'ombre du mélèze, Oh ! pensez quelquefois au vieuxPére-Lachaise, A cet asile saint, où dorment enfermés Les restes d'un ami qui vous a tant aimés! Mais non !... En vous j'ai foi, religieux créoles : Vous avez recueilli mes dernières paroles. Tous, vous m'avez promis qu'un rapidetrois-mâts. M'emporterait encor vers nos tièdes climats,

Tous, mourant, vous ayez consolé le poète, En lui jurant qu*UD jour sa poussière muette, Sous le vert parasol du sablonneux tiac ", Sommeillerait tranquille, à l'autre bord du lac l

A vous, poëtes, donc, Adrien» Anatole, Le soin de me choisir, dans la forêt créole, Sous les chênes connus de Paul ou de Loubri,. Le tertre du repos, le tumulaire abri I

Oh ! vienne, au point du jour, sur ma tombe arrosée-Des nocturnes torrens de la blanche rosée, L'harmonieux moqueur, le rouge cardinal Faire yibrer l'écho de leur chant matinal ! Oh! que surtout, le soir, le voill-poor-will que j'aime^ Y soupire ce chant triste, toujours le même Qui s'élève plaintif, dans le calme des nuits, ïlt de Tftme souffrante apaise les ennuis I

Paris, juillet 1838,

AM.

Oublions! oublions 1 quand la jeunesse est morte, Laissoiw-notts emporter par le vent (jui remporte.

(V.Hugo.)

Sur la vieille cité quand un lourd brouillard pèse,

Oh! que de fois, ami, L'imagination, sous le tiède mélèze.

Me ramène endormi !

^^^ 108 <m^

Sous les rameaux en deuil de l'yeuse isolée

Je m'assieds recueilli ; Au murmure des pins mon ftme inconsolée

Demande en vain l'oubli !...

Oh ! qu'ils sont loin mes jours d'insoucieuse vie, A l'ombre des grands bois,

Quand mon cœur débordait d'amour, de poésie, D'espérance à la fois !

Quand > relisant toujours Béranger, Lamartine,

Sainte-Beuve, Byron, Buvant la poésie, à sa source divine,

Dans ma forêt sans nom.

J'allais errant, bercé de molles rêveries,

Sans suivre aucun chemin, . Ecoutant, arrêté, la caille des prairies, Loin de tout pas humain,

Ecoutant les soupirs de la savane nue.

Les plaintes du roseau. Et me désaltérant à la source inconnue

Où s'abreuve l'oiseau,

Et le soir, revenant, qaand le soleil qui tombe

Nous jetant un adieu, Colore des grands pins, des cyprès du Lacoinbc

La chevelure en feu,

A rtieure où Ton entend la voix sonore et gaie

Du nègre sans soucis Qui chante, en agitant une rauque pagaie,

Dans sa pirogue assis...

Il chante.. .La chanson vibre au loin dans Tespace :

On dirait un oiseau! La pirogue bouillonne, écume, glisse et passe

Comme un poisson sous Teau...

Il chante... et par degrés, dans le ravin sonore

La lointaine chanson Expire... L'habitant rêve, écoutant encore,

Quand meurt le dernier son...

Ils ne sont plus ces jours!.. Loin de la Louisiane,

Par le destin jeté, J'erre souffrant... L'amour à l-exil me condamne.

0 Bayou-Liberté,

7

-a^»^ 110 ^im^

Bayouqu*a baptisé le sauvage idiome,

Solitaire ruisseau, 0 pins dont, tout enfant, je respirais Tarome,

Chênes de mon berceau,

Pontchartrain, lac sacré, recevez du poëte

Le solennel adieu ! Je meurs, je vais enfin d'une vie inquiète

Me reposer en Dieu !

(Paris, juillet 1838.)

LE JARDIN DES PLANTES.

\'

C'est le grtnd rtsefvoir où toute vie abonde, Le Yerdoyant congrès des arbustes du monde, Où tout homme qui rêve à son pays absent Retrouve ses parfums et son air caressant.

( BAATHàLËinr et Mért. )

/'•^

A I. JULES !..

IiE CNnBVaSVIL 91lt IiA IiOimiAWS.

Qaand un voile bruineux enveloppe Lutéce, Quand mon front obscurci s'incline de tristesse, Gomme un arbuste frêle où soupire le vent, Ainsi que par instinct, ami, Je vais souvent, Longeantles boulevards, jusqu'au Jardin-des-Plantes: l»à, le^ heures d'exil, pour moi, coulent moins lentes.

/

Là, comme à Bonfouca, sous les mélèzes verts, Soacieax, Je m'isole et compose des vers, Et, tout en relisant Byron ou Sainte-Beuve, J'erre, par la pensée, aux déserts du vieux fleuve; Solitaire, j'écoute, incliné sur les eaux. Son murnmre sans fin d'harmonieux roseaux. Ces bruits mystérieux des lianes plaintives, Des longs cyprès voilés qui pleurent sur ses rives. Poëte insoucieux, sans suivre aucun chemin, Sur les on^es bercé, la pagaie à la main, Ainsi qu'un bois flottant, au souffle de la brise. Je laisse dériver ma pirogue indécise. Et, l'oreille attentive à de lointains accords. Les yeux clos à demi, Je rêve et Je m'endors...

Et puis, quand au couchant un dernier rayon briitet Quand du riant jardin on va fermer la grille, Avant que de partir, d'un signe, d'un coup d'œil, D'un geste ami, je vais saluer le chevreuil, Innocent orphelin que le destin condamne A vivre, comme moi, loin de la Louisiane,

Loin des vierges forêts du vieux Michasippi

Captif dans un enclos Je le vois assoupi ;

Ainsi qu'au bois natal, il sommeille tranquille :

Et moi, prés de l'enclos, haletant, immobile,

Comme un père penché sur un fils au berceau» Je Tobserve endormi sous le frais arbrisseau. Oh ! que ne puis-je ; hélas ! exilé solitaire, Paisible, à son côté, m'étendre sur la terre, £t calme, insoucieux, sommeillant comme lui, Un instant déposer le poids d*un long ennui l Ou plutôt que ne puis-je, heureuse créature, Le rendre à la forêt, à la belle nature, Et dans quelque désert vierge de pas humain, Vivre seul avec lui, le nourrir de ma main, En faire un compagnon , un fils, une maîtresse, L'environner d'amour, de soins et de tendresse. Le suivre pas à pas, boire aux mêmes ruisseaux... Sous les lataniers verts, au bord des grandes eaux, Ainsi que Jocelyn à côté de Laurence, Près de lui m'endormip..., ivre de sa présence, Le caresser, Taimer comme on aime une sœur, Hardi, le protéger contre Tadroit chasseur, Et dire à Tlndien : a Qu'ici ton arc s'arrête ! Qui touche à ce chevreuil m'en répond sur sa tête ! »

(Parh, août 1838.)

AI.ANA'TOUL

0 met Dieuilareft! Dieux amis qae j*ai appelés avec des larmes du fond des lointaines contrées, du sein des orageuses passions!

(G.SATfD.)

Ami y souvent, debout aux tours de Notre-Dame,

Sombre comme Frollo, £n des songes sans fin je laisse errer mon Ame ,

Comme un esquif sur Teau,

Quand la brise des nuits qui fratchit et s'élève

L'entratne mollement. Que le frêle lien qui l'attache à la grève

Cède insensiblement.

Un brouillard épaissi recouvre, comme un voile,

La grondante cité. Je contemple, au lointain, le grand Arc de l'Étoile,

L'Obélisque attristé

Dont le fût pluvieux, comme un cratère fume,

Et dans les cieux se perd : Il semble regretter, sous un linceul do brume.

Le soleil du désert.

Potavéri créole, exilé solitaire,

Sous un ciel obscurci, Fils d'une zone en feu, d^une brûlante terre ,

J'ai froid... je souffre aussi...

Hélas ! il fut un temps où, pèlerin poëte,

Au sortir du vaisseau, Je retrouvais toujours, pour abriter ma tète.

Au sol de mon berceau,

^m^ 119 cf^^

Une vieille maison que le nègre a couverte

De sa calleuse main, Un toit usé qui tombe et croule, où Therbe verte Laisse errer son gramen.

Sous un grand pacanier où, dans Tépais feuillage,

Roucoule^le pigeon, Calme, je m'étendais, après un long voyage,

Sur la natte de jonc ;

Heureux, comme animé d'une nouvelle vie,

Sentant bondir mon cœur. J'écoutais haletant, d'une oreille ravie,

La fltite du moqueur,

Les bruits, les mille voix de la forêt voisine

Dont s'ébranle Técho, J'aspirais enivré Tarome de résine,

Fumant le trabucco ,

A la Création qui me chante et me fôte

Jetant avec amour, Dans un rhythme fiévreux, effervescent poëte,

Un hymne de retour...

Oh ! qui peindrait la joie et cette ivresse sainte

Qui pénètrent mes sens. Quand j'étreins, attendri, chaque arbre de l'enceinte

De mes bras caressans !

Alors qu*errant, pensif, à pas lents, dans la plaine,

Enfin j'ai retrouvé L'yeuse où tant de fois, le cœur chargé de peine,

Tout enfant j'ai rêvé!

Et puis, interrompant ma longue rêverie, Et revenant, le soir, '

Près d'un vieil oncle assis devant sa galerie Quel bonheur de m'asseoir !

Puis, dans la verte allée, où Ton sfuspend la seine,

Calme, me promenant, Quel bonheur d'écouter une chanson lointaine !..

Hélas ! et maintenant,

Loin des bayous aimés de ma sainte pinière

Le malheur me bannit: ]Le loup et le renard ont tous deux leur tanière,

L'oiseau du ciel un nid,

Mais moi, triste orphelin, infortuné poëte,

Ainsi que rHomme-Dieu, Je n*ai pas une pierre où reposer ma tète !..

Ami, je meurs... adieu !

Adieu, firére jumeau !.. Dans ta fratche presqu'île,

Oh ! puisses-tu toujours, G($mme un ruisseau sans nom dans un désert tranquille,

Voir s'écouler te& jours !

( Paris , septembre 1838. )

- ;

LE RUfilCON.

\r

Is there a man of sôul so dead, Who never to himself hath said : This is my own, my native land!

(W.Scott.)

AN.

iiE avBiooir.

Adieu, frère créole,ami d'enfance, adieu!.. Vogue sur TOcéan, à la merci de Dieu ! Comme un coursier sans frein qui jette un cri sauvage. Le Rubicon l^ondit, cingle loin du rivage,

Adieu, frère créole » une dernière fois !.. Mais la brise grondante éteint, couvre ma voix. De mUle émotions Fâme tout agitée, Je te suis du regard, debout sur la jetée, Je te salue encor d'une tremblante main... Mais le navire est sourd et poursuit son chemin. Comme un oiseau des mers qui tend son aile blanche, Il vole, il fuit, d'un bond il a franchi la Manche. .. Oh ! que ne puis-je aussi, sur Fagile trois-màts, Comme toi, m'élancer vers nos tiëdes climats. Et, comme toi, le cœur débordant d'espérance Et de vie, et d*amour, abandonner la France, Et saluer encor le grand Méschacébé, Ce Gange des déserts qu'invoquait Mastabé... Oh ! quand du fleuve saint enfin on se rapproche, Entre le cap Antoine et le cap de Catoche, Quand le vaisseau grondant, fugitif Alcyon, Sur le golfe houleux projette un blanc sillon, Lorsque, voile tendue, incliné sous la brise, Le navire franchit les bancs de la Balise, Et qu'on voit, à travers le brouillard pluvieux, Apparattre les joncs mouvans du fleuve vieux, Sur ces flots où voguaient d'indiennes nacelles, Quand lesteamtoat vomit ses rouges étincelles... Comme d'émotion, de bonheur étouffant. Dans un passé lointain on se revoit enfant!

•359^ 127 c^tjnm'

Oh ! comme alors le cœur s'inonde de tristesse !.. Heureux alors, heareux l'exilé de Lutèce. Qui, l'Âme émue, attend, au sol de son berceau, Les baisers d'une mère, au sortir du vaisseau!

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LE SOirVENlR.

^^

Je le senSt pour une hme tendre, Un amour malheureux est encore un bonheur.

( Desbokoes Valmore. )

•/v

AU

AU SOUTSNIB.

La vierge, ange des cieux, qui dorait notre vie, Dans un jour de malheur peut nous être ravie: Mais ce qui ne fuit pas, mais Téternel trésor Que Ton garde en son cœur, dont on s'enivre encor,

M&is ce qui reste, alors que Ton perd Une femme, Loin d'elle, dans Texil, ce qui console Ytime , Ce qu'à nous enlever, on ne peut parvenir, Ce qui survit à tout... oh ! c'est le souvenir ! D'un passé qui n'est plus c*est le reflet fidèle, Cesontces jours sidouxquis'écoulaientprèsd'elle» C'est le naissant amour et les premiers aveux » Les projets d'avenir, alors qu'on cause à deux, Le bonheur d'écouter une molle romakice. De lui dire, les yeux humides : «Recommence !» Et près de son piano, haletant et sans voix, De Tune à Fautre touche ouïr glisser ses doigrts ; Ce qu'en ses rêves d'or retrouve le poëte, C^est un front chaste et pur rapproché de sa tête, Alors que tous deux seuls, et la main dans la main, On s'entretient d'amour et du prochain hymen ; C'est un rien ', un sourire, un geste, une parole... Oh ! si jamais, jeune homme, une vierge créole, Après f avoir aimé de son premier amour. Par caprice, ou dédain, ou défiance, un jour, Craignantpour son bonheur, sans pitié te délaisse.. Oh ! le cœur défaillant, épuisé de tristesse, En voyant tout à coup tes beaux songes périr, Tu maudiras la vie et tu voudras mourir ! Et, ne retrouvant plus, dans ta douleur amère, Pour consoler tes maux l'amour saint d'une mère,

 la terre jetant un éternel adieu, Pour toujours, tu voudras te reposer eii l)leu. Mais comme un ange pur et que Dieu nous envoie^ Pour soutenir nos pas dans une sombre yoie, Aux heures d'agonie oh! ta verras venir Pensif, à ton chevet, s'asseoir le souvenir. Et si Torgue, à travers ta morne rêverie, Te jette un air connu... muet, Tâme attendrie, Dans ton cœur écoutant s'éveiller mille voix, Harmonieux écho des songes d'autrefois, Pleurant, tu t'écriras, en relisant Valmore : a Un amour malheureux est un bonheur encore ! »

(Parii, octobre 1838.)

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LA FÊTE DES MORTS.

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Iqvideo, invideo qnia quiescmiC.

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A H. ADRIEN R.

UL TÛTE »S8 MOaTS.

Le soleil pâlissant da pluvieux automne A Thumide horizon d'un ciel terne et blafard S*éteint ; et sur Paris, océan qui bourdonne, S*abaissent,en touslieux,des trombes de brouillard

Seul errant au hasard, la tristesse dans Tàme, D'un œil morne et glacé, j'observe tour & tour,

Ainsi qu'un brick géant en panne, Notre-Dame Dans la nue enfouie ayec sa double tour.

L'immense Panthéon dont ruisselle le dôme, * Llnstitut ardoisé d'où tombe et filtre Teau, Et le grave Empereur, sur la place Vendôme, Debout, comme autrefois dans la brume d'Eylau.

Sous les arbres pleurant dans Talmosphëre grise. Au désert Luxembourg, solitaire, rêvant, Je m'arrête inquiet, j'écoute.... chaque église Mêle son glas funèbre aux longs soupirs du vent.

C'est la fôte des Morts !... Pensif je me recueille Au banc de pierre assis, et le front dans la main : Hélas ! arbres d'un jour et que le temps effeuille. Nous semons de débris son lugubre chemin !

C'est la Fête des Morts.., Que je vous porte envie 0 Morts ! dormez, dormez dans l'éternel repos : Dans le port abrités, naufragés de la vie. Dormez ; à nous encor la tourmente et les flots !

Qu'importe? Relevons nos fronts calmes,tranquilles! Par Fouragan bercés, prions silencieux ; Sur l'orageuse mer laissons courir nos quilles : Un rayon brille au loin... c'est le phare des cieux î

•^ 139 ^*

Que de l'humanité raventureuse flotte Sur rabtme grondant cingle avec majesté! Courage, matelots ! Dieu nous sert de pilote : Un jour nous jeterons Tancre àTËternité!

(Paris, a novembre 1838)

NOTES.

NOTES.

* Moi, je te chanterai, Michasippi, je t'aime !

Michasippi est le nom que les Sauvages de la tribu Ghactas ont donné au l^eschacébé. Ce mot est composé de deux adjectifs : micha, long, et sippiy vieux (le fleuve long et vieux).

Tout le monde a lu la belle description du Meschacébé , par M. de Chateaubriand. Mais depuis le pèlerinage de THomère breton, les tableaux, hélas ! ont bien changé sur les bords du « Nil des désert». » Le voyageur, encore tout

IW

ému de la lecture d*Atala , doit s*attendre, à son arrivée à la Louisiane, à de cruelles déceptions Plus dejiamans rouges f plus déjeunes crocodiles qui s'embarquent passagers sur des vaisseaux de fleurs ,j^\i& de gazons rougis par les fraises ! La nature semble s*étre entièrement renouvelée sur ces rivages que le génie a immortalisés/ MH. Théodore Pavie et Beltrami ont donné du Bf ississipi des descriptions moins pittoresques, sans doute, mais beaucoup plus exactes.

Le voyageur, surtout s!il est jeune encore et avide de poétiques émotions, ne pourra se défendre ^ en voyant, pour la première fois, le vieux père des fleuves , d*un sentiment d'indicible tristesse. Tout ce qui frappe le regard de rhomme à Temirouchure du Mississipi, est empreint d'une austère et sauvage mélancolie. La nature y semble muette, inanimée; un morne silence pèse sur ces vastes solitudes. On n'y entend que le cri monotone des goélands de mer qui voltigent autour d'informes débris d'arbres flot-tans. Rien n'y rappelle, le mouvement ni la vie, si ce n'est quelques hérons solitaires dont la forme blanche sa dessine au loin sur l'immense nudité des marécages , ou bien de noirs carrioiis-crows qui rasent de leur aile sonore les mobiles roseaux des savanes. Mais quel bruit retentit soudain dans ces profonds et vastes déserts? D'où vient cette voix inconnue ? ce mystérieux écho ? Est-ce une de ces mélopées inouies de la création qui font que le crédule Indien s'agenouille , et que le poète s'émeut et tressaille ?•. • Non !. •. C'est la voix d'un de ces géansdes eaux, d'un de ces larges bateaux que la vapeur anime de sa puissance ; c'est un volcan fumeux qui éclaire au loin l'hotizon de longues tra!-

nées d'étincelles ; c'est le génie de l'homme qui s'avance , qui se révèle et vient régner dans ces lieux-mémes où la nature seule semblait devoir régner éternellement!... Oh I c'est alors» c'est au premier retentissement de ce bruit attendu/ que tout fils errant de la Louisiane s'émetit, se trouble» s'inquiète... Oh! qui peindrait les saintes émotions , l'indicible attendrissement de tout enfant créole, alors que le steam-bout , monstre rugissant, soulève » comme un poids léger, deux immenses trois-mâts liés à ses flancs, s'avance orgueilleusement sur. les eaux, et couvre de Técume de son majestueux sillage les rives retentissantes du vieux fleuve I Gomme tout alors réveille en nous d'inénarrables souvenirs! Comme tout nous ramène atec tristesse à ces jours lointains, à cette époque insoucieuse de la vie » à cette enfance où « lé coeur dort, » selon l'expression si profondément sentie de Victor Hugo ! Gomme l'âme s'exalte , s'enivre, se pénètre de ce calme, de ce silence, de cette majesté d'une nature imposante, de ces magnifiques tableaux de la solitude qui se déroulent à l'infini !...

> Ce vieux Nil des déserts où Chateaubriand but.

a Par intervalles, le fleuve élève sa voix en passantsous » les monts, et répand ses eaux débordées autour des co-» lonnades, des forêts et des pyramides des tombeaux » indiens: c'est le Nil des déserts. » (Chateaubriand,

y4lnlti, )

' Viens t'enivrer du chant de nos colins-foroux.

Le coUn-jorou est un oiseau de nuit de la Louisiane. Les

Angl<HAiiiéneaiiit ont reprodnit fidètement son chant mé-lancoliqnoet tendre, dans latoachante onomatopée de tvi7/-poor-will' Ses plaintes lentes et monotones, entendues au loin, par une belle nnlt d*été, calme et silenciease, inspirent à rame de délicieuses et molles rêveries : c*est la Philomèle des forêts américaines. Je n*ai jamais écouté ses notes attendrissantes sans me rappeler les beaux yers da poète latin :

At iUa

Fletnoctem, ramoqoesedens, miserabilecarmen Intégrât, et mcestis latèloca questibus implet.

5 La nuit, dans nos bayous, viens, plongeant la pagaie...

Bayou, oubayouc est un mot de Fidiome sauvage qui signifie rivière. Ainsi on dit : houc-jalaya , longue rivière; bouc'tchito^ grande rivière; bouc-tchifoncté, rivière des châtaigniers.

s Tiens chasser le chevreuil caché dans nos bois-fort$.

Bois-fort. On appelle ainsi une ravine épaisse et fourrée.

* Tiens voir les Indiens, dans nos pinières vertes, En cercle, insoucieux, couchés sur leurs couvertes.

Couverte t couverture de laine.

^ Sons la hofte de pio» oh ! viens , comme Pavie. • •

M. Théodore Pavie , jeane et enthousiaste voyageur, a parcouraen touscensles deux Amériques. Il a publié un ouvrage fort intéressant , intitulé : Souvenirs Ailantiqurs. Nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, d'en détacher une des plus belles pages :

tf Rien n*est plus affreui, plus désolant, plus sublime d^horrenr, que Tembouchure du Meschacébé ! Je sais plus d*un Français qui, attiré par les descriptions de GhAteau-briand, sur les rives du père des fleuves, a pleuré de désappointement en vue de la Balise. Aussi loin que Toeil peut s*étendre, ce ne sont que prairie» mouvantes, joncs desséchés , marais impurs; des bandes innombrables de vautours s*y bercent parmi les pélicans, les flamans et les grues; sur les bords des rivières flottent de hideux crocodiles , de monstrueuses tortues, des serpents noirs jaspés de taches livides : il n*y a rien lÀ qui puisse faire pressentir les admirables forêts de Tintérieur

La côte est si basse, qu*à deux lieues en mer on la distingue à peine : à Feutrée de la passe du sud-ouest s*élèvent les hunes d*une goélette naufragée; plus loin on aperçoit les espars brisés d'un brick, et sur la pointe des mâts viennent dormir les reptiles. Tel est le dernier point de vue sous lequel se présente ce magnifique Mississipi, refermant dans ce cadre désastreux ses douze cents L'eues de forêts , d*ha-bitations, de villages et de villes; il est effrayant mais grandiose encore dans sa laideur. Là , les hommes ne peuvent rien contre lui; TOcéan lui-même est re-

foulé par sa puissance. Nous ne yoyions plus ses rives, et son influenee se faisait sentir encore ; la fumée du remorqueur , retournant à la Nouvelle-Orléans, s'élevait au loin vers Thorizon ; un petit nuage de terre rappelait la présence de l'Amérique : elle était là, de moins en moins perceptible , une vapeur, une ligne indécise, un point , plus rien... Mais Thomme a une Ame où tout ce qu'il éprouve de sensations, tout ce qu'il amasse de souvenirs^ se grave en traits ineffaçables ! Oh ! belle Amérique , terre de liberté, république mère de vingt-six autres républiques, refuge de tous ceux qui souffirent, asile des opprimés , patrie des cœurs mélancoliques, adieu! Je t'aimais, moi, enfant capricieux, qui cherchais le désert et la paix 1 tu as été bonne pour moi ; jamais je n'oublierai tes lacs dont j'écoutais murmurer les flots limpides» tes fleuves sans sources, tes villes dont tu t'enorgueillis , et surtout tes halles de nuit au bord d'un ruisseau, quand tout dort dans la nature , depuis le colibri au fond d'une fleur , jusqu'à l'Indien sur sa peau d'ours : aujourd'hui tu me donnes encore de doux songes, et j'aime à parler de toi comme d'un ami absent. »

s Les chênes du Lacombc.

Le Lacombe et le Bonfouca dont il est souvent question dans ce recueil, sont deux petites rivières qui débouchent au lac Pont charlrain. A leur embouchure , sur des grèves arides et sablonneuses, se dessinent au loin de larges bouquets de chênes verts. Ces arbres séculaires voilés de longs festons de mousse blanche, offrent de frais abris

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aux immeDses troupeaux qui paissent dans tes savanes voisines. C'est là, qu'aux jours tièdes de Tété, les pécheurs du lac viennent se reposer de leurs lointaines excursions ; c'est là que , l'hiver, les aventureux chasseurs de la pinière dressent leurs tentes passagères.

Les deux rives de ces bayous agrestes et solitaires sont semées de plantes et d'arbres sans nombre. A c6té du cirier toujours vert, croit le cassinier, aux fruits d'un rouge de corail; à c6té du magnolia des Florides s'élève le cyprès chevelu qui baigne dans l'eau ses racines humides et ver-dAtres. La sauge, le plantain et la vipérine y exhalent au loin leurs parfums. Partout des chants, des bruits, des voix mystérieuses : c'est le chant de l'étoumeau perché sur un roseau mouvant ; c'est le sifQement harmonieux du cardinal et de la caille des prairies; c'est le cri bref et monotone du cli-ciique, pareil au tintement argentin d'une clochetta, c'est le retentissement du bec sonore du pic à tête rouge, qui tournoie sur l'écorce noueuse des oliviers et des copalmes. Puis, soudain, tout rentre dans le repos; on n'entend, dans le calme profond, universel de la nature, que la chanson lointaine d'un nègre qui passe en pirogue, frappant de sa pagaie indolente les eaux dormantes et silencieuses.

Les bords sinueux de ces bayous sont fort peu habités. Quelques maisons isolées surgissent de distance en distance. La plupart des habitans ont des briqueteries qui leur rapportent d'immenses revenus. Les esclaves y sont fort bien traités et sont très-heureux. Ils travaillent à la tAche. L'ouvrage terminé, ils s'appartiennent et disposent de leur temps comme bon leur semble. Les uns cultivent leurs jardins ; d'autres réduisent en poudre fine la feuille desséchée du sas-.

safra sd'autres pèchent à la ligne la perche, la barbue et le patnssa ; d'antres eofiu, plus pareiseux ou plus phîloso* phes, se contentant du nécessaire et dédaignant le superflu, savourent, aux heures et aux jours de relâche, le délicieux far niente. Dans les beaux jours d'été ils s'étendent nonchalamment , à Tombre des vastes chênes verts, respirant avec volupté la brise embaumée des pinières; l'hiver, ils se retirent dans leurs cabanes, nourrissant le brasier de Tâtre de larges bûches de mélèze :

Ligna super foco

Large reponens.

Tous sont heureux, excepté quelques esclaves rétifs qu'un indomptable instinct semble entraîner au vol; qui sont également sourds aux conseils et aux menaces du maître, et contre lesquels il faut nécessairement employer Vidtima ratio,.. Êtres malheureux que le travail irrite et que le repos fatigue, dès que la nuit les couvre de ses voiles, ils vont, fantômes errans, comme poussés par un bras invisible , cherchant partout à satisfaire un immense besoin de rapacité. Ils ne respectent même pas Thumble arpent de terre qu'un de leurs frères laborieux cultive de ses mains et arrose de ses sueurs. En vain, d'universelles clameurs partent du camp pour flétrir ces indignes spoliateurs ; en vain quelque Nestor, à cheveux blancs, élève une voix éloquente pour les rappeler au sentiment du devoir I Ils Técoutent» impassibles, inébranlables, les bras croisés, la tête haute : une invincible fatalité les maîtrise : voler est pour eux une joie, une passion , une gloire I

■' > Nous verrons le Jourdain dormant sous Jéricho.

Ce vers est emprunté au Napoléon en Egypte de Barthélémy et Méry:

Le silence planait sur les collines saintes Où Rachel eihala ses maternelles plaintes. Hébron était muet ; jamais un faible écho N*éveillait le Jourdain dormant sous Jéricho.

^® Au vieux StahouUou seul, on conte ses ennuis. Sta-houllou, le Grand-Être.

11 L*indien étonné me dit: 6 mongoula , Pourquoi Vaché-ninah te trouve toujours là ?

Mnngouia, ami.

Aché-ninak , la lune : mot composé cte aché (soleil) et de ninak (nuit). — Soleil de la nuit.

1* « Les Ghactas (Ghactaws,Ghoctaws), dits aussi Têtes-» Plates, vivent dans de gros viUages dans les États de Mis-» sissipi, de la Louisiane, dans le territoire d*Arkansa. et » une petite fraction dans rÉtat d*Alabama )>(Adrien Balbi).

La langue des Ghactas est accentuée et musicale. C'est peut-être à cette particularité qu'ils doivent leur nom de Ghactas, qui signifie, selon M de Chateaubriand» voix hai-

monieiiAe,

Le dialecte naïf et coloré de cette tribu indienne se dis-

•3^$^ 152 ^%m-

tiogue surtout par la richesse des mots qui expriment quel-que objet vivant ou inanimé de la création. La lune, c'est aché-ninak (le soleil de la nuit).—Levin, c'estoA^ pankè (Feau de raisin); un bateau à vapeur, c'est ^t/iê louak (la pirogue de feu).

.' Leur idiome est aussi très-riche en onomatc^es. Si un sauvage s'écrie : Tclmlaclay vous levez instinctivement la tête : 11 semble entendre un cri d'oies voyageuses qui passent. S'il dit : biscoco, vous reconnaissez le cri de la grive.

j'ai souvent fait interroger ces Indiens pour avoir une idée précise de leurs croyances religieuses. Us croient à l'existence du Sta-houUou ( du Grand-Étre) ; mais quant à Fimmortalité de l'Ame, ils n'en ont aucune idée. Un d'eux, qui ayait un grand bon sens naturel et à qui je faisais demander un jour ce qu'il pensait devenir après la mort, répondit , après quelques instans de réflexion ; « Toi, qui vois tant de choses sur ce pnpier /loiVci (eien parlant ainsi il regardait un livre que je tenais à la main ), tu iras peut-être là-haut et il montrait du doigt le ciel ), mais nous... hillé tan , quand nous sommes morts, tout est fini. »

Cependant, ils croient aux revenans. Ils respectent la cendre des iports. Un d'eux, à qui je proposais de me procurer un crAne de Sauvage, n'y voulut jamais consentir. « Le mort, disait-il, viendrait me tourmenter pendant mon sommeil. Il a besoin de sa tête. Ne la loi prenons pas. »

Us sont excessivement paresseux et on ne peut plus amateurs du^nr niente et de la sUsta, Quand on leur demande \ pourquoi ils ne travaillent pas, ils répondent : « Sommes-

\

\

nous des esclaves? » Quelques uds» cependant, s'occupent d'agriculture. Je me rappellerai toujours avec plaisir une de mes chasses lointaines, où^ fatigué de courses inutiles, j'arrivai au cabanage d'une famille indienne. Moi, qui avais vainement cherché dans la forêt « cette plante dont la fleur allongée en cornet contient un verre de la plut pure rosée ; » moi, qui, comme Chactas, fils d'Outalissi , « aurais voulu bénir la Providence qui, sur la faible tige d'une liante , a placé cette source limpide au milieu des marais corrompus, comme elle a mis l'espérance au fond des cœurs ulcérés par le chagrin, x> je fus, je l'avoue, délicieusement surpris en apercevant, au milieu d*une pi-niére inculte, un champ couvert de melons d'eau. J'en .obtins deux de la générosité de cette famille agricole, et je me consolai de n'avoir pu rencontrer la plante merveilleuse du désert.

Les Chactas sont heureux. Sur leur physionomie calme et sereine, on n observe jamais la moindre expression de tristesse. Peu leur suffit. Une nature providentielle leur prépare en tout lieu la couche et le repas de chaque jour. Leur vie s'écoule paisible et insoucieuse.

Parmi leurs femmes on rencontrerait difficilement les types d'Atala et de Gelnta, ces deux ravissantes créations de M. de Chateaubriand. Au reste, ces hommes simples et primitifs n'attachent aucun prix à la beauté. Pourvu qu'une femme soit bonne (tchou-couman), ils n'en demandent pas davantage. Une femme bonne, à leurs yeux, c'est une femme qui n'exige pas beaucoup d'égards. Le Chactas est fort peu galant.

J'ai été à même de connaître ces fils des savanes et des

déserts. Mon eabioet d*étude éUdt , pour ainsi dire, adossé à up ajoufxa indien. Pins tard je pourrai communiquer au publie le fruit de mes observations.

1* 0 fortuné vieillard, ton sort me fait envie !..

Jf*ai connu cet heureux vieillard. Plus d'une fois, fatigué de courses lointaines, j*ai frappé, le soir, à la porte de sa hutte d^écorce de pin, et j'ai savouré à sa table les charmes inexprimables d'une franche et douce hospitalité! Il me rappelait le vieillard de Virgile :

Gui pauca relicti

Jugera ruris erant

Regum «quabat opes animis, serftque revertens Nocte domum, dapibus mensas onerab&t inemptis. »

« Et quoi, me disais-je, il a trouvé le bonheur» cet homme des bois, ce Robinson, caché dans une lie inconnue ! Il n'est point agité, comme nous, de vains rêves, de chimériques aspirations; comme nous, il n'est point tourmenté de la passion inquiète des voyages ! Il vit heureux et s'endormira tranquille à l'ombre des mélèzes de son berceau. » Ohl que Dieu t'accorde de longs jours, habitant fortuné des solitudes américaines ! Puisse te parvenir, au désert, ce fiiible tribut de ma reconnaissance !

'4 « Pour toi, d'enivremens et de spasmes saisi » L*lle semble un Eden et Glaire une Grisi. »

M. Théophile Gautier, jeune poète plein d'avenir , a

fait an magnifique portrait de celte ravissante prima dona. Nous ne pouvons résister au plaisir d*en mettre un fragment sous les yeux de nos lecteurs :

« J*apercus une femme. Il me sembla d'fbord,

La loge loi formant un cadre de son bord,

jQue c*était un tableau de Titien ou Giorgione,

Moins la fumée antique et moins le vernis jaune ;

Car elle se tenait dans Timmobilité ,

Regardant devant elle avec.simplicité ,

La boucbe épanouie en un demi-sourire,

Et, comme un livre ouvert, son front se laissant lire;

Sa coiffure était basse, et ses cheveux moirés

Descendaient vers sa tempe en deux flots séparés.

Ni plumes, ni rubans, ni gaze, ni dentelle ;

Pour parure et bijoux , sa grâce naturelle ;

Bas d*œjllade hautaine ou de grand air vainqueur,

Rien que le repos d'âme et la bonté du cœur.

Au bout de quelque temps, la belle créature,

Se lassant d'être ainsi, prit une autre posture.

Le Col un peu penché , le menton sur la main,

De façon à montrer son beau profil romain ,

Son épaule et son dos, aux tons chauds et vivaces.

Où Tombre avec le clair flottaient, à larges masses.

Tout perdait son éclat, tout tombait à c6té

De cette virginale et sereine beauté.

Mon âme tout entière à cet aspect magique ,

Ne se souvenait plus d'écouler la musique,

Tant cette morbidezze et ce laisser aller

Étaient chose charmante et douce à contempler,

TaDl Toeil se reposait avec mélancolie

Sur ce pftle jasmin transplanté d'Italie.

Moins épris des beaux 8onsqu*épris des beaux contours,

Même au paiiar spiegar, je regardais toujours ;

J'admirais, à part moi » la gracieuse ligne

D'un col se repliant comme le col d*un cygne ,

L'ovale de la tête et la forme dn front ,

La main pure et correcte avec le beau bras rond ;

Et je compris pourquoi, s*exilant de la France,

Ingres fit si lontemps ses amours de Florence.

Jusqu'à ce jour, j'avais en yais cherché le beau ;

Ces formes sans puissance et cette fade peau

Sous laquelle le sang ne court que par la fièvre.

Et que jamais soleil ne mordit de sa lèvre,

Ce dessin lâche et mou, ce coloris blafard

M'avaient fait blasphémer la sainteté de Tart.

J'avais dit : L'art est faux, les rois de la peinture

D'un habit idéal revêtent la nature.

Ces tons harmonieux /ces beaux linéamens,

N'ont jamais existé qu*aux cerveaux des amans ;

J'avais dit, n*ayant vu que la laideur française ^

Raphaël a menti comme Paul Yéronèse I

Vous n*avez pas menti, non, maîtres; voilà bien

Le marbre grec doré par Tambre italien,

L'œil de flamme, le teint passionnément pftle >

Blond comme le soleil, sous Bon voile de hftle ,

Dans la mate blancheur, les sourcils Qoirs marqués,

Le nez sévère et droit, la bouche aux coins arqués,

Les ailes de cheveux s'abattant sur les tempes ,

Et tous les nobles (raits de vos saintes esUmpes ;

-«È^ 157 c^m-

NoD, vous n'avez pas fait un rére de beauté ,

C'est la Yîe elle-même et la réalité.

Notre madone est là ; dans sa loge elle pose,

Prés d'elle vainement l'on bourdonne et Ton cause »

Elle reste immobile et sous le même jour,

Gardant comme un trésor l'harmonieux contour.

Artistes souverains, en copistes fidèles.

Vous avez reproduit ios superbes modèles 1

Pourquoi, découragé par vos divins tableaux,

Ai-je, enfant paresseux, jeté là mes pinceaux ,

Et pris f pour vous finir, le crayon du poète ,

Beaux rêves obsesseurs de mon ftme inquiète,

Doux fantômes bercés dans les bras du désir,

Formes que la parole en vain cherche à saisir !

Pourquoi, lassé trop tôt, dans une heure de doute,

Peinture bien aimée, ai-je quitté ta route ?

Que peuvent tous nos vers pour rendre la beauté,

Que peuvent de vains mots, sans dessin arrêté,

Et l'épi thé te creuse et la rime incolore ?

Ah ! combien je regrette et comme je déplore

De ne plus être peintre, en te voyant ainsi

A Mosé, dans ta loge, ô Julia Grisi ! »

i» Le pesant cunion-c t^w de l'abîme des nues, etc.

Le carancro (ou carrion-crov^) est une espèce de vautour fort commune à la Louisiane. C'est un oiseau sinistre dont la vue seule inspire la tristesse. Tantôt perché sur nos vieilles barrières grisâtres, le front penché avec mélancolie , il reste des heures entières dans une attitude reli-

gîeuse, comme on prêtre qui se recueille et qui prie ; tantôt on Tapercoit, comme une tâche noire, perdu dans Tespace : on dirait qu*il dort immobile entre le ciel et la (erré. Le soir, repu de chairs infectes, 11 regagne, haletant , d*un Tol lent et lourd, ses retraites accoutumées. U «e pose, de préférence, sur quelque arbre mort de la forêt «omme si l'instinct de cet oiseau de la mort Téloignait de iottt objet qui rappelle la yie.

1* Quand h sarcelle arrive et que les tanampcs, Tanampo, fusil.

i'' Quand passe le zinzin sifflant comme la fronde. Zinzin, espèce de canard sauvage.

i> Dans rindien pini qui sur ie lac oscille.

Pini, pirogue.

19 Sur ton passé pleurant, 6 vieille Niobé, Oh 1 si, comme Byron, un fils de Mastabé....

Voici quelques détails sur ce célèbre chef indien, que j'em-|»runte à un voyage fait à la Louisiane en 1798 , par M. B'* D**.

« C'est parmi la nation des Chactas qu'était né le fameux D Mingo Mastabé. H s'était emparé de Tesprit de ses com-m patriotes, et son courage inspirait une telle confiance ,

» qu'on- le croyait aussi invincible dans les combats qu^n-» faillible dans les conseils. On ne lui avait pas remis les » rênes du gouvernement; il les avait prises, et personne » n*osait les lui disputer. G*est ainsi qu'il prenait un as-» cendant irrésistible et qu*il le soutenait par les dehors » les plus séduisans. On se battait en vain contre lui, il » remportait toutes les victoires. Un jour, interrogé par un » de nos officiers sur son peu de fidélité envers les Fran-» çais, il lui répondit : « Tu sais bien que je suis de la » race du tigre, et que le tigre est méchant et traître. » Il » joignait à la hardiesse une mâle éloquence, n périt assas-» sine par deux traîtres de la tribu des Ghactas, soudoyés » par les Français. Postés derrière des arbres , ils tirèrent » deux coups de fusil dont les balles vinrent frapper la poi-» trine de lHnv.incible chef. Si Ton n*eût pas été aveuglé par » une crainte pusillanime, il était possible de n'avoir point » recours à cet odieux assassinat. L'adresse de la politique » consistait à gagner son affection, et Fou conservait un » des plus rares génies. On pouvait l'attirer dans le parti » des Français, et, en substituant l'or au fer, on se faisait » un ami d'un des hommes les plus étonnans que la na-» tare se soit plu à former. »

^ Ohl quand pourrai-je encor, ftimant le trabucco. Trabucco, cigare.

*^ Sous le vert parasol du sablonneux tiak , etc. Tiak, pin, mélèze.

FIN DES NOTE».

/ci

TABLE

DES MATIERES.

Préface. 1

A M Adrien R —Eiii et patrie, 7

A M. Anatole G .11

A M. Adrien R< .... 15 A Madame **^, qui reprochait à son fils d*avoir renoncé a la carrière do barreau pour Vivre dans

la solitude. 19

AM. SoulangeM 21

A M. Drummond, naturaliste anglais» qui s*était

épris d*amour pour une jetfne fille des bois. 23

A M. Adrien R 25

A ma sœur, à mes frères. — Louise. 29

Midi. 33

La Nuit. 37

A M. Adrien R 39

FIN DE LA TABLE.

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